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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 5 mars 1996, n° FCEC9610070X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

Défendeur :

Rallye (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bargue

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

MM. Cailliau, Weill

Avoué :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocat :

Me Volnay.

CA Paris n° FCEC9610070X

5 mars 1996

Le Conseil de la concurrence (ci-après, le Conseil), saisi par le ministre de l'économie, des finances et du budget (le ministre) de pratiques, de la part de la société Rallye, susceptibles d'être qualifiées d'ententes prohibées, a considéré, par décision n° 95-D-34 du 9 mai 1995, qu'il n'était pas établi que la société poursuivie ait enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Il convient de rappeler que l'activité de distribution des sociétés appartenant au groupe Rallye consiste en l'exploitation d'hypermarchés, de supermarchés et de supérettes et que ce groupe dispose d'une centrale d'achat, nommée Hyperallye, chargée de négocier annuellement les conditions générales de vente auprès des fournisseurs.

Ces négociations, qui donnent lieu à la signature d'un contrat de coopération commerciale, portent sur la nature et le montant des avantages susceptibles d'être consentis par les fournisseurs au distributeur. Ces avantages peuvent prendre la forme soit de budgets de référencement, soit de remises accordées en fonction du chiffre d'affaires total réalisé auprès du groupe, soit de rémunérations de services spécifiques rendus par le distributeur au fournisseur, notamment sous la forme d'opérations publicitaires.

Le groupe Rallye a acquis en janvier et février 1990 les groupes Disque bleu et Genty- Cathiard et a négocié avec ses fournisseurs, au cours de cette même année, les accords litigieux susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles, et qui ont donné lieu à la saisine du Conseil dont la décision est déférée devant la Cour.

Le ministre de l'économie a formé un recours en annulation et en réformation contre cette décision à laquelle il reproche d'avoir, pour écarter l'existence d'une entente, retenu les motifs essentiels selon lesquels :

- les faits dénoncés concerneraient deux catégories de comportements autonomes, à savoir la renégociation des contrats de coopération commerciale et le versement de participations publicitaires ;

- la renégociation ne présenterait pas un caractère de généralité suffisant pour être regardée comme susceptible d'être visée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- les demandes liées au versement de participations publicitaires, bien que revêtant un caractère général, ne présenteraient pas de caractère anticoncurrentiel, du fait de l'existence de contrepartie pour les fournisseurs ;

- la société Rallye aurait rapporté la preuve soit que les fournisseurs n'ont pas effectué de paiement (Kimberley) soit qu'il existe des contreparties réelles aux versements constatés (Gervais Danone, Chambourcy).

Le ministre expose à l'appui de son recours les moyens suivants :

- la distinction introduite par le Conseil entre les différents objets de la renégociation, remises et ristournes, d'une part, participations pluri-promotionnelles, d'autre part, est artificielle et injustifiée ;

- les demandes de Rallye répondent à un seul et même objectif, à savoir faire participer l'ensemble des fournisseurs au financement des opérations de concentration qu'il vient de réaliser, en se fondant sur l'accroissement de la puissance d'achat résultant de l'opération ;

- l'entente est bien constituée en ce qu'elle établit une discrimination entre les fournisseurs et qu'elle est suffisamment étendue ;

- les marchés pertinents concernés, dont les contours n'ont pas, au demeurant, en matière d'entente, à être précisés avec exactitude, sont ceux définis au regard de la substituabilité des produits du point de vue de la demande et les offres de service faites par Rallye à la plupart des intervenants des marchés concernés (ultra-frais, épicerie sèche, produits d'entretien, etc), s'analysant en autant d'ententes ;

- la discrimination résulte de l'absence de contreparties pour plusieurs entreprises, notamment Delacre, Bahlsen, Renard, plusieurs entreprises ont fait à la fois l'objet d'une demande de renégociation des remises et ristournes et d'une demande de participation publicitaire, certains versements ont été d'abord qualifiés de renégociation de ristournes pour être ensuite considérés comme des accords publicitaires et dans certains cas Rallye a laissé le choix de la qualification à l'appréciation du fournisseur ;

- l'analyse des documents produits établit, sauf à supposer qu'il s'agisse de fausses factures, que des paiements ont été effectués pour des opérations publicitaires qui n'ont pas eu lieu ;

- les pièces fournies tardivement par Rallye à l'appui de ses dernières écritures ne sont pas recevables comme moyen de preuve car elles ont une origine et une authenticité douteuses et ne corroborent pas les déclarations faites par les dirigeants de Danone et de Chambourcy ;

- l'exigence par Rallye de versements sans contrepartie a pour conséquence de contraindre les fournisseurs en cause à adopter une politique tarifaire discriminatoire et a, en conséquence, un effet anticoncurrentiel.

Le requérant prie la Cour de prendre pour assiette de la sanction qu'il demande d'infliger à la société Rallye le chiffre d'affaires consolidé du groupe Casino qui, ayant absorbé la société Rallye, a continué d'exploiter l'ensemble des activités de celle-ci.

La société Rallye conclut au rejet du recours en ce que la décision a constaté que les pratiques reprochées n'étaient pas constitutives d'entente, mais sollicite la réformation de ses motifs relatifs au critère de " généralité " des pratiques en cause, non prévu par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Rallye fait valoir que la preuve n'est rapportée ni d'un accord de volonté entre elle-même et ses fournisseurs ni d'un objet ou d'un effet perturbateur du fonctionnement normal du marché et que, dès lors, en droit, les pratiques qui lui sont reprochées ne sont pas susceptibles d'être prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Subsidiairement, Rallye soutient que, en toute hypothèse, les pratiques en cause ne sont pas susceptibles de constituer, en fait, une entente, la distinction opérée par le conseil entre remises et ristournes, d'une part, et accords de coopération commerciale, d'autre part, étant parfaitement fondée.

Elle souligne que les remises obtenues de certains fournisseurs avaient une contrepartie réelle, que des services effectifs ont été rendus aux fournisseurs avec lesquels elle avait conclu des accords publicitaires, à l'exception de ceux qui n'y ont pas donné suite et se sont abstenus de payer le service envisagé.

La société Rallye, qui reproche au ministre de développer des griefs différents de ceux retenus dans la notification, conteste plus subsidiairement encore la sanction proposée en faisant valoir l'absence de gravité des faits, l'impossibilité de quantifier le dommage causé à l'économie et que l'assiette de la sanction ne peut être le chiffre d'affaires du groupe Casino dans lequel est dilué le chiffre d'affaires du groupe Rallye, Genty-Cathiard et Disque bleu que seul pourrait déterminer une expertise ordonnée par la Cour.

Par application de l'article 9 du décret du 19 octobre 1987, le conseil a présenté des observations écrites sur les points contestés de sa décision.

A l'audience, le représentant du ministère public a indiqué que les conditions d'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 se trouvaient réunies et a conclu, en conséquence à la réformation de la décision.

Sur ce, LA COUR,

Sur la qualification de l'entente :

Considérant que l'acceptation par des fournisseurs de renégocier à la hausse les avantages précédemment consentis par le contrat les liant à un distributeur ne saurait, par elle-même, caractériser leur participation à une entente illicite ;

Considérant, en revanche, que l'acte par lequel un distributeur, à l'occasion d'une opération de concentration réalisée par lui, fait savoir à l'ensemble de ses fournisseurs d'une catégorie de produits, ou à une partie substantielle d'entre eux, qu'il entend, en raison de l'accroissement de sa puissance d'achat, renégocier certaines des conditions que ces fournisseurs lui ont consenties ou qu'il entend subordonner la poursuite des relations commerciales qu'il a nouées avec eux à des conditions supplémentaires par rapport à celles qu'il avait acceptées est susceptible d'être visé par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant, en effet, qu'à la différence d'une négociation bilatérale qui, sauf hypothèses d'abus de position dominante ou de dépendance économique non visées en l'espèce, doit être considérée comme l'exercice normal d'une négociation commerciale entre un vendeur et un acheteur, la généralisation, à tous les fournisseurs ou à une partie substantielle d'entre eux, d'une offre indifférenciée de conditions de renégociation, a pour objet ou pour effet d'entraîner leur adhésion à une harmonisation des pratiques et à une uniformisation des conditions de vente, partant, de neutraliser ou d'affaiblir le risque concurrentiel ;

Considérant, en l'espèce, que pour décider qu'il n'était pas établi que la société Rallye avait mis en œuvre des pratiques prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le conseil a relevé :

- d'une part, que la renégociation de remises et de ristournes n'était intervenue qu'avec sept entreprises alors que l'enquête n'avait porté que sur 27 des 3.300 fournisseurs et qu'ainsi cette pratique n'avait pas un caractère de généralité suffisant au regard des principes précédemment rappelés ;

- d'autre part, que si les demandes liées au versement de participations publicitaires avaient concerné la quasi-totalité des fournisseurs et pouvaient avoir, en conséquence, un effet anticoncurrentiel, il n'était établi ni que des paiements avaient eu lieu lorsqu'une prestation n'avait pas été fournie ni que des prestations n'aient pas été fournies lorsque le paiement avait été effectif ;

Mais considérant qu'il résulte des pièces versées, et notamment des auditions des différents responsables des entreprises fournisseurs (annexes 5, 6, 7, 9, 10, 12, 13, 15, 16, 17, 19, 20, 21, 23, 24, 25 et 26), que l'objet de la renégociation à laquelle la société Rallye les avait invitées était leur participation financière à l'achat des sociétés Disque Bleu et Genty-Cathiard ;

Que si les fournisseurs, qui avaient indiqué aux enquêteurs avoir participé sans contrepartie à " la corbeille de la mariée " (Lever, Gervais-Danone, Fralib), sont tous revenus ultérieurement sur leurs déclarations, il demeure cependant établi que l'objectif premier de la négociation a été la fixation du montant de la participation financière du fournisseur, la contrepartie commerciale n'ayant été négociée, au surplus en dehors de toute définition préalable et transparente de son contenu et de ses modalités, que postérieurement à la fixation du montant de ladite " participation " ;

Considérant qu'il ne peut dès lors, dans le cas d'espèce, être fait de distinction entre, d'une part, les pratiques de renégociation du contrat de coopération commerciale et, d'autre part, le versement de participations publicitaires, qui, si elles ont théoriquement des objets différents, procèdent en fait d'une même entente ayant pour objet démontré la participation au financement des opérations de rachat réalisées par Rallye ;

Qu'il convient d'observer, à cet égard, que plusieurs entreprises ont reçu à la fois une demande de renégociation des remises et ristournes et une demande de participation publicitaire (Bahlsen, Flodor, Delacre, Findus), que certains versements ont d'abord été qualifiés par la société Rallye de renégociation de ristourne pour être ensuite considérés comme des accords publicitaires et que, dans certains cas, Rallye a laissé le choix de la qualification à l'appréciation du fournisseur ;

Que encore, dans un certain nombre d'autres cas (Delacre), le fournisseur a été sollicité pour harmoniser ses conditions générales de vente entre les trois réseaux de distribution Rallye, Disque Bleu et Genty-Cathiard avec un alignement rétroactif, pour l'année 1989, sur les conditions d'achat les plus favorables ;

Considérant que les demandes de renégociations, faites dans les conditions ci-dessus rappelées, qui ont concerné la quasi-totalité des 3.300 des fournisseurs du groupe Rallye couvrant l'ensemble des produits distribués sur les marchés pertinents concernés (ultra-frais, épicerie sèche, produits d'entretien, etc.), définis au regard du critère de leur substituabilité du point de vue de la demande, relèvent toutes, sous des habillages différents, d'une seule et même pratique ;

Que cette pratique qui a été de nature à entraîner l'adhésion desdits fournisseurs ou de certains d'entre eux, ou à affecter, à tout le moins, leur autonomie de décision, est susceptible d'être visée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant, en conséquence, que la critique faite par la société Rallye à la décision attaquée, d'avoir substitué à la condition d'existence d'un accord de volonté entre distributeur et fournisseurs, un critère de pratique généralisée entre eux, pour rechercher si les pratiques dénoncées entraient dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance précitée est dépourvue de fondement ;

Sur la contestation par la société Rallye de la remise en cause de la délimitation des pratiques telles que retenues par la notification des griefs :

Considérant que des pratiques de la société Rallye à l'égard des sociétés Flodor et Findus, visées devant la Cour par le ministre de l'économie, n'étant pas retenues dans la notification de grief, ne peuvent qu'être écartées ;

Qu'en ce qui concerne la société Bahlsen, la notification des griefs ne retient que l'existence d'un accord donnant lieu au paiement d'une facture de 300.000 F annulée et remplacée par deux factures distinctes concernant le versement d'un budget de référencement de 180.000 F et de 120.000 F de budget publicitaire ;

Qu'enfin, aux termes de la notification de griefs, la pratique de Rallye, portant sur la renégociation des remises ou ristournes ne concerne que les trois sociétés Bahlsen, Delacre et Paul Renard ;

Sur la réalité des contreparties dans les accords qualifiés de coopération commerciale :

Considérant que les pratiques ci-dessus rappelées ne sauraient présenter un caractère anticoncurrentiel qu'à la condition de n'être assorties d'aucune contrepartie réelle pour le fournisseur en termes d'extension de gamme ou d'opérations de promotion commerciale ;

Considérant que la société Rallye a produit, en réponse au rapport, des documents que le Conseil a retenus dans sa décision comme établissant que les participations financières accordées avaient eu des contreparties réelles ou que les versements n'avaient jamais été effectués ; que le ministre de l'économie conteste la valeur probante de ces documents ou l'analyse qui en a été faite ;

Delacre :

Considérant que la société Rallye ne conteste pas avoir obtenu de la société Delacre une somme de 165 000 F au titre de remises rétroactives ; qu'elle explique ce paiement comme une réparation de la discrimination dont elle considère avoir été victime en n'ayant pas bénéficié de conditions aussi favorables que les entreprises qu'elle a absorbées ;

Considérant que le ministre de l'économie reproche à Rallye de ne pas avoir mis en œuvre le droit à réparation qu'elle invoque en exerçant, devant la juridiction compétente, l'action qui lui est ouverte par l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 2044 du code civil la transaction est le contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ;

Qu'il ne saurait, dès lors, être reproché à la société Rallye, qui soutient, sans être contredite ni par la société Delacre ni par d'autres éléments du dossier que l'accord litigieux constituait une transaction, de ne pas avoir exercé, devant la juridiction civile ou commerciale, l'action indemnitaire, distincte du pouvoir de poursuites donné à l'administration pour faire sanctionner les infractions économiques, qui lui est ouverte en propre par l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu'il n'est dès lors pas établi que le paiement fait par la société Delacre est dépourvu de contrepartie ;

Mellita :

Considérant que la société Rallye indique que l'accord de participation publicitaire conclu entre la société Mellita et la société Genty pour un montant de 75.000 F est resté à l'état de simple projet et n'a reçu aucune exécution ;

Considérant que les deux factures de 50.000 F et 25.000 F hors T.V.A. produites ne sont pas signées et ne suffisent pas, en l'absence de tout autre élément comptable, à établir qu'un paiement a été effectué ;

Que, selon les déclarations du directeur général des ventes de la société Mellita, " ce budget devrait financer deux opérations publicitaires que nous ne paierons qu'après réalisation effective " ;

Que, dès lors, il ne peut être tenu pour acquis qu'un paiement aurait été effectué par la société Mellita à la société Rallye ;

Kimberley-Clark-Sopalin :

Considérant que l'accord de participation publicitaire entre le groupe Disque Bleu et la société Sopalin, daté du 20 mars 1990, prévoit un budget de 218.940 F à facturer en juin pour 118.940 F et en novembre pour 100.000 F ;

Que les deux factures dont le libellé porte " participations publicitaires " correspondant aux termes de cet accord démentent ainsi l'affirmation de Rallye selon laquelle le budget de 218.940 F décomposé en deux versements de 188.940 F et 100.000 F aurait concerné uniquement une prestation de référencement et aurait été distinct du budget de 100.000 F, prévu pour la participation publicitaire ;

Que, contrairement à l'affirmation de Rallye, l'état statistique des factures fournisseurs fait mention de la somme de 100.000 F versée par Kimberley-Clark-Sopalin au titre des participations publicitaires ; que cette mention atteste du paiement et se trouve corroborée par les mentions des deux factures précitées, même si celles-ci ne sont pas signées ; que Rallye indiquant, pour sa part, que la prestation n'a pas eu lieu, le versement de 100.000 F, seul retenu dans la notification de griefs, a donc été fait sans contrepartie ;

Que les termes de la déclaration du responsable de la société Sopalin, sur ce point, ne permettent pas d'interpréter autrement ces documents et d'établir l'existence d'une contrepartie ;

Gervais-Danone :

Considérant que la société Gervais-Danone qui a conclu deux accords de participation publicitaire, l'un avec Disque Bleu pour 2,5 millions de francs, l'autre avec Genty-Cathiard pour 1,29 million de francs, produit des factures et des " fiches de réservation " établissant, selon elle, la réalité des paiements et des prestations publicitaires correspondantes ;

Mais considérant, d'abord, que la société Gervais-Danone ne figure pas dans la liste des fournisseurs ayant bénéficié du journal électronique, établie en page 14 de la notification des griefs, contrairement à d'autres fournisseurs énumérés dans les observations de Rallye devant le Conseil ;

Considérant, ensuite, que le détail des passages du journal électronique est un manuscrit établi sur papier libre ne comportant ni date ni signature; que la date de la " fiche d'affectation ", qui récapitule les différentes prestations, n'est pas précisée, que cette fiche ne reprend pas le détail des passages publicitaires et que, d'une manière générale, ces documents ne sont ni datés ni contresignés par le fournisseur ;

Que, dès lors, ni la lettre du directeur commercial de la société Gervais-Danone du 17 avril 1991, selon laquelle il y aurait eu contrepartie sous forme de journaux électroniques en ce qui concerne l'accord conclu avec Genty-Cathiard, ni le télex du 4 mars, " confirmant " le montant de l'accord publicitaire ne sauraient établir la réalité de la contrepartie aux paiements effectués, dans la mesure, au surplus, où ce même responsable avait déclaré aux enquêteurs, le 27 décembre 1990, " qu'il n'y a pas de contrepartie à ce budget ".

Chambourcy :

Considérant que la société Chambourcy a signé deux accords de participation publicitaire avec, d'une part, Disque Bleu le 19 avril 1990 pour un budget de 1,1 million de francs et, d'autre part, avec Genty-Cathiard le 9 décembre.

Considérant que la société Rallye a produit lesdits accords ainsi que des " fiches de réservation " justifiant, selon elle, la réalité de la prestation publicitaire fournie en contrepartie du versement de ces budgets ;

Mais considérant que les documents versés ne sont ni datés ni signés et imposent les mêmes commentaires et conclusions que ceux faits pour les documents concernant la société Gervais- Danone ;

Que la date inscrite sur la fiche relative au budget de 1,1 million de francs est antérieure à la date d'audition du représentant de Chambourcy (pièce 775) qui avait précisé que les contreparties " n'ont pas fait l'objet d'une formalisation par écrit " ;

Que, mettant en évidence la contradiction de l'argumentation de la société Rallye, le télex du 27 février 1990 (pièce 773) fait état du versement d'un budget de 1,1 millions de francs, non pour l'obtention d'une campagne publicitaire, mais pour une participation " à la mise aux normes Rallye (enseigne, linéaire, assortiment) " ; que le signataire du télex précisait que " nous sommes convaincus que vous saurez apprécier l'extrême importance de cette contribution, comme vous le savez, dans un premier temps, cette opération ne devrait pas, ou peu, générer de tonnage supplémentaire susceptible d'amortir partiellement cet investissement " ;

Que, contrairement à ce que soutient Rallye, la société Chambourcy ne prétend pas qu'un nouvel accord de participation publicitaire ait été conclu entre elles en septembre 1990, mais précise seulement que les négociations ont repris à cette date, soit deux mois après le versement de la première moitié du budget de 1,1 millions de francs ;

Qu'il est, en conséquence, établi que ces deux budgets ont été consentis par le fournisseur sans contrepartie pour lui.

Bahlsen :

Considérant que la justification avancée par le directeur de la centrale d'achat du groupe Rallye est fondée sur la contrepartie pour le fournisseur d'augmenter sa part de marché dans le nouveau réseau et à l'amélioration du dynamisme commercial de la nouvelle enseigne Rallye ;

Considérant que l'accord de participation publicitaire, initialement conclu avec la société Bahlsen pour 300.000 F le 22 octobre 1990, a été ensuite converti en deux budgets, l'un de référencement, de 180.000 F, l'autre, publicitaire, de 120.000 F ;

Mais considérant, en premier lieu, que, pour ce qui concerne le budget publicitaire, la fiche d'affectation produite ne comporte ni date ni signature et impose les mêmes conclusions que précédemment ;

Considérant, en second lieu, que le chiffre d'affaires de la société Bahlsen réalisé avec la nouvelle entité, a connu, entre 1990 et 1991, une diminution d'une importance significative puisque de l'ordre de 45 p. 100 et que, dès lors, la réalité de la contrepartie au budget de référencement, qui avait pour objet une augmentation d'activité, ne saurait être sérieusement soutenue ;

Considérant, en outre, que si le référencement de deux des trois produits prévus n'est pas contesté, il n'est justifié, par la production de l'état des stocks, d'un référencement certain du troisième de ces produits (Peppi's Pomme) qu'au 31 décembre 1991, alors que l'année sur laquelle portait le contrat de référencement était l'année 1990 ;

Paul Renard :

Considérant qu'il est établi que la société Rallye a proposé à la société Paul Renard un budget de référencement dont la contrepartie était fictive dès lors que cette société était déjà référencée auprès du réseau Disque bleu avec un nombre de référence plus important que dans le réseau Rallye ; que si le responsable de la société Paul Renard a cherché sans succès à obtenir une contrepartie, il n'en demeure pas moins que la proposition de négociation faite par la société Rallye s'inscrit, comme celles précédemment examinées, dans la pratique généralisée par Rallye, auprès de ses fournisseurs, tendant à restreindre ou fausser le jeu de la concurrence ;

Considérant que les pratiques incriminées sont, en conséquence, établies en ce qui concerne les sociétés Kimberley-Clark-Sopalin, Gervais-Danone, Chambourcy, Bahlsen et Paul Renard ;

Sur l'effet des pratiques :

Considérant que la société Rallye fait valoir qu'en tout état de cause les effets anticoncurrentiels susceptibles de résulter des pratiques incriminées n'affectent pas de manière sensible les marchés et que, en conséquence, lesdites pratiques ne sont pas sanctionnables ;

Mais considérant, peu important que les fournisseurs qui accordent des avantages sans contrepartie aient ou non conscience des effets de ces avantages, que les transferts obtenus sans contrepartie relevés ci-avant, dont a bénéficié le groupe Rallye, s'élèvent à un montant de l'ordre de 7,5 millions de francs, constituant un avantage par rapport à ses concurrents ;

Qu'il convient de souligner que la demande de renégociation a, en fait, été adressée à la quasi- totalité des 3.300 fournisseurs du groupe et que l'entente, avérée dans au moins cinq cas sur les vingt-trois fournisseurs ayant fait l'objet de l'enquête, ne saurait, en conséquence, être considérée comme mineure ;

Considérant que le groupe Rallye conteste également que le jeu de la concurrence entre les fournisseurs ait pu être affecté, que l'effet anti-concurrentiel n'est pas établi dès lors qu'aucun des fournisseurs pour lesquels des griefs ont été relevés n'a été évincé du marché et qu'il n'est pas prouvé que des fournisseurs absents du marché en cause aient rencontré des difficultés pour y pénétrer ;

Mais considérant, en premier lieu, que les avantages sans contrepartie versés par Chambourcy et Gervais-Danone sont de même ampleur en valeur absolue (3,3 MF et 3,8 MF) et pèsent, dès lors, en proportion beaucoup moins sur la seconde qui, par sa dimension, domine les marchés où ces deux opérateurs sont en concurrence ; que la potentialité de l'effet concurrentiel est en conséquence établie ;

Considérant, en second lieu, que l'entreprise Paul Renard, n'ayant pu négocier un accord à un niveau financier supportable par elle, compte tenu de l'absence de contrepartie, n'a pas été en mesure de prolonger ses relations commerciales avec le groupe Rallye ;

Considérant enfin que les fournisseurs qui ne peuvent accorder les mêmes avantages aux distributeurs concurrents risquent de se voir sanctionner par ceux-ci, notamment par une restriction de leurs débouchés dans les magasins concurrents du groupe Rallye ;

Sur la sanction :

Considérant, en droit, que les dispositions du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'adressent notamment à des entreprises en tant qu'entités économiques constituées d'éléments matériels et humains pouvant concourir à la commission d'une infraction prévue par ce texte ;

Considérant qu'une telle entité économique, sujet du droit de la concurrence, peut faire l'objet des sanctions prévues par l'article 13 de l'ordonnance précitée même si, entre le moment où les pratiques ont été commises et celui où elle doit en répondre, la personne physique ou morale qui en constitue le support juridique a disparu ou a été transformée, dès lors que subsistent les éléments matériels et humains qui ont concouru à l'infraction ;

Considérant, en fait, que Rallye est une société holding qui, en 1992, a apporté au groupe Casino plusieurs de ses filiales, dont les deux sociétés d'exploitation de magasins Rallye et Super Rallye ; que la société Rallye a reçu en contrepartie une participation au capital de Casino-S.C.A. ;

Qu'en 1993, la société d'exploitation Casino-S.C.A. a absorbé les sociétés apportées par Rallye au groupe Casino et qu'en conséquence la part de Rallye dans le groupe Casino a été diluée et s'élevait au 31 octobre 1994 à 26,4 p. 100 ;

Que la continuité économique et fonctionnelle des groupes de distribution alimentaire Immodisque et Genty-Cathiard, absorbés par le groupe de distribution alimentaire Casino, ayant entraîné le transfert à ce groupe de la responsabilité des pratiques incriminées, l'assiette de la sanction susceptible d'être infligée doit être établie sur la base du chiffre d'affaires du groupe Casino, lequel s'élevait à 62,5 milliards de francs à la clôture de l'exercice comptable précédant la décision du Conseil ;

Considérant que le dommage causé à l'économie par ces pratiques, dont la gravité résulte de ce qui a été précédemment exposé, doit s'apprécier au regard non des seuls fournisseurs concernés, mais du secteur de la distribution alimentaire dans son ensemble dès lors que des demandes de même nature sont susceptibles d'être faites par des distributeurs concurrents du groupe, désireux de rétablir les conditions de la concurrence ;

Considérant toutefois que l'appréciation du montant de la sanction doit tenir compte de la faible part du marché national du groupe Rallye (inférieure à 5 p. 100) au moment de l'acquisition des sociétés Disque bleu et Genty-Cathiard qui ne lui permet pas de réduire significativement l'accès au marché ; qu'en outre il n'est pas établi, ni même soutenu, que le groupe Rallye aurait déjà usé de ces pratiques ;

Qu'il y a lieu, en conséquence, de prononcer à l'encontre de la société Rallye une sanction pécuniaire de 7 millions de francs.

Par ces motifs, Réforme la décision n° 95-D-34 rendue le 9 mai 1995 par le Conseil de la concurrence ; Prononce à l'encontre de la société Rallye une sanction pécuniaire de 7 millions de francs ; Met les dépens à la charge de la société Rallye.