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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 25 janvier 1994, n° ECOC9410019X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CEP Exposium (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Avocat général :

Mme Thin

Conseillers :

MM. Guerin, Bargue, Beauquis, Cailliau

Avocat :

Me Simonel

CA Paris n° ECOC9410019X

25 janvier 1994

LA COUR statue sur le recours formé par la société CEP Exposium venant aux droits de la Société d'expositions et de promotion industrielle et commerciale (SEPIC), contre la décision n° 93-D-13 du 18 mai 1993 du Conseil de la concurrence (le conseil), qui a lui a infligé une sanction pécuniaire.

Au soutien de sa décision, le conseil, examinant les pratiques dont la cour a été saisie par la société Levage Prestations Services (LPS) sur le marché de la manutention des matériels exposés dans les salons professionnels de biens d'équipement, a constaté et estimé que :

- la SEPIC a organisé en 1988 quatre expositions de biens d'équipement professionnel : Intermat, Machine-outil, Productique et Emballage, soit au Parc des Expositions de la Porte de Versailles, soit à celui de Paris-Nord - Villepinte, pour lesquelles elle a décidé de ne laisser exécuter les prestations de manutention pour les exposants que par six entreprises qu'elle a agréées et entre lesquelles elle a partagé les zones des expositions ;

- en procédant de manière discriminatoire au choix des prestations de ces travaux, écartant entre autres sans justification la société LPS, la SEPIC a, par les conventions d'exclusivité passées avec les entreprises ainsi sélectionnées, mis en œuvre des pratiques contraires aux prescriptions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- compte tenu de son chiffre d'affaires (124 000 000 F en 1991), de la situation de l'entreprise, de la gravité des pratiques retenues et du dommage causé à l'économie, la sanction pécuniaire infligée à la SEPIC par application de l'article 13 de l'ordonnance susvisée devait être fixée à la somme de 1 867 500 F.

Au soutien de son recours en annulation de la décision et subsidiairement en réformation, la société CEP Exposium fait valoir :

- à titre principal, que le conseil de la concurrence était incompétent pour connaître des modalités des choix faits par la SEPIC des entreprises de manutention agréées pour la réalisation de sa mission globale d'organisateur des salons en cause ;

- subsidiairement, qu'en lui reprochant de n'avoir pas sélectionné les entreprises de manutention selon des critères objectifs qu'elle ne définit pas, la décision attaquée a inversé la charge de la preuve des pratiques anticoncurrentielles qui lui sont imputées alors que les contrats passés entre la SEPIC et les six sociétés de manutention agréées ont été conclus de manière non discriminatoire et que l'exclusion de LPS était justifiée ;

- plus subsidiairement, que la décision du conseil n'a pas procédé à une appréciation du montant de la sanction pécuniaire qui lui est infligée selon les prescriptions de l'article 13, alinéas 2 et 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Bien que le recours lui ait été régulièrement dénoncé, la société LPS n'est pas intervenue à l'instance.

Par application de l'article 9 du décret du 19 octobre 1987, le conseil a présenté des observations sur les points contestés de sa décision.

Aux termes de son mémoire, le ministre de l'économie s'associe aux motifs retenus par la décision du conseil et conclut au rejet du recours.

Mise en mesure de répondre aux observations du conseil et du ministre de l'économie, la société CEP Exposium a maintenu et précisé ses moyens, contestant notamment la pertinence du marché sur lequel le conseil a examiné les pratiques dénoncées ;

Le ministère public a oralement conclu au rejet du recours.

Sur quoi, LA COUR :

Sur le marché pertinent :

Considérant que le marché de référence se définit comme le lieu où se rencontrent l'offre et la demande relatives à des produits substituables entre eux mais non substituables à d'autres biens ou services ;

Considérant que, pour la réalisation d'un salon professionnel, l'organisateur négocie avec le propriétaire ou le gestionnaire du Parc d'Exposition l'emplacement et le calendrier des manifestations, en assure la publicité, démarche les exposants et contracte avec eux ;

Que, pour des raisons tenant notamment à l'efficacité technique ou à la sécurité dans la zone d'exposition, l'organisateur peut dans certains cas imposer à l'exposant les entreprises agréées pour l'aménagement de son stand ;

Considérant que, ainsi que l'a relevé le Conseil, la manutention des matériels exposés dans les salons professionnels de biens d'équipement requiert de la part des professionnels concernés des moyens importants en engins roulants et élévateurs utilisés par des personnels hautement qualifiés et astreints à une disponibilité excédant les heures normales d'activité en raison des délais de montage et démontage imposés par les organisateurs ;

Qu'en raison de la spécificité technique de ce travail, des investissements en matériels adaptés et des personnels spécialisés qu'il exige, des assurances nécessaires, de la fréquence irrégulière des salons professionnels et des variations de chiffre d'affaires qui s'ensuivent, le nombre des professionnels aptes à fournir de telles prestations est limité à une quinzaine, s'agissant soit des entreprises de taille moyenne ou petites, certaines de caractère artisanal, en général installées dans la région parisienne, tendant à diversifier leurs activités vers les fonctions de transporteurs ou de transitaires, soit à l'inverse des grandes entreprises de transports qui spécialisent une branche de leur activité, la plupart étant réunies au sein de l'Association des transporteurs de masse de la région parisienne (ATMRP) ;

Qu'il s'ensuit que, pour les exposants des foires et salons professionnels, le service de la manutention fourni par ces seules entreprises n'est substituable ni aux opérations générales de manutention faites en dehors des parcs d'exposition, ni aux autres services offerts par les organisateurs des salons;

Que c'est en conséquence par une exacte analyse que le conseil a examiné les pratiques dénoncées sur le marché de la manutention des matériels exposés dans les salons professionnels de biens d'équipement ;

Considérant que, pour la définition du marché pertinent, il est sans intérêt de rechercher si la SEPIC, organisateur de salons, avait la faculté de fournir elle-même, directement ou par sous-traitance, tous les services annexes à la tenue de l'exposition ou d'en exclure la manutention dès lors que pour les quatre expositions en cause, réalisées en 1988, elle a renvoyé les exposants à s'adresser directement aux entreprises agréées par elle pour la fourniture des travaux de manutention dont ils avaient besoin ;

Sur la compétence du Conseil de la concurrence :

Considérant que, faisant valoir que l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas applicable aux relations nouées entre un opérateur qui offre ou exécute une prestation de service et ses sous-traitants, la requérante soutient qu'elle se trouvait dans une relation juridique ou économique de cette nature avec les six sociétés de manutention qu'en tant que maître d'œuvre des salons qu'elle organise, elle a agréées pour les travaux de manutention nécessaires aux exposants et que, dès lors, le conseil était incompétent pour connaître des modalités de choix de ces sociétés dont les services s'incorporent totalement aux prestations globales qu'elle-même fournit ;

Mais, considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 75-734 du 31 décembre 1975 la sous-traitance est définie comme " l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, tout ou partie de l'exécution du contrat d'entreprise (...) avec le maître de l'ouvrage ";

Considérant qu'il résulte notamment des " appels d'offres " du 28 octobre 1987 et de la convention passée le 2 mars 1988 entre la SEPIC et chacune des six sociétés de manutention agréées, que deux relations contractuelles distinctes étaient instaurées entre, d'une part, la SEPIC et les entreprises de manutention auxquelles était attribuée une zone délimitée du salon et, d'autre part, entre ces entreprises et les exposants ;

Qu'aux termes de ces conventions les prestations fournies par l'organisateur aux exposants ne comprenant pas la fourniture de la manutention ceux-ci étaient invités à s'adresser directement aux entreprises agréées ;

Que le fait d'imposer à l'exposant le choix de l'entreprise de manutention en raison de l'affectation à chacune d'elles d'une zone d'exposition ne s'oppose pas à la création du lien contractuel individuel entre celui-ci et le manutentionnaire pour la fourniture d'un service spécifique ;

Considérant encore que, contrairement à ce que soutient la requérante, le paragraphe g de la convention liant les manutentionnaires à l'organisateur décharge expressément ce dernier de toute responsabilité, en raison du fait qu'il n'intervient " en aucune façon dans l'organisation ou l'exécution des opérations de manutention... " ;

Considérant enfin qu'aux termes du paragraphe d de la même convention le prix n'est pas fixé par l'organisateur mais doit être arrêté dans le cadre des relations entre exposants et manutentionnaires dans les limites du plafond fixé au barème communiqué par la SEPIC ;

Qu'il ne saurait donc être déduit des termes de ce contrat que le rapport de droit entre le manutentionnaire et l'exposant se limitait à un simple paiement direct du prix de la prestation, alors que ceux-ci devaient, dans la limite d'un maximum fixé, déterminer ensemble le prix de la prestation sans intervention de l'organisateur et que les tarifs pratiqués ont d'ailleurs différé d'une entreprise à l'autre ;

Qu'il importe peu que, dans les cahiers des charges ou règlements intérieurs, qui la lient aux gestionnaires du parc d'expositions, la SEPIC soit, en tant qu'organisateur, tenue à une obligation générale de sécurité dès lots que dans les relations de celle-ci avec l'exposant, bénéficiaire du service déterminant le marché de référence, la manutention est une prestation distincte dont, contractuellement, elle n'assure ni l'exécution ni la responsabilité, et ne fixe ni ne perçoit le prix ;

Considérant, dès lors que les conventions de droit privé ainsi analysées ne plaçaient pas les parties concernées dans un rapport juridique de sous-traitance ;

Considérant que pour les raisons sus-énoncées et celles non contraires retenues par le Conseil, à l'occasion des quatre salons en cause, la SEPIC n'a pas incorporé la manutention dans le service fourni aux exposants mais s'est bornée à interdire à ceux-ci de faire appel à d'autres entreprises que celles auxquelles elle avait accordé l'exclusivité de la fourniture, de telles prestations;

Qu'en conséquence les activités de service de manutention en cause entrent dans le champ d'application de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur la qualification des pratiques examinées :

Considérant que toute pratique d'entente qui a pour objet ou peut avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché en cause, notamment en limitant l'accès aux autres entreprises, caractérise une infraction aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 lorsqu'elle n'est pas comprise dans celles prévues par l'article 10 ;

Considérant qu'il n'est pas discuté que la SEPIC a conclu avec les sociétés Leopold, Pinson-Villate, Expo'2B, Billon, Brousse et Dessirier-H. Zucconi un engagement d'exclusivité par la fourniture des prestations de manutention à l'occasion des quatre salons réalisés en 1988 et dont elle a assuré la mise en œuvre par circulaires ou guides adressés aux exposants les informant qu'ils ne pouvaient avoir recours qu'à ces prestataires agréés ; qu'ainsi, par cet accord, elle a interdit l'accès au marché de toutes entreprises autres que les susnommées ;

Considérant que, si pour des raisons d'efficacité technique et de sécurité la SEPIC était libre de sélectionner les entreprises aptes à effectuer la manutention dans les salons qu'elle organisait, elle devait toutefois préserver le libre jeu de la concurrence sur ce marché en procédant à ce choix selon des critères objectifs appliqués de façon non discriminatoire et sans éliminer az priori certaines d'entre elles;

Considérant que, pour l'exécution du service de la manutention lors des quatre salons Intermat, Machine-outil, Productique et Emballage tenus en 1988, la SEPIC a effectué une sélection préalable de six entreprises qui ont été retenues à l'exclusion de toute autre, à l'issue d'un appel de candidatures dont elles ont été les seules destinataires ;

Que la décision attaquée relève à cet égard, sans être contestée sur ces constatations de fait, que la SEPIC n'a consulté ni les autres entreprises membres de l'ATMRP qui avaient cependant exécuté des prestations de cette nature lors des salons EMO et ITMA d'une ampleur dix fois plus importante, ni d'autres sociétés telles que par exemple Lamarche, Gondrand, Draguet, Clamageran ou Mondia, qui possédaient tout à la fois une expérience plus ancienne, des capacités en matériels et en personnels supérieures à certaines entreprises retenues, ni encore les sociétés Massot, Jules Roy, Millon, Extrans, Guigard qui avaient déjà répondu à des appels d'offre pour des marchés de même nature ;

Que la requérante ne peut assimiler la sélection qu'elle a effectuée à la procédure d'appel d'offres restreint en matière de marchés publics, inapplicable en l'espèce, même par analogie de situation, dès lors qu'elle ne procédait pas au choix des prestataires pour elle-même mais pour les exposants ; que précisément elle n'a pas appelé à concourir toutes les entreprises en nombre très limité aptes à effectuer ces travaux, cependant parfaitement connues puisque pour la plupart réunies dans la même association et qu'au surplus l'application non discriminatoire des critères selon lesquels elle prétend avoir opéré ce choix : ancienneté de l'entreprise, matériels, personnels, conditions d'assurances et fourchettes tarifaires est démentie par les constatations sus-rapportées de l'enquête ;

Qu'il est en particulier, relevé que la société LPS, cependant exclue de la consultation initiale, avait un capital supérieur aux sociétés Billon et Expo'2B, une couverture d'assurance supérieure à cette dernière et possédait deux grues alors que celle-ci n'en possédait pas et la société Billon une seule ;

Que, pour justifier l'exclusion de cette société en 1988, la requérante ne peut se fonder sur des relations remontant à 1986 ni sur les brefs rapports qu'elles ont entretenus après la sommation interpellative que la société LPS a fait délivrer en 1988 en constatant qu'il n'était pas fait appel à ses services ; qu'il n'est enfin pas établi que cette entreprise qui à l'époque n'avait pas cessé ses activités n'était plus assurée ;

Qu'il est sans intérêt de rechercher comment la SEPIC a appliqué les dix critères selon lesquels elle affirme avoir opéré sa sélection définitive dès lors qu'elle a finalement retenu les six entreprises initialement consultées ;

Qu'il s'ensuit que la requérante, à qui il incombe de justifier les restrictions de concurrence qu'elle a imposées aux entreprises de manutention spécialisées, n'apporte pas la preuve concrète des critères qu'elle a adoptés et de la manière dont elle les a appliqués ;

Qu'ainsi elle a artificiellement créé une barrière à l'entrée du marché de la manutention des salons ; qu'il n'est ni allégué ni justifié qu'une telle pratique restrictive de concurrence a eu pour effet d'assurer un progrès économique aux sens et conditions de l'article 10.2 de l'ordonnance précitée ; que dès lors elle tombe sous le coup de son article 7 ;

Sur la sanction pécuniaire :

Considérant que le montant maximum de la sanction fixé par l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est pour une entreprise de 5 p. 100 du chiffre d'affaires hors taxes réalisé au cours du dernier exercice clos ; qu'aux termes de l'alinéa 2 il doit être proportionné à la situation de l'entreprise, à la gravité des faits et au dommage causé à l'économie ;

Considérant que le 18 mai 1993, date de la décision du conseil, le dernier exercice clos connu était celui de l'année 1991, pour lequel la SEPIC a réalisé un chiffre d'affaires de 124 379 080 F ; que le moyen visant à réduire au seul secteur des salons professionnels le chiffre d'affaires à prendre en compte pour la détermination du montant maximum de la sanction est inopérant au regard des critères d'appréciation susvisés ;

Considérant que le conseil a justement apprécié la gravité des faits en relevant que la SEPIC ne pouvait ignorer le caractère illicite des pratiques mises en œuvre déjà dénoncées dans un avis de la Commission de la concurrence du 18 novembre 1986 ;

Considérant que, pour tenir compte du dommage causé à l'économie, le conseil, n'était tenu ni d'en chiffrer le montant ni de quantifier l'incidence des pratiques constatées sur les prix, mais seulement, comme il l'a fait, de fournir les éléments permettant d'en apprécier l'incidence économique; qu'il doit à cet égard être observé que les restrictions de concurrence imposées par la société SEPIC ont empêché plus de la moitié des entreprises concernées de concourir pour la fourniture de prestations de manutention dans les salons organisés par celle-ci, représentant en chiffre d'affaires 28 p. 100 de l'ensemble du secteur, le chiffre d'affaires total du marché de référence estimé par les professionnels ayant été de 28 millions de francs en 1988 ; qu'elles ont aussi privé les exposants de la possibilité de recourir à des entreprises sélectionnées sans discrimination, et éventuellement de se voir proposer des prix plus compétitifs ;

Considérant que, s'agissant de la situation de l'entreprise, il n'est pas contesté que la SEPIC, second organisateur français de salons professionnels, ayant en 1988 réalisé à elle seule plus du quart du chiffre d'affaires de ce secteur d'activité, a enregistré entre 1987 et 1991 une progression de son chiffre d'affaires de 78,3 à 124 millions de francs ; qu'elle ne fournit aucune autre indication sur sa situation financière ;

Qu'il s'ensuit que le conseil a procédé à une exacte appréciation de la sanction pécuniaire ;

Que le recours doit en conséquence être rejeté ;

Par ces motifs : Rejette le recours ; Laisse les dépens à la charge de la requérante.