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Décisions

Cass. com., 10 octobre 2000, n° 99-30.087

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Eurovia (SA), Eurovia Champagne Ardenne Lorraine (SNC), Entreprise Jean Lefèbvre Est (SA)

Défendeur :

Directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

SCP Vier, Barthélémy, SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Ricard.

TGI Bar-le Duc, prés., du 26 janv. 1999

26 janvier 1999

LA COUR : - Joint les pourvois n° 99-30.087, n° 99-30.088 et n° 99-30.089, qui attaquent la même ordonnance ;

Attendu que, par ordonnance du 26 janvier 1999, le président du Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc a, en vertu de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, autorisé des agents de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes à effectuer une visite et des saisies de documents dans les locaux de huit entreprises, parmi lesquelles les sociétés Eurovia et Entreprise Jean Lefebvre Est, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles prohibées par les points 1, 2 et 4 de l'article 7 de l'ordonnance précitée dans le secteur des travaux publics soumis à appels d'offres dans le département de la Meuse, et a donné Commission rogatoire aux présidents des Tribunaux de grande instance de Thionville, Nancy et Verdun pour qu'ils contrôlent les opérations devant se dérouler dans le ressort de leur juridiction respective ;

Sur le troisième moyen du pourvoi n° 99-30.089, pris en ses deux branches, et sur le moyen unique commun aux pourvois n° 99-30.087 et n° Z 99-30.088, pris en ses deux branches, les moyens étant réunis :

Attendu que les sociétés Entreprise Jean Lefebvre Est, Eurovia et Eurovia Champagne Ardenne Lorraine font grief à l'ordonnance d'avoir ainsi statué, alors, selon les pourvois, d'une part, que le juge ne peut autoriser des perquisitions sur le fondement d'une demande d'enquête ayant un objet général, de sorte que méconnaît l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 l'ordonnance autorisant des perquisitions sur le fondement d'une demande d'enquête "concernant les marchés relatifs au secteur des travaux publics et soumis à appel d'offres dans le département de la Meuse", demande qui ne comportait aucune limitation, ni dans le temps, ni dans l'espace, ni quant à l'objet et à la nature des marchés publics sur lesquels pouvaient porter les investigations ; alors, d'autre part, qu'en autorisant les agents enquêteurs à procéder à des mesures de perquisitions et saisies destinées à apporter la preuve de pratiques prohibées "à l'occasion de marchés publics dans le département de la Meuse", l'ordonnance attaquée, qui autorise ainsi les agents de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes à faire porter leurs recherches sur tout marché public, sans autre précision, passé à quelque époque et en quelque lieu de ce département, a violé encore le texte susvisé ; alors, en outre, que ne peuvent être légalement autorisées, en vertu de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que des visites et saisies justifiées par l'existence de présomptions sérieuses de pratiques anticoncurrentielles ; qu'il en résulte que l'autorisation donnée doit être déterminée avec précision dans son objet et spécifiquement limitée, à l'égard de l'entreprise concernée, à celles des présomptions sérieuses retenues à son encontre par le juge ; qu'en l'espèce, l'ordonnance entreprise a autorisé de manière générale, "l'ensemble des opérations de visite et de saisie de tous documents nécessaires à apporter la preuve des pratiques relatives au secteur des travaux publics telles qu'elles ont été mentionnées et énoncées dans notre ordonnance, à l'occasion de l'attribution de marchés publics dans le département de la Meuse", sans délimiter d'aucune manière l'étendue de ces mesures à l'égard de la société Eurovia ; qu'elle est, en conséquence, dépourvue de base légale au regard de l'article 48 de l'ordonnance susvisée du 1er décembre 1986 ; et alors, enfin, que tout jugement doit être motivé ; qu'en se bornant, en l'espèce, pour retenir des présomptions à l'encontre de la société Eurovia, à faire référence aux "faits qui viennent d'être relevés", aveu fait que le magistrat n'a pas repris de façon exhaustive les marchés ou lots pour la période considérée, et à relever que les entreprises qui ont leurs locaux hors du département de la Meuse -ce qui est le cas de la société Eurovia, dont l'établissement est situé dans le département de la Moselle - "semblent s'adapter" aux pratiques anticoncurrentielles des autres entreprises, le juge saisi n'a pas satisfait aux exigences de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ni à celles de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 exige seulement que la demande de visite domiciliaire s'inscrive dans le cadre d'une enquête demandée par le ministre de l'Economie ; qu'en visant la demande d'enquête du ministre, datée du 26 octobre 1998, concernant les marchés relatifs au secteur des travaux publics et soumis à appels d'offres dans le département de la Meuse, le président n'a pas méconnu les exigences de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu, en second lieu, que, contrairement à ce qui est allégué, le président, se référant, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, a relevé l'existence de présomptions d'agissements anticoncurrentiels dans le secteur des travaux publics, à l'occasion de marchés visés par la demande d'enquête, soit 27 marchés en 1996, 5 en 1997 et 17 en 1998, dont il a fourni une description détaillée ;

D'où il suit que les moyens, qui pour partie manquent en fait, ne sont pas fondés pour le surplus ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 99-30.089, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Entreprise Jean Lefebvre Est reproche à l'ordonnance d'avoir statué comme elle a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le juge ne peut autoriser des perquisitions qu'en se fondant sur des présomptions ressortant de l'analyse des pièces que lui a remises l'Administration, ce que seul leur visa préalable permet d'établir ; qu'en se fondant sur quatre pièces, en l'occurrence une lettre du 30 mars 1996 du SIVOM de Vaucouleurs adressée à la société BMV, un extrait du BOAMP du 29 juin 1996, un extrait des délibérations de la Commission permanente du Conseil général en sa séance du 7 mars 1997 et un extrait du BOAMP du 15 février 1998, dont il ne ressort d'aucune mention de l'ordonnance qu'elles figuraient aux dossiers remis par l'Administration, l'ordonnance a été prise en violation de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, d'autre part, que l'ordonnance fait état d'une réunion de la Commission des appels d'offres qui s'est tenue le 3 mai 1996 ; que, faute de préciser quelle pièce remise par l'Administration révélait l'existence et la teneur de cette réunion, l'ordonnance est privée de base légale au regard du même texte ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'ordonnance ne comporte pas la référence à un extrait du BOAMP du 29 juin 1996 invoquée au moyen ;

Attendu, en deuxième lieu, que l'ordonnance mentionne que c'est le procès-verbal des 28 mars et 4 avril 1996 qui fait état d'une lettre du 30 mars 1996 adressée à l'entreprise BMV, que l'extrait des délibérations de la Commission permanente du Conseil général figurait parmi les documents remis au titre du marché n° 9700043 passé par le Conseil général de la Meuse en 1997, que l'extrait du BOAMP du 25 février 1998 était annexé au rapport de M. Naudin, inspecteur de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, du 31 juillet 1998, et que c'est le procès-verbal d'ouverture des offres du 9 avril 1996 qui mentionne la réunion de la Commission du 3 mai 1996 ;

D'où il suit que le moyen, en chacune de ses branches, manque en fait ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 99-30.089 : - Attendu que la société Entreprise Jean Lefebvre Est fait le même reproche à l'ordonnance, alors, selon le pourvoi, que le président du tribunal de grande instance ne peut autoriser des perquisitions et saisies sur le fondement de pièces obtenues par l'Administration dans le cadre d'une enquête antérieure sans mentionner l'objet de celle-ci, ni s'expliquer sur les conditions dans lesquelles ces pièces ont été distraites de cette précédente enquête pour être présentées à l'appui de la demande de perquisitions, en sorte que l'ordonnance attaquée, qui se borne à énoncer que les procès-verbaux précités ont été établis dans le cadre d'enquêtes prévues par le titre IV de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qui ne précise pas l'objet de ces enquêtes auxquelles elle se réfère ainsi implicitement, pas plus qu'elle ne s'explique sur les conditions dans lesquelles l'Administration requérante avait obtenu communication de ces pièces, prive sa décision de base légale au regard des articles 46 et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu qu'en l'état de précisions visées au moyen, le président s'est assuré de l'origine licite des procès-verbaux qui lui étaient présentés par l'Administration au soutien de sa requête, sans être tenu pour ce faire de procéder à d'autres recherches ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le quatrième moyen du pourvoi n° 99-30.089 : - Attendu que la société Entreprise Jean Lefebvre Est fait enfin grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites litigieuses, alors, selon le pourvoi, que le choix de procéder à une perquisition dans un lieu plutôt que dans un autre ne peut relever de l'arbitraire ; que l'ordonnance attaquée, qui a décidé que les opérations de visite domiciliaire devraient se dérouler dans les locaux de certaines seulement des entreprises concernées, et en ne retenant, en outre, que certaines de celles qui avaient été attributaires des marchés analysés, sans nullement préciser ce qui permettait de justifier le choix de ces entreprises par rapport à d'autres, viole l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que le juge peut autoriser des visites et saisies en tous lieux, même privées, dès lors qu'il estime que des pièces et documents se rapportant aux agissements dont la preuve est recherchée sont susceptibles d'y être détenus ;que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois ;