CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 16 décembre 1992, n° ECOC9210225X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Comité interprofessionnel des fromages du Cantal, Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hannoun
Conseillers :
MM. Guerin, Perie, Betch, Mme Nerondat
Avoués :
SCP Barrier-Monin, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
SCP Peignot-Garreau, Me Weinacht.
LA COUR statue sur le recours formé par le Comité interprofessionnel des fromages du Cantal (CIF) à l'encontre de la décision n° 92-D-30 rendue le 28 avril 1992 par la Conseil de la concurrence qui lui a infligé une sanction pécuniaire d'1 MF.
Référence étant faite à cette décision pour un plus ample exposé des faits et de la procédure initiale, il convient de rappeler les éléments suivants nécessaires à l'examen du recours.
Par décret du 9 février 1965, il a été créé un comité interprofessionnel des fromages produits dans l'aire géographique de l'appellation d'origine " Cantal ", qui a reçu pour mission de faire respecter les normes de qualité, d'apporter une assistance technique aux professionnels, de contribuer à l'étude des moyens propres à orienter l'économie laitière des régions productrices afin d'améliorer et de régulariser les productions fromagères, de proposer aux pouvoirs publics toutes actions tendant à l'amélioration de la production et à la promotion des ventes.
Aux termes de l'article 3 de ce décret, ce comité est seul habilité à faire fabriquer, en ce qui concerne le Cantal et le Salers haute montagne, les plaques d'identification de ces produits et à en assurer la cession conformément aux dispositions de son règlement intérieur.
Réuni en séance plénière le 9 décembre 1986, le CIF a adopté un plan de campagne :
- limitant à 17 000 t l'offre globale de cantal pour l'année 1987 ;
- affectant à chaque entreprise une référence annuelle de production correspondant à la moyenne des quantités par elle produites au cours des années 1984 à 1986 ;
- et prévoyant que le montant des cotisations permettant d'obtenir des plaques d'identification serait majoré en cas de dépassement de la référence autorisée.
Ce dispositif de plafonnement de la production a fait l'objet d'un nouvel accord interprofessionnel signé le 26 novembre 1987.
Constitué en 1985, le Syfac (Syndicat des fabricants et affineurs de fromages de la zone Cantal) a saisi le Conseil de la concurrence le 7 avril 1988 en critiquant le plan de campagne 1987 résultant de l'accord interprofessionnel du 9 décembre 1986 ainsi que le plan de campagne adopté le 26 novembre 1987 par le CIF pour les années 1988, 1989 et 1990.
Par décision n° 89-D-09 du 29 mars 1989, le Conseil de la concurrence a dissocié l'examen des deux accords qui lui étaient soumis, en décidant de surseoir à statuer sur le second jusqu'à la décision du Conseil d'Etat saisi par le Syfac d'une demande d'annulation de l'arrêté implicite d'extension le concernant, mais en ordonnant la poursuite de l'instruction relative au premier qui n'avait fait l'objet d'aucune demande d'extension auprès des pouvoirs publics.
Puis, par décision n° 91-D-46 du 5 novembre 1991, il a également sursis à statuer sur l'accord du 9 décembre 1986 en raison du recours pour excès de pouvoir formé à son sujet par le Syfac.
Par deux arrêts distincts du 12 février 1992, le Conseil d'Etat a, d'une part, constaté que la requête portant sur l'accord du 26 novembre 1987 était devenue sans objet, dès lors qu'aucune mention de la décision d'acceptation n'avait été publiée au Journal officiel et que cette décision d'extension n'était plus susceptible d'entrer en vigueur après l'expiration de l'année 1988, d'autre part, rejeté la demande d'annulation du plan de campagne du 9 décembre 1986, en relevant qu'il s'agissait d'un programme d'action et non d'une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
Au vu de ces deux arrêts, le Conseil de la concurrence a, dans la décision déférée, estimé qu'il lui appartenait de poursuivre son instruction sur l'accord du 26 novembre 1987, et qu'il était en mesure de statuer sur le caractère anticoncurrentiel du plan du 9 décembre 1986.
Il a estimé à ce sujet :
- que, si le CIF est habilité à faire fabriquer et à vendre des plaques d'identification du fromage de Cantal, il ne pouvait mettre en œuvre une convention non étendue ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de limiter la concurrence entre les producteurs de fromage de Cantal ;
- que l'accord conclu au sein du CIF constitue une convention prohibée par les dispositions des articles 50 de l'ordonnance de 1945 et 7 de l'ordonnance de 1986 ;
- que l'adoption et la mise en œuvre du plan de campagne pour 1987 sont également contraires aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité de Rome, dans la mesure où elles étaient de nature à affecter le commerce entre les Etats membres de la Communauté européenne.
Au soutien de son recours, le CIF fait valoir :
- que l'examen des deux accords interprofessionnels des 9 décembre 1986 et 26 novembre 1987 doit s'effectuer simultanément ;
- que le caractère anticoncurrentiel des pratiques reprochées n'est pas établi ;
- que la mise en œuvre du plan de campagne n'était pas contraire au traité de Rome.
Il demande en conséquence :
- de surseoir à statuer sur le plan de campagne du 9 décembre 1986 jusqu'à la décision du Conseil de la concurrence sur l'accord du 26 novembre 1987 ;
- subsidiairement d'annuler la décision déférée, dans la mesure où le plan incriminé ne comportait pas de dispositions contraires au droit de la concurrence et au droit communautaire ;
- et encore plus subsidiairement de la réformer en réduisant à 10 000 F la sanction pécuniaire prononcée à son encontre.
Répliquant aux divers moyens soulevés par le requérant, le Syfac conclut au contraire à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a, à la suite de sa plainte, reconnu le caractère anticoncurrentiel du plan incriminé.
Dans ses observations écrites, le ministre de l'économie estime :
- que les pratiques mises en œuvre par le CIF avaient pour objet et pouvaient avoir pour effet de limiter la concurrence entre les producteurs de fromage de Cantal ;
- qu'elles n'étaient pas nécessaires à l'obtention d'un progrès économique ;
- qu'elles n'étaient pas conformes aux objectifs de la politique agricole commune définis à l'article 39 du traité de Rome ;
- que la sanction prononcée est largement inférieure au plafond fixé par l'ordonnance du 1er décembre 1986.
En application de l'article 9 du décret du 19 octobre 1987, le Conseil de la concurrence a présenté également au soutien de sa décision des observations auxquelles les parties ont été régulièrement mises en mesure de répliquer.
Sur ce, LA COUR :
I. Sur la demande de sursis à statuer :
Considérant que le Comité interprofessionnel des fromages du Cantal (CIF) demande tout d'abord à la cour de surseoir à statuer, en faisant valoir que le plan de campagne qui lui est soumis ne constituait, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat, qu'un simple programme d'action et qu'il ne faisait que préparer l'accord interprofessionnel du 26 décembre 1987 dont il ne peut être dissocié ;
Mais considérant que, s'il a été saisi par le Syndicat des fabricants et affineurs de fromages de Cantal (Syfac) d'une plainte soumettant à son appréciation simultanément le plan arrêté le 9 décembre 1986 et l'accord du 26 décembre 1987, le Conseil de la concurrence a pu légitimement dissocier leur examen, dès lors que seul le second avait fait l'objet d'une procédure d'extension ;
Considérant que les mesures adoptées le 9 décembre 1986 ont été appliquées au cours de l'année 1987 et sont donc parfaitement dissociables de l'accord conclu le 26 novembre 1987 qui portait sur les années 1988, 1989 et 1990 ;
Qu'il s'ensuit le plan soumis à la cour ayant fait l'objet d'une instruction complète devant le Conseil de la concurrence et ne portant pas sur la même période que l'accord conclu un an plus tard, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer sur son examen ;
II. Au fond :
Considérant que la décision déférée a estimé que le plan adopté le 9 décembre 1986 constituait une convention prohibée par les dispositions des articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 entrée en vigueur le 1er janvier suivant, dès lors qu'elle tendait à :
- restreindre l'offre globale sur le marché du fromage de Cantal ;
- figer la répartition des productions entre agriculteurs ;
- et à freiner les gains de productivité des entreprises les plus efficaces ;
Considérant que le CIF conteste les griefs ainsi retenus à son encontre, en soutenant :
- que le marché du fromage de Cantal ne constitue pas un marché autonome ;
- que le plan incriminé n'interdisait pas aux producteurs d'accroître leur offre au-delà de la référence de base ;
- et que ses dispositions se trouvaient justifiées dans la mesure où elles avaient pour effet d'assurer un progrès économique ;
Mais considérant que le plan litigieux porte sur la commercialisation d'un fromage dont le goût caractéristique se distingue nettement de celui des autres fromages à pâte pressée non cuite, tels que l'édam, le gouda ou la tomme de Savoie, qui ne lui sont donc pas substituables, et que le groupement requérant apparaît d'autant plus mal venu à contester l'existence d'un marché autonome du fromage de Cantal qu'il a été constitué pour promouvoir cette appellation d'origine, dont le décret du 19 février 1980 a précisé les caractéristiques ;
Or, considérant qu'en limitant à 17 000 t l'offre globale de ce fromage au cours de l'année 1987 et en fixant la référence autorisée pour chaque producteur à la moyenne des quantités produites au cours des trois années précédentes, le CIF a, contrairement aux prescriptions des ordonnances de 1945 et de 1986, limité la production et restreint la concurrence sur ce marché ;
Que c'est en vain qu'il fait valoir que le plan incriminé n'interdisait pas à un producteur d'accroître son offre au-delà de la référence de base, dès lors qu'il était tenu pour ce faire d'acquérir des plaques d'immatriculation à un taux de 133,30 F au lieu de 40 F et que la surcharge qui lui était ainsi imposée avait pour objet et a eu pour effet de limiter son offre ;
Considérant par ailleurs qu'en réduisant la production de 4 p. 100, le CIF a provoqué une remontée des cours de 7,5 p. 100 qui a eu pour effet d'entraîner une baisse de la consommation de 4 p. 100 en 1987 ; qu'il ne saurait prétendre en conséquence que les mesures prises aient assuré un progrès économique et qu'il n'est nullement établi qu'elles aient amélioré la qualité du produit, de sorte que les dispositions invoquées des articles 51 de l'ordonnance de 1945 et 10 (§ 2) de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne peuvent recevoir application en la cause ;
Considérant enfin que le plan litigieux a pu à bon droit être jugé contraire aux dispositions de l'article 85 (§ 1) du traité de Rome comme étant susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres, dans la mesure où il était complété par une convention de régulation prévoyant une aide forfaitaire aux producteurs de lait transformé en fromages destinés à l'exportation, à charge pour eux de se soumettre aux contingentements critiqués;
Que c'est en vain que le CIF invoque à ce sujet les dispositions de l'article 2-l du règlement 26 de la Communauté en date du 4 avril 1982, aux termes desquelles l'article 85 (§ 1) du traité est inapplicable aux accords nécessaires à la réalisation des objectifs de l'article 39 relatif à la politique agricole commune, dès lors que la commission, seule autorité compétente pour déterminer les accords pouvant bénéficier de ces dispositions, n'a pas octroyé de dérogation au plan de campagne en question ;
III. Sur la sanction :
Considérant que le CIF conteste enfin le montant de la sanction qui lui a été infligée ;
Mais considérant qu'il convient de relever que ce montant ne correspond qu'au cinquième du plafond autorisé par l'article 53 de l'ordonnance de 1945 et au dixième de celui prévu à l'article 13 de l'ordonnance de 1986 ;
Considérant par ailleurs que le plan litigieux a causé un dommage certain à l'économie du marché de référence, en faisant remonter les cours à la production du fromage de Cantal de 7,5 p. 100 en 1987, alors que les prix des autres pâtes pressées n'ont augmenté que de 1,1 p. 100 au cours de la même période;
Considérant enfin que le CIF disposant de plus de 17 millions de F de réserves, la sanction déférée se trouve équitablement proportionnée à la gravité des faits poursuivis et aux facultés contributives du contrevenant,
Par ces motifs : Rejette le recours formé par le Comité interprofessionnel des fromages du Cantal (CIF) contre la décision n° 92-D-30 rendue par le Conseil de la concurrence le 28 avril 1992 ; Le condamne aux dépens.