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Décisions

Conseil Conc., 30 juin 1992, n° 92-D-43

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la saisine présentée par la société Pluri-Publi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

sur le rapport de Mme Simone de Mallmann, par M. Pineau, vice-président, présidant la séance, MM. Blaise, Cortesse, Sargos, membres.

Conseil Conc. n° 92-D-43

30 juin 1992

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 3 septembre 1990 sous le numéro F 341, par laquelle la société Pluri Publi, franchiseur du réseau Hestia, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques émanant des sociétés Socpresse SA (journal Le Figaro), Publi-Print (magazine Locations ventes devenu La Semaine immobilière), Presse Alliance SA (journal France-Soir), de la SNC Le Parisien libéré (journal Le Parisien) et de la SARL Le Monde (journal Le Monde) ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et par la société Pluri-Publi ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Pluri-Publi entendus, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés.

I. - CONSTATATIONS

A. - Les caractéristiques du marché

Le marché en cause est celui de la vente d'espaces destinés aux publicités immobilières en région parisienne.

D'après les informations recueillies au cours de l'instruction, les supports de la presse quotidienne nationale sont Les Echos, Le Figaro, France-Soir, L'Humanité, Libération, Le Monde, Le Parisien et Le Quotidien de Paris. En 1989, la diffusion de ces titres s'est élevée par jour à : 428 736 exemplaires pour Le Figaro ; 405 263 exemplaires pour Le Parisien ; 381 549 exemplaires pour Le Monde ; 301 716 exemplaires pour France-Soir ; 178 216 exemplaires pour Libération ; 104 509 exemplaires pour Les Echos ; 95 452 exemplaires pour L'Humanité ; 80 000 exemplaires pour Le Quotidien.

La diffusion par jour en région parisienne des titres cités par Pluri Publi se répartit comme suit : 221 056 exemplaires, soit 51,56 p. 100, pour Le Figaro en 1989 ; 364 736 exemplaires, soit 90 p. 100, pour Le Parisien en 1989 ; 180 854 exemplaires, soit 47,40 p. 100, pour Le Monde en 1989 ; 187 486 exemplaires, soit 62,14 p. 100, pour France-Soir en 1988.

La société Socpresse qui détient 89,68 p. 100 du capital de la société anonyme du Figaro exploite le fonds de commerce du titre du Figaro. La société anonyme du Figaro détient, elle-même, 96,18 p. 100 du capital de la société Publi-Print, régie publicitaire des supports Le Figaro et France-Soir et aussi exploitante du fonds de commerce de La Semaine immobilière.

La société Socpresse détient également 99,40 p. 100 du capital de la société Presse Alliance, exploitante du fonds de commerce du titre France-Soir et propriétaire de 99,20 p. 100 de Régie-Print qui assure la régie publicitaire des petites annonces de France-Soir.

Le président de Publi-Print est en même temps gérant de Régie Print.

Il résulte des renseignements obtenus lors de l'instruction que la répartition par grands médias des investissements en achat d'espaces publicitaires dans le secteur immobilier est respectivement pour les années 1989 et 1990 de 59 p. 100 et 67 p. 100 pour la presse nationale, de 4 p. 100 et 2 p. 100 pour la radio, de 3 p. 100 et 2 p. 100 pour la télévision nationale et de 4 p. 100 et 3 p. 100 pour l'affichage.

Il y a également lieu de noter que le volume des recettes provenant des petites annonces a varié en pourcentage par grandes catégories de presse de la manière ci-après pour les années 1988 à 1990 :

EMPLACEMENT TABLEAU

Enfin, le nombre d'annonces immobilières publiées quotidiennement, le chiffre d'affaires en publicité immobilière et le nombre moyen de lecteurs par jour en région parisienne des quotidiens cités par Pluri Publi sont évalués comme suit :

EMPLACEMENT TABLEAU

B. - Les pratiques constatées

L'activité des vendeurs de listes a pour objet de faciliter les transactions immobilières entre particuliers par l'édition de listes d'offres renouvelables et disponibles par abonnement pour une durée déterminée. Contrairement aux agents immobiliers, les vendeurs de listes n'interviennent pas dans la transaction.

La demanderesse, franchiseur du réseau Hestia, spécialisée dans la vente de listes, se plaint d'un refus collectif de la part des journaux Le Figaro, France-Soir, Le Parisien, Le Monde et du magazine Locations et ventes devenu La Semaine immobilière d'insérer dans leurs rubriques immobilières des annonces publicitaires lui permettant d'informer les consommateurs de la possibilité de mise en contact de propriétaires et de locataires en région parisienne.

M. Duros, président-directeur général de la société Pluri Publi, a déclaré : " ... en mai, juin et juillet 1989, nous avons fait paraître des publicités dans ces supports (Le Parisien, Le Figaro et France-Soir) et à une période antérieure dans Le Monde... " Il poursuit : " Ces supports nous ont opposé un refus d'insérer de manière simultanée lors de notre demande concernant le quatrième trimestre 1989... " Le secrétaire général du journal Le Parisien a précisé : " Le groupe Hestia a fait paraître des annonces dans le quotidien Le Parisien avant la période du quatrième trimestre 1989. Ces parutions ont eu lieu au début 1988... nous avons été amenés par la suite à les refuser... " Il a encore indiqué : " Postérieurement, Hestia a fait publier des annonces subrepticement les 25 avril et 2 mai 1989 par l'intermédiaire de la Société intercontinentale de publicité. Nulle part n'apparaît le nom d'Hestia. " En outre, il fait état d'une lettre du 29 juin 1988 du président du Parisien dans laquelle le refus du journal est formel. Enfin, s'il reconnaît la parution d'annonces Hestia dans le journal Le Parisien en juillet 1989, il déclare que " c'est par inadvertance que ces ordres ont pu aboutir ".

S'agissant du journal Le Monde, M. Duros a indiqué : " Lorsque nous avons voulu reprendre nos relations en 1989, devant le refus du Figaro, France-Soir et Le Parisien, Le Monde a accepté nos publicités quelques jours, le temps d'être informé de la position de ses confrères et de nous refuser à son tour. " Le chef du service juridique de Régie Presse, chargé de l'espace publicitaire du journal Le Monde, a confirmé, en présence du responsable de la rubrique immobilière, ces parutions aux mois de novembre et décembre 1989. Il les explique ainsi : " Il semble que la raison réside dans le fait que, passant par une agence (FDA en l'occurrence), ces ordres sont arrivés directement aux services Exécution, échappant ainsi malencontreusement au contrôle et à la vigilance des services commerciaux... "

Le président de Publi Print et gérant de Régie Print pour le compte des journaux Le Figaro et France-Soir a déclaré : " En ce qui concerne Pluri Publi, je pense que cette société avait déjà fait paraître des annonces sous différentes formes et numéros de téléphone dans les deux quotidiens. Cependant, nous avons une politique constante de refus des vendeurs de listes. "

Enfin, concernant le magazine Locations Ventes, aujourd'hui La Semaine Immobilière, M. Duros a indiqué : " Je pense que si nous avons cité Locations Ventes dans la saisine c'est que ce magazine faisait paraître à l'époque des annonces de concurrents. "

Le représentant de Pluri Print, société éditrice de ce magazine, a déclaré : " En ce qui concerne Pluri-Publi, je n'ai pas souvenir d'une demande de parution d'une petite annonce Hestia immédiatement antérieure à la sommation que cette société nous a adressée. "

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT,

LE CONSEIL

Considérant qu'il résulte des constatations ci-dessus rapportées que le marché en cause est celui de la vente d'espaces destinés aux publicités immobilière en région parisienne ; qu'il y a donc lieu d'apprécier les pratiques imputées aux supports Le Figaro, France-Soir, Le Parisien, Le Monde et Locations Ventes devenu La Semaine Immobilière sur le marché ainsi défini, à la lumière, successivement, des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre susvisée ;

Considérant que, si aux termes d'un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 3 octobre 1983, repris dans un arrêt de la même chambre en date du 24 janvier 1984, " les dispositions de la loi du 29 juillet 1881, en ce qu'elles posent le principe de la liberté de la presse et celui de la responsabilité pénale du directeur de la publication d'un journal ou écrit périodique quelle que soit la nature de l'article publié, ont pour effet de légitimer, au regard de l'article 37 (1°, a) de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945, un refus d'insertion même non motivé ", il ne résulte pas de cette jurisprudence que les entreprises de presse échappent à la prohibition visant les pratiques définies aux articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'en conséquence, la demande formée par la société Pluri Publi est recevable, même si elle n'est pas dirigée contre le directeur de la publication de chaque support qu'elle met en cause ;

En ce qui concerne l'application de l'article 7 de l'ordonnance :

Considérant que la société Pluri Publi prétend que les différents supports qu'elle cite dans sa requête se sont concertés pour lui opposer un refus d'insérer ses annonces ; que toutefois l'instruction de l'affaire n'a pas relevé d'action concertée de la part des journaux incriminés ; qu'un simple parallélisme de comportement n'est pas à lui seul de nature à établir l'existence d'une concertation ; qu'au surplus les refus opposés à la société Pluri Publi s'expliquent par la simultanéité des demandes et des sommations effectuées par cette dernière ; que la circonstance, que dans la période précédant les refus, des annonces Hestia aient été publiées ne suffit pas à établir l'existence d'une politique commune à l'encontre de la demanderesse ; qu'en conséquence ces refus ne peuvent se rattacher à une pratique anticoncurrentielle prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

En ce qui concerne l'application de l'article 8 de l'ordonnance :

Considérant qu'il résulte des constatations ci-dessus mentionnées, que le journal Le Parisien a en terme de diffusion et donc de lectorat une importante place en région parisienne ; que, toutefois, le nombre d'annonces immobilières qu'il publie quotidiennement est très inférieur à celui du journal Le Figaro ; qu'en ce qui concerne Le Monde, sa diffusion en région parisienne est plus faible que celle du Parisien et du Figaro et le nombre d'annonces qu'il publie chaque jour très en retrait par rapport au nombre d'annonces du journal Le Figaro ; que, dès lors, aucun de ces titres ne peut être considéré en état de position dominante sur le marché ; que dans ces conditions le refus d'insérer que le journal Le Parisien a opposé à la société Pluri Publi pourrait, le cas échéant, être considéré comme constituant une pratique individuelle relevant de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dont seule la juridiction compétente serait susceptible de connaître ;

Considérant que les liens juridiques et financiers, tels qu'ils ont été exposés dans la partie I de la présente décision, peuvent constituer les supports Le Figaro, France-Soir et La semaine Immobilière en groupe d'entreprises détenant une position dominante sur le marché ; que toutefois les refus d'insérer que ces titres ont opposé à la société Pluri Publi s'expliquent par le fait qu'ils réservent à leur rubrique immobilière les annonces présentant un bien précis à vendre ou à louer, alors que la partie saisissante par le biais de ses annonces veut faire connaître l'enseigne Hestia et les services proposés par le réseau de ses franchisés ; qu'il s'agit de la part des supports incriminés, d'une politique délibérée destinée à écarter les vendeurs de listes, qui n'est pas appliquée de manière discriminatoire ; qu'en conséquence ces refus ne sauraient constituer un abus de position dominante au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant qu'en l'absence d'abus caractérisé imputable aux titres mis en cause sont inopérants les moyens invoqués par la société Pluri Publi fondés sur un prétendu état de dépendance économique dans lequel elle se trouvait à leur égard ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les pratiques dénoncées n'entrent pas dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

Décide :

Il n'est pas établi que les pratiques sus-analysées tombent sous le coup des dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.