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Décisions

Conseil Conc., 30 mai 1995, n° 95-D-39

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans le secteur de la location d'emplacements publicitaires destinés à l'affichage grand format

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport de M. Alain Dupouy, par M. Jenny, vice-président, présidant la séance, MM. Baise, Gicquel, Pichon, Robin, Sargos, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 95-D-39

30 mai 1995

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 6 novembre 1991 sous le numéro F 444 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget n saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées dans le secteur de la location d'emplacements publicitaires destinés à l'affichage de grand format ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 modifiée relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes, notamment son article 39 ; Vu les observations présentées par la chambre syndicale française de l'affichage, la société Avenir Havas Média, la société Billboard, la société Dauphin OTA, la société Giraudy, la société More O'Ferrall et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la Chambre syndicale française de l'affichage et des sociétés Avenir Havas Média, Billboard, Dauphin OTA, Giraudy et More O'Ferrall entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. CONSTATATIONS

A. Le secteur

1. Le produit

La publicité extérieure, qui se déploie le long des voies publiques ou dans les locaux et les véhicules des compagnies de transport, se distingue, en raison de ses techniques propres, des autres modes de publicité.

Plusieurs sous-ensembles, qui correspondent à des supports présentant certaines spécificités, peuvent être identifiés au sein du secteur de la publicité extérieure°: affichage traditionnel de grand format (4 m x 3 m), soit temporaire (campagnes publicitaires de courte durée), soit " de longue conservation " (panneaux loués pour une année ou plus afin de guider le public vers des commerces), publicité sur mobilier urbain, affichage lié aux transports en commun (gares, métro, autobus), publicité lumineuse.

Pour les campagnes publicitaires de courte durée, les entreprises d'affichage proposent généralement à leurs clients non pas des emplacements isolés, mais une série de panneaux disposés en réseaux sur une ville ou un ensemble d'agglomérations au niveau régional ou national de manière à assurer à ces campagnes la plus large audience. Les emplacements sur lesquels sont installés les panneaux font l'objet soit de contrats de louage conclus avec des propriétaires privés, soit de contrats conclus avec des collectivités locales pour l'exploitation sur le domaine public.

2. Les opérateurs

Le phénomène, de concentration qui a marqué le secteur de la publicité extérieure au cours de la période récente a eu pour conséquence la quasi-disparition des entreprises d'affichage de dimension moyenne.

Les sociétés Avenir Havas Média, Dauphin OTA et Giraudy réalisent à elles seules près de 60 p. 100 des recettes totales de la publicité extérieure et un pourcentage nettement plus élevé si l'on se limite à l'affichage traditionnel de grand format (de l'ordre de 80 p. 100). Sur un nombre total de panneaux d'affi chage de grand format, qui est de l'ordre de 250 000, ces trois entreprises en contrôlent environ 160 000. L'autre grand opérateur du secteur, la société J.-C. Decaux, développe principalement son activité dans le domaine de la publicité sur mobilier urbain.

3. La réglementation

Afin de protéger les bailleurs, généralement non professionnels et isolés, contre d'éventuels abus des professionnels de l'affichage, la loi du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et pré enseignes, a prévu que le contrat de louage d'emplacement privé aux fins d'apposer de la publicité se fait par écrit et doit être conclu pour une durée qui ne peut excéder six ans ; il peut être renouvelé par tacite reconduction par périodes d'une durée maximale d'un an, sauf dénonciation par l'une des parties trois mois au moins avant son expiration.

Dans une recommandation du 4 février 1980, la Commission des clauses abusives avait préconisé l'élimination dans les contrats de louage d'emplacements publicitaires des clauses ayant pour objet ou pour effet d'interdire au bailleur de louer un emplacement voisin à un autre locataire ou de lui interdire de relouer après l'expiration du contrat le même emplacement au locataire de son choix. Dans un avis également du 4 février 1980, la Commission avait demandé que la préférence accordée à l'ancien preneur après l'expiration du bail n'excède pas six mois.

B. Les pratiques relevées

La Chambre syndicale française de l'affichage (CSFA), qui est l'une des composantes de l'Union des chambres syndicales françaises d'affichage et de publicité extérieure (UPE) et qui comprend parmi ses membres les cinq entreprises concernées par la présente affaire, a élaboré un " code des pratiques loyales " en matière d'emplacements publicitaires et un contrat-type de louage d'emplacements.

Ce contrat-type, établi à la suite de la promulgation de la loi du 29 décembre 1979, comporte deux clauses visant à reconnaître un droit de préférence au preneur en place.

La première de ces clauses concerne les relations entre les parties pendant la durée du bail :

" 1-3 le bailleur s'engage à ne pas louer à des fins publicitaires d'autres parties de la même propriété sans offre préalable par lettre recommandée avec accusé de réception avec 'délai de réponse d'un mois à la société qui aura la priorité à prix égal avec les offres écrites des entreprises de publicité extérieure concurrentes. "

La seconde clause tend à accorder une priorité au preneur en place après l'expiration du bail :

" 2-4. Si le bailleur désire relouer les lieux à des fins publicitaires, il sera tenu, pendant un an, de réserver la préférence à la société, dans les conditions prévues au paragraphe 1-3 ci-dessus. "

Le " code des pratiques loyales ", que les membres de la CSFA s'engagent à respecter, prévoit que toute proposition de contrat de location doit faire l'objet d'un document et comporter, à peine de nullité, un certain nombre de mentions, notamment celle selon laquelle " le droit de préférence accordé au preneur et à conditions égales sur d'autres parties de la même propriété ne peut concerner que cette dernière ou les fonds y attenant ". L'article 3 indique que les membres de la CSFA s'engagent à reprendre " sans altération " les dispositions du contrat-type annexé au code, mais précise toutefois qu' " au cas où, pour des raisons de convenance propres à chaque entreprise, le texte intégral du contrat-type ne serait pas reproduit, l'adhérent devra en envoyer un exemplaire à la Chambre syndicale, qui, après examen, donnera ou non son agrément sur les modifications 'apportées ainsi que l'autorisation de porter les références de la CSFA sur le bail " et que " les garanties accordées au bailleur par le contrat-type ne pourront en aucun cas être réduites ". L'article 4 prévoit notamment que " lorsque l'emplacement est déjà loué en partie, ou se trouve en fin de location, l'existence de clauses prioritaires ou préférentielles sur le bail antérieur doit être présupposée ", interdisant dès lors tout démarchage dans l'attente des précisions des confrères en place concernant la nature de leurs droits. La commission d'arbitrage de l'UPE est compétente pour connaître des litiges survenant entre ses membres à propos de l'application de l'article 4. Quant à la commission de discipline de la CSFA, elle peut être saisie de tout acte constituant une infraction par l'un de ses membres aux règles de pratiques loyales, et notamment à celles qui concernent l'utilisation du contrat-type.

Interrogé dans le cadre de l'enquête administrative, le délégué général de la CSFA a confirmé l'obligation pour les membres du syndicat, sauf volonté contraire du bailleur, d'appliquer le contrat-type comportant les deux clauses de préférence ainsi que l'interdiction de démarchage des bailleurs pendant la durée du bail et pendant un an après la fin du bail :

" Les syndiqués doivent supposer l'existence de la clause de préférence, s'enquérir auprès du collègue en place de l'existence effective de la clause, s'abstenir de démarcher le bailleur dans les conditions suivantes : pendant la durée du bail, en l'absence de clause d'exclusivité on peut démarcher, le plus offrant l'emportera ; si la clause d'exclusivité est stipulée, le concurrent ne démarche pas avant la fin du bail... En fin de bail, la coexistence des deux clauses permet à l'afficheur dans les lieux de bénéficier d'une exclusivité par rapport à ses confrères syndiqués pour un an, renouvelable par tacite reconduction. "

Les deux clauses de préférence insérées dans le contrat-type élaboré par la CSFA ont été reprises dans les modèles de contrat de location des cinq entreprises d'affichage parties à la présente procédure et l'enquête a permis d'établir que ces clauses ont reçu une large application même si tous les contrats conclus avec les bailleurs ne les contiennent pas.

II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL

Sur la prescription

Considérant qu'aux termes de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction " ;

Considérant que le CSFA soutient qu'un délai de plus de trois ans s'étant écoulé entre la date d'insertion des dispositions litigieuses dans le " code des pratiques loyales " et le premier acte tendant à la recherche et à la constatation des faits à l'origine de la saisine ministérielle, les pratiques qui lui sont reprochées sont prescrites et qu'aucun grief ne peut plus être retenu à son encontre ;

Mais considérant que le " code des pratiques loyales " ayant une durée indéterminée et n'ayant pas été expressément abrogé a conservé de façon continue son objet et ses effets potentiels ; que la circonstance, également alléguée par la CSFA, que ledit code n'ait plus été édité après 1986 en raison de divergences au sein de la profession sur l'utilité d'un tel document, n'est pas en elle-même de nature à apporter la preuve qu'il a cessé d'être en vigueur à partir de cette date, le syndicat n'établissant pas avoir diffusé à ses membres une quelconque information en ce sens°; qu'en conséquence, le Conseil peut examiner le " code des pratiques loyales " de la CSFA pour une période non couverte par la prescription, qui s'est ouverte le 7 octobre 1987 ;

Sur la procédure :

Considérant, en premier lieu, que les sociétés Avenir Havas Média, Billboard, Dauphin, Giraudy et More O'Ferrall invoquent la nullité de plusieurs procès-verbaux d'audition figurant au dossier, établis à l'occasion d'enquêtes réalisées dans le cadre de précédentes affaires concernant le même secteur d'activité ;

Considérant qu'il ressort de leur examen que ces pièces ont été remises volontairement par les personnes intéressées dans le cadre de la nouvelle enquête ; que ces personnes ont apposé leur paraphe et leur signature sur ces pièces lors de cette nouvelle enquête ; qu'il n'est pas démontré par les parties que l'objet de la nouvelle enquête n'aurait pas été communiqué aux personnes interrogées ou que cette enquête aurait porté sur un autre objet que celui qui a été énoncé par les enquêteurs ; que le moyen doit donc être écarté ;

Considérant, en second lieu, que la société More O'Ferrall, constatant qu'il est fait référence dans le rapport administratif à une autre procédure ayant donné lieu, à la suite d'une saisine judiciaire, à une enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes suivie d'un rapport en date du 5 mai 1991, soutient que l'ensemble des pièces relatives à cette enquête aurait dû figurer au dossier et donner lieu à communication ; qu'ainsi, la procédure devant le Conseil n'aurait pas revêtu un caractère contradictoire en méconnaissance des dispositions de l'article 18 de l'ordonnance du. 1er décembre 1986 ;

Considérant qu'à la suite de la demande de communication des pièces de la précédente enquête qui lui avait été faite par la société More O'Ferrall, le président du Conseil de la concurrence, par lettre du 16 août 1993, a, d'une part, transmis à la société ainsi qu'aux autres parties l'avis du 8 octobre 1991 rendu par le Conseil de la concurrence dans l'affaire ayant donné lieu au rapport administratif du 5 mai 1991, dans la mesure où cet avis avait été suivi d'une ordonnance de non-lieu du juge d'instruction auteur 'de la saisine et, d'autre part, refusé la communication des pièces demandées au motif qu'elles étaient relatives à une affaire concernant des parties distinctes de celles dont les pratiques étaient examinées dans la procédure en cours ; que l'existence de quatre pièces communes aux deux procédures a cependant été signalée avec la mention de leurs références dans le présent dossier ; que, compte tenu de la communication de la pièce nouvelle constituée par l'avis du 8 octobre 1991 et pour permettre le plein exercice des droits de la défense, le président du Conseil de la concurrence a accordé aux parties un délai supplémentaire d'un mois pour les mettre en mesure de consulter le dossier et de présenter leurs observations ; qu'ainsi, la société More O'Ferrall a été mise à même, dans les mêmes conditions que les autres parties, de consulter l'intégralité du dossier à partir duquel les griefs ont été établis dans la présente affaire et de déposer ses éventuelles observations à la suite du versement de la pièce nouvelle ; que, dès lors, ladite société n'est pas fondée à prétendre que la procédure n'a pas été pleinement contradictoire ;

Considérant, enfin, que la société More O'Ferrall fait valoir que les procès-verbaux d'audition établis par le rapporteur ne précisent ni le cadre légal ni l'objet des investigations effectuées et ne portent pas la mention selon laquelle un double en a été laissé aux personnes intéressées ;

Considérant, toutefois, qu'il ressort de l'examen des lettres de convocation à ces auditions que les personnes interrogées ont été régulièrement informées du cadre légal et de l'objet des investigations menées par le rapporteur ; que l'absence, dans les procès-verbaux d'audition, de la mention selon laquelle un double a été laissé aux personnes intéressées n'est pas en elle-même de nature à entacher d'irrégularité ces procès-verbaux dès lors qu'il n'est pas contesté par la société More O'Ferrall qu'un tel double a été effectivement remis à ces personnes ;

Sur les marchés de référence :

Considérant que le marché de référence se définit comme le lieu où se rencontrent l'offre et la demande relatives à des produits substituables entre eux mais non substituables à d'autres biens ou services ;

Considérant que les entreprises d'affichage mises en cause soutiennent qu'il n'existe pas de marché de la location d'emplacements publicitaires destinés à l'affichage de grand format, faute d'offre commerciale, de produits substituables et de demandeurs dont les pratiques, pourraient être soumises au droit de la concurrence ;

Considérant qu'il est constant que les entreprises d'affichage proposent à des propriétaires d'emplacements susceptibles d'accueillir des panneaux d'affichage de grand format de prendre en location ces emplacements ; qu'ainsi,les entreprises d'affichage sont des demandeurs d'emplacements s'adressant à des offreurs potentiels ; que la rencontre entre l'offre et la demande de location d'emplacements pour l'affichage publicitaire de grand format caractérise un marché ; que la circonstance alléguée que les emplacements ne seraient pas substituables entre eux, à la supposer établie, en dépit des déclarations de la CSFA selon lesquelles " une substituabilité technique suffisante existe entre tous les sites aménageables pour l'affichage extérieur ",aurait pour seule conséquence de suggérer qu'il y a non pas, un mais plusieurs marchés d'emplacements pour l'affichage publicitaire ;

Considérant, par ailleurs, que les entreprises d'affichage de grand format offrent aux annonceurs des panneaux ou des réseaux de panneaux localisés sur les emplacements qu'ils ont loués et susceptibles d'accueillir des affiches publicitaires°; qu'elles interviennent ainsi en position d'offreur de service sur le marché de l'affichage de grand format ou, à supposer que l'on puisse considérer que l'affichage de grand format est substituable pour les annonceurs aux autres formes d'affichage et de publicité visible sur la voie publique, sur le marché de la publicité extérieure ;

Considérant, dès lors, que les contrats de louage d'emplacement comportant les clauses litigieuses doivent être regardés comme des conventions susceptibles d'être visées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 si elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de restreindre la concurrence sur le marché de la location d'emplacements pour l'affichage publicitaire de grand format ou sur les marchés aval de la publicité extérieure ou de l'affichage de grand format ; qu'il n'est pas nécessaire dans la présente affaire de se prononcer sur la question de savoir si l'affichage publicitaire de grand format doit être considéré comme non substituable aux autres formes de publicité extérieure dès lors qu'il est constant que les entreprises en cause détiennent globalement une part importante tant de l'affichage de grand format (de l'ordre de 80 p. 100) que de la publicité extérieure (environ 60 p. 100) ;

Sur les pratiques constatées :

Considérant que le code de déontologie établi par la Chambre syndicale française de l'affichage (CSFA) comporte l'obligation pour les membres du syndicat d'appliquer dans Ieurs relations avec les bailleurs un contrat type de louage d'emplacement publicitaire comportant deux clauses de préférence ; que la première de ces clauses interdit au bailleur, pendant la durée du bail, de louer à des fins publicitaires d'autres parties de la même propriété sans en avoir fait l'offre au préalable au preneur en place, celui-ci ayant, à prix égal, priorité sur les entreprises concurrentes ; que la seconde clause fait obligation au bailleur, en cas de non-renouvellement du bail et s'il désire à nouveau louer les lieux à des fins publicitaires, de réserver pendant un an la préférence, à prix égal, au loueur précédemment en place ; que les entreprises d'affichage Avenir Havas Média, Billboard, Dauphin OTA, Giraudy et More O'Ferrall, toutes adhérentes de la CSFA, ont repris dans leurs propres modèles de contrats les clauses litigieuses et en ont fait une large application dans leurs relations avec les bailleurs, même si certains des contrats conclus ne les contiennent pas ; que la société More O'FerraIl a cependant demandé à ses démarcheurs, à partir d'octobre 1993, de rayer systématiquement du formulaire pré imprimé de contrat la clause de préférence en fin de bail ;

Considérant que si les entreprises présentes sur le marché de l'affichage de grand format peuvent légitimement prendre des mesures collectives destinées à protéger, pendant la durée du bail, l'intégrité et l'efficacité des emplacements qu'elles ont pris en location, de telles mesures ne peuvent être considérées comme compatibles avec les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que si elles sont. nécessairement inhérentes aux avantages économiques que le système de protection mis en place tend à assurer ;

Considérant, en premier lieu, que la valeur commerciale des panneaux proposés à la clientèle des annonceurs dépend étroitement de leur impact visuel ; que cet impact est d'autant plus grand que les dispositifs d'affichage sont isolés et que l'attention du public n'est pas distraite par la présence d'autres panneaux à proximité immédiate ; que la clause de préférence en cours de bail, qui confère au loueur en place un droit de regard sur les autres emplacements publicitaires de la même, propriété, répond ainsi à une nécessité économique de protection de la qualité du produit offert à la clientèle sur le marché de l'affichage de grand format en permettant de se prémunir contre le " masquage " des affiches publicitaires par des panneaux trop rapprochés d'entreprises concurrentes ; qu'il n'est pas établi que cette initiative concertée ait donné lieu à des partages de marché entre les entreprises intéressées ;

Considérant, en second lieu, que la clause de préférence en fin de bail organise une asymétrie dans la négociation de location des emplacements en permettant à l'afficheur en place de limiter artificiellement son risque de voir l'emplacement lui échapper ; qu'en effet, par le jeu de cette clause, le loueur d'un emplacement en fin de bail connaît à tout moment l'identité et le montant des offres de ses concurrents et a la garantie de pouvoir toujours conserver son espace sans avoir à surenchérir sur une offre concurrente;qu'à l'inverse, un concurrent désirant obtenir la location d'un espace précédemment loué à une autre entreprise ne sera jamais assuré, même s'il surenchérit, de pouvoir obtenir l'espace convoité ; que les entreprises concernées ont reconnu l'efficacité de la clause de préférence en fin de bail pour limiter la mobilité des panneaux ; qu'ainsi, cette clause, qui ne peut être regardée comme nécessaire à la protection de la qualité des produits a pour effet de restreindre artificiellement le jeu de la concurrence sur le marché de l'affichage de grand format en limitant la fluidité des emplacements publicitaires entre les afficheurs au-delà même de la période de six ans fixée comme durée maximale des contrats de louage d'emplacements par la loi du 29 décembre 1979 ; que cet effet a pu être d'autant plus important que les entreprises en cause ayant inséré cette clause dans leurs contrats détiennent une part substantielle du marché de l'affichage de grand format ;

Considérant que la CSFA et les entreprises mises en cause font valoir que les pratiques qui leur sont reprochées relèvent d'un usage professionnel ancien, reconnu par la jurisprudence et que les autorités administratives n'avaient jusqu'alors jamais critiqué dans son principe ;

Considérant toutefois, que le caractère d'usage professionnel qui a pu être reconnu aux clauses de préférence par plusieurs décisions judiciaires, lesquelles n'ont que l'autorité relative de la chose jugée, n'est pas de nature à faire obstacle à ce que les autorités de la concurrence qualifient ces clauses au regard des dispositions du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que l'examen qui a pu être fait de la clause de préférence en fin de bail au regard du droit des contrats par la Commission des clauses abusives est sans incidence sur l'appréciation de sa validité selon le droit de la concurrence°;

Considérant, enfin, que la société More O'Ferrall fait observer que sa mise en cause n'est pas justifiée dès lors que d'autres entreprises d'affichage plus importantes qu'elle-même sont absentes de la procédure ;

Considérant, toutefois, que l'instruction n'a pas permis de recueillir d'éléments pouvant justifier la mise en cause d'autres entreprises ; que la société More O'Ferrall ne produit aucun élément susceptible d'établir que d'autres opérateurs que ceux qui ont été destinataires de la notification de griefs auraient mis en œuvre les pratiques litigieuses ;

Sur l'application du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant qu'aux termes du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8 les pratiques... dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques ne doivent imposer des restrictions à la concurrence que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès " ;

Considérant que la CSFA et les entreprises d'affichage concernées soutiennent que la clause de préférence en fin de bail est justifiée par la nécessité de préserver la stabilité et la cohérence des réseaux de panneaux d'affichage proposés à la clientèle ;

Mais considérant que si la volonté d'offrir à la clientèle un produit de meilleure qualité peut être considéré comme un objectif de progrès économique au sens des dispositions du 2 de l'article 10 précité de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il n'est pas démontré par les parties que ce résultat n'aurait 'pu être atteint sans le recours à la clause de préférence en fin de bail ; que la stabilité des réseaux de panneaux est assurée de façon suffisante par la durée maximale des contrats de louage d'emplacements telle que prévue par la loi du 29 décembre 1979 ; que les parties n'apportent aucun élément d'ordre financier susceptible d'établir que la durée d'amortissement des investissements réalisés nécessiterait le maintien dans les lieux du loueur au-delà de la période légale de six ans ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la clause de préférence en fin de bail, dont la CSFA a voulu imposer l'utilisation à ses membres et qu'ont appliquée les sociétés Avenir Havas Média, Billboard, Dauphin OTA et Giraudy, ainsi que la société More O'Ferrall jusqu'en octobre 1993, est prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sans qu'elle puisse bénéficier des dispositions de l'article 10 de ce même texte;

Sur l'application de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières... Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne... Les frais sont supportés par la personne intéressée " ;

Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il y n lieu d'enjoindre à la CSFA d'informer ses membres du caractère prohibé des références à la clause de préférence en fin de bail dans les documents syndicaux et aux sociétés Avenir Havas Média, Billboard, Dauphin OTA, Giraudy et More O'Ferrall de supprimer ladite clause de leurs contrats de louage d'emplacements publicitaires ;

Considérant qu'il y a lieu d'ordonner la publication de la présente décision,

Décide :

Article 1er : Il est enjoint :

- à la Chambre syndicale française de l'affichage d'informer la totalité de ses membres, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, du caractère prohibé des références à la clause de préférence en fin de bail dans son " code des pratiques loyales " et son contrat type de louage d'emplacements publicitaires ;

- aux sociétés Avenir Havas Média, Billboard, Dauphin OTA, Giraudy et More O'Ferrall, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, de supprimer la clause de préférence en fin de bail de leurs contrats types de louage d'emplacements publicitaires et de renégocier, en tant que de besoin, les contrats en cours de sorte que les bailleurs ne soient plus tenus, à l'expiration du contrat, de réserver la préférence, à prix égal, au loueur précédemment en place.

Article 2 : Dans le délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, la Chambre syndicale française de l'affichage et les entreprises susmentionnées feront publier, à frais communs, le texte intégral de la présente décision dans la revue Stratégies. Cette publication sera précédée de la mention : " Décision du Conseil de la concurrence du 30 mai 1995 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la, location d'emplacements publicitaires destinés à l'affichage de grand format ".