Cass. com., 16 mai 2000, n° 98-12.612
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Conseil central section A de l'Ordre national des pharmaciens
Défendeur :
Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget, Procureur général près la Cour d'appel de Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Célice Blancpain Soltner, Me Ricard.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 février 1998), qu'à la suite de la diffusion, en 1993, par le Conseil central section A de l'Ordre national des pharmaciens (le Conseil central), d'un communiqué auprès de l'ensemble des Conseils régionaux de l'Ordre des pharmaciens, relatif à l'activité de portage à domicile des médicaments, le Conseil de la concurrence a, par décision du 18 mars 1997, considéré que le Conseil central a mis en œuvre une action concertée de boycott de nature à entraver l'accès au marché des entreprises de portage de médicaments à domicile, et condamné cet organisme à une sanction pécuniaire de 300 000 F et à la publication de cette décision ; que le Conseil de la concurrence a également condamné certains Conseils régionaux qui avaient diffusé ce communiqué ou des mises en garde à des pharmaciens ou à des entreprises de portage de leur ressort ; que le seul Conseil central a saisi la Cour d'appel de Paris d'un recours contre cette décision ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que le Conseil central reproche à l'arrêt d'avoir rejeté son recours, alors, selon le pourvoi, que ne constitue pas une activité de production, de distribution et de services le fait pour le Conseil central, investi par les articles L. 520 et L. 528 du Code de la santé publique " d'assurer le respect de devoirs professionnels ", de " coordonner l'action des Conseils régionaux ", de " proposer toute mesure intéressant la moralité et la déontologie professionnelle ", d'émettre à l'attention des Conseils régionaux son interprétation des textes régissant l'acte pharmaceutique et de prendre parti sur leur compatibilité avec le portage à domicile par des société diverses ; qu'ainsi en décidant qu'une interprétation du Code de la santé publique par une instance ordinale entrait dans le champ d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986, au prétexte qu'elle serait susceptible de constituer une intervention sur le marché du portage des médicaments à domicile, la cour d'appel a violé l'article 53 de ladite ordonnance ; qu'au surplus, à supposer que l'interprétation des textes du Code de la santé publique par le Conseil central ait été " inexacte ", il n'en résulterait pas pour autant que l'Ordre soit sorti de sa mission et se soit livré à une activité prévue par l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu qu'ayant constaté qu'en février 1993, le président du Conseil central a diffusé aux Conseils régionaux de l'Ordre des pharmaciens un communiqué, l'arrêt retient que dans celui-ci le Conseil central ne se borne pas à rappeler les mérites de la dispensation des médicaments à l'officine et à mettre en garde les pharmaciens qui souhaiteraient organiser un service de portage au domicile du patient et n'émet pas une simple opinion soumise à la réflexion et au débat, mais se prononce sur la régularité d'une telle pratique, estimée illégale, et formule son opposition à celle-ci; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu décider que la diffusion de ce communiqué dans lequel le Conseil central diffusait une interprétation inexacte du Code de la santé publique sur laquelle il se fondait pour manifester son opposition à l'activité de portage de médicaments à domicile, ne manifestait pas l'exercice d'une prérogative de puissance publique, sortait de la mission de service public qui lui est conférée en tant qu'ordre professionnel, et constituait une intervention sur le marché du portage de médicaments à domicile dont le Conseil de la concurrence pouvait connaître; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que le Conseil central fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, qu'il résulte des termes de la décision du Conseil de la concurrence et de l'arrêt attaqué que la participation des pharmaciens d'officine à la prétendue action concertée des instances ordinales n'est pas démontrée et que l'entente litigieuse serait seulement intervenue entre le Conseil central section A et les quatre Conseils régionaux définitivement sanctionnés par le Conseil de la concurrence ; qu'en se bornant à caractériser " l'accord de volontés " nécessaire à la qualification d'entente par la simple constatation que le Conseil central section A savait que les Conseils régionaux répercuteraient l'avis émis sur la licéité du portage à domicile, compte tenu de l'autorité dont il émanait, " à savoir une instance ordinale représentant l'ensemble de la profession, elle-même relayée par ses instances inférieures ", la cour d'appel, qui omet de s'expliquer, comme elle y était invitée, sur les dispositions des articles L. 526 et L. 528 du Code de la santé publique, selon lesquelles loin d'être une instance inférieure dépourvue d'autonomie, chaque Conseil régional " chargé d'assurer le respect des règles professionnelles... délibère sur les affaires soumises à son examen par le Conseil central section A ", ce dont il résulte que les actes incriminés ne trouvaient pas leur fondement dans une rencontre de volontés mais dans l'exercice de leur pouvoir souverain par les seuls Conseils régionaux incriminés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
Mais attendu qu'un ordre professionnel représente la collectivité de ses membres, et qu'une pratique susceptible d'avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel mise en œuvre par un tel organisme révèle nécessairement une entente, au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, entre ses membres; qu'ayant constaté que le Conseil central avait diffusé un communiqué condamnant le portage à domicile organisé de médicaments et décidé qu'un tel communiqué constitue une intervention sur le marché du portage portant atteinte aux règles de concurrence, la cour d'appel, qui, contrairement aux énonciations du moyen, n'a pas retenu l'existence d'une entente entre le Conseil central et certains conseils régionaux mais l'existence de pratiques propres à chacun de ces organismes, justifiant la condamnation de chacun d'entre eux, a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que le Conseil central fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, qu'il résultait de la combinaison des articles L. 589 et L. 590, dans leur rédaction antérieure à la loi du 18 janvier 1994 et de l'article R. 5015-26 du Code de la santé publique que le pharmacien devait non seulement s'abstenir de recourir aux courtiers pour la livraison à domicile de médicaments mais encore s'abstenir de pratiquer " toute vente au public " par " l'intermédiaire de maisons de commissions, groupements d'achats ou d'établissements possédés ou administrés par des personnes non titulaires de l'un des diplômes mentionnés au 1° de l'article L. 514 ", ce qui était le cas des " services de messagerie " dont l'intervention éludait le contact direct du pharmacien avec le patient correspondant, à l'époque, à un impératif de santé publique concrétisé dans les articles L. 568, L. 579 et R. 1015-11 du Code de la santé publique, de sorte que viole ces textes ainsi que l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'arrêt attaqué qui admet qu'en 1993 l'activité de portage de médicaments pratiquée par certaines entreprises aurait été licite et qui, a contrario, retient l'illicéité de l'intervention ordinale considérée comme perturbatrice ; et alors, d'autre part et en tout état de cause, que " le juge doit apprécier le communiqué du mois de février 1993 à la lueur de la législation en vigueur à l'époque où il a été accompli et ne saurait sanctionner le comportement d'une autorité ordinale chargée de rappeler la morale professionnelle en application de dispositions moins contraignantes apparues dans la loi du 18 janvier 1994 et dans le décret du 25 juillet 1995 (article R. 5104-1 et suivants du Code de la santé publique), de sorte qu'en visant la loi nouvelle, la cour d'appel a violé les articles 2 du Code civil et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'ayant jugé à bon droit que la délivrance de médicaments à domicile n'était pas prohibée par la réglementation en vigueur aux moment des faits, ni même soumise à autorisation ou à agrément de l'Administration, la cour d'appel a pu, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la seconde branche du moyen, décider que le Conseil central ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le moyen inopérant dans sa seconde branche, n'est pas fondé dans sa première branche ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.