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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 17 mai 1994, n° ECOC9410097X

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Coopérative d'exploitation et de répartition pharmaceutique de Rouen

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aubert

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

Mme Nérondat, M. Perie

Avocat :

Me Laporte.

CA Paris n° ECOC9410097X

17 mai 1994

LA COUR statue sur le recours formé par la Coopérative d'exploitation et de répartition pharmaceutique de Rouen (CERP) contre la décision n° 93-D-35 du 21 septembre 1993 du Conseil de la concurrence (le conseil), qui lui a infligé une sanction pécuniaire.

Par une précédente décision n° 87-D-15 du 9 juin 1987, le conseil avait enjoint à différentes sociétés, dont la CERP, de cesser de diffuser auprès des pharmaciens des indications directes ou indirectes de prix conseillés.

Au soutien de la présente décision, le conseil statuant par application de l'article 14 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a, après avoir écarté du dossier le procès-verbal d'audition du 10 août 1989 établi par les enquêteurs comme ne respectant pas les règles de formes prévues par les articles 46 de l'ordonnance susvisée et 31 du décret du 29 décembre 1986 :

- relevé que si la CERP ne donnait plus d'indication de prix publics dans ses tarifs, elle avait toutefois instauré en janvier 1988 un système de " calcul du prix de vente à partir du prix pharmacien HT ", où chaque produit est classé par catégorie et par " famille " avec indication d'une marge minimale, maximale et moyenne ;

- estimé que l'ensemble de ces prestations n'ayant de raison d'être que si elles étaient portées directement ou indirectement à la connaissance des pharmaciens, cette société ne s'était pas conformée à l'injonction au respect de laquelle elle était tenue ; que compte tenu de la nature de ces pratiques et du dernier chiffre d'affaires connu de la CERP (8 419 607 636 F en 1992) la sanction pécuniaire infligée à celle-ci en application de l'article 13 de l'ordonnance susvisée devait être fixée à 200 000 F.

Il convient de relever que par la même décision le conseil a également prononcé des sanctions pécuniaires à l'encontre des sociétés Sopad Nestlé et Pharmygiène, dont la cour n'est pas saisie.

La CERP fait valoir à l'appui de son recours en réformation de la décision :

- que M. Petit, directeur général, seule personne entendue, n'a pas été appelé à s'expliquer sur les documents énumérés dans le procès-verbal d'inventaire des documents communiqués du 26 juillet 1989 et n'a pas signé le procès-verbal de son audition du 10 août 1989 que le conseil a justement écarté ;

- que c'est au vu de ces seuls procès-verbaux qu'a été établi le compte rendu d'enquête qui procède par de simples affirmations reprises par le conseil ;

- que les deux seuls documents retenus contre la concluante, repris dans les annexes 40 et 41 du rapport, constituent, le premier, une note interne concernant les taux de marque par famille de produits émise par le service informatique de la CERP au profit de certaines agences et non destinée aux pharmaciens, le second, un mode opératoire de calcul des prix de vente établi à l'intention des pharmaciens, ne contenant aucun taux de marque et supposant que chaque pharmacien indique lui-même le taux qu'il souhaite voir appliquer à un produit donné ;

- qu'ainsi la preuve n'est pas rapportée du non-respect de l'injonction qui lui a été faite dans la décision n° 87-D-15 du 9 juin 1987.

Elle prie, en conséquence, la cour d'infirmer la décision du conseil et de dire n'y avoir lieu à sanction à son encontre.

Le ministre de l'Economie, aux termes de ses observations, approuve le conseil d'avoir écarté le procès-verbal du 10 août 1989.

Il estime que compte tenu des habitudes des pharmaciens concernant les prix administrés, des habitudes antérieures dont convient la CERP en indiquant que " les marges figurant sur le document de l'annexe 40 correspondent à celles qui figuraient dans les fichiers informatiques de la CERP du temps des barèmes de prix indiqués par le fabricant, antérieurement aux injonctions de la décision précitée ", du fait que ces méthodes de calcul ne prennent pas en compte les coûts effectivement enregistrés par tel ou tel pharmacien, c'est à bon droit que le conseil a pu conclure que " l'ensemble de ces prestations n'avaient de raison d'être que si elles étaient portées directement ou indirectement à la connaissance des pharmaciens ".

Il observe toutefois que :

- la CERP précise que seules les pages 596 à 600 de l'annexe 41 sont adressées aux pharmaciens, les autres documents étant envoyés aux seules agences locales de la CERP ;

- que les documents présentés comme internes par celle-ci précisent (pages 592 et 593 de l'annexe 41) que " ne sont affichées que les familles pour lesquelles le pharmacien vous a donné un taux " et que " si vous supprimez un client, toutes ses informations taux de marque sont effacées";

- que ces éléments peuvent incliner à penser qu'il s'agit bien d'un mode opératoire destiné aux seules agences, d'autant que la CERP produit un document rendant compte d'un sondage qui établit quelques différences de taux selon les produits et, apparemment, selon les pharmaciens.

Il conclut à la confirmation de la décision en ce qu'elle a écarté le procès-verbal du 10 août 1989, mais s'en rapporte à la justice pour le surplus.

Le conseil a présenté des observations écrites en application de l'article 9 du décret du 19 octobre 1987.

Il indique qu'il a fondé son analyse sur les documents des annexes 40 à 41, ainsi que sur les observations, après rapport, de la CERP qui reconnaît que le service mis en place par elle constitue un calcul de prix de vente indicatif.

Il rappelle que la jurisprudence n'estime pas obligatoire l'audition des parties par le rapporteur dès lors qu'elles sont à même de présenter leurs observations tant sur la notification de griefs que sur le rapport, ainsi qu'en séance.

La CERP a répliqué au mémoire du ministre de l'Economie et aux observations du conseil, notamment en contestant avoir reconnu la mise en place d'un calcul de prix de vente indicatif.

Elle ajoute à son mémoire initial en concluant à la nullité du procès-verbal du 26 juillet 1989.

Le ministère public, dans ses observations orales, estime que s'il n'est pas contesté que la CERP met à la disposition des pharmaciens un service de calcul des prix de vente, la preuve n'apparaît pas suffisamment rapportée que celle-ci ait continué, postérieurement à l'injonction prononcée à son encontre par la décision du 9 juin 1987, de diffuser auprès des pharmaciens des indications directes ou indirectes de prix conseillés.

Sur ce, LA COUR ;

Considérant que la décision du conseil ne peut qu'être approuvée en ce qu'elle a écarté le procès-verbal d'audition de M. Petit du 10 août 1989 ; qu'en effet, en violation des dispositions de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986, ce document n'est pas signé de la personne entendue alors qu'il n'est pas indiqué qu'elle aurait refusé de signer ;

Considérant qu'en ce qui concerne le procès-verbal d'inventaire des documents communiqués du 26 juillet 1989, la CERP ne s'explique nullement sur les motifs de sa demande de nullité qu'elle n'a pas formulée dans son premier mémoire déposé devant la cour ;

Qu'au demeurant aucune cause de nullité de ce procès-verbal n'est établie ;

Quel'enquête préalable que les rapporteurs sont habilités à diligenter par application de l'article 45, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 permet, sans communication de la procédure aux personnes entendues, de procéder à toutes recherches et vérifications sur les pratiques incriminées à la condition que cela n'aboutisse pas à compromettre irrémédiablement les garanties de la défense, ce qui en l'espèce n'est pas démontré, ni d'ailleurs allégué ;

Que la CERP a pu présenter en temps utile ses observations sur les pièces ainsi recueillies après communication de l'ensemble du dossier lors de la notification des griefs ;

Considérant, au fond, que pour décider que la CERP n'avait pas satisfait à l'injonction de cesser de diffuser auprès des pharmaciens des indications directes ou indirectes de prix conseillés, le conseil a retenu comme seuls éléments de preuve les documents intitulés " calcul de prix de vente à partir du prix pharmacien HT " (annexe 40 du rapport du conseil) et " calcul des prix publics pour les pharmaciens, mode opératoire; calcul prix de vente indicatif " (annexe 41 du rapport) ;

Considérant que ce dernier document contient, d'une part, un mode opératoire de calcul des prix, destiné selon la CERP aux seules agences et expliquant le fonctionnement du programme informatique de calcul des prix, d'autre part, une nomenclature par famille de produits à l'usage des pharmaciens ;

Qu'aucun taux de marque n'est indiqué ; qu'il est précisé (page 590) : " S'il n'existe pas de taux de marque pour la famille et que le taux de la catégorie est de 0, il n'y a pas de calcul et le prix d'achat HT est affiché et imprimé ", et page 592 : " Ne sont affichées que les familles pour lesquelles le pharmacien vous a donné un taux " ;

Que le contenu de ce document ne permet pas de conclure qu'il tendrait à diffuser directement ou indirectement des indications de prix conseillés auprès des pharmaciens, puisque au contraire l'indication par chacun d'eux de ses taux de marque apparaît comme la condition même d'utilisation du mode opératoire ;

Considérant, certes, que l'annexe 40 comporte en revanche pour chaque famille de produits le taux de marque minimum, maximum et moyen ;

Que la CERP soutient toutefois qu'il s'agit d'un document interne établi à l'attention des agences et non destiné aux pharmaciens ;

Que force est de constater que l'enquête ne fournit aucun élément objectif permettant de contester cette affirmation ;

Que la seule observation faite par le conseil que l'ensemble de ces prestations n'a eu de raison d'être que si elles étaient portées directement ou indirectement à la connaissance des pharmaciens étant à elle seule insuffisante pour établir que la CERP n'a pas respecté l'injonction qui lui avait été faite, alors surtout que l'existence d'une connexité nécessaire entre les documents des annexes 40 et 41 n'est pas établie ;

Considérant, en conséquence, qu'il convient d'infirmer la décision du conseil en ce qu'elle a prononcé une sanction pécuniaire à l'encontre de la CERP et de dire n'y avoir lieu à sanction à son égard,

Par ces motifs : Statuant dans la limite du recours, infirme la décision n° 93-D-35 du Conseil de la concurrence du 21 septembre 1993 en ce qu'elle a prononcé une sanction pécuniaire à l'encontre de la Coopérative d'exploitation et de répartition pharmaceutique de Rouen ; Statuant à nouveau du chef infirmé : Dit n'y avoir lieu à sanction à l'encontre de la Coopérative d'exploitation et de répartition pharmaceutique de Rouen ; Laisse les dépens à la charge du Trésor.