Cass. crim., 14 décembre 1995, n° 94-85.912
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Culie
Rapporteur :
M. de Mordant
Avocat général :
M. Dintilhac
Avocat :
Me Foussard.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par L contre l'arrêt de la Cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 28 octobre 1994, qui, pour infraction aux articles 7 et 17 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'a condamné à 30 000 francs d'amende dont 15 000 avec sursis, a ordonné la publication de la décision, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ; - Sur l'unique moyen de cassation pris de la violation des articles 7 et 17 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, de l'article 121-4 du Code pénal, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné L sur le fondement des articles 7 et 17 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
" aux motifs qu'alors qu'il avait contact avec deux entreprises de déménagement, M. Lemaitre a reçu, d'un côté, un devis de l'entreprise Rabec s'élevant à 7 941,82 francs, de l'autre, deux devis, contenus dans une même enveloppe, émanant de la SARL Déménageurs Falaisiens et s'élevant à 9 146 francs et de la société Déménagements Vic Lagniel d'un montant de 9 512 francs, L étant le gérant de ces deux dernières sociétés ; que si L prétend que les deux devis ont été établis par références aux tarifs usuels pratiqués par chacune des deux sociétés, il est constant que le second devis a été remis à L, sans qu'il y ait eu demande de la part de M. Lemaitre, et que si les deux devis émanaient de deux entreprises juridiquement distinctes, donnant ainsi au contractant l'illusion d'une concurrence entre elles, M. Lemaitre ne disposait d'aucun élément pour savoir qu'ils émanaient en réalité de deux entreprises unies entre elles en la personne de leur gérant ; qu'au surplus, la rédaction même des devis n'établit aucunement les critères en fonction desquels ils ont été établis ; qu'il ne peut être sérieusement soutenu qu'il existait une concurrence entre les deux sociétés, dont L était le gérant, alors qu'agissant hors la connaissance de son client potentiel, il se ménageait à l'insu de ce dernier la possibilité d'orienter son choix en fonction des plans de charge de telle ou telle de ses sociétés ;
" alors que, premièrement, une entente, fût-elle constatée, entre deux sociétés d'un même groupe ne constitue pas une entente illicite, sans que n'ait été constatée une entrave à la concurrence ; qu'en retenant que les deux sociétés de déménagement dirigées par L ont proposé deux devis à des prix différents, mais néanmoins supérieurs au devis de la société "les déménagements Rabec", la cour d'appel a nécessairement constaté que le libre jeu de la concurrence n'était pas affecté sur le marché concerné ; qu'en retenant pourtant L dans les liens de la prévention, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" alors que, deuxièmement, aucun texte relatif à la réglementation de la concurrence n'interdit à deux sociétés ayant le même dirigeant de proposer leurs services, à des tarifs différents, à un même client potentiel, même si ce dernier ne s'est adressé qu'à une seule de ces sociétés ; qu'en décidant que L aurait participé à une entente illicite en faisant naître l'illusion d'une concurrence aux yeux de M. Lemaitre, ce dernier n'ayant sollicité qu'une seule des deux sociétés litigieuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés, puisqu'elle a mis en évidence que M. Lemaitre était en mesure de sonder librement le marché concerné ;
" et alors que, troisièmement, et en toute hypothèse, la tentative, en matière de concurrence déloyale, n'est pas punissable ; qu'en retenant L dans les liens de la prévention, bien qu'aucune atteinte effective à la concurrence n'ait été constatée, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que, pour obtenir la prise en charge de ses frais de déménagement, un militaire en instance de changement d'affectation a sollicité un devis de deux entreprises différentes ; que la première d'entre elles lui a adressé un devis de moins de 8 000 francs, tandis que la seconde, dirigée par L, lui a fait parvenir, sous le même pli, deux devis d'un montant différent mais supérieur à 9 000 francs, établis sous des enseignes commerciales distinctes ; que L a été poursuivi devant la juridiction correctionnelle, sur le fondement des articles 7 et 17 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, pour pratiques de nature à fausser le jeu de la concurrence sur le marché des transports ;
Attendu que, pour le déclarer coupable de ce chef, les juges du fond, après avoir rappelé que le statut des militaires prévoyait le remboursement des frais de déménagement engagés sur la base du prix le plus bas de deux devis émanant d'entreprises différentes, relèvent que L, pour tenter d'emporter le marché aux meilleures conditions, avait pris l'initiative d'adresser sous le même pli, non pas le seul devis qu'on lui avait demandé, mais les deux devis exigés par la réglementation ; qu'ils ajoutent que ces documents avaient été établis à l'en-tête de deux sociétés distinctes que le prévenu dirigeait pour simuler une concurrence qui n'existait pas;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, et dès lors que l'envoi d'un devis de "couverture", en rendant inutile tout autre appel d'offres à un concurrent, était non seulement de nature à entraver le libre jeu de la concurrence, mais encore susceptible de provoquer une hausse artificielle des prix, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.