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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 17 juin 1992, n° ECOC9210117X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Compagnie générale de vidéocommunication (SNC), Générale d'images (SA), Planète Câble (SA), Ciné-Cinéma Câble (SA), Communication Développement (SA), Lyonnaise-Communications (SNC), Paris - TV Câble (SEML), Régionale de communication (SA), Canal J (SA), Réseaux câblés de France (SA), France Télécom

Défendeur :

TV Mondes (SARL), Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

Mme Ezratty

Présidents :

MM. Feuillard, Canivet

Conseillers :

MM. Bargue, Beauquis

Avoués :

Mes Ribaut, Blin, SCP Fisselier-Chilloux-Boulay

Avocats :

Mes Personnaz, Nativi, Lecocq, Lazarus, Foucard.

CA Paris n° ECOC9210117X

17 juin 1992

Saisi le 12 septembre 1989 par la société TV Mondes de pratiques imputées aux sociétés Compagnie générale des eaux, Communication Développement, Lyonnaise Communications et leurs filiales intervenant dans le secteur de la distribution par câble des programmes de télévision, le Conseil de la concurrence (le conseil) a, par décision du 19 novembre 1991, prise sur le fondement des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 1985 du traité instituant la Communauté économique européenne:

- enjoint aux sociétés Canal J, Générales d'Images, Planète Câble, Ciné-Cinéma Câble, Compagnie générale de vidéocommunication, Communication Développement, Lyonnaise Communications, Paris-TV Câble, Réseaux câblés de Rance, Société régionale de télécommunication et France Télécom, de supprimer, dans un délai maximum de six mois, les clauses d'exclusivité thématique figurant dans les contrats de diffusion des programmes Canal J, Planète, Ciné-Cinéma et Canal Bis, et de cesser dans l'avenir d'adopter de telles clauses ;

- infligé à la Compagnie générale de vidéocommunication une sanction pécuniaire de 1 000 000 de francs ;

- demandé, à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, de lui faire rapport, dans un délai de deux ans, sur le secteur de la distribution par câble des programmes de télévision.

La Compagnie générale de vidéocommunication, la société générale d'Images, la société Planète Câble, la société Ciné-Cinéma Câble ont ensemble formé un recours principal tendant à l'annulation, et subsidiairement, à la réformation de cette décision.

La société TV Mondes a introduit un recours incident tendant au rejet du recours principal et à l'annulation ou à l'infirmation de la décision en ce qu'elle n'a pas retenu l'ensemble des pratiques anticoncurrentielles dénoncées dans le mémoire dont elle a saisi le conseil.

Le ministre de l'économie, des finances et du budget a également formé un recours incident tendant à la réformation partielle de la décision et au renvoi de l'affaire devant le conseil aux fins de poursuite de l'instruction.

Conformément aux dispositions de l'article 7, alinéa 2, du décret du 19 octobre 1987, les sociétés Communication Développement, Lyonnaise Communications, Paris-TV Câble, Réseaux câblés de France, Régionale de communication, France Télécom et Canal J ont été mises en cause d'office.

A l'exception des sociétés Réseaux câblés de France et France Télécom qui n'ont pas déposé de mémoires, et de la société Générale de Communication qui ne s'estime pas concernée, elles concluent au rejet des recours incidents de la société TV Mondes et du ministre de l'économie et des finances ainsi qu'au soutien du recours principal, à l'annulation totale ou partielle ou à la réformation de la décision.

Référence faite à la décision soumise à recours pour la description des conditions juridiques d'exploitation des réseaux de télédiffusion par câble et des structures de chacun des opérateurs concernés, il convient de rappeler les faits et circonstances essentiels suivants :

Tel qu'il résulte de la loi du 1er août 1984, modifiée par la loi du 30 septembre 1986 et leurs décrets d'application, le régime juridique des réseaux câblés de télédistribution laisse aux communes ou groupements de communes la responsabilité d'établir ou d'autoriser l'établissement sur leur territoire des réseaux distribuant par câble des services de radiodiffusion sonore et de télévision.

L'exploitation des réseaux ainsi créés est autorisée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel à des sociétés qui peuvent être à capitaux exclusivement privés, sur présentation d'un plan de service établi par les collectivités locales concernées mentionnant le nombre, la dénomination et la nature des services distribués.

La grande majorité des réseaux est exploitée par :

- la Compagnie générale de vidéocommunication, filiale de la Compagnie générale des eaux qui, en 1989, possédait 40 p. 100 des abonnements aux réseaux câblés répartis sur trente-deux sites ;

- la société Lyonnaise Communications, filiale du groupe de la Lyonnaise des eaux-Dumez qui, en ce compris le réseau exploité par Paris-TV Câble dont elle est actionnaire majoritaire, en détenait 26 p. 100 répartis sur huit sites ;

- la société Communication Développement, filiale de la Caisse des dépôts et consignation qui en détenait 24 p. 100 répartis sur neuf sites,

le reste étant assuré par divers opérateurs publics ou privés, parmi lesquels France Télécom, Electricité de France, Télédiffusion de France, Citécâbles, Eurocâbles, Réseaux câblés de France et la Société régionale de communication.

Pour constituer les plans de service des réseaux qu'ils exploitaient, comprenant à l'origine quinze canaux au moins, les câblo-opérateurs pouvaient, à l'époque concernée, recourir :

- aux six chaînes françaises diffusées par voie hertzienne sur la majeure partie du territoire, s'agissant de cinq chaînes généralistes TF 1, Antenne 2, FR3, La Cinq et M6 et de la chaîne à domaine cinématographique Canal Plus ;

- aux chaînes francophones généralistes: TV 5 Europe, la Société Suisse de radiodiffusion et télédiffusion (SSR), la Radio Télévision belge de la communauté de langue française (RTBF), le consortium de télévision Québec-Canada et RTL-TV ;

- à diverses chaînes de langues étrangères généralistes ou thématiques ;

- enfin, à partir de 1989, au programme à vocation culturelle de la Société d'édition de programmes de télévision (la SEPT) et au programme musical MCM-Euromusique.

Afin de compléter leur offre, les câblo-opérateurs ont diffusé de nouvelles chaînes francophones dont les programmes, organisés selon des thèmes déterminés, sont spécifiquement destinés à être distribués par les réseaux câblés, de sorte que sont successivement apparues : Canal J, en 1987, TV-Sports, au mois de février 1988, Planète, au mois de septembre 1988, Canal Info, Ciné-Cinéma, Ciné-Folies et Canal Bis à la fin de l'année 1988.

Ces chaînes d'abord respectivement réservées à l'un des réseaux exploités par les trois grands câblo-opérateurs ont ensuite été diffusées puis éditées selon une politique de partenariat instaurée entre eux et avec d'autres groupes ayant la même activité.

La chaîne Canal J, mise en service en 1985 par le groupe Hachette, a d'abord été reprise, le 28 janvier 1988, par une société à laquelle participe chacun des trois groupes susnommés qui, le même jour, ont conclu avec elle une convention prévoyant la reprise de ses programmes sur l'ensemble de leurs réseaux présents et à venir.

Créée au mois de septembre 1987 entre la société Générale d'Images (filiale de la Compagnie générale des eaux) et le groupe britannique WH Smith, avec la participation de la société Communication Développement, la chaîne TV Sports a, en vertu d'accords de diffusion, été distribuée sur les réseaux exploités par les trois principaux câblo-opérateurs.

Ensuite, le 21 juillet 1989, a été signée une convention aux termes de laquelle la société Communication Développement s'engageait à inscrire le programme Planète, initié par la société Générale d'Images, dans tous les plans de services actuels et futurs par elle exploités.

Puis, au cours de l'année 1990, sont intervenus des accords aux termes desquels les programmes Ciné-Cinéma et Planète seraient respectivement édités par les sociétés Planète câble et Ciné-Cinéma câble dont le capital était réparti entre la société Générale d'Images qui les a créés, Canal Plus, Sinédi (filiale de la société Communication Développement) et la société Lyonnaise Communications.

En outre, l'examen des contrats en exécution desquels sont diffusés ces programmes thématiques a révélé que plusieurs d'entre eux bénéficient d'exclusivité sur les réseaux.

Ainsi, le contrat type de diffusion de la chaîne Canal J, annexé à l'accord du 28 janvier 1988, comporte une clause selon laquelle les exploitants de réseaux réservent à celle-ci, sur leur service de base, l'exclusivité de la distribution d'une chaîne principalement destinée au public Enfant-jeunesse.

Des dispositions identiques, mais intéressant l'ensemble du plan de service, sont stipulées dans les contrats de diffusion des chaînes Planète, Ciné-Cinéma et Canal Bis, ces clauses étant assorties de la faculté pour l'éditeur de s'opposer, pendant six mois, à la reprise de tout autre programme ayant un contenu proche sur les réseaux contenant l'une de ces chaînes.

Constituée en 1985, la société TV Mondes a, dès 1987, proposé aux sociétés exploitantes de réseaux un programme représentatif de l'ensemble des cultures du monde, principalement composé de magazines, de documentaires et de fictions.

Après de nombreuses négociations menées avec les différentes sociétés intéressant le secteur de la câblo-distribution et les collectivités locales, trois sites exploités par des filiales de la Compagnie générale des eaux, à Montpellier, à Villeurbanne et dans les communes associées ainsi qu'aux Ulis et à Massy-Palaiseau, ont accepté de distribuer le programme de TV Mondes, à titre gratuit et expérimental, pour une période de trois mois, de décembre 1988 à mars 1989.

Jugeant inacceptables les propositions, consécutives à cet essai, faites par la Compagnie générale des eaux, consistant à reprendre le programme sur ses réseaux, à la fin de l'année 1990, au tarif de 1,50 F par abonné et par mois, la société TV Mondes a cessé l'émission de son signal à partir du 23 avril 1989.

De ce fait, elle a renoncé à procéder à la diffusion gratuite convenue à la même époque avec la société Lyonnaise Communications sur des réseaux de la banlieue parisienne pour une période d'essai de trois mois, ainsi qu'à l'exécution de la convention conclue avec la société Communication Développement, pour une diffusion de son programme durant trois ans au tarif de 6 F par abonné, sur le réseau exploité à Saint-Avold.

Estimant avoir été victime de pratiques anticoncurrentielles contraires aux articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ainsi qu'aux articles 85 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne, la société TV Mondes a saisi le conseil à l'encontre de la Compagnie générale des eaux, et des sociétés Communication Développement et Lyonnaise Communications auxquelles elle reproche :

- d'une part, de s'être entendues pour exclure les éditeurs indépendants du marché des programmes thématiques destinés au câble ;

- d'autre part, d'avoir abusé de la position dominante que ces trois sociétés occupent collectivement sur le marché national de la câblodistribution ainsi que de la situation de dépendance économique des éditeurs de programmes à leur égard, en leur imposant des conditions discriminatoires de distribution et de rémunération de leurs services.

Aux motifs de la décision soumise à recours, le conseil a défini le marché à prendre en considération comme celui où se confrontent l'offre de programmes thématiques francophones et une demande exprimée par les réseaux de télédistribution établis en France.

Sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il a estimé :

- que si la position des entreprises de câblo-distribution mises en cause leur confère une situation privilégiée quant au choix des programmes thématiques à diffuser sur leurs réseaux, cette seule circonstance, à défaut d'autres éléments de preuve, ne permet pas d'établir l'existence d'une entente entre elles pour éliminer les éditeurs indépendants ;

- mais que, telles que ci-dessus décrites, les clauses d'exclusivité contenues dans les contrats types de diffusion de certaines chaînes thématiques francophones avaient au moins potentiellement pour effet d'interdire ou de limiter l'accès au marché d'éditeurs concurrents proposant aux réseaux des programmes ayant un contenu proche de ceux bénéficiant de l'exclusivité,

- qu'il n'est pas justifié que lesdites clauses étaient à l'origine d'un progrès économique au sens de l'article 10-2 de l'ordonnance précitée ;

- que, tombant sous le coup de l'article 7, de telles conventions sont également contraires à l'article 85 du traité de Rome.

Sur le fondement de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

- qu'il n'est pas établi que les sociétés susvisées aient entre elles des liens financiers ou commerciaux qui en fassent un groupe d'entreprises ayant ensemble une position dominante sur le marché ;

- mais qu'en raison de la puissance d'achat et des caractères spécifiques du marché, les conditions d'un état de dépendance économique des éditeurs, et en particulier de TV Mondes, vis-à-vis de la Compagnie générale de vidéocommunication sont réunies et que les conditions discriminatoires proposées à cette dernière pour la diffusion de son programme constituent un abus de cette situation.

Au soutien de leur recours principal, la Compagnie générale de vidéocommunication, et les sociétés Générales d'Images, Planète Câble et Ciné-Cinéma Câble invoquent que :

- le conseil a statué sur des faits non compris dans la saisine de la société TV Mondes ;

- la définition du marché retenue par la décision n'est pas conforme au cadre législatif régissant la distribution par câble de programmes télévisés ;

- les pertes enregistrées par toutes les filiales du groupe de la Compagnie générale des eaux concernées par la câblo-distribution s'opposent à l'existence d'un état de dépendance des éditeurs de programmes vis-à-vis de la Compagnie générale de vidéocommunication ;

- n'ayant jamais été économiquement viable, la société TV Mondes ne peut se trouver en état de dépendance à l'égard d'aucun acteur du marché ;

- le traitement commercial discriminatoire reproché à la Compagnie générale de vidéocommunication à l'encontre de la société TV Mondes repose sur une inexacte appréciation de l'attrait commercial de cette chaîne et ne tient pas compte de la limitation technique du nombre de canaux disponibles ;

- les clauses d'exclusivité figurant dans certains contrats conclus avec les chaînes thématiques sont économiquement nécessaires pendant la période de conquête du marché et, de ce fait, conformément aux dispositions de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1990, ne tombent pas sous le coup de l'article 7.

Le ministre de l'économie et des finances expose au soutien de son recours incident que :

- le conseil a condamné la Compagnie générale de vidéocommunication à une sanction pécuniaire pour abus de dépendance économique à l'encontre de la société TV Mondes, au seul motif de la part prépondérante de cette entreprise dans la distribution des programmes télévisés par câble, alors que le dossier ne comporte aucun élément d'information concernant les autres intervenants sur le marché à prendre en considération dont les contours restent à préciser notamment quant aux produits et services concernés ;

- les pratiques des trois sociétés de câble-opérateurs : Compagnie générale de vidéocommunication, société Communication Développement et société Lyonnaise Communications, sont à analyser au regard de la position dominante collective qu'elles occupent.

La société TV Mondes reproche à la décision déférée de n'avoir pas retenu tous les griefs articulés dans sa saisine, s'agissant :

- d'entente des trois grandes entreprises exploitantes de réseaux de télévision par câble et leurs filiales éditrices de programmes thématiques visant à exclure les éditeurs indépendants ;

- d'abus d'une position dominante collectivement occupée par les mêmes entreprises et leurs filiales d'édition ;

- d'abus de la position dominante individuellement occupée par la Compagnie générale de vidéocommunication ;

- d'abus de l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouve à l'égard des sociétés Communication Développement et Lyonnaise Communications.

Outre les moyens invoqués à l'appui du recours principal, les sociétés Lyonnaise

Communications, Paris-TV Câble, Canal J et Communication Développement font observer que :

- l'interdiction d'insérer à l'avenir des clauses d'exclusivité, dans les contrats de diffusion de chaînes thématiques, excède les pouvoirs d'injonction du conseil ;

- la mission donnée à l'administration de surveiller durant deux années le secteur concerné n'entre pas dans les pouvoirs conférés au conseil par l'ordonnance du 1er décembre 1986 et, au surplus, a été décidée en violation des droits de la défense ;

- le recours incident du ministre de l'économie et des finances est irrecevable en ce qu'il ne contient pas l'exposé des moyens invoqués et, qu'en outre, il tend à voir à nouveau instruits et qualifiés des faits que le rapporteur a estimé ne pouvoir retenir ;

- le grief d'abus de position dominante conjointe ou collective, rejeté par la décision soumise à recours mais invoqué par le ministre de l'économie et des finances et la société TV Mondes, est tout à la fois irrecevable et sans fondement ;

- les autres pratiques alléguées par la société TV Mondes dans son recours incident ne sont pas constitutives de pratiques anticoncurrentielles.

Conformément aux dispositions de l'article 9 de décret du 19 octobre 1987, le conseil a déposé des observations écrites sur les moyens invoqués par les parties.

Le ministère public a oralement conclu à la réformation de la décision en ce qu'elle ne contient pas la démonstration de l'état de dépendance économique de la société TV Mondes à l'égard de la Compagnie générale de vidéocommunication.

Sur quoi, LA COUR :

1. Sur les moyens tirés des limites de la saisine du conseil :

Considérant que dans le mémoire qu'elle a adressé le 12 septembre 1989 pour saisir le conseil, la société TV Mondes, se référant aux articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ainsi qu'aux articles 85 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne, a dénoncé des pratiques d'entente et d'abus de position dominante, imputées aux trois grandes entreprises de distribution de programmes télévisés par câble et à leurs filiales et qui, selon elle, ont eu pour objet et pour effet de lui interdire d'accéder au marché français des programmes thématiques destinés aux réseaux câblés ;

Qu'aux termes de l'article 11 de l'ordonnance susvisée le Conseil doit examiner si les pratiques dont il est saisi entrent dans le champ des articles 7 et 8 ou peuvent se trouver justifiées par application de l'article 10 ;

Qu'à l'occasion de cet examen, en fonction de l'analyse du marché et des investigations auxquelles a procédé le rapporteur, le Conseil a pu, sans excéder les limites de sa saisine, se prononcer sur les griefs d'entente résultant des clauses d'exclusivité contenues dans les contrats de diffusion de certains programmes thématiques qu'il a découverts et sur celui d'exploitation abusive de l'état de dépendance économique dans laquelle la société TV Mondes se trouverait à l'égard de la Compagnie générale de vidéocommunication, dès lors que, comme en l'espèce, les pratiques examinées se situent sur le même marché, qu'elles sont antérieures à l'acte de saisine, se rattachent aux comportements économiques dénoncés, visent au même objet ou qu'elles ont ou peuvent avoir le même effet.

2. Sur la recevabilité du recours du ministre de l'économie, des finances et du budget :

Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Communication développement le recours incident formé par le ministre de l'économie et des finances le 23 janvier 1992, moins d'un mois après la notification du recours principal, contient en lui-même l'exposé des moyens invoqués, tels que ci-dessus énoncés ;

Considérant qu'au soutien dudit recours l'administration peut, comme toute autre partie, se fonder sur des faits qui, compris dans la saisine du conseil, n'ont pas fait l'objet de sanction ou d'injonction;

Qu'il s'ensuit que les moyens visant à l'irrecevabilité du recours incident du ministre de l'économie et des finances doivent être rejetés.

3. Sur les moyens tirés d'une inexacte analyse du marché :

Considérant que les sociétés requérantes prétendent, à titre principal, qu'en limitant le marché pertinent à celui où se rencontrent l'offre des programmes thématiques francophones et la demande exprimée par les réseaux câblés de distribution établis en France, le conseil a artificiellement segmenté le marché national du câble qui, selon elles, constitue un ensemble économiquement indissociable ;

Considérant que le marché se définit comme le lieu théorique où se confrontent l'offre et la demande de produits ou de services qui sont considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens ou services offerts;

Que par une juste analyse, le conseil a pu estimer que les chaînes de télévision offertes par les éditeurs aux diffuseurs constituent un marché distinct de celui de l'exploitation des réseaux, où l'offre des entreprises câblo-opératrices s'adresse aux collectivités territoriales et de celui de la télédiffusion par câble, où les téléspectateurs sont en présence de l'offre des diffuseurs de programmes;

Que ces marchés distincts se caractérisent en effet par des produits et services non substituables entre eux intéressant l'offre et la demande d'opérateurs différents ;

Que l'adjonction par les entreprises d'exploitation des réseaux de l'édition de programmes thématiques francophones à leur activité d'origine, au moyen de filiales constituées à cette fin, est sans incidence sur la spécificité du marché de ces programmes ;

Considérant que le ministre de l'économie et des finances reproche au conseil de n'avoir pas précisément déterminé la nature de l'activité des entreprises éditrices ni recherché si celles-ci ne pouvaient céder leurs programmes à d'autres acheteurs que les câblo-opérateurs ou dans d'autres pays, notamment de la zone francophone ;

Mais considérant qu'ainsi que le démontre la décision soumise à recours, conforme en cela à l'avis donné par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, les chaînes thématiques francophones sont spécifiquement conçues pour le câble comme un ensemble de programmes cohérents d'émissions réunies en fonction d'une idée directrice et destinées à constituer un signal identifié et attractif, occupant journellement et en continu un canal, en complément des chaînes généralistes francophones et de langues étrangères, afin d'enrichir, singulariser et diversifier l'offre au public de programmes des réseaux câblés ;

Que ces chaînes thématiques francophones sont, aux yeux des exploitants de réseaux en France, qui les estimaient indispensables au développement de la télédiffusion par câble, non substituables à d'autres produits ou services audiovisuels, puisqu'eux-mêmes ont créé des filiales spécialement destinées à éditer de tels programmes ;

Qu'il est en conséquence inopérant de rechercher si une chaîne thématique francophone spécialement destinée au câble pourrait en tout ou partie et sous d'autres formes être proposée à d'autres opérateurs en France ou à l'étranger, dès lors qu'il est établi que l'offre de ce produit détermine en elle-même un marché intérieur pertinent ;

Considérant que le ministre de l'économie et des finances fait encore grief au conseil de n'avoir pas étudié les conséquences d'une segmentation du marché selon les thèmes propres à chacune des chaînes ;

Mais considérant qu'une telle division du marché est sans incidence sur l'appréciation du caractère anticoncurrentiel des pratiques examinées par le conseil, dès lors que les programmes de la chaîne TV Mondes sont parfaitement substituables à ceux de l'une au moins des chaînes diffusées par les trois principaux câblo-opérateurs, la chaîne Planète dont les émissions sont elles aussi sélectionnées en fonction de l'ouverture sur le monde qu'elles proposent aux téléspectateurs et que les clauses d'exclusivité stipulées dans les contrats de diffusion desdites chaînes s'appliquent en fonction de la similitude de leurs programmes ;

Qu'il s'ensuit que les moyens tirés d'une inexacte délimitation du marché pour l'examen des pratiques dénoncées doivent être rejetés ;

4. Sur le grief d'entente entre entreprises exploitantes de réseaux :

Considérant que la société TV Mondes prétend que c'est à tort que le conseil n'a pas retenu à l'encontre des trois grands câblo-opérateurs une entente visant à éliminer toute concurrence sur le marché de l'édition des chaînes thématiques francophones alors que, selon elle, la concertation de ces entreprises résulte de la création par chacune d'elles de filiales d'édition propres ensuite constituées en filiales communes et l'insertion de clauses d'exclusivité thématique dans les conventions de diffusion de certaines chaînes ;

Mais considérant que, s'agissant des faits antérieurs à la saisine du conseil, il n'est pas démontré que la création, puis l'exploitation en filiales communes d'entreprises d'édition de programmes aient répondu pour les câblo-distributeurs à d'autres objectifs que la mise en place et la rentabilisation de chaînes nécessaires à la promotion des réseaux câblés ; qu'en dépit de considérations générales sur l'intérêt que pourraient avoir ces opérateurs à éliminer toute concurrence des éditeurs indépendants de programmes identiques, il n'est aucunement démontré qu'ils se soient concertés à cette fin ;

Que la preuve d'une telle concertation ne résulte pas davantage des clauses d'exclusivité figurant dans les contrats qu'ils ont individuellement conclus avec les éditeurs de programmes ;

5. Sur le grief d'entente entre exploitants de réseaux et éditeurs de programmes résultant des clauses d'exclusivité contenues dans les contrats types de diffusion de certaines chaînes thématiques francophones :

Considérant qu'ainsi que le relève le conseil, les clauses par lesquelles les chaînes thématiques francophones se réservent sur chaque réseau où elles sont distribuées et pendant la durée du contrat, généralement de cinq années, la faculté d'interdire la diffusion de programmes de même contenu sur tout ou partie du plan de service, peuvent avoir pour effet d'interdire ou de limiter l'accès au marché d'éditeurs concurrents proposant des programmes ayant un thème proche de ceux bénéficiant de l'exclusivité;

Qu'il est toutefois allégué que ces dispositions contractuelles, contrepartie de l'engagement des éditeurs de ne pas livrer leurs modules de programmes aux chaînes hertziennes, sont indispensables pour atteindre l'objectif de progrès économique tenant au développement de la télédiffusion par câble et à l'amélioration de ses programmes ;

Qu'elles se fondent sur l'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel qui, consulté par application de l'article 16 du décret du 29 décembre 1986, a notamment estimé, dans un rapport daté du 17 juillet 1990, qu'en l'état du développement du marché de la câblo-distribution, les clauses d'exclusivité apparaissent, dans le court terme, bénéfiques à chacun des partenaires en ce qu'elles correspondent au besoin ressenti par les exploitants de réseaux de singulariser rapidement l'offre du câble par des programmes spécifiques alors que, de leur côté, les éditeurs sont confrontés à un problème d'amortissement des programmes en raison de l'exiguïté du marché national et de la montée en charge très lente du parc d'abonnés ;

Mais considérant qu'il est par ailleurs constaté tant par le conseil de la concurrence que par le Conseil supérieur de l'audiovisuel que le marché de la câblo-distribution est marqué par une forte tendance à l'intégration des fonctions d'exploitation des réseaux et d'édition des programmes notamment par la création de filiales d'édition. de programmes communes aux principaux distributeurs ; que la communauté d'intérêts ainsi créée entre les éditeurs de chaînes thématiques francophones et les exploitants de réseaux répond aux préoccupations de rentabilisation sus-énoncées ;

Que dès lors, dans ce contexte particulier, il n'est nullement justifié que lesdites clauses, à supposer qu'elles aient pour effet d'assurer le progrès économique, réservent aux utilisateurs une part équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits ; qu'il n'apparaît pas davantage qu'elles seraient indispensables pour atteindre l'objectif de progrès qu'elles prétendent viser ;

Qu'au contraire, le Conseil supérieur de l'audiovisuel remarque que, notamment en raison de leur durée, la signature de ces conventions, qui conduisent à aliéner où à entraver à long terme la liberté de choix des exploitants et des collectivités locales, n'a été rendue possible que par les liens financiers étroits qui unissent les sociétés d'édition et d'exploitation et qu'elles aboutiront à créer des rentes de situation au bénéfice des éditeurs lorsque les conditions prévisibles d'une meilleure fluidité du marché seront réunies ;

Qu'il s'ensuit que, faute d'être justifiées dans les conditions prévues par l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, lesdites clauses sont soumises aux dispositions de l'article 7;

Considérant en outre que, comme l'a relevé à bon droit le conseil, dès lors qu'elles sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres de la Communauté économique européenne en faisant obstacle à la diffusion en France de programmes édités à partir d'autres Etats, les clauses litigieuses tombent également sous le coup de l'article 85 paragraphe I du traité de Rome;

Qu'il n'est allégué par aucune des parties concernées que les accords de diffusion comprenant de telles clauses auraient fait l'objet d'une exemption individuelle prise par la Commission des communautés européennes en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité et selon la procédure de notification prévue par les dispositions du règlement 17-62 du Conseil des communautés du 6 février 1972 ;

Qu'à défaut de telles décisions relevant du seul pouvoir de la Commission des communautés européennes, il ne peut être constaté ni par le conseil, ni par la cour que ces accords ou catégories d'accords entre entreprises contribuent à promouvoir le progrès technique ou économique aux sens et conditions du texte susvisé; qu'en conséquence l'interdiction édictée par le paragraphe 1 de l'article 85 du traité est applicable;

6. Sur les pratiques d'abus invoquées à l'encontre de la Compagnie générale de vidéocommunication, et des sociétés de Communication Développement et Lyonnaise Communications sur le fondement de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que la société TV Mondes prétend que, la diffusion dans une zone d'une chaîne thématique destinée au câble étant subordonnée à l'inscription sur un plan de service, elle-même soumise aux conditions commerciales fixées par l'exploitant du réseau, elle se trouve, en tant qu'éditeur de programmes et à l'égard de chacun des câblo-opérateurs dans un état de dépendance économique dont ceux-ci ont abusé en soumettant la reprise de ses programmes à des conditions tarifaires discriminatoires ;

Qu'après avoir admis qu'étaient réunies les conditions d'une dépendance économique des éditeurs vis-à-vis de la Compagnie générale de vidéocommunication, le conseil a apprécié que celle-ci avait abusivement exploité cet état en proposant à la chaîne TV Mondes, en vue d'une diffusion sur ses réseaux, une rémunération trois fois inférieure au tarif habituellement pratiqué, sans que cette différence de traitement soit justifiée par les caractéristiques quantitatives ou qualitatives de son programme ;

Mais considérant qu'ayant examiné les contraintes financières, commerciales et techniques imposant à l'époque aux câblo-opérateurs une politique rigoureuse de sélection des chaînes distribuées, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a estimé que, tant au point de vue du volume, limité à six heures quotidiennes au lieu de quinze, que du contenu, constitué d'émissions en version originale sous-titrées en français, la chaîne TV Mondes ne représentait pas un produit d'appel commercialement équivalent à d'autres chaînes thématiques francophones, notamment la chaîne Planète;

Que, quels que soient les arguments tirés du sondage limité réalisé à Montpellier sur l'indice d'écoute comparé de diverses chaînes thématiques francophones, il n'est pas démontré, en raison du contexte économique dans lequel elle est intervenue, que la proposition de rémunération faite par la Compagnie générale de vidéocommunication pour la diffusion de la chaîne TV Mondes ait excédé les limites de la liberté de négociation d'un opérateur; qu'il s'ensuit que c'est par une inexacte appréciation des faits que le conseil a retenu le grief d'exploitation abusive d'un état de dépendance économique à l'encontre de la société susvisée;

Qu'en conséquence, la sanction pécuniaire prononcée de ce chef à l'encontre de la Compagnie générale de vidéocommunication doit être supprimée ;

Considérant que la société TV Mondes n'invoque aucune autre pratique illicite précisément tirée de sa prétendue dépendance économique à l'égard des sociétés de Communication Développement et Lyonnaise Communications dont l'abstention de contracter pour la diffusion de la chaîne concernée ne saurait, à elle seule, être regardée comme abusive ;

Considérant qu'en l'absence d'abus caractérisé imputable aux entreprises intéressées, sont dépourvus d'objet les moyens visant à contester l'existence d'un état de dépendance économique de la société TV Mondes à l'égard de la Compagnie générale de vidéocommunication ainsi que ceux fondés sur une prétendue position dominante individuelle ou collective des exploitants de réseaux ;

7. Sur la nullité de l'injonction :

Considérant que les sociétés Lyonnaise Communications et Paris-TV Câble font valoir qu'en interdisant aux parties l'usage dans l'avenir des clauses d'exclusivité contenues dans les contrats de diffusion des chaînes thématiques francophones, la décision soumise à recours a édicté une injonction, générale et indéterminée, de caractère réglementaire excédant les pouvoirs du conseil ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le conseil peut ordonner aux intéressés de mettre fin à une pratique anticoncurrentielle dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières ;

Qu'ayant estimé que les clauses ci-dessus examinées tombaient sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance, il a pu enjoindre aux opérateurs concernés de les supprimer et de cesser d'en adopter pour l'avenir;

Que, contrairement au moyen invoqué, une telle injonction n'est ni générale ni indéterminée, dès lors qu'elle indique précisément la pratique à laquelle il est ordonné de mettre fin, les dispositions contractuelles visées et qu'elle désigne nommément les opérateurs tenus d'y déférer;

8. Sur le moyen d'annulation de la mesure d'instruction demandée à la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes :

Considérant qu'ayant relevé que l'article 34 (4°) de la loi du 30 septembre 1986, modifié par l'article 17 de la loi du 29 décembre 1990, impose désormais aux exploitants de réseaux de distribuer "un nombre minimal de programmes édités par des personnes morales indépendantes de l'exploitant effectif du réseau", le conseil a estimé nécessaire de procéder, dans un délai de deux ans, à un nouvel examen de la situation du marché, à la lumière des prescriptions de sa décision et des nouvelles dispositions légales ;

Qu'à cette fin, il a décidé qu'à l'expiration de ce délai, la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, lui ferait rapport sur le secteur de la distribution par câble des programmes de télévision ;

Considérant que les sociétés Lyonnaise Communications et Paris-TV Câble prétendent qu'une telle mesure est nulle, en ce qu'elle a été prise en violation du principe de la contradiction et n'est pas comprise dans les dispositions qu'aux termes de l'article 11, alinéa 2 de l'ordonnance, le conseil peut prendre à la suite d'une saisine ;

Considérant que par application de l'article 14 de l'ordonnance susvisée, le conseil a le pouvoir de prononcer une sanction pécuniaire si les mesures et injonctions qu'il a édictées ne sont pas respectées et qu'à cette fin, il dispose des pouvoirs d'enquête prévus par les articles 45 et suivants de ladite ordonnance ;

Considérant cependant que si, ayant des raisons de craindre que des atteintes à la concurrence se sont perpétuées sur le marché en cause, le conseil peut s'en saisir d'office et faire procéder aux investigations nécessaires, il ne peut pour autant incorporer à la décision par laquelle il se prononce sur des pratiques antérieures distinctes une mesure totalement étrangère à cette décision ordonnant pour l'avenir une surveillance systématique du secteur;

Qu'il s'ensuit que l'article 3 du dispositif de la décision doit être supprime ;

Considérant qu'il n'y a lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Par ces motifs : Réformant la décision entreprise ; Supprime la sanction pécuniaire infligée à la société Générale de Vidéocommunication du chef d'abus de l'état de dépendance économique de la société TV Mondes à son égard ; Supprime le paragraphe 3 du dispositif de la décision ; Rejette pour le surplus les recours principaux et incidents ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que chaque partie requérante supportera la charge de ses propres dépens ; laisse à la charge du Trésor ceux afférents aux mises en cause d'office.