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Décisions

Cass. com., 14 janvier 1992, n° 89-21.462

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Industrielle Lesaffre (SARL), Industrielle Levure Fala (SARL), Fould springer (SA), Lesaffre et Compagnie (SCA), Gist Brocades (SA), Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

et Rapporteur : M. Bézard

Avocat général :

M. Jéol

Avocats :

Mes Delvolvé, Ricard, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez.

Cass. com. n° 89-21.462

14 janvier 1992

LA COUR : - Joint les pourvois n° 89-21.518 et 89-21.462 en raison de leur connexité ; - Sur le premier moyen du pourvoi 89-21.518 pris en ses première et deuxième branches : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 15 novembre 1989) que, saisi de pratiques relevées dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation de la levure fraîche de panification, le Conseil de la concurrence a rendu, le 22 mars 1989, une décision n° 89-D-08 affirmant notamment l'existence d'ententes tacites entre les deux fabricants de levure en France, les sociétés du groupe Lesaffre et la société Gist-Brocades et les a condamnées à des sanctions pécuniaires ; que la décision au fond du Conseil de la concurrence a été précédée de décisions de retrait de pièces prises par le président du Conseil de la concurrence : le 14 avril 1988, une ordonnance n° 88-DSA-03 retirant certaines pièces relatives au calcul du prix de revient du kilogramme de levure fraîche de panification couvertes par le secret des affaires, le 1er juillet 1988, après la notification des griefs, une ordonnance n° 88-DSA-07 retirant, pour le même motif, certaines pièces relatives à la ventilation du chiffre d'affaires des sociétés du groupe Lesaffre et parallèlement de la société Gist-Brocades, le 1er septembre 1988, une troisième ordonnance n° 88-DSA-13 retirant une pièce concernant le prix de revient en coût direct au kilogramme de levure fraîche de panification Springer, annexée aux observations formulées par les sociétés du groupe Lesaffre en réplique à la notification des griefs ; que les sociétés du groupe Lesaffre et la société Gist-Brocades ont formé un recours contre cette décision et que le ministre de l'économie, des finances et du budget a formé un recours incident ; que la cour d'appel de Paris a confirmé la décision du Conseil de la concurrence, et, y ajoutant, a condamné la société SIL-Fala à une sanction pécuniaire et ordonné la publication d'un communiqué concernant sa décision dans les journaux ;

Attendu que la société Gist-Brocades fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours d'annulation de la décision n° 88-DSA-03, modifiée par la décision n° 88-DSA-13, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le Conseil de la concurrence étant une autorité administrative indépendante, le recours en annulation ou en réformation contre ses décisions ou celles de son président obéit aux règles du contentieux administratif, encore que la cour d'appel de Paris ait compétence exclusive pour connaître d'un tel recours ; qu'en vertu de la théorie administrative des opérations complexes le requérant qui attaque une décision administrative finale est fondé à se prévaloir de l'illégalité des décisions antérieures qui l'ont conditionnée, quand bien même il n'aurait pas attaqué ces dernières et ne serait plus dans les délais utiles pour le faire ; qu'ainsi, en déclarant Gist-Brocades irrecevable à invoquer la nullité pour vice de procédure de la décision du président du Conseil de la concurrence n° 88-DSA-07 en date du 1er juillet 1988, laquelle présentait le caractère d'un acte administratif, bien qu'ayant formé un recours dans les délais utiles contre la décision finalement rendue au fond par le Conseil de la concurrence, le 22 mars 1989, Gist-Brocades fut par là même, ispo facto, recevable à se prévaloir, à l'appui de son recours, des vices de procédure qui entachaient les décisions du président du Conseil de la concurrence, notamment la décision n° 88-DSA-07, ayant préparé cette décision au fond, la cour d'appel a violé par fausse interprétation les articles 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en sa rédaction issue de la loi du 6 juillet 1987, et 23 de ladite ordonnance; et alors, d'autre part, et en tout état de cause, que les décisions du président du Conseil de la concurrence n° 88-DSA-07 et n° 88-DSA-13 se présentant comme des décisions modificatives de la décision n° 88-DSA-03, formaient avec cette dernière un ensemble indivisible, en sorte que le recours formé contre l'une quelconque de ces décisions par Gist-Brocades devait permettre à cette société de critiquer les autres par voie de conséquence ; qu'ainsi la cour d'appel a derechef violé par fausse interprétation les articles 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en sa rédaction issue de la loi du 6 juillet 1987, et 23 de ladite ordonnance ;

Mais attendu que la cour d'appel, dès lors qu'elle était compétente, a fait à bon droit application des règles du nouveau Code de procédure civile après avoir retenu que, modifiant la décision initiale n° 88-DSA-03 en augmentant chaque fois la liste des pièces retirées du dossier, les décisions distinctes devant faire, en conséquence, l'objet de recours distincts, a constaté que le recours déposé le 10 avril 1989 au greffe de la cour d'appel par la société Gist-Brocades n'était formé qu'à l'encontre de la décision n° 88-DSA-03 du 14 avril 1988, modifiée par la décision n° 88-DSA-13 du 1er septembre 1988 ; et qu'elle a pu décider que le recours ne visait pas la décision n° 88-DSA-07 du 1er juillet 1988 qui n'était d'ailleurs pas jointe ; que le moyen n'est pas fondé en ses première et deuxième branches ;

Sur le premier moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième branches, du pourvoi n° 89-21.462 ainsi que sur les deuxième et troisième moyens, pris en leurs différentes branches du pourvoi n° 89-21.518 : - Attendu que la société Gist-Brocades fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté le recours en annulation contre la décision du président du Conseil de la concurrence, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en validant la décision n° 88-DSA-07 par laquelle le président du Conseil de la concurrence avait ordonné, parallèlement au retrait du dossier et du rapport administratif des pièces relatives aux activités de Lesaffre et touchant au secret des affaires, le retrait de pièces analogues concernant Gist-Brocades, bien que ces pièces fussent indispensables au bon déroulement de la procédure et à l'exercice de ses droits par Gist-Brocades, qui les avait initialement produites afin d'assurer sa défense et n'avait à aucun moment été consultée sur la légalité ou sur l'opportunité de leur retrait, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, que Gist-Brocades n'étant pas en mesure, sans méconnaître l'autorité de la chose décidée attachée à la décision n° 88-DSA-07 du président du Conseil de la concurrence, de renoncer à la prétendue protection que cette décision lui aurait accordée en ordonnant le retrait de certaines pièces du dossier et du rapport administratif, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 19 du décret du 19 octobre 1987, selon lequel les décisions du président du Conseil de la concurrence refusant la communication de pièces touchant au secret des affaires ne peuvent être frappées de recours qu'avec la décision rendue par le Conseil de la concurrence sur le fond ; alors, en outre et en toute hypothèse, que la renonciation à un droit ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer et ne saurait en particulier s'induire d'un simple comportement passif ; qu'en se bornant à relever que Gist-Brocades s'était abstenue de produire elle-même les informations la concernant dont le président du Conseil de la concurrence avait, par sa décision n° 88-DSA-07 du 1er juillet 1988, ordonné le retrait du dossier et du rapport administratif, pour en conclure que cette société, qui n'avait pourtant cessé, à tous les stades de la procédure, de contester cette décision, avait perdu le droit de se prévaloir de l'atteinte portée à la procédure et à l'exercice de ses droits par ladite décision, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1315 du Code civil ; alors, de surplus, qu'en omettant totalement de rechercher si, comme Gist-Brocades l'y avait pourtant invitée dans les écritures qu'elle avait déposées à l'appui de son recours, le président du Conseil de la concurrence n'avait rompu l'égalité entre les parties, en ordonnant, par sa décision n° 88-DSA-07, à la seule demande de Lesaffre, formée postérieurement à la clôture de l'instruction, mais à un moment où Gist-Brocades à la différence de Lesaffre et de l'administration, n'avait pas été en mesure de prendre connaissance du dossier ainsi que du rapport administratif, le retrait de ceux-ci non seulement de pièces analogues relatives aux propres activités de Gist-Brocades et que cette dernière avait volontairement produites pour sa défense, la cour d'appel n'a pas répondu aux écritures de Gist-Brocades, violant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, de surcroît, qu'en ne recherchant pas si, comme Gist-Brocades l'y avait pourtant invitée dans les écritures qu'elle avait déposées à l'appui de son recours, le président du Conseil de la concurrence n'avait pas rompu l'égalité entre les parties, en ordonnant, par sa décision n° 88-DSA-13, à la seule demande de Lesaffre, formée postérieurement à la clôture de l' instruction, mais à un moment où Gist-Brocades, contrairement à Lesaffre et l'administration, n'avait aucunement été en mesure de prendre connaissance du dossier ainsi que du rapport administratif, le retrait de pièces figurant dans ceux-ci et concernant Lesaffre, peu important à cet égard qu'il n'existait pas de document équivalent pour Gist-Brocades, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, encore, que Gist-Brocades avait soutenu que la décision n° 88-DSA-13 méconnaissait les droits de la défense, dans ses écritures que la cour d'appel a dénaturées, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ; alors, de plus, qu'en admettant, en dehors de toute disposition légale ou réglementaire le prévoyant, que les décisions prises par le président du Conseil de la concurrence sur le fondement de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 seraient soustraites au principe général de la contradiction, la cour d'appel a violé ce texte par fausse interprétation et l'article 18 de l'ordonnance, selon lequel non seulement la procédure, mais aussi l'instruction devant le Conseil de la concurrence sont pleinement contradictoires, par refus d'application ; alors, encore, qu'en omettant de répondre au moyen de Gist-Brocades, selon lequel le président du Conseil de la concurrence, en modifiant à deux reprises sa décision n° 88-DSA-03 du 14 avril 1988 à la demande unilatérale de Lesaffre, avait permis à ce groupe d'exercer un recours contre cette décision indépendamment de celle rendue par le Conseil de la concurrence au fond, au mépris des dispositions de l'article 19 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, qu'en reconnaissant au président du Conseil de la concurrence le pouvoir de modifier à deux reprises sa décision n° 88-DSA-03 du 14 avril 1988 à la demande unilatérale de Lesaffre, ce qui revenait en réalité à permettre à ce groupe d'exercer un recours contre cette décision indépendamment de celle rendue par le Conseil de la concurrence au fond, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 19 du décret du 19 octobre 1987, selon lequel les décisions du président du Conseil de la concurrence refusant la communication de pièces touchant au secret des affaires ne peuvent être frappées de recours qu'avec la décision rendue par le Conseil de la concurrence sur le fond ;

Mais attendu que l'arrêt a retenu à bon droit que la finalité des dispositions de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 exclut tout débat contradictoire devant le président du Conseil de la concurrence qui doit statuer en fonction des seules observations de la partie qui l'a saisi ; qu'il a fait ressortir que la partie qui lui présentait des observations n'exerçait pas un recours au sens de l'article 19 du décret du 19 octobre 1987 ; qu'il a relevé que la société Gist-Brocades ne pouvait faire grief à la décision du 1er septembre 1988 (n° 88-DSA-13) d'avoir retiré du dossier un document joint aux observations présentées par les sociétés du groupe Lesaffre et leur appartenant ; qu'il a considéré que la société Gist-Brocades aurait pu produire elle-même au moins devant la cour, si elle l'avait jugé utile pour sa défense, les pièces écartées par la décision du 1er juillet 1988 (n° 88-DSA-07) la concernant ; qu'il a constaté que le Conseil de la concurrence n'avait pu connaître les pièces retirées et n'avait fondé sa décision que sur des documents contradictoirement débattus ; que la cour d'appel, répondant aux conclusions invoquées n'a ainsi ni méconnu le principe du contradictoire ni celui de l'égalité des parties et des droits de la défense et qu'elle a légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ; que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches, du pourvoi n° 89-21.518 et sur le deuxième moyen, les première, troisième et quatrième branches du quatrième moyen, les première et quatrième branches du cinquième moyen et le sixième moyen du pourvoi n° 89-21.462 : - Attendu que la société Gist-Brocades fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté le recours en réformation de la décision n° 88-DSA-08 du Conseil de la concurrence en date du 22 mars 1989 qui a considéré qu'il y avait eu une entente tacite entre les sociétés du groupe Lesaffre et la société Gist-Brocades portant atteinte à la concurrence, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la constatation d'un parallélisme de comportement ne permet d'établir ou même de présumer l'existence d'une action concertée qu'à la condition que ce parallélisme ne puisse s'expliquer par des considérations autres qu'une entente tacite, telles, par exemple, l'intérêt individuel de chacune des entreprises considérées à mettre en œuvre le comportement observé indépendamment de ce que faisaient les autres entreprises ou encore les conditions de fonctionnement du marché ; qu'en se bornant à relever un parallélisme des comportements quant aux prix entre Lesaffre et Gist-Brocades sans rechercher si, en alignant ses prix départ-usine sur ceux de son concurrent, dans un marché caractérisé par un duopole asymétrique où elle jouait le rôle de l'entreprise faible avec environ 30 p. 100 du marché seulement, Gist-Brocades n'avait pas suivi la seule politique commerciale possible, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix ; alors, d'autre part, qu'en ne répondant pas au moyen de Gist-Brocades, selon lequel l'identité de prix départ-usine ne devait pas dissimuler une réelle différence entre les prix effectivement pratiqués à l'égard des négociants, révélatrice d'une vive concurrence entre les fabricants de levure fraîche de panification, la cour d' appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, et alors, enfin, qu'en délaissant les écritures de Gist-Brocades, lesquelles démontraient amplement que les pratiques de dumping des industriels allemands et italiens de levure fraîche de panification, et ni une entente entre cette dernière et Lesaffre, expliquaient les comportements parallèles de ces derniers quant au prix, la cour d'appel a derechef violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que les sociétés du groupe Lesaffre reprochent à l'arrêt de les avoir condamnées pour pratiques anticoncurrentielles concernant le prix des levures départ-usine aux négociants, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en se fondant alternativement ou simultanément sur le parallélisme des comportements ou sur l'existence d'une entente formalisée, la cour a laissé incertain le véritable fondement de la condamnation et n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juillet 1945 et de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, qu'en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions tirées de ce que les notes de M. Reiss, comme d'ailleurs les procès-verbaux, ne faisaient état que d'une réaction à la pénétration allemande et ne concernaient pas la définition des prix départ-usine ici incriminée, que, en outre, les notes abordaient divers points essentiels qui n'apparaissaient pas dans le procès-verbal de la séance du 16 octobre 1985, ce qui démontrait qu'elles ne constituaient pas un compte rendu de cette séance ; alors, en outre, que le motif tiré de la décision du 22 janvier 1988 concernant l'élargissement de l'éventail de prix n'est pas de nature à révéler une pratique anticoncurrentielle au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; alors, au surplus, en violation de l'article 7, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, la cour s'est fondée sur un élément qui n'était pas dans le débat, les interventions à l'assemblée générale des négociants de mai 1984 n'ayant pas été retenues par le Conseil de la concurrence, ni même invoquées par le ministre de l'économie, des finances et du budget devant la cour d'appel ; alors, de surcroît, qu'en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions tirées de ce qu'il existait entre les importateurs et la société Gist-Brocades deux différences essentielles, concernant leurs coûts et les risques encourus ; alors, enfin, que, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, elle n'a pas répondu aux conclusions tirées des risques de riposte et de baisse des profits que la société Gist-Brocades aurait encourus si elle avait baissé ses prix, ni à celles qui démontraient l'absence générale d'incertitude sur le marché compte tenu du faible nombre de firmes, de la stabilité de la demande, de la similarité et de l'homogénéité des produits, de l'identité des coûts, de la transparence et de la rapidité de la circulation de l'information entre négociants et fabricants, ce qui suffisait à expliquer des comportements identiques ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt a constaté que les sociétés du groupe Lesaffre et la société Gist-Brocades avaient appliqué aux négociants, au cours des années précédentes, des prix départ-usine semblables ou variant d'un centime et que les augmentations de prix qu'elles avaient décidées avaient toujours pris effet le même jour , qu'il a relevé que, loin de déterminer leurs politiques de prix respectives de manière autonome, ces sociétés, réunies notamment à l'occasion de séances de la chambre syndicale des fabricants de levure de France, ont été conduites à définir ensemble une stratégie commune à l'égard des négociants, qu'en particulier il résultait des notes pouvant être tenues comme le compte rendu officieux de décisions prises par les fabricants lors de la séance du 16 octobre 1985 dont le procès-verbal officiel a été censuré au moins partiellement, qu'à propos des importations à bon prix en provenance d'Italie et d'Allemagne " un large échange de vues a eu lieu sur les moyens à mettre en œuvre pour remédier à la situation qui pourrait ainsi se développer " et que " les fabricants décident de rester fermes sur les prix tout en accordant certaines aides ponctuelles et limitées dans le temps aux négociants fidèles qui seraient concurrencés "; que le procès-verbal de la séance du 22 janvier 1986 indiquait que " les importateurs allemands exercent toujours une forte pression sur les prix... les fabricants estiment qu'ils peuvent, de ce fait, être amenés à élargir l'éventail de leurs prix selon la destination de la levure, ce qui est un abandon de l'usage des prix départ-usine sensiblement identique " ; que par ces seuls motifs la cour d'appel, répondant aux conclusions invoquées a retenu qu'il y avait eu concertation entre les fabricants ayant pour objet de faire échec à toute baisse de prix émanant des négociants ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt a retenu qu'il était constant que l'augmentation de la part de marché occupée par les importateurs était due au fait que les levures étrangères étaient proposées aux négociants à des prix inférieurs à ceux pratiqués par les sociétés en cause ; que, par ailleurs, l'existence d'une concertation pour lutter contre la pénétration de ces levures en conservant des avantages à certains négociants impliquait une certaine élasticité de la demande du produit par rapport au prix et qu'il s'ensuivait qu'il était inexact de prétendre, alors qu'aucune preuve d'aide d'Etats ou de dumping n'était apportée, que la concurrence sur le marché ne pourrait s'exercer que par d'autres facteurs que les prix ; qu'enfin la " grande transparence " alléguée par les fabricants n'avait pas fait obstacle à l'action des importateurs pratiquant des prix plus compétitifs que ceux proposés par les sociétés du groupe Lesaffre et la société Gist-Brocades ; que la cour d'appel a ainsi répondu aux conclusions de ces sociétés, sur les pratiques des importateurs et sur l'impossibilité pour elles d'adopter une autre politique que celle qui a été consacrée ; qu'ainsi la cour d'appel a légalement justifié sa décision des chefs critiqués ; d'où il suit que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Sur le troisième moyen, la deuxième branche du quatrième moyen et la troisième branche du cinquième moyen du pourvoi n° 89-21.462 : - Attendu que les sociétés du groupe Lesaffre reprochent à l'arrêt de les avoir condamnées pour pratiques anticoncurrentielles concernant le prix des levures départ-usine fait aux négociants, alors selon le pourvoi, d'une part, que, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions tirées de ce que, selon l'ancienne commission de la concurrence, la logique du contrôle des prix pousse les entreprises à unifier leurs pratiques tarifaires et à accroître simultanément leurs prix au montant maximum, que, en l'espèce, les hausses étaient appliquées au maximum autorisé dès la première date possible, que la différenciation des dates d'annonces des hausses était inopérante dès lors que les entreprises étaient inéluctablement conduites à utiliser le maximum autorisé, et que le comportement des entreprises en 1986 s'expliquait par le fait qu'elles sortaient d'une très longue période de réglementation, et alors, d'autre part, que la cour ne pouvait apprécier l'usage des prix départ-usine sans répondre, conformément à l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, au moyen de la réglementation des prix ;

Mais attendu que l'arrêt retient que le dispositif mis en place jusqu'en 1986 par les pouvoirs publics pour encadrer l'évolution des prix n'obligeait pas les entreprises à appliquer dans leur intégralité les taux d'augmentation autorisés et n'impliquait pas qu'elles déterminent en commun leurs politiques des prix ; qu'il relève qu'en augmentant leurs tarifs, à la même date et de manière identique en 1986, alors que la prétendue contrainte réglementaire avait disparu, les entreprises en cause avaient montré que leur comportement antérieur n'était pas lié à l'existence de la réglementation administrative mais procédait de la stratégie qu'elles avaient volontairement adoptée en établissant " l'usage " relatif à leurs prix départ-usine ; que la cour d'appel a ainsi répondu aux conclusions dont elle était saisie ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le cinquième moyen, pris en ses deux branches du pourvoi n° 89-21.518 : - Attendu que la société Gist-Brocades fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours en réformation de la décision n° 89-D-08 du Conseil de la concurrence en date du 22 mars 1989, alors, selon le pourvoi qu'en se bornant à se référer à la décision du Conseil de la concurrence pour affirmer l'existence d'une action concertée entre Gist-Brocades et Lesaffre relative aux coûts de port avancé de la levure fraîche de panification la cour d'appel n'a pas motivé sa décision, violant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors qu'en ne recherchant pas si les pratiques incriminées avaient affecté la concurrence de manière sensible la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sur les prix ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel, après avoir relevé que les pratiques relatives au " coût du port avancé " avaient été exactement décrites et analysées par le Conseil de la concurrence, a retenu que ces pratiques ne pouvaient être sérieusement contestées ; qu'elle a ainsi motivé sa décision au vu des éléments de fait propres au litige qui lui était soumis ;

Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a retenu qu'il importait peu que l'effet des pratiques visées soit limité à certains départements puisqu'il suffisait qu'elles puissent avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence ; qu'elle a, par là même, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le septième moyen du pourvoi n° 89-21.462 pris en ses deux branches et sur le huitième moyen pris en sa deuxième branche : - Attendu que les sociétés du groupe Lesaffre font grief à l'arrêt d'avoir confirmé les sanctions pécuniaires prononcées par le Conseil de la concurrence contre elles tout en infligeant à l'une de celles-ci, la société SIL-Fala, une sanction complémentaire de 20 000 F, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction, qu'en effet elle ne pouvait tout à la fois condamner pour ce fait la société SIL-Fala, déclarée seule responsable, et confirmer le montant des condamnations prononcées contre les sociétés dont la responsabilité, retenue à tort par le conseil, se trouvait désormais écartée ; alors, d'autre part, que, pour les mêmes raisons, la cour d'appel a violé l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, enfin, que, en déclarant que la cour d'appel a confirmé la décision du Conseil de la concurrence, le communiqué publié dans deux journaux est en contradiction avec les motifs de l'arrêt qui énoncent, à la différence du Conseil de la concurrence, que les pressions ont été exercées sur un transporteur non par les trois sociétés du groupe Lesaffre, mais seulement par la société SIL-Fala, condamnée par ailleurs pour ce fait, que par cette contradiction la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt qui a confirmé les sanctions pécuniaires prononcées, à divers titres, à l'encontre de toutes les sociétés du groupe Lesaffre a relevé que le Conseil de la concurrence avait établi que la société SIL-Fala ainsi que les négociants appartenant au syndicat Rhône-Alpes et ce syndicat avaient exercé des pressions pour entraîner l'action de la société distributrice de levure italienne dans la région Rhône-Alpes et que les sociétés du groupe Lesaffre avaient fait valoir à juste titre que seule cette société SIL-Fala était impliquée dans ces pratiques ; que la cour d'appel a pu ainsi, sans contradiction et sans violer les textes susvisés, décider qu'il convenait de prononcer une sanction pécuniaire spécifique à l'encontre de la société SIL-Fala ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le huitième moyen du pourvoi n° 89-21.462 pris en sa première branche : - Attendu que les sociétés du groupe Lesaffre reprochent à la cour d'appel d'avoir ordonné la publication dans deux journaux d'un communiqué concernant les dispositions de l'arrêt attaqué, alors, selon le pourvoi, que l'article 13, alinéa 4, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne prévoit la publication dans les journaux que pour les décisions du Conseil de la concurrence et que son article 15 ne prescrit la publication des décisions de la cour d'appel que dans le Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a retenu qu'il était légitime que les professionnels avisés du recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence aient également connaissance de la décision de la cour d'appel, n'a pas excédé son pouvoir en ordonnant la publication d'un communiqué dans des journaux ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° S 89-21.462 : Attendu que les sociétés du groupe Lesaffre font grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable le recours incident du ministre de l'économie, des finances et du budget, alors, selon le pourvoi, que dans ce recours le ministre s'était borné à demander le relèvement des sanctions pécuniaires infligées par le Conseil de la concurrence sans énoncer les raisons qu'il avait de contester la décision du conseil et que la cour d'appel a donc violé les dispositions des articles 2 et 6 du décret du 19 octobre 1987 qui imposaient qu'en l'espèce le recours incident soit motivé ;

Mais attendu que l'arrêt a énoncé que le recours incident du ministre qui précisait le montant des sanctions pécuniaires dont le prononcé était demandé exposait que la multiplicité comme la gravité des pratiques anticoncurrentielles qui avaient été constatées méritaient une sanction d'autant plus significative que le marché présentait une structure de duopole, que de ce fait les pratiques mises en œuvre par les sociétés concernées n'avaient pu avoir qu'un effet particulièrement net sur le secteur économique concerné, que le caractère artificiel des prix pratiqués, comme la stratégie commune visant à juguler la concurrence étrangère, n'avaient d'autre but que de renforcer ce duopole au détriment du consommateur, et cela d'autant plus que les produits touchés étaient des produits sensibles comme le pain, que les sanctions infligées devaient présenter un caractère d'autant plus exemplaire que les sociétés ne pouvaient ignorer les conséquences économiques de leurs actions concertées ; que la cour d'appel qui a ainsi établi ce recours, qui énonçait clairement les raisons pour lesquelles, tout en approuvant la position de principe adoptée par le Conseil de la concurrence, le ministre demandait sa réformation, était motivée au sens des dispositions du décret du 19 octobre 1987 et dès lors a déclaré ce recours recevable ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs: rejette les pourvois.