Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 31 octobre 1994, n° 93-9481

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Union des Groupements d'Achats Publics

Défendeur :

CAMIF (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Ezratty

Conseillers :

MM. Bargue, Albertini

Avoués :

Me Bettinger, SCP Jobin

Avocats :

Mes Manseau, Flécheux.

T. com. Paris, du 8 févr. 1993

8 février 1993

L'Union des groupements d'achats publics (ci-après, UGAP) est appelante du jugement rendu le 8 février 1993 par le Tribunal de commerce de Paris qui, ayant déclaré recevable l'action formée à son encontre par la Coopérative de consommation des adhérents de la mutuelle assureur des instituteurs de France (ci-après, CAMIF), a fait à l'UGAP injonction, assortie de l'exécution provisoire, de respecter les règles de la concurrence tant internes que communautaires et de n'user d'aucune pratique discriminatoire contraire à ces règles dans l'exercice de sa mission.

Le tribunal a débouté l'UGAP de sa demande reconventionnelle et, avant dire droit sur la demande principale, a ordonné une mesure d'expertise ayant pour objet de :

- relever, dans les reproches formulés par la CAMIF à l'encontre des comportements de l'UGAP, les faits constituant des actes de concurrence anormale,

- distinguer dans ces faits ceux qui découlent normalement de l'application du statut de l'UGAP et des délégations de puissance publique qui lui ont été consenties contractuellement, et ceux qui relèvent d'un comportement anticoncurrentiel, voire même discriminatoire envers la CAMIF,

- réunir tous éléments permettant au tribunal de statuer ultérieurement sur le préjudice invoqué par la CAMIF.

Référence étant faite à cette décision et aux écritures échangées par les parties pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens retenus par les premiers juges, il convient de rappeler que :

La CAMIF, société anonyme coopérative à personnel et capital variables ayant pour objet la répartition entre ses sociétaires des biens de consommation qu'elle achète, est autorisée aux termes de l'article 6 de ses statuts à vendre au profit des établissements publics d'enseignement et de recherche, ainsi qu'au profit des services de l'administration de l'Etat.

L'UGAP a été initialement un service d'achats de l'Education nationale avant de devenir un établissement public industriel et commercial par l'effet d'un Décret du 30 juillet 1985.

S'estimant en concurrence avec l'UGAP sur le marché de la fourniture de produits et de services aux acheteurs publics, la CAMIF reproche à celle-ci un comportement qui violerait le principe d'égalité de traitement des concurrents publics et privés et qui altérerait gravement, au regard tant du droit interne que du droit communautaire, le jeu de la concurrence sur le marché.

C'est dans ces conditions que la CAMIF a, les 19 et 21 février 1991, assigné l'UGAP devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir qu'il lui soit enjoint de s'abstenir à l'avenir de toute violation du principe d'égalité des concurrents et qu'elle soit condamnée à lui verser la somme de 253 millions de francs en réparation du préjudice causé.

Le préfet de la région Ile-de-France ayant élevé le conflit, le tribunal des conflits a, par décision du 4 novembre 1991, annulé l'arrêté de conflit au motif que la demande de la CAMIF ne tendait plus à contester la légalité des actes administratifs mais seulement à obtenir réparation d'un préjudice causé par certaines pratiques commerciales imputées à un établissement industriel et commercial.

Parallèlement, la CAMIF a, le 29 avril 1991, saisi le Premier ministre d'une demande tendant à l'abrogation du Décret 85-801 du 30 juillet 1985 relatif à l'UGAP et de l'article 34 du Code des marchés publics.

Le Conseil d'Etat a, par arrêt du 29 juillet 1994, rejeté le recours formé par la CAMIF en annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet résultant du silence du Premier ministre.

Le tribunal de commerce ayant rendu la décision ci-dessus rappelée, l'UGAP en poursuit l'infirmation et demande reconventionnellement à la cour de réparer par l'allocation d'un franc chacun des préjudices que lui a causés la CAMIF en la dénigrant par voie de presse, en tentant de débaucher son personnel et en exerçant à son encontre des actes de concurrence déloyale. Par conclusions signifiées le 7 mars 1994, l'UGAP a porté le montant de sa demande du chef de concurrence déloyale à la somme de 200 000 F.

L'UGAP ne reprend pas en cause d'appel sa demande formulée devant le premier juge tendant à la publication de la décision à intervenir dans un certain nombre de publications de son choix.

L'UGAP développe les moyens par elle soulevés devant les premiers juges et conclut tout d'abord à l'irrecevabilité de l'action de la CAMIF au motif que celle-ci serait dépourvue de qualité et d'intérêt pour agir.

Elle soutient essentiellement à cet égard que si la CAMIF a choisi de vendre à une certaine catégorie de tiers, la législation applicable aux sociétés coopératives l'oblige à les admettre comme sociétaires et qu'en lespèce l'admission d'établissements publics est impossible en raison du fait que ceux-ci, soumis aux règles des marchés publics, ne peuvent devenir sociétaires d'une coopérative. Elle fait observer qu'en toute hypothèse ces sociétés n'ont pas vocation à vendre à des professionnels et que, de surcroît, les fonctions d'acheteur public et d'acheteur privé relèvent de deux ordres juridiques différents ce qui ne les rend pas substituables au regard de la clientèle visée.

Sur le fond, l'appelante fait valoir que la CAMIF napporte pas d'éléments suffisants à l'appui de la mesure d'instruction qu'elle sollicite tant sur la délimitation du marché pertinent qu'elle ne définit pas avec précision, que sur la position dominante et les pratiques anticoncurrentielles qu'elle impute à l'UGAP, contrevenant ainsi aux dispositions de l'article 146 du nouveau Code de procédure civile.

La CAMIF conclut, pour l'essentiel, à la confirmation de la décision déférée et sollicite de la cour, sur le fondement des dispositions de l'article 26 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la consultation du Conseil de la concurrence sur la détermination du marché, la caractérisation d'une position dominante de l'UGAP sur ledit marché et des pratiques anticoncurrentielles que celle-ci y exerce. Elle soutient que :

- son action est recevable dès lors que ses statuts lui permettent de vendre à des tiers et qu'ils n'excluent nullement la faculté pour ceux-ci de devenir sociétaires sans pour autant, en conformité avec les dispositions législatives, leur en faire obligation,

- si une coopérative de consommation doit être constituée entre "consommateurs", il ne lui est pas interdit d'étendre ses ventes à d'autres personnes que ses membres, y compris des professionnels,

- les parties sont en concurrence sur le marché de l'assistance à la commande publique dès lors que la CAMIF a légitimement étendu le champ de ses activités aux collectivités publiques.

Sur le fond l'intimée fait valoir que :

- son action est fondée sur les pratiques anticoncurrentielles reprochées à l'UGAP comme contraires aux dispositions des articles 86 et 90 du traité de Rome et 8-1 et 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- le tribunal a, pour ordonner une expertise, pris en compte à juste titre l'ensemble des faits relevés par la CAMIF.

Le Ministère public conclut à la recevabilité de l'action engagée par la CAMIF, à la saisine du Conseil de la concurrence pour avis et à l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle fait injonction à l'UGAP de respecter les règles de la concurrence.

L'UGAP s'oppose, de son côté, à la saisine du Conseil de la concurrence, estimant que cette mesure suppléerait à la carence de la CAMIF dans l'administration de la preuve tandis que l'intimée conclut à la saisine du Conseil et au maintien de la mesure d'expertise.

Sur quoi, LA COUR :

Sur la recevabilité de l'action de la CAMIF

Considérant que le moyen d'irrecevabilité soulevé par l'UGAP à l'encontre de l'action engagée par la CAMIF se fonde sur le défaut d'intérêt et de qualité de cette dernière ;

Que l'UGAP dénie en effet à la CAMIF, en raison de son statut de coopérative, le droit de vendre, à des non-sociétaires et, en toute hypothèse, à des professionnels ;

Qu'elle fait observer que les administrations et collectivités publiques auxquelles la CAMIF prétend s'adresser ne sauraient devenir sociétaires ou adhérents à peine d'enfreindre la législation sur la transparence et la régularité des marchés publics ;

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, " les coopératives ne peuvent admettre les tiers non sociétaires à bénéficier de leurs services, à moins que les lois particulières qui les régissent ne les y autorisent " ;

Considérant que l'article 2 de la loi du 7 mai 1917, particulière au sens du texte précité, aux sociétés coopératives de consommation par laquelle est régie la CAMIF, ce qui n'est pas contesté, prévoit expressément " (qu')elles peuvent ne pas vendre exclusivement à leurs membres " ;

Que, selon ce texte, les coopératives sont alors " tenues de recevoir comme associés tous ceux qu'elles ont déjà admis comme clients habituels, pourvu qu'ils s'engagent à remplir les obligations statutaires " ;

Que la disposition selon laquelle les sociétés coopératives " sont tenues de recevoir ... pourvu qu'ils s'engagent à remplir les obligations statutaires " implique que l'accession au sociétariat constitue une prérogative accordée aux clients habituels de la coopérative auxquels appartient l'initiative d'en faire la demande sans que cette accession constitue cependant pour eux une obligation ;

Considérant que l'article 6 des statuts de la CAMIF, dans leur rédaction résultant de la délibération de l'assemblée générale extraordinaire du 26 mai 1990, applicables à la date où l'assignation a été délivrée, après avoir défini les catégories de personnes physiques et morales pouvant être sociétaires ou adhérents, énonce que " peuvent également acheter à la société pour leurs besoins propres ", notamment, " ... les services de l'administration de l'Etat..., tous établissements publics " ainsi que les collectivités publiques ;

Considérant que c'est à tort que l'UGAP conclut à l'illicéité de cette disposition au motif pris de ce que les administrations et collectivités publiques ne pourraient, sans violer les devoirs et contraintes résultant de leur statut, acquérir la qualité de sociétaire ou adhérent, dès lors que, d'une part, la législation applicable aux coopératives de consommation n'édicte aucune interdiction concernant les personnes publiques et que, d'autre part, les statuts de la CAMIF qui font une exacte application des dispositions de l'article 2 de la loi de 1917 précitée, n'imposent pas aux tiers acheteurs de devenir sociétaires ou adhérents mais leur en donnent seulement la faculté ;

Qu'il ne saurait être déduit du fait que les statuts s'attachent spécialement aux liens particuliers unissant la MAIF à la CAMIF dont les parts sociales du capital initial ont été souscrites par les sociétaires de cette mutuelle, que la CAMIF a entendu rester une société de consommation d'administration s'interdisant de vendre à tout client extérieur à l'Education nationale ;

Qu'en toute hypothèse, la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat, a ouvert aux coopératives d'administration la possibilité de vendre à des personnes autres que les membres du personnel de l'Administration ;

Considérant que l'UGAP soutient encore que les administrations et collectivités publiques sont des " professionnels " et non des consommateurs au sens de la loi de 1917 précitée et que la CAMIF ne peut en conséquence les avoir pour clientes ;

Mais considérant que les sociétés coopératives de consommation sont, aux termes de l'article 1er de la loi du 7 mai 1917, constituées par des consommateurs dans le but de vendre à leurs adhérents les objets de consommation qu'elles achètent ou fabriquent ;

Considérant que le consommateur se définit comme celui qui achète pour son usage (dictionnaire Littré) ;

Que dans leur article 6 les statuts de la CAMIF prévoient que " peuvent acheter pour leurs besoins propres " notamment les services de l'administration de l'Etat, les sociétés d'économie mixte, tous établissements publics et les collectivités locales ;

Que la satisfaction des " besoins propres " répond bien à la définition de l'acte de consommation au sens de la loi du 7 mai 1917 susmentionnée ;

Qu'en l'espèce il n'est pas établi ni même soutenu que les biens et services que les administrations et collectivités publiques acquièrent ou se proposent d'acquérir auprès de la CAMIF comme auprès de l'UGAP, sont destinés à un autre usage que celui, exclusif, de leur fonctionnement ;

Que la CAMIF, pouvant offrir ses produits à des administrations et collectivités publiques justifie par la même d'un intérêt à agir, improprement qualifié par les parties de qualité pour agir, contre l'Union des groupements d'achats publics au titre de pratiques commerciales qu'elle impute à celle-ci comme étant de nature à fausser le jeu de la concurrence ;

Sur le fond :

Considérant que la CAMIF, ainsi qu'il résulte de ses conclusions du 31 janvier 1994, entend placer son action non sur le fondement d'une concurrence déloyale de la part de l'UGAP mais sur les article 8-1 et 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibant l'exploitation abusive par une entreprise de sa position dominante sur le marché ou de l'état de dépendance économique dans laquelle se trouverait, à son égard, une entreprise cliente ou fournisseur, ainsi que sur l'article 86 du traité de Rome ;

Que la CAMIF demande la sanction du comportement de l'UGAP, contraire selon elle aux dispositions de ces textes, par application des article 9 de l'ordonnance précitée et 1382 du Code civil ;

Considérant que la vérification de l'existence des pratiques anticoncurrentielles alléguées nécessite la détermination préalable du marché pertinent;

En ce qui concerne le marché pertinent.

Considérant que le marché se définit comme le lieu sur lequel se rencontrent une offre et une demande pour des produits ou des services ;

Considérant qu'il convient de rechercher si les types de produits et de prestations de services offerts par la CAMIF sont de même nature que ceux offerts par l'UGAP et se trouvent sur un même marché, puis de déterminer si ce marché est lui-même spécifique ou s'il est inclus dans le marché plus général desdits produits et prestations, que ceux-ci soient achetés par des consommateurs privés ou publics ;

Considérant d'abord qu'il n'est pas contesté que les produits offerts par les deux organismes, portant sur des mobiliers, des fournitures pour collectivités et fournitures de bureau diverses, notamment informatiques, sont de même nature ;

Considérant ensuite, qu'en ce qui concerne les prestations qualifiées par la CAMIF " d'assistance à la commande publique " et par l'UGAP de " service d'ingénierie d'achat ", il apparaît une similitude dans la nature et la finalité des services offerts à la clientèle ;

Qu'en effet la CAMIF décrit cette assistance comme " la prestation de service qui consiste à aider l'acheteur public à définir ses besoins, à l'assister dans le choix des produits et des fabricants et dans ses relations avec les fournisseurs sélectionnés tant au stade de la commande qu'à celui de la livraison et même à celui de l'après-vente " ;

Que si l'objet de l'UGAP, défini par le Décret du 30 juillet 1985 qui confère à cet organisme la qualité d'établissement public industriel et commercial, est " d'acheter et de céder des produits et des services destinés aux personnes publiques et aux organismes de statut privé assurant une mission de service public ", il est aussi " d'apporter à ces personnes et organismes l'assistance technique dont ils peuvent avoir besoin en matière d'équipement et d'approvisionnement " ;

Que la similitude des activités des deux organismes dans le domaine du conseil et de l'aide en matière de gestion de la commande publique et l'effectivité de cet exercice, résulte en particulier de la comparaison du catalogue " CAMIF collectivités " et des catalogues " informatique et communication 1994 " et " Enseignement supérieur " de l'UGAP dans lesquels sont présentés les caractéristiques, les modalités et les avantages de l'activité d'ingénierie d'achat ;

Que le Conseil avant achat, l'assistance technique et le service après-vente constituent avec l'achat proprement dit une chaîne d'opérations cohérentes décrites par le catalogue de l'UGAP et comportant notamment " aide à la définition du besoin ", " documents de consultation ou d'appel d'offres ", " mise en concurrence des fournisseurs ", " réception, dépouillement des offres et tableau de synthèse ", " choix du fournisseur par le client ", lancement de la commande " et " suivi des opérations " ;

Considérant que, constituant un ensemble homogène et indissociable par l'enchaînement des phases décrites par ces documents, la vente de fournitures et les prestations d'aide et de conseil qui en sont les annexes, délimitent un seul marché ;

Considérant, à cet égard, que la CAMIF qui avait tout d'abord conclu devant la cour à l'existence d'un marché des achats de fournitures distinct de celui de la prestation d'assistance à la commande publique, a reconnu elle-même dans sa note n° 4 du 17 mars 1994 adressée à l'expert désigné par le tribunal de commerce et reprise dans ses conclusions du 2 septembre 1994, qu'elle " ne conteste pas que, en l'occurrence, le marché pertinent est celui des achats publics et elle ne renie pas ses écritures initiales se référant au marché de la fourniture des produits et des services aux acheteurs publics... " ; que la CAMIF poursuit : " on observera peut-être dans l'avenir une dissociation entre un marché de la fourniture et un autre de l'assistance... A l'heure actuelle la CAMIF est bien d'accord pour admettre l'existence d'un seul marché de la commande publique sur lequel, du côté de l'offre, interviennent fournisseurs prestataires d'assistance et ensembliers " ;

Considérant en conséquence que les biens et services offerts par la CAMIF et l'UGAP qui sont de même type et substituables, se trouvent sur un même marché ;

Qu'il convient encore de déterminer si ce marché est un marché distinct de celui plus général des mêmes produits et services offerts à des acheteurs quelle que soit leur qualité de personne publique ou privé ;

Considérant que si la pertinence du marché public ne peut résulter de la spécificité des produits et services qui y sont offerts, elle résulte de la spécificité, par rapport à toute autre clientèle, de la clientèle des acheteurs publics tenus à un ensemble de règles contraignantes, pour le fournisseur comme pour elle-même, tant en ce qui concerne les procédures de sélection que les procédures d'engagement, de facturation et d'ordonnancement des dépenses ;

Que sur le marché ainsi défini, il est d'ores et déjà établi que la CAMIF opère en qualité de fournisseur ; que l'UGAP se trouve aussi sur ce marché lorsqu'elle offre aux acheteurs publics ces mêmes produits et services ;

En ce qui concerne les griefs allégués :

Considérant qu'il convient de rechercher si, comme le soutient la CAMIF, l'UGAP occupe une position dominante sur ledit marché, si elle exploite abusivement cette situation ou celle de dépendance économique dans laquelle prétend se trouver la CAMIF à son égard ;

Considérant que la CAMIF, dont la contestation de la légalité du Décret du 30 juillet 1985 et de l'article 34 du Code des marchés publics, portée devant le Conseil d'État, a été rejetée par arrêt de cette juridiction en date du 29 juillet 1994, ne saurait, sous couvert du moyen pris de l'existence de pratiques anticoncurrentielles, contester à nouveau devant la juridiction judiciaire incompétente pour en connaître l'organisation par le pouvoir réglementaire du service des achats publics mis en place par le Décret de 1985 qui confie à l'UGAP la centralisation des achats de véhicules des administrations de l'Etat, qui prévoit que les commandes passées à l'UGAP sont dispensées de marchés et qui aménage certaines règles du Code des marchés publics pour les achats effectués par cet organisme ;

Considérant que l'organisation des achats publics par le pouvoir réglementaire a été jugée, par la décision précitée du Conseil d'Etat qui s'impose à la cour, comme échappant aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Mais considérant que l'UGAP est, au sens de l'article 90§1er du traité de Rome, une entreprise publique à laquelle un Etat membre accorde des droits spéciaux ou exclusifs et, aux termes de l'article 53 de l'ordonnance précitée, elle est soumise, dans l'exercice de son activité de distribution et de services ci-avant décrite, aux règles définies par cette ordonnance;

Considérant que la CAMIF indique dans sa note à l'expert en date du 30 septembre 1993 qu'elle se trouve essentiellement en concurrence avec l'UGAP sur le segment de marché concernant l'Education nationale ;

Qu'il ressort des documents communiqués à l'expert par la CAMIF que le chiffre d'affaires de cette dernière, hors vente de véhicules et marché hospitalier, est de manière constante de 1988 à 1992 dans un rapport d'un peu plus de cinq fois celui de la CAMIF, qu'en ce qui concerne chaque secteur d'activité, les chiffres d'affaires de la CAMIF sont inférieurs à ceux de l'UGAP de l'ordre de 40 à 50 % pour l'audiovisuel et l'équipement général, de 10 % pour les mobiliers scolaires et de bureau compris, selon les années, entre 1,7 et 3,9 % pour l'équipement industriel ;

Que la part du secteur de l'Education nationale dans le chiffre d'affaires de l'UGAP hors véhicules ressort à une valeur comprise entre 25 et 30 % ;

Que l'UGAP indique sans toutefois en apporter de justification qu'elle réalise moins de 1 % de la commande publique totale ;

Considérant qu'en l'absence, notamment de l'indication, d'une part, du chiffre d'affaires réalisé globalement sur le marché des achats publics et sur le segment de marché de l'Education nationale tant par le recours à l'UGAP qu'aux marchés négociés, aux appels d'offres et aux achats de gré à gré et d'autre part, de celui réalisé par la seule UGAP sur ce même marché et segment de marché, les éléments fournis à la cour ne permettent pas à eux seuls de caractériser une position dominante de l'UGAP ou une dépendance économique de la CAMIF ;

Considérant qu'il convient cependant de rechercher si l'UGAP a pu s'assurer une position dominante sur le marché ou placer la CAMIF dans une situation de dépendance en recourant à des pratiques susceptibles d'interdire ou de restreindre l'accès de la CAMIF au marché ;

Considérant que la CAMIF reproche d'abord à l'UGAP de fausser le jeu de la concurrence par des pratiques de " détournement " de la finalité de son propre catalogue, l'UGAP n'interdisant pas aux acheteurs publics de recourir à des produits hors catalogue mais ne les mettant pas en mesure de connaître les autres fournisseurs et en appliquant, dans l'hypothèse d'achats de produits non référencés, des frais supplémentaires de nature à pénaliser ces autres prestataires ;

Que la CAMIF dénonce aussi " l'agrément " dont bénéficient les produits de l'UGAP au niveau des académies, qui lui permet d'exclure tout autre prestataire au moment du choix par les acheteurs locaux, le matériel " labélisé " devenant ainsi le passage obligé desdits acheteurs et fait valoir que l'entretien de relations d'exclusivité par l'UGAP avec les fournisseurs-clés d'un marché, exclut également la CAMIF du secteur de la fourniture, de telles pratiques ayant notamment eu lieu à l'occasion du marché des chaises Simire depuis 1987, de celui des rayonnages de marque Tixit et du marché de la vaisselle collective ;

Considérant que la CAMIF reproche ensuite à l'UGAP un rétablissement de son monopole par une voie contractuelle consistant à passer des conventions avec des collectivités publiques, en particulier les Conseils régionaux des régions Nord, Aquitaine, Picardie, Auvergne et Bretagne et à établir des relations prvilégiées avec diverses autorités publiques telles que les rectorats ;

Que les clauses de certains de ces contrats prévoyant que l'UGAP " se réserve la possibilité de refuser la prise en charge des commandes qui lui apparaîtraient contraire à sa politique générale d'achats " et que la consultation des fournisseurs sera réalisée par la " mise en concurrence des fournisseurs au sein des marchés UGAP existants ", sont susceptibles de fausser le libre jeu de la concurrence ;

Considérant que la CAMIF reproche encore à l'UGAP d'avoir utilisé une stratégie de communication parasitaire ayant pour objet de créer l'apparence d'un monopole visant à contrecarrer la volonté des pouvoirs publics de la soumettre à la concurrence et à inciter les fonctionnaires responsables des passations de commandes à faire confiance à " l'Administration " au détriment de ceux qui n'en font pas partie ;

Considérant qu'il est fait état notamment de l'utilisation par l'UGAP à des fins publicitaires du serveur télématique " Edutel " du ministère de l'Education nationale ;

Considérant que si les comportements de l'UGAP qui viennent d'être relevés sont susceptibles de constituer des indices d'une position dominante sur le marché des achats publics et d'une exploitation abusive de cette position ou encore d'une dépendance économique de la CAMIF, la cour ne dispose toutefois pas des éléments qualitatifs et quantitatifs suffisants pour les caractériser;

Considérant que les moyens d'investigation dont dispose un expert judiciaire n'étant pas suffisamment étendus pour lui permettre d'accéder à l'ensemble des informations dont la cour a besoin, il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 26 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de saisir le Conseil de la concurrence pour avis en lui demandant de :

- déterminer, sur le marché global des fournitures publiques et plus particulièrement sur le segment de marché de l'Education nationale, quel que soit le mode de passation des marchés, la part des commandes publiques passant par l'UGAP et la part de marché détenue par la CAMIF et par tout autre fournisseur qui en détiendrait une part significative, en ventilant les ventes faites par ces fournisseurs à l'UGAP et celles faites directement à l'acheteur public par appel d'offres, adjudication ou de gré à gré ;

- rechercher si l'UGAP se trouve en position dominante sur le marché et/ou si la CAMIF se trouve en situation de dépendance économique à son égard ;

- rechercher, dans l'affirmative, si le comportement de l'UGAP est constitutif d'abus ;

Considérant que la saisine du Conseil de la concurrence ne justifiant pas que la mission de l'expert ordonnée par le tribunal soit prorogée au-delà de la date du prononcé du présent arrêt, il y a lieu de mettre fin à cette mission ; que l'expert commis est invité à déposer en l'état l'ensemble des éléments qu'il a recueillis et du rapport qu'il a pu établir de ses premières opérations ;

Considérant qu'insuffisamment informés sur les pratiques imputées à l'UGAP les premiers juges ne pouvaient prononcer à son encontre une injonction générale d'avoir à respecter les règles de la concurrence et de n'user d'aucune pratique discriminatoire contraire à ces règles dans l'exercice de sa mission ;

Par ces motifs : confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la CAMIF recevable en son action et ordonné une expertise ; le réforme en ce qu'il a prononcé une injonction à l'encontre de l'UGAP ; avant dire droit, prie M. le Procureur général de bien vouloir saisir conformément aux dispositions de l'article 26 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence d'une demande d'avis sur l'existence de pratiques de la part de l'UGAP ayant pour effet de lui assurer une domination sur le marché des achats publics et d'abuser de cette domination ou de placer la CAMIF dans une situation de dépendance économique à son égard ; met fin aux opérations d'expertise à compter du prononcé de la présente décision et dit que l'expert déposera dans le mois au greffe de la cour les éléments qu'il a recueillis ainsi que le rapport de ses premières opérations ; sursoit à statuer sur les demandes formées par la CAMIF en dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ainsi que sur les demandes reconventionnelles formées par l'UGAP; sursoit à statuer sur les demandes formées sur le fondement de l'article 700 NCPC.