Cass. crim., 25 novembre 1992, n° 91-83.512
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
Mme Mouillard
Avocat général :
M. Perfetti
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, Me Delvolvé.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par M Jean-Claude, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 15 avril 1991, qui, pour défaut de paiement de cotisations en matière d'assurance vieillesse, l'a condamné à 1 300 francs d'amende, à l'affichage et à la publication de la décision, ainsi qu'à des réparations civiles; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 55 de la Constitution, L. 244-1 et R. 244-4 du Code de la sécurité sociale, des articles 85 et 86 du traité de Rome, des articles 7, 8, 10 et 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 593 du Code de procédure pénale pour défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M coupable de la contravention de défaut de paiement des cotisations aux régimes d'assurance vieillesse et invalidité-décès des professions non salariées auquel il est assujetti et a prononcé contre lui une peine d'amende ainsi que diverses condamnations civiles ;
" aux motifs que les dispositions du Code de la sécurité sociale en matière de couverture des risques vieillesse, invalidité, décès, constituent des principes fondamentaux de l'organisation de la sécurité sociale ; que tout le système, contrairement à ce qui est soutenu par le prévenu, est imposé par la loi et les décrets d'application et bénéficie donc de plein droit de l'exemption de l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que les tarifs sont contrôlés par la puissance publique, ces dispositions n'interdisant en rien à des organismes privés de mettre en place librement un système d'assurance privé, qui ne pourrait toutefois dispenser de l'adhésion au régime obligatoire ; que par ailleurs il n'est pas contraire au traité de Rome en ses articles 85 et 86, d'instituer un système obligatoire d'assurance des risques précités dans le cadre de la protection sociale, dès lors que des systèmes privés peuvent aussi être mis en parallèle ;
" alors que, d'une part, s'agissant de l'activité globale de la caisse poursuivante portant à la fois sur les régimes de retraite de base et sur les régimes complémentaires d'assurance vieillesse et d'assurance invalidité-décès, la cour ne pouvait décider qu'elle n'était pas contraire aux stipulations des articles 85 et 86 du traité de Rome d'abord au motif inopérant que des systèmes privés peuvent être mis en parallèle, dès lors qu'elle constate elle-même que leur éventuelle institution ne dispense pas de l'adhésion aux régimes dont la compatibilité avec les stipulations susvisées du traité était précisément en cause en raison de leur caractère obligatoire, ensuite au motif, qui méconnaît tout à la fois la primauté du traité sur la loi interne et les stipulations susvisées du traité qui ne prévoient pas d'exemption par la loi interne ; qu'en s'abstenant dès lors de rechercher si l'activité globale de la Caisse poursuivante n'était pas constitutive d'une pratique concertée susceptible d'empêcher le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun et constitutive de l'exploitation abusive d'une position dominante dans une partie substantielle de celui-ci, observation étant faite que l'exemption prévue par l'article 85-3 du traité et la dérogation posée par l'article 92-2 de celui-ci échappent à la compétence du juge national, l'arrêt attaqué a privé sa décision de base légale au regard des articles 85 et 86 du traité de Rome ;
" alors que, d'autre part, s'agissant en particulier de la poursuite par la Caisse nationale de retraite des transports routiers (CNRTR) du recouvrement des sommes dues au titre des régimes complémentaires d'assurance vieillesse et d'assurance invalidité-décès, dont l'organisation est définie par les articles L. 635-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, la cour d'appel a en outre violé par refus d'application, les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et par fausse application l'article 10-1 du même texte, sans qu'à cet égard les motifs généraux retenus par l'arrêt et critiqués par le premier rameau de la première branche du moyen concernant l'activité globale de la Caisse puissent légalement justifier sa décision, dans la mesure où, d'une part, la décision prise par la Caisse de créer un régime complémentaire d'assurance vieillesse et un régime d'assurance invalidité-décès à caractère obligatoire a bien, sinon pour objet, du moins pour effet de porter atteinte à la concurrence dans les rapports entre les tiers, compagnies d'assurances et mutuelles cherchant à s'implanter sur le marché de la protection sociale complémentaire et la CNRTR, qui bénéficie d'un monopole, et dès lors que, d'autre part, l'intervention de l'autorité publique dans le contrôle des tarifs ne pouvait constituer un fait justificatif puisqu'en l'occurrence, l'autorité publique s'est bornée à favoriser la conclusion d'une entente anticoncurrentielle, laquelle n'appartient en définitive qu'aux entreprises parties à l'entente elles-mêmes, à approuver a posteriori cette décision en contrôlant les tarifs fixés unilatéralement par les caisses intéressées, et à en renforcer les effets dans la mesure où, concernant l'institution d'un régime complémentaire d'assurance vieillesse, l'autorité publique laisse aux parties à la décision la faculté de faire fonctionner ce régime de manière obligatoire, et où, concernant l'institution d'un régime d'assurance invalidité-décès, l' article L. 635-2 du Code de la sécurité sociale leur laisse la faculté de créer ce régime qui fonctionnera nécessairement de manière obligatoire :
" et alors qu'enfin, il résulte de ce qui précède que, faute d'avoir envisagé la question de la compatibilité du comportement de la CNRTR avec le droit communautaire comme avec le droit interne de la concurrence sous leurs deux aspects, dès lors que l'exposant faisait valoir que les cotisations réclamées correspondaient non seulement au régime de base, mais aussi au régime complémentaire et à l'assurance invalidité, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision en se contentant de statuer par des motifs généraux, et a manqué à son office en refusant de se prononcer sur la légalité du comportement de cette Caisse sur le marché de la protection sociale complémentaire, dont le caractère illicite ressort pourtant des propres constatations de l'arrêt " ;
Attendu que, cité directement devant la juridiction pénale à la requête de la Caisse nationale de retraite des transports routiers (CNRTR) pour défaut de paiement de cotisations destinées à financer le régime des allocations vieillesse, Jean-Claude M, affilié à cet organisme, a soutenu que celui-ci, en imposant à ses adhérents - notamment au titre d'un régime d'assurance complémentaire - le paiement de cotisations excessives eu égard à ses charges, abusait de sa position dominante sur le marché de l'assurance sociale et se livrait à des pratiques anticoncurrentielles, se plaçant ainsi en infraction, d'une part, avec les dispositions des articles 85 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne, d'autre part, avec celles des articles 7 et suivants de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Attendu que, pour rejeter cette double exception les juges d'appel retiennent qu'aux termes de l'article 10-1 de l'ordonnance précitée, ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8 les pratiques qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application ; qu'ils ajoutent que les dispositions du Code de la sécurité sociale en matière de couverture des risques vieillesse, invalidité, décès, constituent des principes fondamentaux de l'organisation de la Sécurité sociale, dont le système, imposé par la loi et des décrets d'application, bénéficie de plein droit de l'exemption prévue par l'article 10-1 précité ; qu'ils relèvent enfin qu'il n'est pas contraire au droit communautaire, et spécialement aux articles 85 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne, d'instituer un système obligatoire d'assurance des risques précités dans le cadre de la protection sociale ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, et abstraction faite d'énonciations surabondantes relatives à l'éventuelle mise en place de systèmes d'assurances sociales privés, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; qu'en effet, un organisme gérant un régime légal d'assurance vieillesse - ce régime fût-il complémentaire et facultatif - selon les principes de répartition et de solidarité nationale énoncés aux articles L. 111-1 à L. 111-4 du Code de la sécurité sociale, n'exerce aucune activité commerciale, économique ou spéculative; que, dès lors, ne constituant pas une entreprise au sens, tant des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que des articles 85 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne, il échappe aux règles de concurrence formulées par ces textes; d'où il suit que le moyen doit être écarté, de même que la demande subsidiaire de sursis à statuer jusqu'à interprétation de la Cour de justice des Communautés européennes ou avis du Conseil de la concurrence ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.