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Décisions

Cass. com., 14 janvier 1992, n° 89-20.576

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Le Bureau Véritas (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Jéol

Avocats :

Mes Ryziger, Ricard.

Cass. com. n° 89-20.576

14 janvier 1992

LA COUR : - Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 11 octobre 1989) que le ministre chargé de la concurrence a saisi le 6 juillet 1987, en application de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence afin d'enquêter sur les agissements des sociétés spécialisées dans le contrôle technique, notamment dans le domaine de la construction ; qu'à la suite de l'enquête faite par un rapporteur désigné par le président du Conseil de la concurrence et après notification des griefs et dépôt du rapport, le Conseil, par décision du 21 mars 1989, a enjoint au Comité professionnel de la prévention du contrôle technique (COPREC) et à certaines entreprises, en outre condamnées à des sanctions pécuniaires, de cesser d'élaborer et de diffuser des clauses de rémunération uniformes destinées à être insérées dans les conventions cadre ainsi que des documents contenant des dispositions tarifaires ; que la société anonyme Bureau Véritas (la société) a formé un recours contre cette décision ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société reproche à l'arrêt d'avoir noté que le ministère public a déposé des conclusions écrites, sans qu'il résulte de cet arrêt, ni de la procédure, que ces conclusions aient été mises à la disposition des parties ou leur aient été communiquées, alors que, selon le pourvoi, si le ministère public veut faire connaître son avis à la juridiction en lui adressant des conclusions écrites, ces conclusions doivent être mises à la disposition des parties, pour que le respect des droits de la défense soit assuré ; que, dès lors qu'il ne résulte pas de la décision attaquée que la société ait été avisée du dépôt des conclusions du ministère public, et que celles-ci aient été mises à sa disposition, soit par la notification qui lui en aurait été faite, soit par une communication directe au greffe, précédée d'une invitation à venir en prendre connaissance, la Cour de cassation n'est pas à même de s'assurer que les droits de la défense ont été respectés, de telle sorte que l'arrêt est dépourvu de base légale au vu de l'article 431 du nouveau Code de procédure civile, de l'article 16 du même code et du principe général du respect des droits de la défense ;

Mais attendu que, dès lors qu'il n'est pas allégué qu'une contestation à ce sujet ait été soulevée avant la clôture des débats devant la cour d'appel par la société, à qui il appartenait éventuellement de faire état d'une violation des droits de la défense relative à ce grief, la cour d'appel n'était pas tenue de faire mention, dans son arrêt, du fait que les conclusions écrites du ministère public avaient été mises à la disposition des parties avant l'audience ; d'où il suit que moyen n'est pas fondé ;

Sur les deuxième et troisième moyens réunis, pris en leurs diverses branches : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir refusé d'annuler l'audition du président de la société, à laquelle le rapporteur désigné par le président du Conseil de la concurrence a procédé le 2 février 1988, après l'avoir convoqué par lettre en l'informant de ce qu'il pouvait être assisté d'un conseil, mais sans lui indiquer, lors de l'audition, le but de celle-ci et les infractions sur lesquelles il enquêtait, le compte rendu de cette audition, rédigé unilatéralement par le rapporteur n'étant pas, au surplus, signé par la personne entendue, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la procédure devant le Conseil de la concurrence doit être pleinement contradictoire ; que, dès la saisine du Conseil de la concurrence, les parties doivent être à même de débattre des moyens, explications, documents susceptibles de fonder la décision ; que lorsque le rapporteur avise une partie qu'elle peut être assistée d'un conseil, il en résulte nécessairement que des infractions sont susceptibles d'être retenues à son encontre ; que, dès lors, à supposer que le rapporteur puisse procéder à une audition de cette nature, avant toute notification des griefs, il ne pourrait procéder à une telle audition sans avoir, au moins, indiqué à la personne qu'il entend, les faits susceptibles d'être qualifiés d'infractions dont le Conseil a été saisi, et sur lesquelles lui-même enquête ; que la société avait fait valoir, dans ses conclusions, que l'audition à laquelle il avait été procédé avait permis au rapporteur d'obtenir des éléments complémentaires ; que la décision attaquée n'a pu, sans violation de l'article 18 de l'ordonnance, et, du principe du respect des droits de la défense, décider qu'il ne résultait aucune nullité du procédé employé, en retenant que les dispositions de l'article 20 du décret du 29 décembre 1986, qui fixent les modalités de garanties des auditions recueillies dans le cadre de l'enquête à laquelle les rapporteurs du Conseil de la concurrence ont le pouvoir de procéder pour les affaires dont celui-ci est saisi n'imposent pas de communication préalable de la procédure, cette formalité n'étant prévue que lorsque la saisine est suivie d'une notification de griefs ; alors, d'autre part, que la violation des droits de la défense doit être sanctionnée par la nullité, du seul fait de son existence, sans qu'il soit nécessaire que cette violation soit constitutive ou assortie de manœuvres destinées à faire échec aux droits de la défense ; qu'en refusant d'annuler l'audition litigieuse, par le motif qu'il n'était pas établi que celle-ci, ni aucune investigation effectuée par le rapporteur soit constitutive de manœuvres destinées à faire échec aux droits de la défense, la décision attaquée a violé l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et le principe du respect des droits de la défense, alors, encore, que les droits de la défense se trouvent violés, dès lors qu'un rapporteur obtient, de façon irrégulière, des renseignements qu'il ne possédait pas et qui lui permettent de modifier son enquête sans qu'il soit nécessaire que les renseignements obtenus soient ensuite énumérés au nombre des griefs, ou retenus par le Conseil de la concurrence ; qu'en l'espèce, la société avait fait valoir que l'audition litigieuse avait permis au rapporteur d'obtenir des éléments complémentaires, sans que la société puisse assurer sa défense ; qu'en refusant d'annuler l'audition litigieuse et les actes subséquents par le motif que l'audition du président de cette société a débuté par une présentation de son activité et s'est poursuivie par des généralités sur le marché en cause et des observations en forme de dénégation sur certaines pratiques résultant de documents ou de faits qu'il n'ignorait pas, qu'aucun des propos recueillis n'a été retenu à l'encontre de son entreprise ou de quiconque dans les griefs, le rapport ou la décision, de sorte qu'il n'est pas établi que l'audition litigieuse ni aucune investigation effectuée par le rapporteur avant notification des griefs soit constitutive de manœuvres destinées à faire échec aux droits de la défense, mais sans rechercher si les éléments recueillis au cours de cette audition avaient permis au rapporteur de recueillir de nouveaux éléments susceptibles de faire progresser son enquête, la décision attaquée a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et du principe du respect des droits de la défense ; et alors, enfin, que la rédaction d'un procès-verbal d'une audition effectuée par le rapporteur du Conseil de la concurrence, et sa signature par la personne entendue, sont destinés à authentifier la relation de l'audition et à conférer à la procédure un caractère pleinement contradictoire ; que cette formalité est substantielle et qu'il ne saurait y être suppléé par une communication des résultats de l'audition, même au cas d'absence de protestations de la part de celui qui a été entendu ; que la décision attaquée en refusant d'annuler une audition n'ayant pas fait l'objet d'un procès-verbal, et le compte rendu d'audition établi par le rapporteur a donc violé l'article 20 du décret du 19 décembre 1986 ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'article 45, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dispose qu'un rapporteur du Conseil de la concurrence peut procéder aux enquêtes nécessaires à l'application des dispositions de cette ordonnance ; que les auditions auxquelles il procède lors de cette phase préparatoire, et qui n'imposent pas que l'intéressé soit à cette occasion assisté d'un conseil, ne doivent pas être assimilées à celles donnant lieu à rédaction d'un procès-verbal lors du déroulement de la procédure d'instruction devant le Conseil de la concurrence qui suppose, aux termes des articles 18 et 21 de l'ordonnance précitée, la communication préalable des griefs et la mise à la disposition des intéressés de l'ensemble du dossier; que, par ce motif de pur droit substitué à ceux de l'arrêt, la décision se trouve justifiée en ce qu'elle a retenu que la société, après avoir eu connaissance des griefs la concernant et les documents sur lesquels ils étaient fondés a eu accès au dossier et a pu librement développer ses moyens et observations ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt a relevé qu'à l'issue de l'audition du président de la société par le rapporteur, au cours de l'enquête préparatoire, le compte rendu des propos recueillis n'avait pas été signé par l'intéressé, qui en avait toutefois eu communication et n'avait alors exprimé aucune réserve ; qu'en énonçant qu'hors le cas prévu par l'article 20 du décret du 19 décembre 1986, qui prévoit la signature des procès-verbaux par les personnes entendues par le rapporteur en cours de procédure devant le Conseil de la concurrence, il ne pouvait être tiré aucun moyen de nullité de cette absence de signature, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il résulte que les deux moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Sur les quatrième, cinquième et sixième moyens, pris en leurs diverses branches et sur le septième moyen pris en ses deux branches : (sans intérêt) ;

Sur le huitième moyen de cassation, pris en ses deux branches : - Attendu que la société reproche, enfin, à l'arrêt d'avoir confirmé la décision du Conseil de la concurrence, en tant qu'il avait déclaré que tombait sous le coup de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 le fait que, pour répondre à un appel d'offre lancé en mai 1985, par le département de la Marne, pour une mission de diagnostic thermique et de vérification des installations électriques, le Bureau Véritas ait présenté une offre groupée avec trois autres entreprises, aux motifs, que le Conseil de la concurrence a justement qualifié les faits d'entente portant sur la répartition de marchés publics ou privés dans divers secteurs ; que la décision attaquée s'est, par ce motif, référée aux motifs du Conseil de la concurrence selon lequel, pour répondre à l'appel d'offres lancé en mai 1945 par le département de la Marne, pour une mission de diagnostic thermique et de sécurité incendie dans les collèges, SOCOTEC, CEP, Ceten Apave et Bureau Véritas ont présenté une offre groupée, chaque entreprise proposant d'effectuer le contrôle d'un certain nombre d'établissements ; que si les intéressés motivent ce groupement par l'impossibilité dans laquelle aurait été chaque organisme d'effectuer seul l'ensemble des contrôles dans le délai imparti, il n'apporte aucun élément de nature à justifier une répartition par quart du marché ; qu'à supposer même que les nécessités techniques alléguées soient établies, les organismes en cause qui sont, au surplus, les seuls organismes nationaux implantés dans le département de la Marne ne pouvaient, sous le couvert d'un groupement, procéder à une répartition du marché sur des bases préétablies ; alors, d'une part, selon le pourvoi, que rien n'interdit à des entreprises qui, individuellement, ne peuvent conclure un contrat portant sur une opération trop importante pour chacune d'entre elle, de se grouper pour pouvoir réaliser une opération ; qu'un tel groupement, loin de restreindre le jeu de la concurrence permet à des entreprises qui n'auraient pu soumissionner de le réaliser ; qu'en l'espèce, l'exposante avait fait valoir que, compte tenu du délai imparti pour la réalisation du contrôle de cinquante collèges dans le département de la Marne, ce groupement pouvait seul répondre à l'appel du département que la société n'aurait pu, quant à elle, répondre à l'appel d'offres, compte tenu du fait que l'activité de son bureau de Reims était planifiée jusqu'au mois de décembre 1985 ; qu'en ne recherchant pas si, dans les circonstances de l'espèce, il aurait été possible à l'exposante (ou aux autres entreprises) de répondre à l'appel d'offres sans former de groupement, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale ; que celui-ci encourt donc la cassation au vu de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ; alors, d'autre part, que la constitution d'un groupement en vue de réaliser une mission donnée suppose nécessairement que les parties conviennent des modalités d'exécution de l'opération et de sa répartition entre elles ; que l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 n'apporte aucune limitation à la liberté contractuelle lorsqu'elle n'a pas pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ; qu'en considérant le groupement comme illicite par le seul motif qu'il prévoyait une répartition du marché entre les diverses entreprises, la cour d'appel a violé l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ;

Mais attendu que, s'il est vrai que les entreprises peuvent se grouper pour soumissionner à un marché dans un but de complémentarité sans enfreindre les dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, alors applicable, ce groupement, lorsqu'il devient systématique entre certaines entreprises ayant le même objet et qu'il aboutit à une répartition à parts égales entre elles, ainsi qu'il résulte notamment des constatations du Conseil de la concurrence pour les opérations de vérification des installations des collèges construits dans le département de la Marne, peut être qualifié d'entente ; que la cour d'appel, en approuvant la qualification donnée à ces agissements illicites par le Conseil de la concurrence, n'a pas méconnu les dispositions de l'ordonnance précitée ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi