CA Paris, 1re ch. A, 27 juin 1990, n° 90-12365
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Association INTERNIP, Aissa, Alaguillaume, Auboyneau, Bennatan, Bodoukian, Carre, Cisislott, Citrini, Cohen-Solal, Courreau, Dupre, Giraud, Grosso, Hank, Hassan, Hazan, Huret, Kone, Krie, Landois, Landzberg, Le Calvez, Louis, Micaell, Moatti, More, Morse, Moulines, Navello, Queyrel, Ramel, Real Del Sarte, Renouard, Richepin, Robieux, Sabbah, Smadja, Tronville, de Varine Bohan, Vasina, de Verchere, Voinchet
Défendeur :
Matif (SA), Martin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leonnet
Avocat général :
M. Jobard
Conseillers :
MM. Canivet, Bargue
Avoués :
SCP Gauzere & Lagourgue, SCP Taze-Bernard
Avocats :
Mes Meffre, Foirien.
LA COUR statue sur l'appel formé par l'Association de Défense des Intérêts des Négociateurs Individuels de Parquet sur le Matif, dite INTERNIP, et 43 de ses membres, contre une ordonnance de référé rendue le 13 juin 1990 par le Président du Tribunal de grande instance de Paris qui a rejeté les exceptions de nullité soulevées par la société Matif SA, défenderesse, et s'est déclaré incompétent au profit du Conseil de la concurrence pour connaître des demandes en référé formées contre cette société sur le fondement des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Pour l'exposé des faits et de la procédure de première instance, il est renvoyé à la décision entreprise, étant rappelés les éléments essentiels suivants :
Par application des dispositions de la loi du 29 mars 1885, modifiée par les lois des 11 juillet 1985, 31 décembre 1987 et 2 août 1989, a été crée et fonctionne le Marché à Terme International de France (Matif), placé sous l'autorité du Conseil des marchés à terme.
Conformément au règlement général du dit Conseil, approuvé par un arrêté ministériel du 8 mars 1990, la société Matif SA a été désignée comme organisme chargé du fonctionnement de ce marché.
Selon le même règlement, seuls sont admis à y produire des ordres, les personnes habilitées en qualité d'adhérents compensateurs, celles désignées par elles, soit en tant que négociateurs-courtiers (NEC), soit en tant que négociateurs individuels de parquet (NIP) et les teneurs (ou mainteneurs) de marché.
Les commissions d'émission perçues, pour l'année 1990, sur les divers contrats proposés notionnel, Pibor, Euro DM, CAC 40 et sucre blanc, différentes pour chacune des catégories d'opérateurs, ont été fixées par une lettre qui leur a été adressée par Matif SA le 29 mars 1990.
Toutefois par une autre lettre du 23 mai 1990, cette société a prévenu les NIE de nouvelles conditions tarifaires, mises en œuvre à compter du 1er juin 1990, sur les opérations par eux négociées et selon lesquelles, notamment, les commissions d'émission sont majorées de 2 à 4 F sur les contrats notionnels et réduites de 2 à 1 F sur les contrats Euro DM.
Prétendant que cette augmentation constitue une pratique anticoncurrentielle, les NIP, agissant individuellement et par leur organe professionnel ont, sur le fondement de l'article 809 alinéa 1 du NCPC, saisi le Président du Tribunal de grande instance de Paris qui a rendu la décision dont appel.
Réitérant leurs demandes initiales, les appelants concluent au rejet des moyens de nullité invoqués par leur adversaire et à l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle déclare les juridictions de l'ordre judiciaire incompétentes pour connaître d'actions fondées sur les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Ils prient la Cour d'ordonner, jusqu'à ce que le litige soit tranché au fond, que le taux des commissions versées par les NIP restera fixé conformément à la lettre du 29 mars 1990.
A cette fin, ils soutiennent que Matif SA, société de droit privé qui exerce le monopole de fait de la compensation sur tous les marchés à terme nationaux, en assurant cette fonction sur le Matif tout en contrôlant les organes de compensation des deux autres marchés à terme, celui des marchandises et l'OMF, a abusé de cette position ou de la situation de dépendance économique dans laquelle ils se trouvent à son égard, en doublant, sans préavis ni concertation le taux de la commission perçue sur les contrats notionnels sur lesquels porte la quasi totalité de leur activité.
Les appelants en déduisent que cette décision, indépendante de la mission d'organisation du marché assurée par la société intimée, est une modification unilatérale manifestement illicite des dispositions contractuelles qui les lient et que, visant à les écarter du marché de la négociation, elle leur fait craindre un dommage imminent justifiant que soient ordonnées les mesures qu'ils sollicitent.
Matif SA, qui reprend les moyens de nullité soulevés en première instance conclut encore, à titre principal, à l'incompétence du juge des référés pour prononcer des mesures conservatoires destinées à faire cesser des pratiques anticoncurrentielles lesquelles ne peuvent, selon elle, être prises que par le Conseil de la concurrence, conformément à la procédure prévue par l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1988.
A titre subsidiaire, la société intimée fait valoir qu'il n'existe ni marché de la compensation ni marché de la négociation au sens du droit de la concurrence mais, un marché à terme de produits financiers dont le fonctionnement est réglé par les lois et règlements précités qui lui confèrent mission d'organiser la cotation et la négociation et d'en assurer la compensation ; que c'est dans les cadre de cette mission qu'elle fixe le montant des commissions applicables aux différents intervenants sur ce marché.
Elle précise que la majoration critiquée a été décidée afin d'éviter que les NIP, dont le rôle est d'assurer la fluidité de l'ensemble des produits du marché, ne concentrent leurs opérations sur le seul contrat notionnel.
SUR QUOI, LA COUR
Considérant que les moyens de nullité tirés de l'inobservation, tant dans l'acte introductif d'instance que dans l'assignation à jour fixe en cause d'appel, des formalités de l'article 648 du NCPC, quant aux indications nécessaires à l'identification des requérants, ne causent, s'agissant de vices de forme dont certains ont été régularisés en cours d'instance, aucun grief à l'intimée qui possède nécessairement tous renseignements utiles sur les appelants dont elle a agrée l'intervention sur le Matif.
Considérant qu'il est encore invoqué qu'un avocat dont le nom figure sur l'acte introductif d'instance, n'avait pas encore, à la date où il a été délivré, été admis au stage ; qu'il ne peut en être tiré aucun moyen de nullité dès lors que l'assignation mentionne également le nom de l'actuel conseil des appelants dont l'aptitude à représenter ou assister les parties n'est pas contestée
Considérant que si les dispositions des articles 11 et suivants de l'ordonnance du 1er décembre 1986 permettent de saisir le conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles pour faire prononcer les sanctions prévues par l'article 13, il n'en résulte pas pour autant que les litiges entre parties fondés sur les articles 7 et 8 de ce texte échappent aux juridictions de droit commun, seules compétentes pour statuer sur toutes autres demandes et notamment pour annuler, par application de son article 9, les conventions prohibées.
Considérant, en outre, que la procédure particulière prévue par l'article 12 de l'ordonnance autorisant, dans certaines conditions, le Conseil de la concurrence, saisi selon les modalités susvisées, à prendre des mesures conservatoires, ne fait pas obstacle aux pouvoirs généraux que le juge des référés tient des articles 808 et 809, 872 et 873 du NCPC; qu'il s'ensuit que, sur ce point, la décision dont appel doit être infirmée.
Considérant que <stong>l'affirmation du principe de la compétence du juge des référés pour connaître dans le cadre des dispositions de l'article 809 al 1er du NCPC des mesures conservatoires susceptibles d'être prises pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, suppose, non seulement que soit démontrée l'existence d'une exploitation abusive de position dominante au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, mais encore que la pratique dénoncée ne procède pas de l'application d'un texte légal ou réglementaire.
Considérant, en effet que les articles 7 et 8 sont indissociables de l'article 10 de l'ordonnance qui dispose que ne sont pas soumises à leurs dispositions les pratiques qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application.
Considérant que le règlement général, pris par application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1987, confère à Matif SA (art. 1.3.0.1) la responsabilité technique du fonctionnement du Matif ; qu'à cette fin, il est notamment chargé d'organiser la confrontation des offres et des demandes et d'établir le règlement de la négociation qu elle soumet pour approbation au Conseil des marchés à terme ;
Qu'elle assure également la fonction de chambre de compensation, telle que prévue par l'article 8 de la loi précitée et définie par l'article 1.3.0.2 du règlement général ;
Considérant que la fixation du montant des commissions d'émission perçues pour chaque achat ou vente de contrat procède de l'exercice de ces missions dont elle est indissociable, a fortiori lorsque, comme le soutient l'intimée, les taux différenciés qu'elle impose aux NIP ont pour objet de les inciter à mieux répartir leurs opérations sur l'ensemble des produits disponibles sur le Matif ;
Considérant que le Ministre chargé de l'économie estime également dans ses observations que si la position dominante de Matif SA n'est pas contestable, elle est cependant légale puisqu'elle s'inscrit dans les dispositions de la loi du 31 décembre 1987 qui règle le fonctionnement de ce marché ;
Considérant qu'en l'état de ces constatations il apparaît qu'il ne peut y avoir lieu à référé ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté le exceptions de nullité soulevées par la société Matif SA, L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau, Rejette les exceptions de nullité relatives aux actes de la procédure d'appel, Rejette l'exception d'incompétence, Vu les articles 7, 8 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. dit n'y avoir lieu à référé, Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Condamne les appelants aux entiers dépens de première instance et d'appel et admet la SCP Taze-Bernard, Belfayol et Broquet, titulaire d' un office d'Avoué à la Cour, au bénéfice de l'article 700 du NCPC.