Conseil Conc., 26 mars 1991, n° 91-D-12
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par la Société France-Gabions S.A. et d'autres entreprises filiales de la Société Maccaferri International Gabionni Holding
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré en section sur le rapport oral de M. Xavier Beuzit, dans sa séance du 26 mars 1991, où siégeaient : M. Pineau, vice-président, présidant la séance ; MM. Blaise, Cortesse, Sargos, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence,
Vu la lettre enregistrée le 26 juin 1989 sous le numéro F 255 par laquelle la société Etablissements Tournier SA a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre à son encontre par la société France-Gabions SA et d'autres entreprises filiales de la société Maccaferri International Gabionni Holding and Co; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application; Vu les observations du commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant des Etablissements Tournier SA entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
I. CONSTATATIONS
A. Les caractéristiques du marché
Les gabions et les matelas sont des caissons préfabriqués à armature métallique dont les parois sont constituées de grillage à double torsion. Ils ont la forme d'un prisme à section rectangulaire. Les matelas se distinguent des gabions par leurs dimensions: en raison de leur hauteur inférieure, ils sont souvent dénommés " gabions semelles ", les gabions étant parfois appelés "gabions cages. " Les nappes de protection sont des filets métalliques aux dimensions variables, se présentant sous forme de rouleaux. Elles peuvent être désignées sous le terme de grillage.
Les gabions sont principalement utilisés dans les travaux maritimes et fluviaux afin d'assurer la protection des berges et des ouvrages d'art enjambant les cours d'eau ainsi que pour la construction de barrages de retenue ou de dérivation. En montagne ou au bord des voies de circulation terrestres, ils peuvent servir à l'édification de murs de soutènement : montés alors sur place et remplis de matériaux pierreux, ils sont ligaturés entre eux de manière à constituer un ensemble.
Les matelas servent de revêtements dans les cours d'eau afin de lutter contre les phénomènes d'affouillement. Ils constituent aussi un système de protection des berges.
Les nappes de protection sont destinées à former des rideaux homogènes fixés sur des talus abrupts afin de canaliser les éboulis et chutes de pierres. Lors de leur installation, elles sont armées d'un câble lui-même relié à des tire-fonds pris dans des plots de béton. Elles sont plus particulièrement utilisées pour la protection des routes, voies de chemins de fer et lieux habités.
Ces trois produits qui présentent la caractéristique commune d'être fabriqués à partir de fil galvanisé, transformé en grillage à mailles hexagonales à double torsion, sont offerts sur le marché de la protection des voies de circulation ou des lieux habités ou cultivés contre les risques liés à l'instabilité des terrains.
Mais d'autres techniques sont couramment utilisées sur ce marché. Ainsi, la protection des berges, la stabilisation des accotements ou l'aménagement des cours d'eau se réalisent par l'enrochement ou la construction de murs en béton, terre armée ou par planches. De même, la protection des voies de circulation ou des lieux habités contre les chutes de pierres peut s'opérer à l'aide de ces techniques ainsi que par du grillage à simple torsion, du béton projeté ou des filets.
En l'absence de statistiques professionnelles, la quantité ou le tonnage exacts de gabions, matelas métalliques et nappes de protection vendus en France chaque année ainsi que la répartition entre ces produits, ne sont pas rigoureusement connus. La demande émane pour une large part d'entreprises attributaires de marchés publics ayant notamment pour maîtres d'œuvre des services locaux de l'Etat et des collectivités.
Les dirigeants des Etablissements Tournier SA et de France-Gabions SA s'accordent pour constater les faibles parts des gabions et des matelas métalliques dans les différentes applications maritimes, fluviales, routières et ferroviaires : à savoir 5 p. 100 pour les premiers, 1 p. 100 pour les seconds. Quant aux nappes de protection, d'après le rapport d'enquête, elles seraient utilisées à proportion d'environ 20 p. 100 des applications dans le domaine de la protection des chutes de pierres.
En volume, la production française de gabions, matelas et nappes de protection se serait élevée en France, en 1989, à environ 1 600/2 000 tonnes.
L'offre en France émane des Etablissements Tournier SA et France-Gabions SA.
Les ventes de gabions et de nappes de protection réalisées par les Etablissements Tournier SA se sont élevées en 1986 à 8 700 000 F, soit 40 p. 100 de son chiffre d'affaires total ; en 1989, en nette diminution, elles se chiffrent à 5 900 000 F, soit 24 p. 100 de son chiffre d'affaires total. Depuis 1986, les Etablissements Tournier SA sont concurrencés par la société France-Gabions, filiale de International Maccaferri Gabionni Holding and Co, dont le siège est à Luxembourg, et qui contrôle d'autres entreprises dont Officine Maccaferri Spa (Italie) et Maccaferri Gabioes do Brasil (Brésil) lesquelles produisent fil galvanisé et gabions.
Les parts de marché détenues par chacun des opérateurs intervenant sur le marché français ne sont pas connues de façon précise. A noter cependant que les dirigeants de France-Gabions SA ont déclaré réaliser en France 50 p. 100 des ventes de nappes de protection, 60 p. 100 de celles de gabions et 80 p. 100 de celles de matelas métalliques.
B. Les pratiques dénoncées
Les Etablissements Tournier SA soutiennent en premier lieu qu'au cours de l'année 1987 les prix de vente pratiqués par France-Gabions SA ont été inférieurs à ses prix de revient et même au prix d'achat de la matière première. Cette pratique résulterait d'une entente entre France-Gabions SA et Maccaferri International Gabionni Holding, la première vendant à " vil prix " et la seconde assurant Ie financement de cette stratégie pour éliminer le libre exercice de la concurrence et pour conquérir et détenir une position dominante.
Les Etablissements Tournier SA exposent en second lieu qu'en 1989 France-Gabions SA s'est fournie en fil galvanisé auprès de Maccaferri Gabioes do Brasil à un prix très inférieur à celui du marché afin d'équilibrer ses comptes tout en vendant sa production à très bas prix.
Il. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÉDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Considérant que le marché de la protection et de la stabilisation des sols comprend à la fois les gabions, les matelas métalliques et les nappes de protection mais également différentes techniques telles que l'enrochement, la terre armée, le béton ou les palplanches ; que les utilisations liées aux gabions, matelas métalliques et nappes de protection, même si elles ont progressé sur le marché français ces dernières années, demeurent faibles ;
Considérant que si France-Gabions SA contribue pour une large part à l'offre de gabions, matelas métalliques et nappes de protection sur le marché français, elle ne dispose pas pour autant d'une position dominante;
Considérant en tout état de cause que l'instruction n'a pas permis de constater que France-Gabions SA ait artificiellement baissé ses prix lors des exercices 1987 et 1988, et notamment que ses prix de vente aient été inférieurs au prix d'achat de la matière première ;
Considérant queFrance-Gabions SA, filiale contrôlée par International Maccaferri Gabionni Holding, ne dispose d'aucune autonomie commerciale et financière vis-à-vis de sa société mère ; qu'en conséquence, à défaut d'une indépendance de décision, ses comportements ne sauraient être analysés sous l'angle des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les pratiques dénoncées par les Etablissements Tournier SA ne peuvent être regardées comme constitutives de pratiques prohibées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,
Décide :
Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.