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Décisions

Conseil Conc., 2 juin 1992, n° 92-D-37

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Déménagement des marins de la marine nationale en Bretagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président : M. Laurent ; Vice-présidents : MM. Beteille, Pineau ; Rapporteur : M. Facchin.

Conseil Conc. n° 92-D-37

2 juin 1992

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre du 25 mars 1991 enregistrée sous le numéro F 401 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques constatées dans le secteur du déménagement ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris son application ; Vu la procédure engagée le 26 décembre 1991 en application des dispositions de l'article 22 de l'ordonnance susvisée ; Vu les observations présentées par les parties et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties ayant demandé à présenter des observations orales entendus, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - Le marché

Le marché en cause est celui du déménagement des marins de la marine nationale en Bretagne, pour lesquels les prestations fournies par les entreprises présentent des particularités dues à la réglementation qui leur est applicable. En effet, le remboursement des frais réellement engagés est subordonné à la condition de produire à l'administration deux devis de déménageurs concurrents, conformément aux dispositions de l'instruction interarmées n° 30.000 DEF/C.30. Une avance leur est d'abord accordée, de 90 p. 100 du montant du devis le moins élevé, puis le solde, avec une limitation réglementairement définie.

Dans l'espèce, le militaire qui déménage est le bénéficiaire de la prestation c'est lui qui prend contact avec les déménageurs et c'est lui qui paye le prix convenu. Mais ce prix ne constitue pas un élément de choix déterminant entre les offreurs puisque l'administration impose de choisir l'entreprise moins-disante puis rembourse les frais. Tous les déménageurs peuvent assurer la prestation définie ci-avant, mais certains seulement se sont spécialisés.

Les chiffres d'affaires réalisés par les entreprises concernées par le présent dossier, tels qu'elles les ont communiqués ou qu'ils ont été recueillis par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou auprès des services fiscaux, s'établissent comme suit :

- AGS Armorique : 9 940 787 F en 1990 ;

- Aménageurs Bretons : 12 099 649 F en 1990 ;

- SNC Société nouvelle Pierre Le Calvez (ci-après Pierre Le Calvez) : 5 401 405 F en 1990 ;

- R Le Floch : 16 314 051 F du 1er avril 1990 au 31 mars 1991 ;

- Macé : 6 178 004 F en 1990 ;

- Renaud : 958 529 F en 1990 ;

- R L'Herrou : 3 190 000 F du 1er avril 1990 au 31 mars 1991 ;

- SA Transports Le Calvez Père et fils (ci-après Le Calvez) : 12 498 847 F en 1991 ;

- J-L Biard : 20 925 000 F en 1991 ;

- A Ballut : 1 297 179 F en 1989 ;

- SURL Les Déménageurs d'Armorique : 125 388 F en 1988.

B. - Les pratiques des entreprises

1. Les devis d'entreprises appartenant à un même groupe

Il ressort des déclarations de plusieurs déménageurs que la pratique consistant pour une entreprises à établir les deux devis présentés à l'administration en vue du remboursement des déménagements des militaires, le sien propre, moins-disant, et l'autre " de couverture " ou " de complaisance " au nom d'une entreprise présentée comme concurrente, était généralisée et ancienne. Tel est le cas des déclarations d'AGS Armorique, Macé et Ballut.

a) Le groupe AGS :

La SARL Transports et Déménagements Denis Philippe a été rachetée par AGS Holding le 1er janvier 1989. Son nom commercial est devenu AGS Finistère en août 1989 et sa raison sociale AGS Armorique à compter du 15 juillet 1990.

Par ailleurs, le responsable d'AGS Holding a été nommé gérant de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Les Déménageurs d'Armorique à compter du 22 février 1989, en remplacement de M. Guy Philippe, démissionnaire.

Enfin, le capital de la SARL Déménagements Macé, créée pour reprendre les activités de l'entreprise en nom personnel Macé mise en règlement judiciaire le 2 février 1988, appartient à hauteur de 80 p. 100 à AGS Holding.

Au sein de ce groupe la pratique des " devis de couverture " s'est déroulée dans les conditions suivantes :

a.1. Entre Denis Philippe et Déménageurs d'Armorique :

Sur deux échantillons représentatifs de quatre-vingt quatre et vingt-quatre dossiers de déménagement de marins réglés en 1989 par les services de la solde respectivement de Brest et de Lorient, l'un des deux devis émanait de l'entreprise Denis Philippe, toujours moins-disante, dans vingt-cinq dossiers. L'autre émanait dans dix-huit cas des Déménageurs d'Armorique. Le devis Denis Philippe comporte un timbre humide indiquant, outre sa raison sociale, la mention AGS Finistère à partir de mai 1989.

Les devis Denis Philippe sont datés et comportent l'indication du nom de la personne qui a effectué la visite d'inventaire chez le client. Au contraire, les devis Déménageurs d'Armorique ou bien ne comportent pas une telle mention, ou bien indiquent la même personne que le devis D. Philippe ; ils ne sont jamais datés. Les postes des deux devis sont toujours évalués forfaitairement, sans identification possible des prix unitaires. L'écart entre le montant des deux devis est égal ou inférieur à 1 p. 100 dans seize cas sur dix-huit. Pour le surplus divers autres indices révèlent des concordances matérielles entre les devis (cf. cotes n° 55 à 57, 61 à 64 et 339 à 343).

Un autre dossier recueilli auprès du service de la solde comporte également les deux devis Denis Philippe (moins-disant) et Déménageurs d'Armorique datés des 5 septembre et 11 octobre 1990.

a.2. Entre Denis Philippe (AGS Finistère) et Macé :

Sur les quatre-vingt-quatre et vingt-quatre dossiers de déménagement précités, l'un des deux devis émanait de l'entreprise Denis Philippe, toujours moins-disante, dans vingt et un dossiers et l'autre émanait de Macé dans six cas. Les devis Denis Philippe sont rédigés sur papier à en-tête d'AGS Finistère à partir de septembre 1989.

Ces devis et les devis Macé, établis à la même date dans 5 cas sur 6, sont présentés de la même manière, chacun des postes étant toujours évalués forfaitairement, sans identification possible des prix unitaires. De plus, les prix forfaitaires du devis Macé résultent de l'application aux prix correspondants du devis D. Philippe d'un coefficient constant (de 1,0297 à 1,097), et les frais spéciaux d'entreprises et les charges spécifiques représentent toujours 10 p. 100 du total hors taxe. Pour deux dossiers, les deux devis comportent la même faute dans l'orthographe du nom : Kerlock au lieu de Kerloch et Lemat au lieu de Le Mat. Pour ces deux mêmes dossiers, les devis D. Phihippe ont été établis sur du papier dont manque l'en-tête, remplacée par un timbre humide, mais qui comporte, en bas, la mention " SARL au capital de 100 000 F - RCS Dinan 88 B 82 344 886 304 ", mention qui désigne le papier commercial de l'entreprise Macé.

Sur l'ensemble des dossiers de déménagement de Marins pour la période allant du 1er juillet au 30 septembre 1990 du service de la solde de Brest, trente contenaient un devis AGS Finistère et un devis Macé. Ils sont établis selon le même modèle et la même structure que ceux examinés ci- dessus. Les deux devis portent la même date dans vingt-cinq cas sur trente.

Par ailleurs, au cours de l'enquête administrative, les responsables d'AGS Armorique ont communiqué deux dossiers de déménagement. Chacun comportait l'inventaire détaillé du mobilier transporté établi par AGS, les doubles des devis d'AGS ainsi que ceux de Macé. Pour ces deux dossiers, les devis AGS et Macé sont présentés de la même manière, évalués forfaitairement ; les prix Macé résultent de l'application aux prix correspondants du devis AGS d'un coefficient constant (1,0923 et 1,071) ; les frais spéciaux d'entreprises et les charges spécifiques représentent 10 p. 100 du total hors taxe. Dans un cas, les deux devis sont établis à la même date (10 mai 1990). Une lettre d'AGS à l'un de ces clients, datée du 17 septembre, c'est-à- dire deux jours après la date figurant sur le devis AGS et deux jours avant celle figurant sur le devis Macé, indique : " Nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint : votre inventaire en trois exemplaires ; notre devis en trois exemplaires ; le devis de notre confrère en trois exemplaires ".

Ces mêmes responsables d'AGS Armorique ont déclaré : " D'une manière générale, dans le secteur du déménagement, c'est l'entreprise qui effectue le déménagement qui monte le dossier complet comportant les deux devis comparatifs remis au client militaire ".

Le responsable de l'entreprise Macé a pour sa part déclaré notamment :

" Lorsque le client militaire vient voir un déménageur, il lui demande de (...) lui fournir un deuxième devis, plus élevé, pour que le déménageur choisi par lui apparaisse comme le moins- disant pour l'intendance. Je suppose que ces devis ont été établis pour répondre à une telle demande (cote n° 492).

Le responsable précédent de l'entreprise Macé (jusqu'au 3 août 1990) a déclaré : " (Le) directeur d'AGS - Finistère m'appelait assez souvent en m'indiquant qu'il avait un client militaire (...) J'établissais un devis d'un montant plus élevé, d'autant que je savais que ce document ne servirait à rien pour l'entreprise Macé. (...) Je rédigeai les devis en fonction de (ses) indications." (Cotes n° 640 et 641).

b) Le groupe Le Floch, Renaud :

La société de déménagements Renaud a été achetée le 1er janvier 1984 par les deux cogérants de la SARL Déménagements Le Floch, puis transformée en SARL dont le capital est réparti entre ces derniers.

Le 25 septembre 1990, les responsables de la société Le Floch ont communiqué aux enquêteurs un dossier de déménagement dans lequel figurait la fiche de calcul informatisée permettant d'établir le devis qui comporte, en outre, diverses mentions chiffrées manuscrites précédées de la mention " Renaud ". Ils ont déclaré, à propos de ce dossier : " Le devis de l'entreprise Renaud qui est mentionné sur ma fiche de calcul est en fait le devis de la société de déménagement Renaud à Cherbourg que nous contrôlons (juridiquement indépendante). "

Sur l'ensemble des dossiers de déménagement de marins pour la période allant du 1er juillet au 30 septembre 1990 du service de la solde de Brest, huit comportaient deux devis, l'un de l'entreprise Le Floch, qui est moins-disante, et l'autre de l'entreprise Renaud.

Les responsables de l'entreprise Le Floch ont déclaré : " Si nous sommes en tant que Le Floch également consultée par le client, M. Lenoury (société Renaud) nous indique le prix qu'il a l'intention de proposer, et nous offrons un prix légèrement inférieur puisque de toute manière la prestation sera réalisée par Le Floch dans la mesure où Le Floch a été retenue par le client."

c) Le groupe Biard :

La SAE J-L Biard a absorbé la Société Nouvelle Craignou-Gourio (le 6 mars 1990) et l'entreprise Montigne (à une date non précisée, mais antérieure à mai 1990).

c. 1. En 1989, entre Biard et Craignou-Gourio :

Sur les quatre-vingt-quatre dossiers de déménagement susmentionnés, cinq contenaient à la fois un devis de Biard, toujours moins-disant, et un devis de Craignou-Gourio.

Les devis Biard et Craignou-Gourio sont présentés de la même manière et établis à la même date dans deux cas sur cinq (dans les autres cas, le devis Biard est toujours antérieur au devis Craignou-Gourio). L'écart entre les prix globaux des deux avis est de 1 p. 100 environ. Enfin, dans un cas, les deux devis comportent une erreur dans l'adresse du client.

c. 2. En 1990, entre Biard et Craignou-Gourio, Biard et Montigne et Craignou-Gourio et Montigne :

Sur la totalité des dossiers de déménagement de Marins pour la période allant du 1er juillet au 30 septembre 1990 réglés par les services de la solde de Brest, six opposent un devis Biard à un devis Craignou-Gourio, le premier étant moins-disant dans cinq cas sur six. De même, trois dossiers opposent un devis Biard à un devis Montigne et un quatrième oppose un devis Craignou-Gourio à un devis Montigne, ce dernier étant toujours plus-disant. Les mêmes constatations qu'au c.1. ci-dessus peuvent être effectuées à propos de ces dix dossiers. Dans l'un de ceux-ci, en outre, la même erreur dans le nom du client a été commise sur les deux devis : Le Mal au lieu de Lemal.

M. Biard a par ailleurs communiqué aux enquêteurs un exemplaire en original du papier à en-tête au nom, respectivement, de Biard et Montigne et la télécopie d'un exemplaire de celui au nom de Craignou-Gourio. Il a fait observer : " Vous remarquerez que j'essaie de développer ces marques commerciales, puisque le nouveau papier à en-tête mentionne les agences à Paris, Toulon et Brest pour Montigne, à Paris et à Vern-sur-Seiche pour Craignou-Gourio, qui sont bien évidemment les agences de la seule société existante J-L Biard. "

2. Les devis d'entreprises distinctes

a) L'entreprise Le Floch :

Dans les échantillons représentatifs de quatre-vingt-quatre et vingt-quatre dossiers susmentionnés, l'entreprise Le Floch a présenté un devis dans quarante et un cas, pour lesquels l'autre devis émane de L'Herrou, de Déménageurs Bretons, de Craignou-Gourio, de Biard ou de Ballut.

Les devis Le Floch précisent les quantités et les prix unitaires lorsqu'ils sont moins-disants et ne comportent plus que des montants globaux par poste lorsqu'ils sont plus-disants. Sauf exceptions, les devis plus-disants ne mentionnent ni le nom de la personne ayant visité le client ni la date et l'heure de la visite.

a. 1. Le Floch et L'Herrou :

Sur les dix-sept dossiers dans lesquels les deux devis émanent des entreprises Le Floch et L'Herrou, la première est moins-disante dans douze cas, la seconde dans cinq. L'écart entre les deux offres est généralement égal ou inférieur à 1 p. 100. La prime d'assurance réclamée aux clients est identique pour les deux devis, bien que la valeur déclarée soit différente. Lorsque l'entreprise moins-disante porte sur son devis des mentions relatives aux difficultés d'accès ou au maintien des tarifs, la seconde entreprise le mentionne également (six cas). Enfin, dans deux cas, les deux devis ont été établis à la même date.

a. 2. Le Floch et Craignou-Gourio ou Biard :

Sur les neuf dossiers dans lesquels les deux devis émanent des entreprises Le Floch d'une part et soit Craignou-Gourio soit Biard d'autre part, la première est moins-disante dans huit cas. L'écart entre les deux offres est généralement égal ou inférieur à 1 p. 100. Dans quatre cas sur neuf, les deux devis ont été établis à la même date. Dans un autre cas, les deux devis indiquent identique- ment que les prix proposés le sont " sous réserve d'une augmentation de tarifs au 1er juin 1989 ". Enfin, dans un cas, les deux devis comportent la même faute dans l'orthographe du nom du client : Le Mineur au lieu de Lemineur.

a. 3. Le Floch et les Aménageurs Bretons :

Sur les treize dossiers dans lesquels les deux devis émanent des entreprises Le Floch et les Aménageurs Bretons, la première est moins-disante dans onze cas, la seconde dans les deux autres. L'écart entre les deux offres est généralement égal ou inférieur à 1 p. 100. Dans deux cas, les deux devis ont été établis à la même date. Dans un autre cas, les deux devis comportent la même erreur dans l'orthographe du nom du client : Fragot au lieu de Frago.

a. 4. Le Floch et Ballut :

Sur les trois dossiers dans lesquels les deux devis émanent des entreprises Le Floch et Ballut, la première est toujours moins-disante. L'écart entre les deux offres est voisin de 1 p. 100. La prime d'assurance réclamée aux clients est identique pour les deux devis, bien que la valeur déclarée soit différente. Dans un cas, les deux devis prévoient un " supplément étage " et évaluent le volume à 36 mètres cubes, ramené à 30 mètres cubes (droits).

Par ailleurs, l'entreprise Le Floch a communiqué aux enquêteurs un dossier de déménagement. Sur le brouillon dactylographié du devis Le Floch figure la mention manuscrite d'un devis sous le titre souligné " Ballut ".

A propos de ce dossier, un responsable de la SARL Le Floch a déclaré :

" C'est moi, Alain Le Floch, qui ai relevé le devis de l'entreprise Ballut au domicile du client. Ce devis, je l'ai recopié sur ma fiche de calcul de prix. "

Un responsable de l'entreprise Ballut a pour sa part déclaré n'avoir jamais rencontré le client dont il s'agit : celui-ci lui aurait demandé téléphoniquement un devis (cotes nos 539 et 540). A l'appui de sa déclaration, il a présenté le double du devis du 1er septembre 1990. Le rapprochement entre ce devis et les mentions manuscrites figurant sur le brouillon de devis Le Floch sous le titre " Ballut " permet de constater que les postes " déplacement " et " main d'œuvre " sont globaux sur le devis Ballut alors qu'ils sont divisés en sous-rubriques sur le document Le Floch, qui est présenté comme une copie du devis Ballut.

Entendu par la suite, un responsable de la société Le Floch a maintenu avoir relevé le détail des postes du devis Ballut lors de sa visite commerciale au client et n'a pu expliquer les différences indiquées ci-avant.

a. 5. Le Floch et Le Calvez :

Sur les sept dossiers dans lesquels les deux devis émanent des entreprises Le Floch et Le Calvez, la première est moins-disante dans quatre cas et la seconde dans les trois autres cas. L'écart entre les deux offres est compris entre 0,1 et 0,8 p. 100. Dans un cas, les deux devis ont été établis à la même date.

b) L'entreprise Le Calvez :

L'entreprise Le Calvez a présenté un devis dans dix-sept des dossiers constituant les deux échantillons représentatifs susmentionnés, l'autre devis émanant des Aménageurs Bretons, de Craignou-Gourio ou de L'Herrou.

b. 1. Le Calvez et Les Aménageurs Bretons :

L'entreprise Aménageurs Bretons est franchisée de la marque " Les Déménageurs Bretons ". Sur les onze dossiers dans lesquels les deux devis émanent des entreprises Le Calvez d'une part, et Aménageurs Bretons (ou Déménageurs Bretons) d'autre part, la première est moins-disante dans six cas, la deuxième dans les cinq autres. L'écart entre les deux offres est généralement égal ou inférieur à 1 p. 100. Dans trois cas, les deux devis ont été établis à la même date. Dans deux autres cas, les deux devis évaluent également la distance (à 602 km et à 126 km), alors que le service de la solde a retenu une distance différente (400 km et 66 km).

b. 2. Le Calvez et Craignou-Gourio :

Sur les quatre dossiers dans lesquels les deux devis émanent des entreprises Le Calvez et Craignou-Gourio, la première est moins-disante dans trois cas, la seconde dans l'autre cas. Les deux devis ont été établis à la même date à chaque fois, et l'écart entre les deux offres est compris entre 0,24 et 0,9 p. 100. Dans un cas, les deux devis orthographient le nom du client Dijiacomo ou Digiacomo au lieu de Di Giacomo.

b. 3. Le Calvez et L'Herrou :

Sur les deux dossiers dans lesquels les deux devis émanent des entreprises Le Calvez et L'Herrou, la première est toujours moins-disante, et l'écart entre les deux offres est voisin de 1 p. 100. Dans un cas, les deux devis ont été établis à la même date.

S'agissant de l'un de ces deux dossiers, le responsable du département Déménagements de la SA Le Calvez a essayé de reconstituer, sur la base de ses tarifs de l'époque, le devis présenté à son nom. Mais il constate que le montant des frais de déplacement est de 396,66 F alors qu'il aurait dû être de 457,80 F.

c) L'entreprise Pierre Le Calvez :

Dans le cadre d'un plan de cession arrêté par jugement du 4 août 1989 modifié le 26 septembre suivant, la société en nom collectif Société Nouvelle Pierre Le Calvez a acheté, à compter du 15 janvier 1990, le fonds de commerce (sauf l'agence de Toulon) de la SA des Etablissements Pierre Le Calvez, mise en règlement judiciaire par jugement du 26 mai 1989.

Dans l'échantillon représentatif de quatre-vingt-quatre dossiers susmentionné l'entreprise Pierre Le Calvez a présenté un devis dans cinq cas pour lesquels l'autre devis émanait de L'Herrou ou de Craignou-Gourio.

c. I. Pierre Le Calvez et L'Herrou :

Sur les quatre dossiers dans lesquels les deux devis émanent des entreprises Pierre Le Calvez et L'Herrou, la première est moins-disante dans tous les cas. L'écart entre les deux offres, toujours établies à la même date, est inférieur à 1 p. 100. Dans un cas, les deux devis comportent la même erreur dans l'orthographe du nom du client : Bepois au lieu de Belpois.

c. 2. Pierre Le Calvez et Craignou-Gourio :

Dans le dossier où les deux devis émanent des entreprises Pierre Le Calvez et Craignou-Gourio, la première est moins-disante. L'écart entre les deux offres, par ailleurs établies à la même date, est inférieur à 0,5 p. 100.

d) L'Herrou et Craignou-Gourio :

Dans l'échantillon représentatif de quatre-vingt-quatre dossiers susmentionné, l'entreprise L'Herrou a présenté un devis dans quatre cas pour lesquels l'autre devis émanait de Craignou- Gourio et elle a été moins-disante dans trois de ces quatre dossiers. L'écart entre les deux offres est toujours inférieur à 1 p. 100. Dans un cas, la date du devis Craignou-Gourio a été surchargée, transformant le 13 décembre 1988 (date du devis L'Herrou) en 23 décembre 1988. Dans un autre cas, les deux devis ont été établis à la même date. Dans un dernier cas, les deux devis mentionnent un volume de 42 mètres cubes, ramené à 20 mètres cubes en fonction des droits de l'intéressé.

e) Ballut et L'Herrou :

Dans le même échantillon représentatif, l'entreprise Ballut a présenté un devis dans trois cas pour lesquels l'autre devis émanait de L'Herrou et elle a été moins-disante dans deux de ces trois dossiers. L'écart entre les deux offres est toujours voisin de 1 p. 100 ou inférieur. Dans un cas, le devis Ballut n'est pas daté. Dans un autre cas, les deux devis ont été établis à la même date, mentionnent un volume de 27 mètres cubes, ramené à 20 mètres cubes (droits) et comportent un " supplément étages " de 7 F x 20 mètres cubes x 8 étages.

A propos de ce dernier dossier, un responsable de l'entreprise Ballut a pu produire l'inventaire qu'il avait fait et qui aboutissait à un volume de 26,8 mètres cubes, arrondi à 27 mètres cubes, mais ramené " pour des raisons commerciales " à 20 mètres cubes " correspondant au cas particulier au droit du militaire ". Il a également produit la " feuille de calcul interne " à partir de laquelle avait été établi son devis (moins-disant).

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL

Sur la procédure:

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de la notification de griefs " il existe non pas un marché du déménagement des militaires (...) mais autant de marchés qu'existent de zones géographiques cohérentes, dont la Bretagne. Dans la suite de la présente notification de griefs, il ne sera donc plus fait mention que de ce marché " ; que, néanmoins, ce même document fait état, dans son chapitre XXIV, de pratiques développées sur le plan national respectivement par la société Demeco (barèmes de prix), par la SARL ITD services (édition de tarifs) et par la Chambre syndicale nationale des entreprises de déménagement et garde-meubles de France (directives en matières de prix) ; que, ces dernières pratiques n'étant pas limitées au seul marché retenu dans la notification de griefs, il y a lieu d'en disjoindre l'examen, qui fera l'objet d'une procédure ultérieure ;

Considérant, en second lieu, que l'enquête administrative sur la base de laquelle le ministre a saisi le Conseil a commencé par l'envoi, le 5 février 1990, d'une lettre du chef de service régional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Pays de la Loire au service de la solde du commissariat de la marine de Brest ; que, conformément aux dispositions de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée, cet acte a interrompu le cours de la prescription ; que les faits soumis au Conseil de la concurrence sont postérieurs au 5 février 1987 et peuvent donc être qualifiés par lui au regard des articles 7 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée ; que des faits antérieurs au 5 février 1987 peuvent cependant être relatés à seule fin de permettre la compréhension des griefs retenus et relatifs à des faits susceptibles d'être sanctionnés;

Considérant, en troisième lieu, que, pour apprécier la portée des modifications intervenues dans la situation juridique des entreprises, il convient de rechercher s'il existe une continuité économique et fonctionnelle entre celle qui s'est livrée à la pratique examinée et celle qui lui a succédé; qu'il en est ainsi de la Société nouvelle Craignou-Gourio et de la SA Etablissements Pierre Le Calvez, dont les fonds de commerce ont été achetés respectivement par la SAE J-L Biard et par la SNC Société nouvelle Pierre Le Calvez, des sociétés Transports et Déménagements Denis Philippe (depuis devenue AGS Armorique) et Montigne, achetées respectivement par AGS Holding et la SAE J-L Biard, et de l'entreprise en nom personnel Macé, reprise par la SARL Déménagements Macé; que, dès lors, ces entreprises ne peuvent utilement se prévaloir des modifications intervenues dans leur situation pour se soustraire à tout grief;

Considérant, enfin, qu'à la suite de la notification de griefs adressée à l'entreprise Ballut le liquidateur de celle-ci s'est borné à répondre " qu'en raison de la procédure la suspension des poursuites est d'ordre public et qu'aucune condamnation ne peut être prononcée à l'encontre de M. Ballut " ; qu'il lui appartenait néanmoins de présenter, s'il le jugeait utile, ses observations en réponse à ladite notification ;

Sur la pratique des " devis de couverture ":

Considérant qu'il n'est pas établi que les entreprises Le Calvez et Le Floch d'une part, Pierre Le Calvez et Craignou-Gourio d'autre part aient mis en œuvre des pratiques d'entente ; qu'on ne saurait non plus retenir un tel grief à l'encontre de l'entreprise Biard dans ses rapports avec les entreprises Craignou-Gourio et Montigne à compter du 6 mars 1990, date à laquelle ces deux dernières entreprises ont été absorbées par Biard ;

Considérant, en revanche, que les constatations consignées aux B.1 et B.2 de la partie I de la présente décision établissent que les entreprises suivantes se sont concertées en échangeant du papier à en-tête vierge ou en se communiquant des informations aux fins d'établir des devis de couverture au profit de celle d'entre elles qui se réservait d'être moins-disante :

- Denis Philippe avec les Déménageurs d'Armorique et Mace ;

- Le Floch avec Renaud, L'Herrou, Craignou-Gourio, Biard, Aménageurs Bretons et Ballut ;

- Biard avec Craignou-Gourio ;

- Le Calvez avec Aménageurs Bretons, Craignou-Gourio et L'Herrou ;

- Pierre Le Calvez avec L'Herrou ;

- L'Herrou avec Craignou-Gourio ;

- Bahut avec L'Herrou ;

Considérant que le fait, pour des entreprises indépendantes, de se concerter ou d'échanger du papier à en-tête vierge ou des informations en vue de produire des devis de couverture a pour objet et peut avoir pour effet de limiter l'exercice de la libre concurrence et de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché; qu'il en a été ainsi des entreprises mentionnées au 2 du B de la partie I de la présente décision ;

Considérant que les entreprisescitées au I du B ci-dessus ayant entre elles des liens juridiques ou financiers pouvaient choisir de présenter des devis distincts et concurrents dès lors qu'elles disposent de leur autonomie commerciale; que, s'étant néanmoins concertées pour coordonner leurs offres ou pour élaborer ou réaliser des devis en commun, elles ont faussé le jeu de la concurrence entre des entreprises autonomes; que dès lors de telles pratiques mises en œuvre par des entreprises appartenant à de mêmes groupes ont également pour objet et peuvent avoir pour effet de limiter l'exercice de la libre concurrence;

Considérant que les entreprises Aménageurs Bretons, Le Calvez, Société Nouvelle Pierre Le Calvez, liard, Le Floch et Renaud avancent que la faiblesse des écarts de prix entre les deux devis d'un même dossier peut s'expliquer par la référence commune au plafond de remboursement de l'administration ; que l'identité de leur date peut s'expliquer par le fait que les deux entreprises peuvent être situées dans la même ville et avoir été approchées le même jour par le client ; qu'une même évaluation de la distance, par la suite diminuée par l'administration, peut résulter d'une prise en compte de la distance de l'ancien domicile au nouveau et non pas, comme le fait l'administration, de l'ancienne base navale à la nouvelle ; que l'identité de la prime d'assurance portée sur les deux devis alors que la valeur déclarée y est différente peut tenir à ce que les deux entreprises se trouveraient avoir la même compagnie d'assurance et que le montant de la prime indiquée sur les devis serait fonction des droits en volume réglementaires et la valeur déclarée celle du volume réellement transporté qu'une même erreur sur les deux devis dans l'orthographe du nom ou de l'adresse du client relève de la pure coïncidence ;

Mais considérant qu'une concurrence effective par les prix peut s'exercer en dessous d'un plafond réglementairement déterminé ; que la connaissance de la réglementation dont se prévalent les entreprises ne peut expliquer que les deux entreprises qui élaborent des devis à propos d'une même demande commettent la même erreur dans l'évaluation de la distance ; que la circonstance qu'un client se soit adressé le même jour à deux entreprises n'implique pas nécessairement que les devis soient établis par elles ce même jour ;

Considérant qu'il ne peut être utilement soutenu que l'échange de papier à en-tête vierge auquel il a été procédé ne suffit pas à révéler l'existence d'une pratique d'entente, dès lors que, dans les circonstances de l'affaire, cette pratique témoigne de la renonciation par l'une des entreprises à sa liberté commerciale vis-à-vis des demandeurs ;

Considérant que ni la circonstance que leurs clients leur fourniraient des renseignements sur les offres de concurrents ou leur demanderaient des devis de couverture ni celle que l'administration aurait eu une pleine connaissance de l'existence des devis de couverture, ni le fait que ce comportement soit général depuis longtemps, ne sauraient, à les supposer établis, justifier des pratiques qui ont eu pour objet et pouvaient avoir pour effet de favoriser artificiellement la hausse des prix des prestations;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les pratiques de devis de couverture des entreprises Denis Phihippe, Déménageurs d'Armorique, Macé, Le Floch, Renaud, L'Herrou, Craignou-Gourio, avant le 6 mars 1990, Biard, Aménageurs Bretons, Ballut, Le Calvez, L'Herrou, et Pierre Le Calvez révèlent l'existence d'ententes anticoncurrentielles qui tombent sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant, en ce qui concerne l'application de l'article 10 de l'ordonnance que, d'une part, contrairement aux allégations de plusieurs entreprises, les pratiques constatées ne sont pas la conséquence de la réglementation ; que celle-ci, non seulement ne contient aucune disposition imposant aux entreprises de se concerter, mais est conçue au contraire pour organiser l'exercice de la libre concurrence entre déménageurs ; que d'autre part, il n'est pas allégué qu'elles aient pu contribuer à un quelconque progrès économique alors d'ailleurs qu'elles sont de nature à accroître les charges de la puissance publique ;

Sur l'application de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant qu'il y a lieu, par application dudit article, d'infliger aux entreprises coupables d'ententes, des sanctions pécuniaires ; que le plafond de celles-ci doit être déterminé en fonction du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos ; qu'il convient de tenir compte pour chacune de ces entreprises de ses capacités contributives, de l'importance des comportements sanctionnés ainsi que de l'atteinte portée aux règles de la concurrence et du dommage causé à l'économie ; que, la procédure mise en œuvre en l'espace étant celle prévue à l'article 22 de l'ordonnance, ces sanctions ne sauraient, en tout état de cause, excéder le plafond fixé audit article ;

Considérant que les 161 dossiers de contrats de déménagement examinés au cours de l'enquête font apparaître :

- 57 cas de concertation à la charge d'AGS Armorique (38 avec Macé et 19 avec Déménageurs d'Armorique) ;

- 47 à charge de l'entreprise Le Floch (13 avec Aménageurs Bretons, 9 avec Renaud, 17 avec L'Herrou, 8 avec Déménageurs d'Armorique) ;

- 38 à charge de l'entreprise Macé (avec AGS Armorique) ;

- 27 à charge de l'entreprise L'Herrou (4 avec Pierre Le Calvez, 17 avec Le Floch, 2 avec la société Transports Le Calvez, 4 avec Craignou-Gourio) ;

- 24 à charge d'Aménageurs Bretons (13 avec Le Floch, 11 avec la société Transports Le Calvez) ;

- 19 à charge de Déménageurs d'Armorique (avec AGS Armorique) ;

- 17 à charge de la SA Le Calvez (11 avec Aménageurs Bretons, 2 avec L'Herrou, 4 avec Craignou-Gourio) ;

- 13 à charge de Biard (8 avec Le Floch, 5 avec Craignou-Gourio) ;

- 9 à charge de Renaud (avec Le Floch) ;

- 8 à charge de Craignou-Gourio, représenté par Biard (4 avec l'Herrou, 4 avec la société Transports Le Calvez) ;

- 7 à charge de Ballut (4 avec Le Floch, 3 avec L'Herrou) ;

- 4 à charge de la société en nom collectif Pierre Le Calvez (avec L'Herrou) ;

Considérant qu'étant donné la nature de l'infraction et ses conséquences sur le fonctionnement du marché, la circonstance qu'une entreprise n'a obtenu qu'un nombre faible, voire nul, de contrats de déménagement ne saurait, contrairement à ce que prétend notamment l'entreprise Macé, avoir d'incidence sur la détermination du montant de la sanction pécunaire,

Décide :

Article 1er

L'examen des pratiques développées sur le plan national par la société Demeco, la SARL ITD services et la Chambre syndicale nationale des entreprises de déménagement et garde-meuble de France est disjoint pour faire l'objet d'une procédure ultérieure.

Article 2

Sont infligées, à raison des faits examinés dans la présente décision, les sanctions pécuniaires suivantes :

- 500 000 F à la société anonyme Jean-Louis Biard, pour elle-même et en tant qu'elle représente la société Craignou-Gourio ;

- 490 000 F à la SARL Roger Le Floch ;

- 300 000 F à la SARL AGS Armorique ;

- 300 000 F à la SARL aux Aménageurs Bretons ;

- 300 000 F à la SA Transports Le Calvez Père et fils ;

- 185 000 F à la SARL Macé ;

- 110 000 F à la société en nom collectif Société nouvelle Pierre Le Calvez ;

- 75 000 F à la SA Roger L'Herrou ;

- 25 000 F à M. Alexandre Ballut (entreprise Ballut en liquidation) ;

- 19 000 F à la SARL Société nouvelle des Déménagements Renaud ;

- 3 000 F à la SARL Les Déménageurs d'Armorique.

Article 3

Dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente décision, les entreprises mentionnées à l'article 2 feront publier le texte de la partie II de la présente décision, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées, dans le quotidien Ouest-France.

Cette publication sera précédée de la mention : " Décision du Conseil de la concurrence en date du 2 juin 1992 relative aux pratiques anticoncurrentielles concernant le déménagement des marins de la marine nationale en Bretagne."