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Décisions

Conseil Conc., 22 octobre 1991, n° 91-D-43

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Honoraires des chirurgiens exerçant dans les cliniques privées du département du Lot-et-Garonne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en commission permanente, sur le rapport oral de Mme Galene, dans sa séance du 22 octobre 1991, où siégeaient : M. Laurent, président ; MM. Béteille, Pineau, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 91-D-43

22 octobre 1991

Le Conseil de la concurrence,

Vu les lettres enregistrées les 27 décembre 1988, 23 janvier 1989 et 31 janvier 1989 sous le numéro F 223-2, par lesquelles l'association de consommateurs Asseco-CFDT de Lot-et-Garonne a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relatives aux honoraires des chirurgiens exerçant dans les cliniques privées du département de Lot-et-Garonne ; Vu les ordonnances n° 45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées, respectivement relatives aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu les lettres des 11 avril et 28 mai 1991 du président du Conseil de la concurrence notifiant aux parties la transmission du dossier à la commission permanente, conformément aux dispositions de l'article 22 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu la loi n° 88-14 du 5 janvier 1988 relative aux actions en justice des associations agréées de consommateurs et à l'information des consommateurs ; Vu les observations présentées par les parties et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties ayant demandé à présenter des observations entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. CONSTATATIONS

A. Le secteur

Au 31 décembre 1989, on dénombrait 5 152 chirurgiens se répartissant entre 3 652 chirurgiens libéraux exerçant dans le cadre de l'hospitalisation privée et 1500 chirurgiens affectés dans les hôpitaux publics ou militaires. Le département de Lot-et-Garonne comptait, au 1er janvier 1989, 32 chirurgiens dont 20 libéraux.

Plusieurs textes d'ordre législatif et réglementaire définissent le régime tarifaire des honoraires des médecins. La loi n° 71-525 du 3 juillet 1971, modifiée par la loi du 10 juillet 1975, a consacré le principe d'après lequel le tarif d'honoraires des médecins est fixé par voie de convention nationale passée entre les organismes d'assurance sociale et les organisations représentatives des praticiens. La convention nationale est applicable après son approbation par arrêté interministériel.

La convention distingue trois catégories de médecins, suivant le régime tarifaire auquel ils ont adhéré ;

Les médecins du secteur 1. - Les tarifs d'honoraires ne peuvent dépasser les valeurs fixées par la convention. Des dérogations peuvent cependant être accordées sous la forme d'un droit à dépassement, à raison des exigences particulières du malade ou de la notoriété du médecin. Leurs patients sont remboursés sur la base des tarifs conventionnels.

Les médecins du secteur 2. - En contrepartie de l'abandon de certains avantages fiscaux et sociaux accordés aux médecins du secteur 1, les médecins du secteur 2 fixent librement leurs honoraires mais " avec tact et mesure ". Leurs patients sont remboursés sur la base des tarifs conventionnels. Le supplément reste à la charge des patients et peut éventuellement être remboursé par les organismes d'assurance maladie complémentaire. Dans le département de Lot-et-Garonne, la mutuelle chirurgicale de Lot-et-Garonne occupe 70 p. 100 du marché de l'assurance chirurgicale complémentaire.

Les médecins des secteurs 1 et 2 sont dits conventionnés.

Les médecins non conventionnés. - Ils fixent librement leurs honoraires. Leurs patients sont remboursés sur la base des " tarifs d'autorité " fixés par arrêté interministériel, qui sont inférieurs aux tarifs conventionnels.

En vertu de l'article 37 de la convention en vigueur à la date des faits examinés ci-après, tout médecin pouvait modifier la position qu'il avait prise initialement au regard de la convention. Le choix ne lui a été cependant ouvert qu'à des périodes précises et limitées, entre le 1er et le 31 décembre des années 1986 et 1988.

Dans le département de Lot-et-Garonne, quatre chirurgiens exerçaient en secteur 2 au 1er janvier 1987. En 1988, huit autres praticiens optent pour le secteur 2 à compter du 1er janvier 1989. Ainsi, à cette date, douze chirurgiens sur vingt exerçant dans les cliniques privées du département avaient opté pour le secteur à honoraires libres.

Les tarifs conventionnels sont établis sur la base d'une nomenclature générale des actes professionnels, fixée par arrêté conjoint des ministres chargés de la sécurité sociale, de la santé et de l'agriculture. A chaque acte professionnel correspond l'application à une " lettre clef " (K ou Kc pour la chirurgie) d'un coefficient multiplicateur.

Les médecins du département de Lot-et-Garonne sont réunis au sein de plusieurs organisations professionnelles, dont le syndicat médical de Lot-et-Garonne, affilié à la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Six chirurgiens sur les dixneuf mentionnés dans la présente décision adhèrent au syndicat médical de Lot-et-Garonne.

B. Les pratiques constatées

I. Les hausses d'honoraires annoncées en décembre 1986.

Les médecins qui, conformément aux stipulations de la convention en vigueur en 1986, souhaitaient exercer en secteur à honoraires libres à compter du 1er janvier 1987, devaient signifier leur option aux organismes de sécurité sociale pendant le mois de décembre 1986.

Seize chirurgiens exerçant dans les cliniques privées de Lot-etGaronne expriment leur intention d'augmenter leurs honoraires à compter du 1er janvier 1987 en optant pour le secteur 2. Ils en informent la caisse chirurgicale mutuelle de leur département par l'envoi, entre le 5 et le 15 décembre 1986, de la même lettre ainsi rédigée ;

" En tant que chirurgien d'exercice libéral, et en plein accord avec tous mes collègues du département, j'ai l'intention d'appliquer une majoration, au moins identique à celle des spécialistes de la Gironde, de mes honoraires en " Kc ", et ce, à compter du 1er janvier 1987. "

Les signataires des lettres sont les docteurs Cabrit, Cosson, Delassus, François Derieux, Jean Derieux, Durou, Fabre, Garbe, Hugo, Karcenty, Laurent, Lhoest, Noury, Orlandini, Piquet et Roques.

Toutefois, seuls quatre praticiens sur les seize, les docteurs Cabrit, Cosson, Garbe et Delassus, sont effectivement passés ou restés en secteur 2 au 1er janvier 1987.

2. Les hausses d'honoraires annoncées en 1988.

Les praticiens bénéficiaient de la même possibilité d'option pour le secteur à honoraires libres en décembre 1988.

En premier lieu, dès le mois d'avril 1988, onze chirurgiens du département de Lot-et-Garonne adressent au directeur de la mutuelle chirurgicale de Lot-et-Garonne une lettre type comportant notamment le passage suivant :

" La vocation des caisses complémentaires étant d'offrir à ses adhérents la meilleure couverture possible des dépenses de soins, je tiens à vous informer des nouveaux tarifs que je compte pratiquer, largement inspirés de ceux qui existent déjà depuis plusieurs années dans certains départements voisins :

" Kc " à 20 F ;

" Consultations de 150 F à 250 F. "

Les docteurs Cabrit, Delassus, Garbe, Fabre et Karcenty ont adressé leur lettre le 18 avril, les docteurs Cosson et Orlandini le 29 avril, le docteur Noury le 30 mai, les docteurs Rinderknech et Laurent le 20 juin et le docteur Veyret le 21 du même mois.

Les docteurs Roques et Hubert qui exercent chacun dans la même clinique qu'un confrère signataire nont pas signé la lettre.

En second lieu, le communiqué suivant a paru dans le journal Sud-Ouest du 12 décembre 1988 et dans Le Petit Bleu de Lot-et-Garonne du 9 décembre 1988 :

" La majorité des chirurgiens libéraux exerçant dans les cliniques de Lot-et-Garonne, conventionnés avec la sécurité sociale en secteur 2 à honoraires libres, tient à informer sa clientèle, qu'à compter du 1er janvier, un complément d'honoraires sera demandé pour toute intervention chirurgicale. "

En troisième lieu, selon les observations produites par les docteurs Rinderknech, Noury, Fabre et Roques en réponse à la notification de griefs, le syndicat médical de Lot-et-Garonne aurait, à la suite d'une réunion d'information sur le passage en secteur 2, " rédigé un modèle de lettre qu'il a remis à chacun des chirurgiens " pour être adressée à la mutuelle, comme suite à la demande pressante qu'elle aurait formulée.

En quatrième lieu, l'ordre du jour des réunions des 12 octobre et 16 novembre 1988 du syndicat précité comporte la question suivante : " Honoraires et rémunérations des médecins. - Secteur 2. "

On observe enfin que douze des treize médecins susmentionnés ont pratiqué, à partir du 1er janvier 1989, des honoraires de consultation compris dans la fourchette figurant dans la lettre adressée à la mutuelle chirurgicale. En revanche, tous ces praticiens ont appliqué une valeur du Kc inférieure à celle indiquée dans ladite lettre.

II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCEDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Sur la recevabilité de la saisine :

Considérant qu'il est soutenu que la saisine doit être déclarée irrecevable, aucun élément du dossier n'établissant, d'une part, que l'Asseco-CFDT de Lot-et-Garonne constitue une organisation syndicale ou une organisation de consommateurs agréée au sens de l'article 5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, d'autre part, que son président, signataire de la lettre de saisine, était habilité à agir au nom de l'association, enfin que le secrétaire général de l'association nationale était habilité à signer le pouvoir autorisant l'association de Lot-et-Garonne à saisir le conseil au nom de l'Asseco-CFDT ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 2 de ses statuts l'Asseco-CFDT de Lot-et-Garonne a notamment pour objet " de représenter l'Asseco-CFDT et ses adhérents dans les différentes instances ayant à connaître des problèmes de consommateurs et d'usagers du département " ; que, par un acte en date du 5 décembre 1988, le secrétaire général de l'Asseco-CFDT association nationale, habilité à ester en justice, a donné pouvoir à l'AssecoCFDT de Lot-et-Garonne pour saisir le Conseil de la concurrence au nom de l'Asseco-CFDT de " l'affaire concernant les chirurgiens de Lot-et-Garonne ainsi que les cliniques privées de ce même département " ; que c'est sur la base de ce pouvoir que le président de l'Asseco-CFDT de Lot-et-Garonne, mandaté pour représenter cette association par une délibération de son conseil d'administration en date du 9 février 1988, a saisi le conseil de la concurrence que l'Asseco-CFDT de Lot-et-Garonne a donc, pour la présente affaire, la qualité de mandataire de l'Asseco-CFDT, association nationale agréée par arrêté du 19 août 1988 pris pour l'application de la loi n° 88-14 du 5 janvier 1988 susvisée ; que dès lors la saisine, présentée au nom d'une organisation de consommateurs agréée, répond à la condition posée par le deuxième alinéa de l'article 5 et par l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée ;

Sur l'application de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant qu'il est soutenu que l'activité professionnelle de soins médicaux se trouve, en raison de sa spécificité et du fait qu'elle est exercée par une personne physique et non par une entreprise, hors du champ d'application des ordonnances du 30 juin 1945 et du 1er décembre 1986 ;

Mais considérant quel'activité professionnelle de soins médicaux constitue une activité de services au sens de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la confrontation des offres de ces services et des demandes émanant des patients donne lieu à la création d'un marché ; qu'aucune disposition de ces ordonnances ne limite aux personnes morales la reconnaissance de la qualité d'offreur ou de demandeur sur ce marché ; que dès lorsles membres du corps médical, pour ce qui est de leur comportement d'acteurs sur le marché des soins, se trouvent bien dans là situation de l'entreprise au sens des textes susmentionnés et qu'ils ne sauraient, dans cette mesure, se soustraire à l'application de ces textes ;

Sur la prescription :

Considérant qu'il est soutenu que le conseil ne peut examiner les faits de 1986 par les motifs que, d'une part, la saisine ne porte que sur des faits de 1988, que, d'autre part, les faits de 1986 se trouvent prescrits ;

Mais considérant que le conseil est saisi in rem du fonctionnement d'un marché ; qu'il est donc fondé à qualifier des faits constatés sur un même marché sans être lié par les limites des demandes et des conclusions des parties ; que la présente saisine ayant été enregistrée le 27 décembre 1988, le conseil ne peut qualifier les faits antérieurs au 27 décembre 1985, en application du délai de prescription de trois ans fixé par l'article 27 de l'ordonnance précitée ; qu'en revanche, les faits de décembre 1986 ne sont pas couverts par la prescription ;

Sur la violation du premier alinéa de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la régularité de la procédure, en premier lieu quel'envoi a la mutuelle chirurgicale, par les seize chirurgiens mentionnés au B de la partie I de la présente décision, de lettres identiques annonçant une majoration de leurs honoraires en 1987, puis l'envoi à la même mutuelle, par onze chirurgiens, de nouvelles lettres identiques relatives au même objet pour l'année 1988, s'ils permettent de supposer l'existence d'une concertation entre confrères et, éventuellement, au sein de l'organisation syndicale, ne constituent pas cependant, dans les circonstances de l'espèce, la preuve de l'existence d'une entente anticoncurrentielle en matière d'honoraires effectivement réclamés aux patients ; qu'en effet, ces lettres émanent de chirurgiens qui projetaient d'opter pour le régime des honoraires libres et s'adressent à la mutuelle avec laquelle des négociations étaient en cours à cette occasion au sujet du complément de remboursement susceptible d'être accordé aux assurés ; quelesdites lettres ne révèlent pas une intention commune des signataires de procéder à l'alignement de leurs honoraires dans leurs rapports avec les patients, alors d'ailleurs qu'en tout état de cause une pratique anticoncurrentielle ne pourrait concerner que les chirurgiens d'une même spécialité ;

Considérant en deuxième lieu que le docteur Hubert n'a signé aucune des lettres susmentionnées et qu'aucun élément du dossier n'établit qu'il se soit livré à des pratiques anticoncurrentielles ;

Considérant enfin que s'il ne peut être exclu que le texte des lettres susmentionnées ait été établi et diffusé par le syndicat médical de Lot-et-Garonne ou avec son concours, lequel aurait ainsi excédé les limites de sa mission de défense et de représentation des intérêts professionnels de ses membres, les pièces du dossier soumis au conseil ne suffisent pas à corroborer les déclarations des quatre chirurgiens mentionnés au paragraphe 2 du B de la partie I de la présente décision et dont les énonciations sont formellement contestées par ledit syndicat ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il ne peut être tenu pour établi que les praticiens dont les noms sont mentionnés au B de la partie I de la présente décision et le syndicat médical de Lot-et-Garonne se soient livrés à des pratiques contraires à l'article 50 de l'ordonnance n° 1483 du 30 juin 1945 et à celles de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

Décide :

Article unique : - Il n'est pas établi que les docteurs Cabrit, Cosson, Delassus, Français Derieux, Jean Derieux, Durou, Fabre, Garbe, Hubert, Hugo, Karcenty, Laurent, Lhoest, Noury, Orlandini, Piquet, Rinderknech, Roques et Veyret ainsi que le syndicat médical de Lot-et-Garonne aient enfreint les dispositions de l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 et de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.