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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 27 février 1991, n° ECOC9110028X

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Activités ambulancières associées et connexes (SARL), Ambulance Transports Aiglon (Sté)

Défendeur :

Ministre de l'Économie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Borra

Avocat général :

Mme Thin

Conseillers :

M. Collomp-Clerc, Mlle Aubert, Mme Simon, M. Launay

Avocats :

Mes Tronquit, Haddad

CA Paris n° ECOC9110028X

27 février 1991

LA COUR est saisie du recours " en annulation " et du recours " en réformation " respectivement formés par la société Activités ambulancières associées et connexes (AAAC) et par la société Ambulance Transports Aiglon (ATA) contre la décision n° 90-D-26 du Conseil de la concurrence qui, le 4 septembre 1990, a infligé des sanctions pécuniaires de 50 000 F à la première, de 40 000 F à la deuxième et de 30 000 F à une troisième société, Salon Ambulances.

Il convient de se reporter à cette décision pour l'exposé des faits constatés et leur analyse en en rappelant les éléments essentiels :

Saisi le 11 juillet 1989 par le ministre chargé de l'économie, le Conseil de la concurrence a examiné les pratiques suivies de 1985 à 1988 par les trois entreprises susnommées à l'occasion de l'appel d'offres lancé chaque année par le centre hospitalier général de Salon-de-Provence pour assurer les transports sanitaires dont il a la charge. Cet établissement s'adresse selon la procédure d'appel d'offres ouvert à des entreprises privées agréées pour conduire et ramener les malades ayant à subir des examens dans d'autres centres. Les offres des soumissionnaires consistent en des rabais sur les tarifs limites prévus par arrêté.

L'évolution de la concurrence observée sur ce marché a été la suivante :

En 1983, 1984 et 1985 les entreprises retenues ont proposé des rabais importants (Sanchez 25 p. 100, Deleyrolle 40 p. 100, Salon Ambulances 52 p. 100). Les rabais n'ont été que de 15 p. 100 en 1986, 1987 et 1988. Ces années-là les appels d'offres n'avaient suscité qu'une offre unique, présentée par l'Association des transports sanitaires d'urgence salonais (ATSUS) formée de trois membres : la société Deleyrolle, devenue AAAC, l'entreprise Thibault devenue ATA et la société Salon Ambulances. A partir de 1989 les rabais sont redevenus plus importants, après que l'offre de I'ATSUS eut été écartée au profit de celle de la société Ambulances Le Roucas qui proposait 25 p. 100 au lieu de 15 p. 100. En 1990 AAAC a été déclarée titulaire avec un rabais de 25 p. 100.

Durant la période où elle a été titulaire du marché, l'ATSUS s'est bornée à distribuer entre ses trois membres, à raison d'une semaine chacun, les transports dont elle était chargée.

Le Conseil de la concurrence a considéré que le groupement des trois sociétés membres de l'ATSUS, qui ne correspondait pas à une nécessité fonctionnelle, a été l'instrument d'une entente de prix et de répartition de marché ayant eu pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence lors des appels d'offres des années 1986, 1987 et 1988. Il a estimé qu'il y avait lieu d'appeler les entreprises qui se trouvent aux droits de celles qui se sont livrées aux pratiques incriminées, soit AAAC et ATA qui ont succédé respectivement à la société Ambulances Deleyrolle et à l'entreprise Ambulances Thibault.

La société ATA, appelante, se déclare étrangère aux faits reprochés dès lors qu'elle n'a acquis les actifs de l'entreprise Thibault que le 14 octobre 1988 en exécution du jugement du tribunal de commerce de Salon arrêtant le plan de cession de cette dernière. Elle conclut à la réformation de la décision en ce qui la concerne.

La société AAAC, appelante, conteste l'existence d'une entente illicite. Elle prétend que le marché impliquait un regroupement des moyens dont pouvait disposer chacune des trois sociétés concernées. Loin d'entraver le jeu de la concurrence, L'ATSUS, selon elle, l'a amélioré en permettant à ses membres d'accéder au marché tout en contribuant au progrès économique par un service de qualité accrue fourni au centre hospitalier général de Salon. Elle conclut à l'annulation de la décision déférée.

Dans ses observations écrites, le Conseil de la concurrence fait valoir que la société ATA, en reprenant tous les éléments d'actif de l'entreprise Thibault, qui avait participé à l'entente, a assuré la continuité fonctionnelle de celle-ci.

A l'audience, le représentant du ministre chargé de l'économie, commissaire du Gouvernement, a réfuté le moyen tiré par AAAC de la nécessité technique d'un regroupement des moyens et souligné le caractère anticoncurrentiel non seulement de l'objet de l'entente établie, mais des effets constatés de celle-ci. Quant au progrès économique qu'aurait apporté l'ATSUS, il observe qu'à supposer que l'hôpital ait été satisfait des prestations fournies et des rabais consentis, il n'est nullement établi que l'entente était le seul moyen d'obtenir ce résultat. Il répond à ATA que les pratiques dénoncées sont inséparables de la clientèle qu'elle a acquise de l'entreprise Thibault parmi les biens incorporels du fonds cédé.

Le ministère public a conclu à la confirmation de la décision. D'une part l'entente illicite lui paraît établie quant à son objet et quant à son effet. De l'autre l'implication d'ATA, société repreneuse de l'entreprise Thibault, lui paraît conforme à l'esprit de la loi du 25 janvier 1985 comme à celui du droit de la concurrence qui s'attache à rechercher l'entité responsable des agissements reprochés.

Sur quoi, LA COUR :

I. Sur l'entente :

Considérant qu'il ressort clairement des constatations du rapporteur reprises par le Conseil de la concurrence que les trois entreprises AAAC, Thibault et Salon Ambulances se sont groupées au sein d'une association dont elles étaient les seuls membres dans le but exclusif d'obtenir à chaque appel d'offres annuel lancé par l'hôpital de Salon-de-Provence le marché des transports de malades vers les centres extérieurs ;

Qu'en effet il n'est pas contesté que I'ATSUS n'a eu d'autre activité que de répondre par une proposition unique aux appels d'offres, puis de répartir à tour de rôle entre ses trois membres les transports qui lui étaient demandés, enfin d'en distribuer le prix à chacun au prorata des prestations effectuées ;

Que par elle-même cette organisation supprimait toute concurrence entre les trois entreprises ;

Qu'elle n'obéissait à aucun impératif technique ;

Que la nécessité, invoquée par AAAC, d'une concentration des moyens en véhicules, non seulement n'est pas démontrée mais est contredite par le fait que lorsque la société Roucas l'a emporté sur l'association elle a satisfait à ses obligations sans disposer d'un nombre de véhicules sensiblement différent de celui de chacun des membres de l'ATSUS;

Considérant qu'il est résulté en fait de cette situation que les rabais pratiqués n'ont jamais été plus faibles que pendant la durée de l'entente ;

Qu'il ne peut donc être sérieusement soutenu que la prestation fournie à l'hôpital l'a été au meilleur prix ;

Que par ailleurs l'amélioration prétendument apportée au service par la concentration alléguée des moyens en véhicules n'est pas réelle puisque chaque semaine, à tour de rôle, un seul des membres de l'ATSUS assurait avec ses propres moyens les transports demandés ;

Considérant qu'il s'ensuit que les pratiques suivies par les sociétés AAAC, Ambulances Salon et l'entreprise Thibault en 1986, 1987 et 1988 ont constitué une entente de prix et de répartition de marché ;

Qu'elles tombent sous le coup de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 pour celles qui sont antérieures à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et sous le coup de l'article 7 de ladite ordonnance pour celles qui lui sont postérieures ;

Que ces pratiques ne peuvent bénéficier des dispositions de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de celles de l'article 10, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que AAAC ne critique pas le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée et que la cour estime proportionnée la gravité de l'infraction et au dommage causé à l'économie ;

Que la décision concernant AAAC doit être confirmée ;

II. Sur la mise en cause de la société ATA

Considérant que si la SARL AAAC, qui gère depuis le 1er octobre 1987 l'entreprise Deleyrolle, conteste seulement le caractère anticoncurrentiel des faits auxquels elle ne nie pas avoir participé, en revanche la SARL ATA, constituée en juillet 1986, se défend d'avoir joué un rôle dans l'ATSUS et conteste toute participation à ces faits ;

Considérant que si une entreprise ayant participé à une entente illicite peut être sanctionnée indépendamment des modifications intervenues dans sa personnalité juridique, encore faut-il qu'elle subsiste dans ses éléments originaires ou qu'elle soit identifiée comme auteur des faits reprochés ;

Considérant qu'en l'espèce ATA a repris l'entreprise de M. Thibault, déclarée le 15 avril 1988 en règlement judiciaire, par l'effet d'un jugement du 14 octobre 1988 arrêtant le plan de cession ;

Que,contrairement au plan de continuation, le plan de cession réglementé par les articles 81 à 98 de la loi du 25 janvier 1985 constitue un mode de redressement par voie externe impliquant une dissociation entre l'entrepreneur et l'entreprise ;

Que ce plan aménage l'intervention d'un tiers auquel est cédé un ensemble d'éléments d'exploitation formant une ou plusieurs branches complètes et autonomes d'activités moyennant un prix destiné au paiement des créanciers de l'entreprise cédée ;

Quemême si le plan emporte la cession des emplois affectés aux ensembles vendus et de certains contrats que le tribunal détermine, l'entreprise cédée ne peut plus être considérée comme la continuation de l'entreprise initiale ;

Que c'est à la lumière de cette modification fondamentale qu'il convient de rechercher si la nouvelle entreprise a poursuivi l'activité de l'ancienne jusque dans ses aspects anticoncurrentiels ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que par l'effet de la cession M. Thibault est devenu étranger à la société ATA ;

Qu'en effet il ne figure pas parmi les porteurs de parts de cette dernière ni n'assure sa gestion ;

Qu'en outre la nouvelle entreprise n'a commencé à fonctionner que quelques semaines avant que l'entente ait cessé d'exister ;

Qu'il n'est pas démontré que le gérant ou les associés de ATA, aient participé volontairement à ladite entente ;

Que ATA ne saurait en conséquence être tenue d'une part de responsabilité à raison de l'adhésion de M. Thibault aux pratiques illicites qui ont été relevées ;

Considérant qu'il y a lieu, réformant la décision déférée, en ce qui concerne la société ATA, de mettre celle-ci hors de cause ;

Par ces motifs : Confirme la décision déférée en ce qu'elle a infligé les sanctions pécuniaires suivantes : 50 000 F à la SARL Activités ambulancières associées et connexes (AAAC) ; 30 000 F à la société Salon Ambulances ; La réforme pour le surplus, et statuant à nouveau : Met hors de cause la SARL Ambulances Transports Aiglon (ATA) ; Condamne la SARL AAAC aux dépens du recours.