CA Paris, 1re ch. H, 1 septembre 2000, n° ECOC0000361X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Scan Coupon (SA), Saupiquet (SA), Smithkline Beecham (SA)
Défendeur :
Financière Sogec Marketing (Sté), Sogec Gestion (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Kamara
Conseillers :
Mmes Graeve, Lebe
Avoués :
SCP Valdelievre-Garnier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Salzmann, Nemo, Donnedieu de Vabres, Villey.
La société Scan Coupon, opérateur d'implantation assez récente sur le marché du traitement des coupons publicitaires de réduction émis par les fabricants de produits de consommation courante, a saisi une première fois le Conseil de la concurrence, le 26 juillet 1999, de certaines pratiques mises en œuvre par les sociétés Financière Sogec Marketing et Sogec Gestion, ses concurrentes directes sur ce marché.
Aux termes d'une décision n° 99-MC-07 du 13 octobre 1999, relevant qu'il ne pouvait être exclu que les pratiques reprochées, dès lors qu'elles émanaient d'un opérateur susceptible de détenir une position dominante, fussent constitutives d'un abus de cette position au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que la persistance de ces pratiques était de nature à porter une atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur intéressé, le conseil a enjoint à la société Sogec Gestion et à la société Financière Sogec Marketing, dans l'attente d'une décision au fond, de suspendre immédiatement l'application de la clause d'exclusivité insérée à l'article I des contrats d'adhésion à leurs banques de coupons, de ne plus proposer de contrats comportant une telle clause et d'informer de ces injonctions tous les clients dans un délai de deux mois.
Par arrêt du 16 décembre 1999, la cour de ce siège a, réformant cette décision, dit n'y avoir lieu de prendre des mesures conservatoires, aux motifs notamment que, les conventions émanant de la société Sogec Gestion étant conclues pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction à défaut de dénonciation par l'une ou l'autre des parties, la clause d'exclusivité qu'elles contenaient était limitée dans le temps, que, la société Scan Coupon ne démentant pas avoir passé avec Danone un contrat contenant l'engagement de rembourser aux distributeurs la valeur faciale des coupons échangés, elle ne pouvait utilement se prévaloir de la faiblesse des recettes obtenues dans le cadre de son activité de gestion des bons de réduction non plus que des pertes qu'elle subissait et ne démontrait pas l'atteinte grave à ses intérêts, enfin, que la présence sur le marché de plusieurs prestataires de services ne permettait pas de retenir l'atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur concerné ou à l'intérêt des consommateurs.
C'est dans ces conditions que, le 14 avril 2000, la société Scan Coupon a saisi le Conseil de la concurrence une seconde fois, alléguant des agissements nouveaux et postérieurs à la première saisine, et a sollicité la mise en œuvre de mesures conservatoires visant à voir suspendre la clause d'exclusivité imposée par la société Sogec Gestion et interdire à celle-ci d'en proposer à l'avenir et de subordonner la fourniture de ses services à un engagement d'exclusivité, et tendant à ce que cette dernière cessât d'intervenir auprès des annonceurs pour entraver le traitement par la société Scan Coupon des bons de réduction revêtus d'une double codification, la société Sogec Gestion et la société Scan Coupon.
Par décision n° 00-MC-12 du 17 juillet 2000, estimant recevable la nouvelle saisine au fond, retenant que rien ne s'opposait à ce qu'une partie saisissante réitérât une demande de mesures conservatoires dès lors qu'elle invoquait une situation nouvelle et considérant qu'il ne pouvait être exclu, sous réserve d'une instruction au fond, que l'inclusion d'une clause d'exclusivité dans les contrats passés avec les clients annonceurs et les pressions exercées sur ces derniers pour les dissuader d'émettre des bons portant simultanément un numéro Sogec et la mention "traitement Scan Coupon" constituassent des abus de la position dominante que la société Sogec Gestion détiendrait, seule ou avec d'autres entreprises du groupe Sogec, le conseil a, cependant, rejeté la demande de mesures conservatoires, au motif qu'il n'était pas établi que les pertes enregistrées par la société Scan Coupon résultassent principalement de l'existence d'une clause d'exclusivité dans les contrats passés avec des annonceurs par les sociétés du groupe Sogec.
Cela étant exposé,
LA COUR :
Vu l'assignation délivrée le 3 août 2000 par laquelle la société Scan Coupon demande à la cour de réformer la décision du Conseil de la concurrence n° 00-MC-12 du 17 juillet 2000 et, lui accordant une somme de 250 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, d'octroyer, pour faire cesser les pratiques anticoncurrentielles des sociétés Financière Sogec Marketing et Sogec Gestion, et dans l'attente de la décision finale du conseil, les mesures conservatoires suivantes:
- enjoindre aux sociétés Financière Sogec Marketing et Sogec Gestion de suspendre l'application de la clause d'exclusivité insérée dans leurs contrats d'adhésion, de ne plus proposer à l'avenir de contrats revêtus d'une telle clause et de ne plus subordonner la fourniture de leurs services à un engagement d'exclusivité,
- enjoindre aux mêmes sociétés d'informer par courrier l'ensemble de leurs adhérents et des distributeurs de la suspension de l'exclusivité en joignant en annexe "une copie de la décision du conseil",
- leur enjoindre de cesser d'intervenir auprès des annonceurs pour entraver le traitement par la société Scan Coupon des bons de réduction revêtus d'une double codification (code à la norme Sogec et code à barres EAN 13 avec la mention "traitement Scan Coupon") ;
Vu les conclusions déposées le 21 août 2000 par la société Financière Sogec Marketing et la société Sogec Gestion, tendant à l'irrecevabilité du recours, qui se heurte à l'autorité de la chose jugée, en tous cas, à son rejet, motif pris de ce que les conditions posées par l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont pas réunies, et à la condamnation de la requérante au paiement de la somme de 250 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les conclusions d'intervention volontaire accessoire déposées le 22 août 2000 par la société Saupiquet, qui s'associe aux demandes de la requérante et requiert la condamnation solidaire des défenderesses au recours au règlement d'une somme de 50 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les écritures signifiées le 23 août 2000 par la société Financière Sogec Marketing et la société Sogec Gestion concluant à l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de la société Saupiquet, et demandant à la cour, à tout le moins, par application des articles 15, 16 et 326 du nouveau Code de procédure civile, de renvoyer à une audience ultérieure l'examen de la recevabilité de cette intervention, subsidiairement, de la déclarer mal fondée, la société Saupiquet n'ayant aucune qualité ni aucun intérêt à intervenir auprès de la société Scan Coupon, enfin, de condamner l'intervenante à lui verser une somme de 20 000 F pour couvrir des frais irrépétibles;
Vu les conclusions d'intervention volontaire accessoire déposées le 23 août 2000 par la société Smithkline Beecham, qui s'associe également au recours de la société Scan Coupon ;
Vu la lettre du 23 août 2000 aux termes de laquelle l'avoué de la société Scan Coupon sollicite le rejet des débats des conclusions des sociétés Financière Sogec Marketing et Sogec Gestion, qui ne lui ont pas été signifiées, en violation de l'article 15 du décret du 19 octobre 1987 ;
Ouï le ministre chargé de l'économie en ses observations, estimant le recours bien fondé et les interventions volontaires recevables ;
Sur les conclusions de la société Financière Sogec Marketing et de la société Sogec Gestion.
Considérant qu'aux termes de l'article 15 du décret du 19 octobre 1987 relatif aux recours exercés contre les décisions du Conseil de la concurrence, les notifications entre parties ont lieu par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par notification directe entre les avocats ou les avoués des parties ; que, selon l'article 16, devant la Cour d'appel de Paris ou son premier président, les parties ont la faculté de se faire assister par un avocat, ou représenter par un avoué près la Cour d'appel de Paris ;
Considérant que la société Scan Coupon a désigné un avoué pour la représenter en la présente procédure ; qu'il s'ensuit que c'est à lui, et non à son avocat, que devaient être notifiées les écritures ;
Considérant qu'il en résulte que les conclusions de la société Financière Sogec Marketing et de la société Sogec Gestion, seulement notifiées à l'avocat de la requérante, sont irrecevables ;
Sur les interventions volontaires :
Considérant que les défenderesses au recours n'ayant notifié, jusqu'au jour de l'audience devant la cour, aucune défense recevable, il peut être retenu que les interventions volontaires accessoires des sociétés Saupiquet et Smithkline Beecham n'ont pas violé les droits de la défense ni contrevenu au principe de la contradiction, bien qu'elles aient été notifiées la veille et le jour de l'audience ;
Que, l'intérêt des intervenantes volontaires à soutenir les prétentions de la requérante, en leur qualité de fabricants émetteurs de bons de réduction au profit de consommateurs et cocontractants de la société Sogec Gestion, n'étant pas valablement contesté, celles-ci seront reçues en leur intervention accessoire ;
Sur les mesures conservatoires :
Considérant qu'en vertu de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des mesures conservatoires ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante;
Considérant qu'en l'espèce, il ne ressort pas des éléments du débat que la clause d'exclusivité insérée aux "contrats d'adhésion à la banque de coupons Sogec Gestion" causerait une telle atteinte, même si les sociétés Financière Sogec Marketing et Sogec Gestion sont susceptibles d'occuper sur le marché des bons de réduction une position dominante en raison de l'antériorité et de l'ancienneté de leur présence sur ledit marché ;
Qu'en effet, en premier lieu, cette clause a un effet limité dans le temps, les conventions étant conclues pour une durée d'un an; qu'il n'est pas établi, à ce stade, que la stipulation d'un renouvellement par tacite reconduction, sauf dénonciation, inciterait les entreprises à laisser se poursuivre les contrats, alors que la requérante a produit l'échange de correspondances entre divers fabricants et la société Sogec Gestion datant du début de l'année 1999, au cours duquel la durée des contrats était clairement rappelée, de sorte que les entreprises pouvaient librement, depuis cette date, renoncer à leur contrat, si elles le souhaitaient, observation faite au demeurant que la société Scan Coupon inclut elle-même, dans ses contrats conclus pour une opération promotionnelle, une clause d'exclusivité ;
Qu'en deuxième lieu, il n'est pas démontré que les sociétés Financière Sogec Marketing et Sogec Gestion imposeraient une clause d'exclusivité dans tous les contrats, diverses lettres d'entreprises produites par la requérante identifiant les fabricants disposant de conventions non exclusives (leur identité ayant néanmoins été occultée, en raison d'exigences de confidentialité) ; qu'à cet égard, la société Saupiquet indique avoir recours à la société Sogec, présente depuis près de 30 ans sur le marché, et faire partie (avec Procter & Gamble et certaines filiales des groupes Danone et Bongrain) des quelques annonceurs français qui ont refusé de se lier par des contrats d'exclusivité ;
Qu'en troisième lieu, le fait que le traitement des bons émis à une date proche de la fin de la période de validité annuelle du contrat puisse dépasser la date d'expiration de celui-ci ne peut, à lui seul, caractériser l'atteinte grave et immédiate à la concurrence exigée par la loi ;
Qu'en quatrième lieu, la requérante et les intervenantes volontaires reprochent aux défenderesses de renvoyer aux distributeurs les bons de réduction portant le seul code de la société Scan Coupon, au lieu de les transmettre directement à cette dernière; que, toutefois, cette pratique apparaît sans lien avec la clause d'exclusivité litigieuse et la suppression éventuelle de celle-ci serait sans effet sur le traitement de ces coupons, dont la société Sogec Gestion expose, dans une lettre du 4 mars 1999 annexée par la requérante à sa seconde saisine du conseil, qu'elle est tenue de les retourner aux points de vente en vue de l'établissement d'une facture rectificative à raison de la récupération de la TVA sur les valeurs faciales et de la refacturation aux fabricants émetteurs ;
Qu'en cinquième lieu, le fait que, aux termes de lettres des 6 et 17 avril 2000, ayant motivé la nouvelle saisine du conseil, la société Sogec Gestion ait rappelé à la société Lactel et à la société Smithkline Beecham qu'elles s'étaient engagées à lui confier en exclusivité la totalité de leurs bons, en vertu d'un contrat qui pouvait être "résilié" annuellement, et qu'elle les ait invitées à ne pas faire figurer sur ces bons le nom d'un autre centre de gestion, peut correspondre seulement au rappel des obligations contractuelles souscrites par les susnommées et ne caractérise pas, en l'état de l'instruction de la présente affaire, une pratique susceptible d'entraîner l'atteinte grave et immédiate à la concurrence exigée par la loi pour la mise en œuvre de mesures conservatoires ;
Qu'en sixième lieu, il n'est pas établi que les défenderesses au recours refuseraient leurs services aux fabricants désireux de ne pas être liés par une clause d'exclusivité, le fait que la société Sogec Gestion ne délivre pas de numéro de code coupon Sogec aux entreprises ne respectant pas ladite clause étant susceptible de relever, comme il vient d'être dit, du respect des obligations contractuelles ;
Qu'enfin, la présence de plusieurs opérateurs sur le marché, soit notamment la société Scan Coupon et NCH, laisse aux entreprises le choix de contracter auprès de gestionnaires de bons autres que les défenderesses au recours ; qu'il est encore noté que la société Scan Coupon a notamment pour enseignes "partenaires", dans le traitement des coupons, les distributeurs appartenant aux groupes Casino, Cora, Systeme U, Carrefour via NCH, Leclerc, Champion, et qu'elle a équipé plusieurs magasins d'un procédé de traitement électronique de ses coupons, ce qui démontre son activité sur le marché en cause;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que, même à supposer que puissent être reprochées aux sociétés Financière Sogec Marketing et Sogec Gestion des pratiques anticoncurrentielles constituant un abus de position dominante et même si la société Scan Coupon puisse éprouver certaines difficultés à pénétrer le marché, notamment à raison du fait qu'à ce jour, la majorité des distributeurs n'opère pas le tri entre les bons émanant des divers opérateurs et les expédie tous à la société Sogec Gestion, le magasin Géant procédant cependant à ce tri, comme l'indique la requérante dans une télécopie au groupe Danone du 28 février 2000, il n'est pas établi, en l'état, que la clause d'exclusivité figurant aux contrats proposés par la Sogec Gestion et le fait que celle-ci en exige le respect par ses cocontractants porteraient une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du marché concerné, à l'intérêt des consommateurs ou à la société Scan Coupon;
Considérant qu'en conséquence, c'est à bon droit que le conseil a rejeté la demande de mesures conservatoires ;
Que la requérante et la société Saupiquet, qui succombent, ne peuvent prétendre au bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, Déclare irrecevables les conclusions de la société Financière Sogec Marketing et de la société Sogec Gestion ; Reçoit la société Saupiquet et la société Smithkline Beecham en leur intervention volontaire accessoire ; Rejette le recours ; Déboute les parties de toute autre prétention ; Met les dépens à la charge de la requérante.