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Conseil Conc., 19 novembre 1991, n° 91-MC-05

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Demande de mesures conservatoires présentée par la société La Cinq SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en formation plénière sur le rapport oral de Mme Galène, dans sa séance du 19 novembre 1991 où siégeaient : M. Laurent, président ; MM. Béteille, Pineau, vice-présidents ; MM. Blaise, Bon, Cabut, Cortesse, Fries, Gaillard, Mmes Hagelsteen, Lorenceau, MM. Sargos, Schmidt, Sloan, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 91-MC-05

19 novembre 1991

Le Conseil de la concurrence,

Vu les lettres enregistrées les 2 octobre et 23 octobre 1991 sous le numéro M 88 par lesquelles la société La Cinq SA a saisi le Conseil de la concurrence d'une demande de mesures conservatoires à l'encontre de la Fédération française de football, association régie par la loi de 1901 ; Vu les articles 85 et 86 du traité de Rome ; Vu l'article 9, paragraphe 3, du règlement n° 17-62 de la Commission des communautés européennes ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives ; Vu les observations présentées par la Fédération française de football et par le commissaire du Gouvernement; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendues;

Considérant que la société La Cinq SA soutient que la Fédération française du football, ci-après dénommée FFF, lui refuse systématiquement l'autorisation de retransmettre les rencontres de football en vertu de l'article 14 des statuts de l'Union des associations européennes de football, ci-après dénommée UEFA, une association de droit suisse à laquelle est affiliée la FFF ; que l'article 14 précité stipule :

" 1° L'UEFA, ses associations membres, leurs organisations affiliées et clubs détiennent les droits exclusifs de diffusion et de transmission par quelque moyen audiovisuel et radiophonique que ce soit, en direct, en différé ou en résumé, relatifs aux manifestations tombant sous la juridiction de l'UEFA ;

" 2° Les droits de transmission partant du territoire propre d'une association ne peuvent être vendus ou cédés sous quelque forme que ce soit que si l'association nationale de chaque pays récepteur autorise de telles transmissions à destination de son territoire " ;

Considérant que la société La Cinq SA cite treize rencontres de football disputées depuis 1989 pour lesquelles elle n'aurait pas obtenu de la FFF l'autorisation de retransmission à l'heure souhaitée ; qu'elle fait également état d'une déclaration du président de la FFF publiée dans le journal L'Equipe du 12 octobre 1991 selon laquelle " il n'est plus question d'accorder la moindre autorisation " à la requérante ;

Considérant que, selon la société La Cinq SA, l'article 14 des statuts de l'UEFA et l'application " arbitraire et discriminatoire " qu'en fait la FFF à l'égard de la requérante sont constitutifs de pratiques qui, en ce qu'elles ont pour objet et pour effet de l'éliminer du marché de la transmission des rencontres de football, tombent sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et également pour ce qui concerne la FFF de l'article 8 de ladite ordonnance, la FFF détenant un monopole sur le marché de l'approbation de la retransmission en France des rencontres de football étranger ;

Considérant que la société La Cinq SA soutient que le comportement de la FFF lui porte une atteinte grave par le motif que s'agissant du marché des droits qui " amènent les plus forts taux d'écoute, les plus grandes recettes publicitaires et l'amélioration la plus sensible de l'image du diffuseur, ... toute pratique qui cherche à influer sur l'équilibre de la programmation est grave par elle-même " ; qu'en l'espèce, l'attitude de la FFF la " prive de négocier dans des conditions convenables des contrats de publicité ... et crée un déficit dans le patrimoine de la société " ; que l'atteinte à la société est également immédiate puisque celle-ci est privée à chaque instant de la possibilité de diffuser des rencontres de football alors que des droits de retransmission correspondants sont offerts sur le marché ; qu'en outre le comportement de la FFF porte une atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur ainsi qu'aux intérêts des consommateurs ;

Considérant que la société La Cinq SA demande en conséquence au Conseil de la concurrence de prendre des mesures conservatoires sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance précitée et d'enjoindre à la FFF :

- " de préserver un accès satisfaisant tant en direct qu'en différé ... aux droits de retransmission des rencontres de football " pour lesquelles la FFF n'est pas liée par des accords avec des sociétés " ;

- " de cesser d'influer sur la programmation de la requérante et de cesser de la discriminer " ;

- " de fixer de manière claire et écrite, dans un délai à fixer par le conseil, les règles, exigences et principes qui doivent gouverner les éventuels refus, de même que les sujétions d'horaires - ou autres - qui doivent s'appliquer en la matière ... à toutes les chaînes " ;

- " de communiquer au conseil afin de lui permettre de vérifier le respect des injonctions, toutes conventions conclues par la FFF en vigueur et se rapportant à la diffusion du football en France, le tout sous des astreintes que la requérante laisse le soin au conseil d'apprécier " ;

Sur la compétence du Conseil pour examiner la demande de mesures conservatoires :

Considérant en premier lieu que si la Commission des Communautés européennes a été saisie en 1989 et 1991 de la licéité de l'article 14 des statuts de l'UEFA eu égard aux dispositions des articles 85 et 86 du traité de Rome, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au Conseil qu'elle ait, à la date de la présente décision, engagé de procédure; que dès lors, conformément à l'article 9, paragraphe 3, du règlement n° 17-62 de la CEE qui dispose qu'" aussi longtemps que la Commission n'a engagé aucune procédure ..., les autorités des Etats membres restent compétentes ", lesdites saisines ne font pas obstacle à ce que le Conseil statue sur la demande;

Considérant en second lieu que la FFF soutient que, d'une part, les décisions qu'elle a prises à l'égard de la société La Cinq SA relèvent d'une prérogative de puissance publique exercée au titre de la mission de service public qui lui a été confiée par la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, ainsi que par les arrêtés des 2 août 1989 et 2 juillet 1991 lui accordant délégation pour l'organisation de la promotion du football français, d'autre part, que lesdites décisions ont été prises en dehors de toute " activité de production, de distribution et de service " au sens de l'article 53 de l'ordonnance de 1986 ;

Mais considérant qu'en l'espèce la FFF a agi dans le cadre conventionnel des statuts de l'UEFA et que les décisions contestées, prises en application de ces statuts, ne sont pas susceptibles, en raison de leur nature, d'être rattachées à la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique; qu'en effet, en l'occurrence, la FFF, association de droit privé, exerce, outre les missions d'intérêt général dont elle peut être investie, une activité de prestations de services en signant avec les chaines de télévision des conventions rémunérant la cession des droits de retransmission des événements sportifs; que les décisions prises à l'égard de la société La Cinq SA, qui relèvent selon la FFF du souci de " protéger " lesdites conventions, entrent bien dans le cadre de son activité de service au sens de l'article 53 de l'ordonnance de 1986;

Considérant enfin qu'il résulte des dispositions combinées des articles 7, 8 et 53 de l'ordonnance que relèvent du champ d'application de son titre III toutes les pratiques qui ont pour objet ou qui peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, quel que soit le statut juridique de l'intervenant sur ce marché; que dans ces conditions l'argument tiré par la FFF du fait qu'elle n'a pas le caractère d'une entreprise commerciale est inopérant dès lors qu'elle est présente sur le marché sus-analysé en qualité de prestataire de services ;

Sur le bien-fondé de la demande de mesures conservatoires :

Considérant, d'une part, qu'au stade actuel de la procédure et sous réserve de l'instruction de l'affaire au fond, il ne peut être exclu que les pratiques ci-dessus mentionnées et dont se plaint la société La Cinq SA puissent entrer dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ainsi que des articles 85 et 86 du traité de Rome ;

Considérant, d'autre part, que l'application des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est subordonnée à la constatation de comportements susceptibles d'entrer dans le champ d'application de ses articles 7 et 8 et auxquels il faudrait mettre fin sans délai pour prévenir ou faire cesser un trouble grave et immédiat; que les mesures susceptibles d'être prises à ce titre " doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence " ;

Mais considérant que la société La Cinq SA n'établit ni l'ampleur, ni la gravité, ni le caractère immédiat de l'atteinte qui serait portée à son intérêt, à celui du secteur intéressé ou à celui des usagers; qu'en outre, les mesures qu'elle demande au Conseil de prononcer ne répondent pas, par leur nature, à la condition posée par le texte susrappelé ; que dès lors il ne peut être fait droit à la demande,

Décide :

Article unique. - La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 88 est rejetée.