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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 29 mars 1994, n° ECOC9410067X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pinton (SA)

Défendeur :

Association Cercle de la tapisserie des droits de l'homme, Association pour la promotion de la tapisserie d'Aubussson, Centre national des arts plastiques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aubert

Avocat général :

Mme Thin

Conseillers :

Mmes Nerondat, Mandel, MM. Perie, Albertini

Avocats :

Mes Pech de Laclause, Dedieu, Moreau.

CA Paris n° ECOC9410067X

29 mars 1994

La société anonyme Pinton a formé le 5 août 1993 un recours contre la décision n° 93-D-25 rendue le 15 juin 1993 par le Conseil de la concurrence, qui a déclaré irrecevable sa demande tendant à ce qu'il soit mis fin aux pratiques anticoncurrentielles entre l'Association pour la promotion de la tapisserie d'Aubusson (APTA), la commission de répartition des commandes de l'Etat et le Cercle de la tapisserie des droits de l'homme (CTDH).

Cette instance a été introduite dans les circonstances suivantes :

Les manufactures d'Aubusson et de Felletin sont regroupées au sein d'une chambre syndicale des fabricants des tapis d'art et tapisseries d'Aubusson et de Felletin à laquelle a adhéré la société Pinton, qui a son atelier à Felletin. L'un des objectifs de cet organisme est d'assurer leur promotion auprès des pouvoirs publics, qui passent chaque année des commandes de tapisseries par le truchement du Mobilier national, lesquelles sont ensuite réparties entre les manufactures d'Aubusson et de Felletin par la commission de répartition des commandes de l'Etat.

En 1986, certaines manufactures d'Aubusson créaient l'Association pour la promotion de la tapisserie d'Aubusson (APTA) ayant le même objet que celui de la chambre syndicale, à l'exception de la création d'un label " Aubusson " qui devait conduire au dépôt, en avril 1987, de la marque " tapisserie d'Aubusson ". M. Hecquet, membre de l'APTA, a présidé la commission de répartition des commandes de l'Etat.

En 1987, était créée l'association Cercle de la tapisserie des droits de l'homme (CTDH) à l'initiative de M. Jacques Fadat, par ailleurs membre de l'APTA. Elle a obtenu le patronage de la mission du bicentenaire de la Révolution française pour la réalisation par des ateliers d'Aubusson de tapisseries commémoratives des droits de l'homme. Elle a passé un accord avec l'APTA et les tapisseries ont été tissées par des ateliers membres de cette association.

La société Pinton saisissait le Conseil de la concurrence le 13 mars 1991 en lui demandant de constater les pratiques anticoncurrentielles auxquelles se seraient livrées l'APTA, la commission de répartition des commandes de l'Etat et le CTDH en favorisant, à son détriment, les entreprises d'Aubusson dans l'attribution des commandes.

Après avoir constaté que les deux marchés concernés étaient, d'une part, celui des commandes publiques des tapisseries d'art passées de 1982 à 1989 par le Mobilier national, département administratif du Centre national des arts plastiques, établissement public de l'Etat, et, d'autre part, celui d'une commande spécifique de tapisseries commémoratives de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen passée en 1989 par l'intermédiaire de l'association CTDH, le Conseil de la concurrence déclarait sa saisine irrecevable, estimant que ni les décisions par lesquelles un établissement public adresse la commande d'une tapisserie d'art à une entreprise, ni la décision par laquelle le CTDH a confié à l'APTA le soin de faire réaliser des tapisseries par des ateliers d'Aubusson n'avaient le caractère d'actes de production, de distribution ou de service au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

La société Pinton, critiquant l'approche restrictive du conseil en ce sens que s'il n'est pas compétent pour statuer sur les conditions du choix d'un prestataire de services, il l'est pour statuer sur les conditions dans lesquelles les prestataires de services s'entendent et s'organisent pour être choisis, poursuit la réformation de la décision en demandant à la cour :

- de constater que l'APTA, regardée comme représentative de la profession alors que les ateliers de Felletin en étaient exclus, et le CTDH se sont de façon concertée livrés à des pratiques restreignant le libre jeu de la concurrence dans le cadre du marché constitué par les commandes passées par l'Etat tant par le truchement du Mobilier national que par la mission du bicentenaire de la Révolution française ;

- de constater que MM. Raymond et Jean-François Picaud et M. Jacques Fadat ont, à la faveur des fonctions qu'ils assumaient dans les différents organismes, participé à ces pratiques ;

- d'ordonner de mettre fin aux pratiques prohibées, de publier la décision et de condamner les parties défenderesses à lui verser la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

L'association CTDH, défenderesse, souligne le caractère spécifique de l'appellation " tapisserie d'Aubusson " et original de la réalisation des tapisseries du bicentenaire dont l'idée revenait à M. Fadat et dont l'exécution impliquait l'ensemble des professionnels de la tapisserie de la ville d'Aubusson. Elle conclut à la confirmation de la décision entreprise, demande la publication de l'arrêt qui sera rendu et le paiement par la société Pinton de la somme de 95 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

L'APTA défenderesse conteste être intervenue dans la répartition des commandes de l'Etat soulignant que d'ailleurs celle-ci n'a pas été faite au détriment de la requérante. Elle conclut à la confirmation de la décision du conseil.

Le représentant du ministre de l'Économie a conclu au rejet du recours.

Sur quoi, LA COUR

Considérant que la société Pinton dénonce en premier lieu les pratiques de l'APTA au sein de la commission de répartition des commandes de l'Etat, pour l'éliminer du marché des commandes publiques en second lieu, les pratiques de l'APTA et du CTDH pour l'exclure de la réalisation des tapisseries commémoratives tout en faisant croire à la mission du bicentenaire que le CTDH représentait l'ensemble de la profession ;

Mais considérant que les pratiques dénoncées participent du choix, d'une part, fait par la commission de répartition des commandes de l'Etat pour le compte du Mobilier national, d'autre part, fait par l'APTA pour le compte de CTDH, des ateliers chargés de fabriquer les tapisseries commandées par l'Etat et celles composant la suite sur le thème des droit de l'homme ;

Considérant que la décision par laquelle une entreprise est choisie pour exécuter une commande de l'Etat n'est pas, en elle-même, un acte de production de distribution ou de service auquel s'appliquent les règles définies par l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Que la convention passée entre deux associations dont l'une confie à l'autre le soin de faire réaliser des tapisseries commémoratives qu'elle doit acquérir pour le compte de tiers et qui font l'objet d'une commande unique destinée aux seuls ateliers d'Aubusson ne relève pas davantage de l'ordonnance précitée ;

Considérant de surcroît que la requérante ne démontre pas les éléments d'une concertation faite à son détriment concernant l'attribution des commandes faites par la commission de répartition ou concernant l'attribution de la commande spécifique dont elle était écartée tant par ceux qui en ont conçu le projet que par la mission du bicentenaire qui l'a agréée que par ceux qui en ont assuré le financement ;

Qu'elle ne peut soutenir que la création de l'APTA qui est une manifestation de la liberté de s'associer et le dépôt d'une marque collective participent par eux-mêmes à une pratique prohibée ;

Considérant que, sur le recours contre les décisions du Conseil de la concurrence, la cour est appelée à sanctionner les pratiques anticoncurrentielles des entreprises et non les comportements individuels ;

Considérant qu'il s'ensuit que le recours doit être rejeté ;

Que ce rejet s'entend de toutes les demandes formulées par son auteur ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication formée par le CTDH ;

Considérant que l'équité commande de faire application de l'article 700 du NCPC à la demande du CTDH ;

Par ces motifs : rejette le recours ; dit n'y avoir lieu à publication du présent arrêt ; condamne la société Pinton à payer 10 000 F au Cercle de la tapisserie des droits de l'homme.