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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 23 décembre 1991, n° ECOC9210003X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Cinq (SA), Fédération française de Football

Défendeur :

Commissaire du Gouvernement, Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

M. Guérin, Mme Piniot

Avoué :

Me Lagourgue

Avocats :

Mes Parléani, Appietto

CA Paris n° ECOC9210003X

23 décembre 1991

Le 10 juillet 1991, la société la Cinq SA a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par l'Union des Associations Européennes de Football (UEFA) et la Fédération Française de Football (FFF) relatives à la cession aux chaînes de télévision des droits de diffusion de matchs de football.

Par lettres enregistrées les 2 et 23 octobre 1991, la société La Cinq SA a, en outre, sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, soumis au Conseil une requête aux fins de mesures conservatoires visant à faire cesser les agissements restrictifs de concurrence qu'elle reproche à ladite fédération.

Au soutien de sa demande, elle expose que l'UEFA, association de droit suisse qui rassemble dans un but d'intérêt général les associations nationales d'Europe affiliées à la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) et reconnues par celle-ci comme contrôlant le football dans leurs pays respectifs, s'est dotée de statuts prévoyant en l'article 14 que :

" L'UEFA, ses associations-membres, leurs organisations affiliées et clubs détiennent les droits exclusifs d'autoriser la diffusion, la transmission ou la reproduction par télévision ..., en direct ou en différé, en entier ou en résumé, des manifestations se déroulant dans l'espace de l'UEFA. "

Qu'en outre selon l'alinéa 2 de ce texte, hormis certains événements ou émissions :

" Si la diffusion ... est destinée à un pays tiers, le détenteur des droits ... ne peut accorder l'autorisation (selon une procédure indiquée) qu'après avoir obtenu l'accord de l'association du pays récepteur, (cela valant) pour les transmissions en direct ou en différé, entière ou partielle, de même que pour d'éventuelles rediffusions. "

La société La Cinq SA reproche à la FFF, membre de l'Union des Associations Européennes de Football de lui avoir refusé systématiquement l'autorisation de retransmettre les matchs de football entrant dans le champ d'application du texte précité causant ainsi une atteinte grave et immédiate tant à ses propres intérêts et à ceux des consommateurs qu'à l'économie en général ou à celle du secteur intéressé.

Estimant que la société La Cinq SA n'établissait pas que les conditions de mise en œuvre du texte susvisé étaient réunies notamment en raison de la nature des mesures sollicitées, le Conseil a rejeté la demande le 19 novembre 1991.

La Cour statue sur le recours formé par la société la Cinq SA contre la décision susvisée, par application des dispositions de l'article 12 alinéa 4 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Au cours de l'instance, le Préfet de la région d'Île-de-France, Préfet de Paris a, par un déclinatoire du 11 décembre 1991, demandé à la Cour de se déclarer incompétente.

Selon le mémoire déposé à cet effet, il est soutenu :

- que conformément à l'article 17 de la loi du 16 juillet 1984, relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, la FFF a, par arrêtés des 2 août 1989 et 2 juillet 1991, reçu délégation du Ministre de la jeunesse et des sparts afin d'" organiser, de développer, de contrôler la pratique du football " et de " défendre les intérêts moraux et matériels du football français " ;

- qu'ainsi, conformément à l'article 16 de la loi précitée et aux fins prévues par la délégation dont elle est titulaire, la fédération concernée participe à l'exécution d'une mission de service public dans le cadre de laquelle elle a adhéré à l'UEFA,

- que selon le déclinatoire, il s'ensuit que les décisions qu'elle prend par application de l'article 14 des statuts de l'UEFA n'obéissent pas à la logique du profit mais à celle du service public de l'organisation des compétitions et de la promotion du football en ce qu'elles visent à assurer une meilleure fréquentation des stades lors des rencontres de football et qu'ainsi, n'étant pas une activité de production, de distribution ou de service au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, elles n'entrent pas dans le champ d'application de la dite ordonnance ;

- que de telles décisions constituent des actes administratifs relevant de la compétence des juridictions administratives.

La FFF qui s'est jointe à l'instance, conformément aux dispositions de l'article 7 du décret du 19 octobre 1987, reprend les moyens d'incompétence ci-dessus exposés qu'elle avait déjà invoqués devant le Conseil.

Aux termes de mémoires successifs la société La Cinq SA prétend que le déclinatoire est irrecevable en ce que, n'étant destiné qu'au Procureur Général, " il ne peut être considéré comme valant conclusions ", qu'il n'a pas été notifié aux parties et a été produit dans des conditions contraires à l'article 16 du nouveau Code de procédure civile.

La requérante poursuit en outre le rejet des moyens d'incompétence invoqués, aux motifs que l'activité de la FFF entre dans le champ d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que les autorisations qu'elle donne par application des statuts de l'UEFA ne relèvent pas des missions de service public déléguées à la fédération sportive en cause.

Le Ministère public a conclu au rejet du déclinatoire de compétence.

Sur quoi LA COUR :

Considérant que le déclinatoire de compétence présenté par le Préfet de la Région Île-de-France, Préfet de Paris, le 11 décembre 1991 remplit les conditions de forme prévues par les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 1er juin 1988 ;

Que le mémoire adressé à cet effet au Procureur général ayant été versé au dossier pour être communiqué aux parties et au Commissaire du Gouvernement, les débats ont été renvoyés afin de leur permettre d'y répondre ;

Qu'il s'ensuit que les moyens d'irrecevabilité tirés de la forme du déclinatoire, des conditions dans lesquelles il a été produit et de prétendues violations de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile doivent être rejetés ;

Considérant que les pratiques dénoncées se situent sur le marché des droits de retransmission des rencontres de football ;

Considérant qu'elles ont été examinées par le Conseil tant au regard des dispositions des articles 85 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne que des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant qu'aux termes de son article 53 les règles définies par l'ordonnance précitée sont applicables à toutes activités de production de distribution et de service, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, sans qu'il y ait lieu de rechercher si " les personnes en cause entendent se comporter en véritable entreprise et se situer dans le domaine concurrentiel des activités industrielles et commerciales " ou si " elles obéissent à une logique de profit " ;

Considérant que la cession des droits de retransmission des manifestations sportives est une activité de service ;

Quel'exercice par la FFF de la faculté de négocier avec les chaînes de télévision l'autorisation de retransmettre certaines rencontres de football, soit par convention directe soit par accord donné à des contrats conclus par d'autres organismes affiliés, est une prestation de service, même si, comme l'affirme la fédération en cause, elle met en œuvre les droits qu'elle tient des statuts de l'UEFA pour harmoniser la diffusion télévisée des matchs avec l'ensemble des compétitions organisées dans les clubs, en évitant pour les spectateurs, pratiquants et animateurs les phénomènes de saturation ;

Considérant qu'il est en outre soutenu que les autorisations de retransmission qu'il est reproché à la FFF d'avoir refusées à la société requérante relèvent du seul contrôle administratif ;

Mais considérant que si la FFF, association constituée conformément à la loi du 1er juillet 1901, participe en application de l'article 16 de la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, à l'exécution d'une mission de service public, les actes et décisions pris pour l'accomplissement de cette mission ne ressortissent à la compétence de la juridiction administrative que pour autant qu'ils constituent l'exercice d'une prérogative de puissance publique ;

Qu'il n'en est pas ainsi des contrats de droit privé passés par la fédération en cause avec les chaînes de télévision par application de l'article 14 alinéa 1er des statuts de l'UEFA pour céder à titre onéreux des droits de retransmission de matchs de football ou des autorisations qu'elle donne conformément à l'alinéa 2 du même article pour des conventions de même nature conclues par d'autres et que,par suite, les dits contrats et autorisations ne sont pas soustraits à l'examen de la cour d'appel de Paris statuant par application de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant au surplus que ni le mémoire du préfet ni celui de la FFF ne contiennent de moyens visant à contester la compétence de la Cour d'appel de Paris pour prononcer les mesures conservatoires sollicitées sur le fondement des articles 85 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne ;

Qu'il s'ensuit que le déclinatoire de compétence doit être rejeté ;

Par ces motifs : Rejette le déclinatoire présenté par le Préfet de la Région Île-de-France, Préfet de Paris, le 11 décembre 1986 ; Renvoie l'affaire à l'audience du 16 janvier 1992 à 9 heures 15 dans les locaux de la troisième Chambre de la Cour ; Réserve les dépens.