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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 22 avril 1992, n° ECOC9210082X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gaumont Associés et Compagnie (Sté)

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

Mme Ezratty

Présidents :

Mme Hannoun, M. Canivet

Conseillers :

Mme Aubert, M. Guérin

Avoués :

SCP Valdelièvre-Garnier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Parmentier-Hardouin, SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Orengo, Saint-Esteben, Lazarus, Teynier.

CA Paris n° ECOC9210082X

22 avril 1992

Saisi par M. Adira, exploitant indépendant de salles de cinéma, puis par le ministre chargé de l'économie, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 91-D-45 du 29 octobre 1991 relative à la situation de la concurrence sur le marché de l'exploitation des films dans les salles de cinéma :

- enjoint aux groupements d'intérêt économique UGC Diffusion et Pathé Edeline et indépendants ainsi qu'à la société Gaumont associés et Cie :

1. De cesser d'exiger des distributeurs, en contrepartie de la programmation de films dans l'agglomération parisienne, la concession de l'exclusivité au bénéfice de salles de leur réseau situées en province ;

2. De s'abstenir de proposer ou d'imposer aux exploitants indépendants une modification du prix des places en contrepartie de l'approvisionnement en films ;

- infligé à ces groupements et à cette société des sanctions pécuniaires d'un montant respectif de 230 000 F, 250 000 F et 200 000 F ;

- et ordonné la publication du texte intégral de sa décision.

Les parties condamnées poursuivent l'annulation et subsidiairement la réformation de cette décision en faisant valoir individuellement ou en commun :

- que les faits examinés n'entraient pas dans le champ de la compétence du Conseil de la concurrence ;

- que sa décision n'est pas motivée au regard des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- que les groupements de programmation qu'elles ont constitués conformément aux dispositions de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle ne sauraient être assimilés à des ententes illicites ;

- que les pratiques anticoncurrentielles qui leur sont reprochées ne sont pas établies ;

- qu'enfin les sanctions déférées ont été irrégulièrement prononcées sans communication des éléments pris en compte pour la détermination de leur montant et sans débats contradictoires sur la teneur des injonctions.

Elles sollicitent en outre une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Appelé dans la cause conformément aux dispositions de l'article 7 du décret du 19 octobre 1987, M. Adira a conclu à la confirmation de la décision déférée.

Le Conseil de la concurrence et le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, ont présenté des observations en réplique aux divers moyens invoqués par les requérants.

Enfin le ministère public a conclu au rejet des recours.

Sur ce, LA COUR :

Sur la compétence du Conseil de la concurrence :

Considérant que le GIE UGC Diffusion, le GIE Pathé Edeline et indépendants et la société en commandite Gaumont associés et Cie ont été constitués pour assurer la programmation des œuvres cinématographiques en salle conformément aux dispositions de l'article 90 de la loi du 29 juillet 1982 et que l'agrément prévu par cet article leur a été accordé par le directeur du Centre national de cinématographie ;

Considérant qu'aux termes des dispositions susvisées cet agrément ne peut être donné qu'à des groupements de programmation " qui ne font pas obstacle au libre jeu de la concurrence", qu'il ne saurait avoir pour effet de les soustraire à la surveillance du Conseil de la concurrence qui se trouve compétent pour sanctionner les pratiques anticoncurrentielles auxquelles ils pourraient se livrer en infraction avec les prescriptions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant de même que, si l'article 92 de la loi précitée a soumis à une procédure de conciliation préalable les litiges d'ordre individuel relatifs à la diffusion en salle des œuvres cinématographiques en réservant au médiateur la possibilité en cas d'échec de saisir la commission de la concurrence, ces dispositions n'excluent pas pour autant la possibilité pour le Conseil de la concurrence d'entreprendre une enquête d'ordre général sur le fonctionnement des règles de la concurrence dans le cadre du marché en question;

Considérant enfin que l'agrément donné par le Centre national de cinématographie au vu des " engagements " pris par les groupements de programmation conformément aux dispositions de l'article 8 du décret du 10 janvier 1983 et les procès-verbaux de conciliation établis par le médiateur dans le cadre du litige d'ordre individuel ne sauraient faire obstacle à la sanction des pratiques anticoncurrentielles révélées au cours de l'enquête effectuée;

Sur le fondement des poursuites :

Considérant qu'aux termes de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

" 1. Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

" 2. Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; "

Considérant qu'après avoir exactement observé que la constitution de groupements de programmation, conformément aux dispositions de la loi du 29 juillet 1982, ne saurait constituer en soi une entente prohibée par l'article 7 précité, le Conseil de la concurrence a pu, à bon droit, relever qu'il lui incombait de rechercher si certaines de leurs pratiques ne pouvaient pas avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence et que c'est en se fondant sur les constatations résultant de l'enquête exposée dans la première partie de sa décision qu'il a enjoint aux requérants de cesser de limiter l'accès au marché litigieux par les exploitants indépendants et de faire obstacle à la libre fixation des tarifs proposés par ces exploitants ;

Considérant qu'il s'ensuit que le grief d'absence de motivation formulé par le GIE UGC ne saurait être retenu et que ce requérant ne peut davantage invoquer les dispositions de l'article 10-l de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour tenter de se soustraire aux poursuites, dès lors que la loi du 29 juillet 1982 n'autorise la constitution de groupements ou d'ententes entre entreprises de spectacles cinématographiques qu'à la condition qu'ils ne fassent pas obstacle au libre jeu de la concurrence ;

Sur la preuve des fait reprochés :

Considérant que pour enjoindre aux groupements poursuivis "de s'abstenir de proposer ou d'imposer aux exploitants indépendants une modification du prix des places en contrepartie de l'approvisionnement en films", la décision déférée se fonde sur deux procès-verbaux de conciliation dans lesquels il est exposé qu'un exploitant de salles de cinéma situées à Valence et à Avignon, M. Malacarnet, a dû prendre l'engagement de " pratiquer des prix comparables à ceux pratiqués par les salles concurrentes" pour pouvoir obtenir la fourniture de films adaptés à son profil de programmation ;

Considérant que les conditions ainsi constatées par le médiateur pour mettre fin aux litiges qui lui étaient soumis révèlent en elles-mêmes que les groupements de distribution, parmi lesquels figuraient le GIE UGC Diffusion ainsi qu'une société Gaumont Distribution, ont subordonné l'exécution de leurs prestations à l'alignement du prix des places fixé par un exploitant indépendant sur ceux pratiqués par leurs adhérents ;

Considérant par ailleurs que pour demander aux requérants " de cesser d'exiger des distributeurs, en contrepartie de la programmation de films dans l'agglomération parisienne, la concession de l'exclusivité au bénéfice de salles de leur réseau situées en province", le Conseil de la concurrence fait état de diverses déclarations reproduites à la page 6 de sa décision et mettant en cause respectivement les sociétés Gaumont, UGC et Pathé ;

Mais considérant qu'il ressort de l'examen des pièces du dossier que la citation concernant ce dernier groupement est extraite en réalité du rapport administratif commentant le procès-verbal de conciliation visé dans lequel il était uniquement exposé par M. Denis Château, gérant de la société de distribution AAA, que " lorsqu'il obtenait la sortie d'un film dans une combinaison de salles parisiennes d'un circuit national, il lui semblait normal qu'il traite en même temps ce film dans les salles de province du même circuit " sans mettre en cause le GIE Pathé étranger à cette médiation ;

Considérant en outre que les constatations de l'enquête faisant état des difficultés d'approvisionnement des salles de cinéma du groupe Adira, telles qu'elles sont rapportées à la page 7 de la décision, ne visent que les sociétés Gaumont et UGC ;

Que, dès lors, l'imputabilité des faits poursuivis au GIE Pathé Edeline et indépendants n'apparaît pas établie et qu'il convient de prononcer sa mise hors de cause ;

Considérant, en revanche, que le fait pour les groupements UGC et Gaumont de demander en contrepartie de la programmation de films dans les salles situées dans les villes sans indépendants ou concurrents la réservation d'un certain nombre d'autres salles dans les régions où la concurrence avec les autres exploitants est vive, ainsi que cela est attesté par les déclarations de M. Gevaudan, cadre de la société de distribution MK 2, et de MM. Sussfeld et Binet de la société UGC, a nécessairement pour effet de fausser le jeu de la concurrence et de limiter l'accès au marché de la diffusion des œuvres cinématographiques ; que cela ressort de l'enquête effectuée qui a révélé qu'au cours d'une période déterminée, M. Adira, exploitant indépendant de sept salles de cinéma à Lyon, n'a pu disposer que de 7 des 94 films distribués durant la même période, notamment par la société Gaumont et le GIE UGC ;

Considérant que ce groupement ne saurait contester l'irrégularité de cette pratique en invoquant la nécessité de négocier les accords de programmation à l'échelon national, alors que son agrément par le Centre national de cinématographie a été précisément subordonné à son engagement de " s'interdire l'utilisation de la position dominante qu'il détient dans une ville, un département ou une région, par l'exigence, lors de la négociation d'un contrat de location de films, de la mise à sa disposition d'une copie, de manière préférentielle ou exclusive dans une autre ville où il ne détient pas une position dominante, au détriment du jeu de la concurrence entre les salles de cette ville" ;

Considérant qu'il s'ensuit que les pratiques anticoncurrentielles retenues à l'encontre de la société Gaumont associés et du GIE UGC Diffusion se trouvent établies ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'en enjoignant à cette société et à ce groupement de cesser les pratiques susvisées, le Conseil de la concurrence n'a fait qu'user de la faculté qui lui est réservée par l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'il ne saurait lui être fait grief de ne pas avoir préalablement soumis le prononcé de ces injonctions à un débat contradictoire, dès lors qu'elles découlent nécessairement de la constatation des faits reprochés au sujet desquels chacune des parties a été appelée à présenter ses observations ;

Considérant, en revanche, que les sanctions pécuniaires ne pouvant aux termes du même article excéder 5 p. 100 du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice par les sociétés poursuivies, il incombait au Conseil de la concurrence de leur faire connaître le montant qu'il entendait prendre en compte à titre de référence pour leur permettre de présenter le cas échéant toutes observations à son sujetet que, faute par lui de l'avoir fait, les sanctions prononcées doivent être annulées ;

Que toutefois, la cour, étant compétente pour statuer par voie de réformation, n'en demeure pas moins saisie pour arbitrer le montant des sanctions justifiées en la cause ;

Qu'il convient en conséquence d'ordonner la production aux débats par le Conseil de la concurrence des pièces prises en compte pour le calcul des sanctions infligées et de renvoyer l'affaire en continuation à une audience ultérieure, après application des dispositions de l'article 8 du décret du 19 octobre 1987, pour qu'il soit contradictoirement débattu sur ce point ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Prononce la mise hors de cause du GIE Pathé-Edeline et indépendants ; Dit que les sommes par lui versées en exécution de la sanction pécuniaire infligée devront lui être remboursées ; Rejette les recours formés par le GIE UGC Diffusion et la société Gaumont associés et Cie contre la décision déférée en ce qu'elle leur a enjoint de cesser les pratiques anticoncurrentielles établies à leur encontre ; Annule les sanctions pécuniaires qui leur ont été infligées ; Avant dire droit sur la fixation de leur montant ; Ordonne la réouverture des débats pour qu'il soit justifié du chiffre d'affaires réalisé par chacun de ces deux requérants au cours de l'exercice précédant la décision déférée ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.