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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 8 février 2000, n° ECOC0000061X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Établissement Aéroports de Paris

Défendeur :

Association du parc hôtelier de la périphérie de l'aéroport de Paris-Roissy-Charles-de-Gaulle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Conseillers :

Mme Bregeon, M. Sommy

Avoués :

Me Hardouin-Herscovici, SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet

Avocats :

Mes Calvet, Pech de Laclause.

CA Paris n° ECOC0000061X

8 février 2000

L'Association du parc hôtelier de la périphérie de l'aéroport de Paris-Roissy-Charles-de-Gaulle (APHRAR) a saisi, par lettre du 22 mars 1996, le Conseil de la concurrence des pratiques mises en œuvre par Aéroports de Paris (ADP) sur le marché de l'activité hôtelière située sur la plate-forme et aux alentours de l'aéroport de Paris-Roissy-Charles-de-Gaulle.

L'APHRAR reprochait à ADP de lui avoir refusé l'accès dans l'aérogare à une signalisation permettant d'informer les clients des moyens de rejoindre leurs hôtels.

Par décision n° 98-D-77, le Conseil de la concurrence a jugé qu'ADP avait enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et lui a infligé, d'une part, une sanction pécuniaire de 500 000 F et d'autre part, lui a enjoint de faire des propositions à l'APHPAR de nature à répondre à sa demande de signalisation des points d'arrêts des navettes desservant les hôtels de la périphérie.

ADP a formé un recours contre cette décision du Conseil de la concurrence le 15 avril 1999, tendant :

- à titre principal, à l'annulation de la décision du Conseil de la concurrence aux motifs, d'une part que le Conseil n'est pas compétent pour connaître de la présente affaire, d'autre part, que la procédure suivie pour l'adoption de la décision est contraire à l'article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, enfin que la violation n'est pas établie ;

- à titre subsidiaire, à la réformation de la décision relative à la sanction prononcée du Conseil de la concurrence ;

Vu les observations écrites déposées le 27 mai 1999 par l'APHPAR, qui demande la confirmation de la décision du Conseil de la concurrence ;

Vu les observations écrites du ministre chargé de l'économie, déposées le 18 mai 1999, tendant à la confirmation de la décision du Conseil de la concurrence et au rejet du recours ;

Vu les observations du Conseil de la concurrence (le Conseil) en date du 18 mai 1999 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 14 juin 1999 par ADP ;

Le Ministère public ayant été entendu à l'audience du 24 juin 1999 en ses observations tendant à l'annulation de la décision déférée ;

Vu l'arrêt en date du 14 septembre 1999, par lequel la Cour a ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de s'expliquer sur l'accueil de l'éventuel moyen d'annulation fondé sur la méconnaissance du droit de disposer d'un procès équitable devant le Conseil de la concurrence, au regard de l'étendue de ses pouvoirs ;

Vu le mémoire déposé par ADP en date du 29 octobre 1999, qui soulève au préalable l'incompétence du Conseil pour connaître de la présente affaire et demande à la Cour, à titre principal, d'annuler la décision déférée et de dire qu'il n'y a pas lieu à effet dévolutif,et, à titre subsidiaire, de supprimer ou de réduire le montant de l'amende infligée ;

Vu les observations écrites de l'APHPAR déposées le 19 novembre 1999 demandant à la cour à titre principal de juger irrecevables les écritures d'ADP du 29 octobre 1999 et de confirmer la décision du Conseil de la concurrence, et subsidiairement de retenir le pouvoir de plein contentieux de la cour d'appel dans l'hypothèse d'une annulation ;

Vu le mémoire en duplique d'ADP en date du 26 novembre 1999 ;

Le Ministère public ayant été entendu en ses observations et le requérant ayant eu la possibilité de s'expliquer en dernier ;

Sur quoi, LA COUR ;

Sur les moyens de procédure,

Sur la recevabilité des écritures notifiées par ADP après la réouverture des débats :

Considérant que les parties ne s'étant pas expliquées sur la portée de l'annulation de la décision du Conseil de la concurrence sollicitée par le Ministère public, la réouverture des débats a été ordonnée par arrêt du 14 septembre 1999 ;

Considérant qu'ADP, dans son mémoire du 29 octobre 1999, a présenté ses observations, d'une part, sur la question posée par la cour, et d'autre part, sur l'incompétence du Conseil, question qu'ADP avait déjà soulevée dans son mémoire du 15 avril 1999 ;

Considérant que l'APHPAR fait valoir que les écritures notifiées par ADP après la réouverture des débats, relatives à la question de l'incompétence du Conseil, sont irrecevables, en l'absence d'une révocation de l'ordonnance de clôture au sens des articles 445, 442 et 784 du Nouveau code de procédure civile ;

Mais considérant que la procédure relative aux recours contre les décisions du Conseil de la concurrence exercés par la Cour d'appel de Paris est régie par le décret du 19 octobre 1987 ; que les dispositions des articles 442, 445 et 784 du nouveau Code de procédure civile sont inapplicables ;

Que, par suite, le moyen ne peut être accueilli ;

Sur la compétence du Conseil de la concurrence :

Considérant qu'aux termes de l'article 53 alinéa 1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ladite ordonnance s'applique à toutes les activités de production, de distribution et de service, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques ;

Considérant que les personnes publiques, dans le cadre de leur mission, ne relèvent pas de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans l'hypothèse de la mise en œuvre d'une prérogative de puissance publique ;

Considérant qu'ADP soutient qu'il est gestionnaire du domaine public, que l'activité en cause relève de cette gestion, que dès lors, dans le cadre de cette mission, seule la juridiction administrative est compétente pour connaître des actes de gestion du domaine public ;

Considérant que la mise à disposition de moyens de signalisation à des opérateurs privés afin d'informer les usagers potentiels de leur existence et de leur localisation à proximité de l'aéroport, contre redevance, constitue une activité économique ne relevant pas d'une prérogative de puissance publique;

Considérant qu'ADP, en octroyant des moyens de signalisation sur la plate-forme contre redevances aux hôtels du site, n'exerce pas dans le cadre de cette activité une mission de service public relevant de prérogatives de puissance publique, mais une activité de prestation de services à laquelle l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'applique;

Que le moyen tendant à l'incompétence du Conseil doit dès lors être rejeté;

Sur la présence du rapporteur et du rapporteur général au délibéré du Conseil de la concurrence et sur l'étendue des pouvoirs de la Cour d'appel de Paris dans l'hypothèse d'une annulation ;

Considérant que dans l'exercice de ses pouvoirs de sanction, le Conseil est tenu au respect des dispositions de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales;

Considérant qu'aux termes de l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'instruction et la procédure devant le Conseil sont pleinement contradictoires ;

Considérant qu'ADP soutient que la participation du rapporteur et du rapporteur général au délibéré du Conseil est contraire aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales comme violant le principe de l'égalité des armes, et fait valoir que la décision du Conseil est dès lors entachée de nullité ;

Considérant qu'ADP expose encore, qu'après avoir annulé une décision du Conseil, la Cour ne peut se saisir du fond de l'affaire au motif que cette faculté dénaturerait le pouvoir de réformation prévu par l'article 15, alinéa 1, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qu'elle méconnaîtrait la nature spécifique du recours, que cette pratique entraînerait un déséquilibre institutionnel et enfin, qu'une telle solution empêcherait que soient pleinement tirées les conséquences de l'annulation de la décision du Conseil pour violation de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales ;

Considérant que l'APHPAR soutient qu'en vertu de son pouvoir de contentieux de pleine juridiction, la Cour a le pouvoir, après avoir annulé la décision du Conseil de la concurrence, de se prononcer sur le fond ;

Mais considérant que la présence au délibéré du Conseil, d'une part, du rapporteur chargé de l'instruction et de la notification des griefs et, d'autre part, de celle du rapporteur général, dont la mission est d'animer et de contrôler l'activité des rapporteurs, a permis à ces derniers de s'exprimer sur l'affaire devant le Conseil, en l'absence des parties, de prendre des positions sur lesquelles celles-ci n'ont pas été en mesure de répondre, qu'une telle situation est contraire à l'article 6-1 de la Convention;

Que, prise dans ces conditions irrégulières, la décision doit être en conséquence annulée;

Considérant que la cour qui est, aux termes de l'article 15, alinéa 1, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, saisie d'un recours de pleine juridiction, a le pouvoir de se prononcer, après avoir annulé la décision du Conseil, sur les pratiques dont celui-ci était saisi, conformément à l'article 13 de ladite ordonnance;

Sur le fond

Sur la violation de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Sur la délimination du marché et sur la détention par ADP d'une position dominante sur le marché des installations aéroportuaires destinées à l'information des passagers ;

Considérant que le marché de référence se définit comme " le lieu théorique " où se confrontent l'offre et la demande de services qui sont considérées par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens ou services ;

Considérant que ADP réfute la délimitation " produit et géographique " du marché ainsi défini, aux motifs qu'ADP n'a pas la qualité d'offreur mais celle d'établissement public, d'une part, et que le marché local doit également englober les hôtels de la région parisienne ainsi que ceux situés dans Paris même, d'autre part ;

Considérant qu'ADP fait valoir enfin qu'il ne détient aucune position dominante ;

Considérant qu'ADP est le gestionnaire unique des infrastructures aéroportuaires de Roissy-Charles-de-Gaulle, qu'il détient le pouvoir de décision dans la gestion des infrastructures aéroportuaires, qu'il est ainsi le seul opérateur dispensant des offres de support d'information dans l'aéroport ;

Considérant que les hôtels de la plate-forme et la périphérie sont demandeurs d'installations aéroportuaires destinées à informer les passagers de leur existence et de leur localisation ;

Considérant qu'aucun support de signalisation destiné à l'information des passagers sur l'existence et la localisation des hôtels n'est substituable à ceux dont ADP est gestionnaire ; qu'en conséquence il existe bien un " marché-produit " de l'accès aux installations aéroportuaires destinées à l'information des passagers ;

Considérant que le temps de trajet, relativement court, entre l'aéroport les hôtels de la plate-forme de l'aérogare et ceux de la périphérie est un élément déterminant pour les passagers, que ce paramètre permet en conséquence de distinguer ces derniers hôtels de ceux de la région parisienne et de Paris ; qu'en conséquence le " marché géographique " doit être circonscrit à la zone aéroportuaire et à sa périphérie comprenant les hôtels de la plate-forme même et ceux situés à sa périphérie ;

Considérant qu'ADP est le seul opérateur dans cette zone ainsi délimitée, accordant l'accès aux supports de signalisation destinés à l'information des passagers de l'aéroport ;

Qu'il s'ensuit qu'ADP détient une position dominante sur ledit marché.

Sur l'abus de position dominante par ADP :

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le droit de la concurrence sanctionne l'abus ayant des effets anticoncurrentiels qu'une entreprise en position dominante sur un marché peut être amenée à commettre ;

Considérant que l'activité du marché de l'hôtellerie de la zone aéroportuaire et de sa périphérie est en étroite relation avec le marché de l'accès aux supports de signalisation destinés à l'information des passagers dès lors que la signalisation aéroportuaire constitue une publicité efficace pour les hôteliers dans la prospection de leurs clients, passagers de l'aéroport ;

Considérant qu'ADP, en position dominante sur le marché, soutient qu'il n'a commis aucun abus et que les éventuels effets anticoncurrentiels ne se produisent que sur le marché de l'hôtellerie où il n'est pas acteur ;

Considérant qu'ADP a toujours refusé, même contre paiement d'une redevance, l'accès à la signalisation aux hôteliers de la périphérie (APHPAR), alors qu'il l'accorde aux hôteliers de la plate-forme ;

Considérant qu'ADP retire des contrats de concessions conclus avec les hôteliers de la plate-forme un montant de redevance dépendant du chiffre d'affaires de ces hôtels, qu'ADP a dès lors un intérêt financier au travers des redevances qu'il perçoit à voir augmenter le chiffre d'affaires des hôtels de la plate-forme ;

Considérant que le refus opposé aux hôtels de la périphérie s'explique par la volonté d'ADP de laisser substituer l'avantage concurrentiel que les hôtels de la plate-forme ont acquis et de ne pas voir ses redevances diminuer; qu'en outre le Parc Disneyland, situé hors du champ d'activité des hôtels requérants, s'est vu accorder l'utilisation de panneau de signalisation ;

Considérant qu'un tel refus, de la part d'une entreprise en position dominante sur le marché, de l'accès aux supports de signalisation fausse le jeu de la concurrence sur le marché de l'hôtellerie et doit être qualifié d'abus de position dominante;

Que cette pratique est prohibée par l'article 8 de l'ordonnance de 1986.

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou chaque organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise de 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos " ;

Considérant qu'ADP est en position dominante de monopole sur le marché de l'accès aux infrastructures aéroportuaires destinées à l'information des passagers ; que les pratiques constituant à refuser l'accès aux hôteliers de la périphérie a occasionné une distorsion de concurrence sur le marché entre les hôtels de la plate-forme et ceux de la périphérie ; que cette prestation d'offre de support de signalisation, bien que non indispensable à l'activité hôtelière, est dans le cas d'espèce un servie non substituable et déterminant pour l'exercice de leur activité ; que dès lors, cette restriction de concurrence présente un caractère d'une suffisante gravité entravant l'équilibre concurrentiel du marché en cause ;

Considérant que pour apprécier le dommage causé à l'économie, il faut observer que seulement six hôtels sont sur la plate-forme et tendent à se répartir la clientèle des passagers de Roissy ;

Considérant enfin qu'ADP a réalisé en France, au cours du dernier exercice, versé aux débats, un chiffre d'affaires hors taxes de 7 199 100 650 F ;

Qu'en cet état il convient d'infliger à ADP une sanction pécuniaire de 500 000 F ;

Considérant en outre qu'il sera enjoint à ADP dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision de faire à l'APHPAR des propositions de nature à répondre à sa demande de signalisation des arrêts de navette desservant les hôtels de la périphérie,

Par ces motifs : Annule la décision du Conseil de la concurrence n° 98-D-77 du 15 décembre 1998 ; Statuant sur les pratiques reprochées : Dit qu'Aéroports de Paris (ADP) a enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Inflige à ADP une sanction pécuniaire de 500 000 F, Enjoint à ADP de formuler à APHPAR des propositions de nature à répondre à sa demande de signalisation des arrêts de navette desservant les hôtels de la périphérie dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision ; Condamne le requérant aux dépens.