CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 19 janvier 1996, n° FCEC9610028X
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Concurrence (SA), Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget
Défendeur :
JVC Vidéo France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Feuillard, Bargue
Avocat général :
Mme Thin
Conseillers :
Mmes Nerondat, Favre, M. Weill
Avoués :
SCP Dauthy-Naboudet, SCP Autier
Avocat :
Me Sitruk.
Saisi par Mme Blandine Chapelle, ès qualités de gérante de la société Seda SARL, de pratiques mises en œuvre par la société JVC Vidéo France (JVC) sur le marché des produits électroniques grand public, le Conseil de la concurrence, par décision n° 90-D-23 du 3 juillet 1990, a dit qu'il n'était pas établi que la société JVC ait enfreint les dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Sur recours de la société Concurrence SA, anciennement Seda SARL, la cour, par arrêt rendu le 13 juin 1991, a annulé la décision du conseil en ce qu'elle avait estimé que les clauses insérées dans les conditions générales de vente de la société JVC et dans les accords de coopération conclus par celle-ci du 1er janvier 1988 au 1er juillet 1988, subordonnant l'octroi de la totalité des remises et des primes aux revendeurs procédant à des commandes groupées à la condition d'une enseigne commune, n'ont pas eu pour objet ou pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré et a rejeté tous autres moyens visant à l'annulation ou la réformation de la décision du Conseil.
Par cet arrêt, la cour a estimé en substance, sur les deux clauses qui demeurent en discussion, qu'était discriminatoire le fait de subordonner l'octroi de primes et remises quantitatives à la condition qualitative que constituerait l'unicité d'enseigne alors que cette discrimination n'était pas justifiée par la nature spécifique des avantages allégués de l'enseigne.
Sur pourvois des sociétés Concurrence et JVC, la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, par arrêt rendu le 13 octobre 1993, a cassé et annulé l'arrêt du 13 juin 1991, mais seulement en ce qu'il avait estimé que les clauses insérées dans les conditions générales de vente de la société JVC et dans les accords de coopération conclus par celle-ci du 1er janvier 1988 et du 1er juillet 1988, surbordonnant l'octroi de la totalité des remises et des primes aux revendeurs procédant à des commandes groupées à la condition d'une enseigne commune, avaient pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.
La Cour de cassation a reproché à la cour de céans de n'avoir pas recherché si les clauses incriminées n'assuraient pas la rémunération de services spécifiques assurés par les groupements sous enseigne commune, tels que politique commune de distribution et valorisation de la marque, tout en maintenant pour les détaillants regroupés la liberté de fixer individuellement leurs prix.
La société Concurrence demande à la cour de dire que la société JVF (JVC), en réservant l'agrégation des chiffres d'affaires aux distributeurs liés entre eux sous une enseigne commune pour le calcul de remises quantitatives, n'avait pas pour but de n'accorder un tel avantage qu'à des groupements de points de vente (qui étaient) collectivement identifiés dans l'esprit des consommateurs et dont la politique commune de distribution était effective; que la seule exigence de l'enseigne unique constituait une politique commerciale qui ne permettait pas de déterminer un ensemble de services spécifiques, matériels et immatériels, valorisant le réseau de distribution de JVC et, par répercussion, l'image de marque de ses produits, puisque JVC n'exigeait pas que les enseignes remplissent des services minimums, présentés par JVC comme indispensables à une bonne distribution de ses produits, tels l'exposition, la démonstration, le SAV, une gamme minimum; que, dans les faits, JVC a regroupé des enseignes différentes; qu'en conséquence JVC ne pouvait rémunérer par des avantages tarifaires discriminatoires la seule adoption d'une enseigne unique et a ainsi contrevenu à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
De constater que, dans des aveux judiciaires, JVF (JVC) avait elle reconnue qu'elle ne remplissait pas la condition et l'objectif exigés par la cassation; que les documents statistiques JVC produits que JVF a globalisé des achats pour des groupements à enseignes différentes et qu'elle était consciente d'avoir appliqué de manière discriminatoire sa clause d'enseigne;
En conséquence, de dire que sa procédure est abusive, tant devant la Cour de cassation que devant la cour de céans; de condamner JVF à payer à la concluante 200 000 F pour procédure abusive et 50 000 F par de l'article 700 NCPC.
La société JVC Vidéo France conclut au rejet du recours de la société et réclame 50 000 F au titre de l'article 700 NCPC.
Le Conseil de la concurrence n'a pas entendu user de la faculté de présenter des observations écrites.
Le ministre de l'économie observe qu'il y a lieu de considérer que les conditions générales de vente et les accords de coopération explicitement ou implicitement acceptés par les revendeurs sont des conventions qui fait des clauses discriminatoires qu'elles comportent, sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 mais que, de la suppression de ces clauses, il n'y pas lieu de prononcer d'injonction ni de sanction pécuniaire.
Les sociétés JVC Vidéo France et Concurrence ont répliqué en demandant le bénéfice de leurs précédentes conclusions.
La société Concurrence prétend notamment que la société JVF ne répond pas aux deux questions posées par la Cour de cassation au sujet de la mise en place, par le biais de l'enseigne, d'une politique commune de effective et d'une politique commerciale de services spécifiant l'image de JVF; qu'au contraire JVF reconnaît n'avoir pas voulu atteindre ces objectifs, ses aveux judiciaires attestant que différents peuvent être rendus sous la même enseigne, que les primes liées à l'enseigne étaient indépendantes des services rendus et en contrepartie que des commandes et réalisation d'objectifs que le contrat de coopération Thuillier concerne une activité expressément exclue des primes liées à l'enseigne, les conditions d'attribution ne reposant donc pas sur les critères objectifs.
Le ministère public a conclu oralement à l'annulation de la décision du conseil en ce qu'elle avait déclaré que les clauses en cause étaient licites.
Sur quoi, LA COUR :
Considérant qu'il y a lieu de se référer aux motifs de l'arrêt du 13 juin 1991 (p.12) pour la connaissance des clauses litigieuses contenues dans l'article 10-13 des conditions générales de vente de JVC à compter du 1er juin 1987 et dans les accords de coopération conclus par cette société entre le 1er janvier et le 30 juin 1988;
Considérant que la société JVC soutient en substance que la clause des conditions générales de vente permet la rémunération des revendeurs certains seuils de chiffre d'affaires, des livraisons éclatées en plusieurs et la prise en compte de commandes cumulées pour l'application des taux de remise; qu'elle n'interdit nullement les rétrocessions.
Que la clause de l'accord de coopération, ayant un objet différent, permet de récompenser la programmation des commandes et le respect d'un engagement d'achat par les détaillants les plus performants ; qu'elle exclut les reventes à des revendeurs professionnels pour le calcul des primes, à moins qu'il s'agisse de revendeurs à enseigne commune;
Qu'elle affirme qu'il n'y a pas discrimination puisque la prestation de service n'est pas la même selon qu'elle est fournie ou non par des groupements de distributeurs ayant adopté la même enseigne ou des regroupements d'acheteurs disparates, lesquels conservent le choix d'adopter ou non une enseigne commune;
Que la preuve n'est pas rapportée que ces clauses pouvaient porter atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence;
Que l'accord de coopération, conclu avec seulement trente et un revendeurs, permettait des économies d'échelle ;
Qu'une politique d'enseigne commune permet d'accroître la notoriété et les résultats de ses membres par une politique de communication donnant naissance à une notoriété et une image de sérieux au niveau du public, le fournisseur profitant directement de l'expansion et du dynamisme du groupement par l'augmentation des quantités vendues et la promotion de l'enseigne des distributeurs rétroagissant sur l'image des produits qu'ils vendent; qu'il est justifié que le service rendu par les distributeurs sous enseigne commune soit rémunéré ;
Qu'elle ajoute que les clauses critiquées favorisaient le progrès économique au sens de l'article 10 de l'ordonnance du ler décembre 1986;
Considérant, certes, que l'adoption d'une enseigne commune à un ensemble de distributeurs est une condition objective et véritable de l'attribution de remises par lesquelles un producteur peut choisir de rémunérer, sur la base, le cas échéant, de chiffres d'affaires agrégés, les prestations et avantages commerciaux qui lui sont ainsi fournis; qu'un tel mode de rétribution n'est pas en soi restrictif de concurrence dès lors qu'il est la contrepartie de réelles prestations que tous les distributeurs qui le souhaitent peuvent fournir en groupant leurs commandes sous une même enseigne pour la mise en œuvre d'une politique commerciale commune;
Mais considérant que les clauses des conditions générales de vente de la société JVC et de l'accord de coopération qu'elle a conclus, dont la teneur est rappelée par l'arrêt du 13 juin 1991, ne font aucune référence aux prestations fournies par les distributeurs sous enseigne commune en contrepartie des remises et primes qui leur étaient réservées;
Que la société JVC se contente de mettre en avant, de manière générale et abstraite, les avantages qu'il y a lieu d'attendre d'une distribution sous enseigne unique; qu'aucune autre clause de ses conditions générales de vente ou de l'accord de coopération n'a pour objet de définir de quelque manière les prestations concrètes qui étaient ainsi rémunérées et concerneraient notamment la valorisation de sa marque ni, encore moins, de prévoir les modalités qui permettraient de s'assurer de leur réalité ;
Qu'elle ne prétend pas que les dispositions pratiques auraient été prises dans ses relations avec les distributeurs qui seraient venues pallier cette absence de définition et de prévision;
Qu'ainsi rien ne permet de dire que JVC aurait eu seulement le but de n'accorder les avantages qu'à des groupements de points de vente qui seraient collectivement identifiés dans l'esprit des consommateurs et dont la politique de distribution serait effective, étant observé, d'une part, qu'en l'espèce les clauses d'enseigne n'étaient pas un élément d'accroissement des taux de remises ou des montants des primes quantitatives mais un critère d'accès à ces avantages, de deuxième part, que toute enseigne unique donnait droit en principe aux remises ou primes, peu important qu'il s'agît ou non d'enseignes communes à des magasins spécialisés dans la distribution de produits électroniques grand public, de troisième part, que des remises et primes ont pu être attribuées par la société JVC sans qu'elle ait vérifié la condition de distribution sous enseigne unique;
Considérant encore qu'il résulte de la teneur des clauses litigieuses comme des propres explications de la société JVC que celle-ci a essentiellement entendu, par les remises et primes, rémunérer la réalisation de volumes importants de ventes sans se préoccuper réellement de la valorisation de sa marque;
Que, en ce qui concerne la distribution sous enseigne commune, elle résume elle-même l'effet démultiplicateur par l'équation "simple " enseigne commune = politique de communication = augmentation des quantités vendues;
Que, en ce qui concerne l'accord de coopération, la société JVC explique que la clause avait pour objet essentiel de récompenser la programmation des commandes et le respect d'un engagement d'achat par les détaillants les plus performants, ce qui lui permettait notamment de réaliser des économies d'échelle;
Considérant enfin qu'il n'est pas sans intérêt de relever, à la suite de l'arrêt du 13 juin 1991, que, à compter du 1er juillet 1988, ont également été admises, pour l'octroi des primes, les cessions aux revendeurs professionnels " appartenant au même groupe ", ce qui a pour effet de relativiser à l'extrême les justifications présentées par la société JVC au sujet des avantages procurés par l'enseigne unique;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les clauses litigieuses ont pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré puisqu'elles tendaient à exclure des avantages les distributeurs non regroupés sous une enseigne commune mais pouvant réaliser les volumes de vente qui ouvraient droit aux remises et primes aux distributeurs sous enseigne commune;
Qu'il en résulte aussi que le 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne peut recevoir application puisque la société JVC a seulement recherché son intérêt commercial par les clauses litigieuses;
Considérant que la demande de dommages-intérêts présentée par la société Concurrence pour procédure abusive n'est nullement motivée et ne peut être accueillie;
Qu'il sera cependant fait droit à la demande d'indemnité de procédure de cette société à hauteur de 10 000 F;
Par ces motifs: Vu l'arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, rendu le 12 octobre 1993, Statuant dans les limites du renvoi, Infirme la décision du Conseil de la concurrence n° 90-D-23 délibérée le 3 juillet 1990 en ce qu'elle a estimé que les clauses insérées dans les conditions générales de vente de la société JVC Vidéo France et dans les accords de coopération conclus par celle-ci du 1er janvier 1988 au 1er juillet 1988, subordonnant l'octroi de la totalité des remises et des primes aux revendeurs procédant à des commandes groupées à la condition d'une enseigne commune, n'ont pas eu pour objet ou pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré; Condamne la société JVC Vidéo France à payer à la Société Concurrence 10 000 F par application de l'article 700 NCPC ; Rejette toute demande plus ample et toute prétention contraire à la motivation ; Condamne la société JVC Vidéo France aux dépens.