Cass. com., 1 mars 1994, n° 92-13.651
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Fédération française de Football
Défendeur :
La Cinq (SA), Lafont (ès qual.), Pierrel (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, Mes Copper-Royer, Ricard.
LA COUR : - Sur le premier moyen pris en ses deux branches : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué statuant en référé (Paris, 31 mars 1992) que la société La Cinq a acquis en 1992 les droits de rediffusion en France des matchs de football de demi-finale de la Coupe d'Italie ; qu'elle a fait part à la Fédération française de football (FFF), le 16 mars 1992, de ce qu'elle diffuserait le match opposant l'équipe Milan AC à la Juventus de Turin prévu le 31 mars 1992 ; que le 17 mars 1992, la FFF s'est opposée à cette diffusion ; qu'estimant que ce refus était illicite, la société La Cinq a saisi le juge des référés en vue d'être autorisée à procéder à la diffusion du match ainsi qu'à celle concernant deux autres matchs de la Coupe d'Italie dont elle avait également acquis les droits ;
Attendu que la FFF fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré les juridictions de l'ordre judiciaire compétentes pour apprécier la validité de la décision par laquelle la FFF avait refusé d'autoriser La Cinq à retransmettre une rencontre de football dont elle avait acquis les droits, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la décision unilatérale litigieuse, loin d'être constitutive d'une prestation de services, avait été prise par la FFF dans l'exercice du pouvoir qu'elle tient, conformément aux dispositions des arrêtés des 2 août 1989 et 2 juillet 1991, de la délégation ministérielle prévue à l'article 17 de la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives ; que l'appréciation de la validité de cette décision relevant dès lors de la compétence exclusive des juridictions administratives, la cour d'appel a violé par fausse application de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix de la concurrence, et alors, d'autre part, que la loi du 16 juillet 1984 distingue, en ses articles 16 et 17, les fédérations simplement associées à l'exécution du service public du sport, qui bénéficient d'un simple agrément ministériel (article 16) et celles qui, une seule par discipline, reçoivent en outre délégation du ministre pour organiser les compétitions sportives à l'issue desquelles sont délivrés les titres (article 17) ; que la FFF ayant, par arrêtés ministériels des 2 août 1989 et 2 juillet 1991, reçu la délégation prévue à l'article 17 de la loi susvisée pour la discipline du football, l'autorisation ou le refus d'autorisation de la retransmission télévisée de certaines compétitions de ce sport est une décision unilatérale prise par celle-ci pour l'exécution du service public et dans l'exercice de prérogatives de puissance publique ; qu'ainsi, en relevant qu'en application de l'article 16 de la loi du 16 juillet 1984, la FFF aurait été simplement associée à l' exécution d'une mission de service public, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 17 de cette loi ;
Mais attendu que l'arrêt a exactement relevé que si la FFF, association constituée conformément à la loi du 1er juillet 1901, participait en application de l'article 16 de la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, à l'exécution d'une mission de service public, les actes et décisions pris pour l'application de cette mission ne ressortissaient à la compétence de la juridiction administrative que pour autant qu'ils constituaient l'exercice d'une prérogative de puissance publique; qu'elle en a déduit à bon droit que dans le cadre de ses accords avec l'Union des associations européennes de football (UEFA) dont elle est membre, les autorisations qu'elle accordait pour l'exécution des conventions de cession à titre onéreux de droit privé passées avec des clubs, fédérations ou tous autres titulaires de droits, avec les chaînes de télévision pour la retransmission en France de matchs de football ayant lieu à l'étranger n'étaient pas des activités de service public; qu'il en découlait qu'il s'agissait d'activités de distribution et de services au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et non de celle visée par l'article 17 de la loi du 16 juillet 1984 donnant délégation ministérielle à la FFF pour organiser les compétitions sportives permettant la délivrance des titres ou l'utilisation du pouvoir disciplinaire; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen pris en ses trois branches : - Attendu que la FFF fait grief à l'arrêt d'avoir estimé que l'interdiction qui avait été faite à la société La Cinq de retransmettre le match de football du 31 mars 1992 constituait un trouble manifestement illicite ; alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en omettant d'examiner si le refus de la FFF d'autoriser La Cinq à diffuser la rencontre litigieuse n'entrait pas dans les prévisions des mémoires énonçant les conditions générales dans lesquelles la FFF était en mesure d'autoriser ou d'interdire les retransmissions de rencontres de football et que la FFF avait déposés auprès du Conseil de la concurrence les 10 et 17 mars 1992, conformément à l'injonction que la cour d'appel lui avait faite dans son arrêt du 10 février 1992, et si, partant, le caractère manifestement illicite du trouble allégué par La Cinq ne prêtait pas, à tout le moins, à une contestation sérieuse de la compétence exclusive du juge du fond, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, et en tout état de cause, qu'en ne recherchant pas si le refus de la FFF d'autoriser La Cinq à diffuser la rencontre litigieuse, n'était pas conforme aux termes énoncés dans les mémoires que la FFF avait déposés auprès du Conseil de la concurrence et, par voie de conséquence, licite, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, qu'en négligeant de répondre aux conclusions de la FFF, selon lesquelles le déroulement et la retransmission de nombreuses autres rencontres, tant européennes que le championnat français dans la même période que celle à l'intérieur de laquelle La Cinq avait sollicité l'autorisation de diffuser la rencontre litigieuse, révélaient à l'évidence un phénomène de saturation justifiant le refus de la FFF d'accorder cette autorisation, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt a constaté que la FFF ne donnait aucune justification des raisons invoquées dans sa lettre du 17 mars 1992 pour s'opposer à la retransmission de ce match, et notamment, qu'elle n'apportait aucune preuve d'un risque de saturation de la diffusion d'événements sportifs de même nature durant la période considérée ; qu'en l'état de ces constatations, en décidant que le refus de la FFF était abusif et constituait un trouble manifestement illicite au libre exercice de retransmission télévisée d'une rencontre sportive dont les droits avaient été régulièrement acquis, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument omises, n'avait pas à effectuer d'autres recherches ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs, rejette le pourvoi.