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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 27 septembre 1996, n° FCEC9610465X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SCREG Ouest (SNC), Colas Centre-Ouest (Sté)

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Feuillard, Mme Thin

Avocat général :

M. Woirhaye

Conseiller :

Mme Kamara

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Azema, Saint-Esteben.

CA Paris n° FCEC9610465X

27 septembre 1996

LA COUR statue sur les recours en réformation et en annulation formés par la société SCREG Ouest ainsi que sur le recours en annulation et subsidiairement en réformation introduit par la société Colas Centre-Ouest à l'encontre de la décision du Conseil de la concurrence (ci-après le Conseil) n° 95-D-66 du 17 octobre 1995 qui, saisi par le ministre de l'économie, le 18 mai 1993, de pratiques constatées lors de la passation d'un marché public de voirie de la communauté urbaine du Mans (CUM), a infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

350 000 F à la société SACER ;

100 000 F à la société SCR Le Mans ;

7 500 000 F à la société Colas Centre-Ouest ;

4 500 000 F à la société SCREG Ouest,

et a ordonné la publication de son texte intégral, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires prononcées, dans les éditions diffusées dans l'arrondissement du Mans des quotidiens Ouest-France et Le Maine Libre.

Le Conseil a estimé que les entreprises concernées par les pratiques incriminées étaient les sociétés SCREG Ouest, SACER, Colas Centre-Ouest et SCR Le Mans, et non pas leur agence locale ou leur société mère ; qu'il n'y avait pas lieu d'écarter les procès-verbaux dont la régularité était contestée, les personnes entendues l'ayant été conformément aux prescriptions des articles 46 et 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 ; que les sociétés SCREG Ouest, SACER, Colas Centre-Ouest et SCR Le Mans, afin de conserver la répartition entre elles des travaux de voirie de la CUM à exécuter, acquise de longue date, se sont concertées préalablement au dépôt de leurs soumissions lors du premier appel d'offres du 7 janvier 1992 et que les trois premières citées se sont également concertées préalablement au dépôt des soumissions lors du second appel d'offres du 28 février 1992 ; que le maître d'ouvrage n'a pas été avisé lors du dépôt des offres du contrat de sous-traitance entre les sociétés Colas Centre-Ouest et SCREG Ouest, la société Colas Centre-Ouest ayant au contraire déposé une offre distincte et apparemment concurrente lors du second appel d'offres ; que cette concertation avait pour objet et a eu pour effet de répartir les lots entre les membres de l'entente et qu'elle a conduit chacun d'eux à déposer, au premier comme au second appel d'offres, des soumissions de couverture au profit des autres ; que cette concertation a donc eu pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence, sans que les dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 puissent trouver application dès lors qu'il n'est pas établi que l'économie prétendument réalisée par le maître d'ouvrage n'aurait pu être obtenue sans la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles constatées ni surtout qu'elle n'aurait pas été au moins égale si le libre jeu de la concurrence avait été respecté.

La société SCREG Ouest, qui se désiste de son recours en annulation, demande à la cour, la déclarant bien fondée en son recours en réformation, de juger qu'il y a pas lieu de sanctionner les pratiques incriminées au motif que la division artificielle en lots opérée par la CUM d'un ensemble de travaux de même nature faisant l'objet d'une enveloppe globale conduisait nécessairement à une concertation entre entreprises, laquelle n'a eu ni un objet ni un effet anticoncurrentiel puisque les rabais obtenus par la CUM ont toujours été supérieurs aux estimations du maître d'ouvrage et que l'élimination des autres entreprises soumissionnaires est le résultat du jeu normal de la concurrence ; qu'au demeurant la DDCCRF a demandé à la CUM de modifier sa pratique et qu'il importe de faire produire aux débats les critiques formulées par cette administration.

Subsidiairement, la société SCREG Ouest requiert une réduction considérable de la sanction pécuniaire, alléguant, d'une part, que, pour l'assiette de cette dernière, le seul chiffre d'affaires à considérer, à l'exclusion de celui relatif aux ventes de produits et prestations, est celui concernant les travaux réalisés par l'agence du Mans, d'autre part, que les faits reprochés n'ont intéressé que le marché de 1992 et non ceux de quatorze années, que le dommage à l'économie n'est pas établi et que la spécificité des circonstances en cause doit conduire à une application particulièrement modérée de la sanction.

La société Colas Centre-Ouest conclut à l'annulation de la décision entreprise, subsidiairement à sa réformation au motif qu'il n'y a pas lieu de sanctionner les pratiques en cause, infiniment subsidiairement à la réduction très sensible de la sanction pécuniaire.

Elle prétend que les procès-verbaux des déclarations de M. Laude du 2 juillet 1992 et de M. Duval du 7 juillet 1992 doivent être écartés des débats, ainsi que toutes les pièces de procédure s'y référant directement ou indirectement, au motif que, en violation des prescriptions de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986, le lieu des auditions n'a pas été précisé ; que doivent en outre être annulés les procès-verbaux d'audition de MM. Winschel et Lenfant du 2 juillet 1992 ainsi que de M. Fortineau des 2 et 7 juillet 1992 dès lors que l'objet de l'enquête n'a pas été clairement précisé, étant observé que l'annulation des procès-verbaux signés par M. Lenfant entraîne aussi celle du document qui s'y trouve joint et sur lequel est fondée la preuve de la concertation pour le deuxième appel d'offres.

Sur le fond, elle soutient que la décision entreprise comporte diverses erreurs dans sa relation des faits et fait valoir essentiellement que l'illicéité du marché plaçait les entreprises dans une sorte de groupement de fait qui ne pouvait qu'affecter le jeu normal de la concurrence mais que cette situation avantageait la CUM et n'a pas causé d'atteinte au jeu de la concurrence effective.

Enfin, soulignant que la sanction prononcée représente 15 p. 100 du chiffre d'affaires de son agence du Mans, elle soutient que le rôle causal joué par le maître d'ouvrage doit être pris en considération pour l'appréciation de la sanction qui ne peut s'appliquer qu'au marché de 1992 et sur la base du seul chiffre d'affaires de son agence, laquelle bénéficie d'une pleine autonomie, étant précisé que les pratiques litigieuses n'ont eu ni pu avoir d'effet sensible sur la concurrence.

Le ministre de l'économie conclut au rejet des recours, soulignant que les procès-verbaux critiqués étaient réguliers, que le marché considéré n'était pas illégal puisque le fonctionnement des marchés publics est autorisé par l'article 274 du code des marchés publics lorsqu'il est susceptible de présenter des avantages financiers ; qu'aucune circonstance ne justifiait la concertation mise en place avant le dépôt des plis ; que les pratiques relevées ont eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de l'entretien de la voirie du Mans ; que la collectivité publique aurait pu obtenir des rabais plus importants si les entreprises avaient joué le jeu d'une véritable concurrence ; que les sanctions prononcées sont justifiées au regard du chiffre d'affaires des sociétés et non de leurs agences, qui n'ont pas apporté la preuve de leur autonomie, en raison de la gravité des pratiques intervenues à l'occasion d'un marché public et du dommage causé à l'économie par suite notamment de l'éviction des autres entreprises et du rôle d'entraînement rempli par les requérantes à l'égard des entreprises indépendantes et de petite taille dans le même secteur d'activité.

Le Conseil de la concurrence observe qu'il a relevé les éléments intrinsèques et extrinsèques circonstanciés établissant la régularité des procès-verbaux contestés ; que, si le système conçu par la CUM a pu conduire les entreprises à ne faire porter leurs efforts que sur un seul lot, il ne saurait justifier une concertation préalable au dépôt des offres ; enfin que le défaut de mention préalable du recours à un sous-traitant trompe le maître de l'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence.

Le ministère public a conclu oralement à la régularité des procès-verbaux et à la confirmation de la décision entreprise, soulignant que l'indépendance des offres a été supprimée et, par voie de conséquence, la concurrence restreinte en raison de la concertation ayant eu pour objet et pour effet de répartir les lots entre les membres de l'entente grâce au dépôt de soumissions de couverture les uns au profit des autres.

Sur quoi, LA COUR :

Considérant que, pour l'examen des présents recours, il y a lieu de rappeler que la CUM lance tous les deux ans un appel d'offres ouvert au rabais et divisé en lots pour faire assurer l'entretien, la restauration et la création de ses chaussées, trottoirs et parkings (lots n°s 1, 2 et 3), le pavage, les bordures, le dallage en ciment et la construction de fondations de trottoirs (lot n° 4) et la pose de parasphalte ou matériaux similaires (lot n° 5) ; que ces marchés à commande, portant sur des travaux non précisément définis lors de l'appel d'offres, sont conclus pour une durée d'un an, renouvelable une fois par tacite reconduction, chacun des lots étant divisé en deux sections : travaux de fonctionnement et travaux d'investissement, et s'élèvent à un montant total variant entre 45 et 65 millions de francs par an ;

Que, de 1979-1980 à 1990-1991, le lot n° 1 a toujours été attribué à la société SACER, le lot n° 2 à la société SCREG Ouest (en 1986-1987 groupée avec la société Colas Centre-Ouest), le lot n° 3 à la société Heulin jusqu'à fin 1985, puis à partir de 1988 à la société Colas Centre-Ouest, le lot n° 4 à la société SCVRD (devenue SCR Le Mans) et le lot n° 5 à la société SMAC, les sociétés Sacer, SCREG et Colas constituant des filiales du groupe Bouygues et possédant des agences au Mans non dotées de la personnalité morale ;

Que, pour l'année 1992, la CUM a, le 9 janvier 1992, sur un premier appel d'offres autorisant la soumission pour deux lots groupés, attribué les lots n°s 4 et 5, mais déclaré l'appel d'offres infructueux pour les trois premiers lots ; que, sur le second appel d'offres mis en œuvre selon la procédure d'urgence, les trois lots non attribués étant regroupés en deux lots et toute possibilité d'offres en lots groupés étant interdite, elle a, le 3 mars 1992, attribué à la société SCREG Ouest le premier lot, d'un montant de 12 à 15 millions de francs, et à la société SACER le deuxième lot, d'un montant de 9 à 11,5 millions de francs ; qu'ultérieurement la SCREG a sous-traité une partie de son lot à la société Colas Centre-Ouest ;

Que, lors du premier appel d'offres, les rabais ou majorations proposés par les trois premiers moins-disants pour les lots n°s 1 à 3 étaient les suivants :

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Les autres offreurs (douze entreprises) ayant présenté des majorations plus importanes ;

Que les travaux correspondant aux lots n°s 1 à 3 étaient de nature identique ; que, pourtant, les rabais proposés par les trois moins-disants étaient différents d'un lot à l'autre ;

Que le directeur du service des investissements, des subventions et des marchés de la CUM a déclaré : "Les rabais proposés par chacune (des entreprises) semblent avoir été organisés sans référence logique par rapport au montant respectif de chaque lot", ajoutant que, au cours de la réunion organisée le 15 janvier 1992 dans les locaux de la CUM, les représentants des entreprises SACER, SCREG et Colas avaient affirmé "s'être concertés et avoir déposé leurs offres avec l'objectif d'une répartition des lots (... et qu'ils) avaient relevé dans le règlement de l'appel d'offres une disposition de nature à favoriser la concertation notamment dans la perspective de la mise en place d'un groupement solidaire", mais qu'il avait alors précisé que cette autorisation était destinée à permettre à des sociétés de mettre en commun leurs moyens pour accéder à de tels marchés, mais qu'en aucun cas elle n'autorisait une entente organisée pour une répartition des marchés ;

Que le directeur d'agence de la société SCR, M. Duval, a pour sa part déclaré : "Une réunion a eu lieu le 6 janvier 1992 à 11 heures à la SACER ; y participaient M. Laude (SACER), M. Lenfant (SCREG) et M. Fortineau (Colas) et moi-même. J'ai précisé à ces trois personnes que j'étais intéressé par le lot 4 et je leur ai communiqué le montant du rabais que je comptais remettre lors de la soumission. J'ai remis ma soumission comme je l'avais précisé (- 3 p. 100) et j'ai été attributaire de ce lot" ;

Qu'en ce qui concerne la concertation entre les entreprises SCREG, Colas et SACER, le directeur d'agence de cette dernière, M. Laude, a indiqué : "Pour 1992, j'ai rencontré MM. Lenfant et Fortineau avant la remise des offres. Cette réunion était motivée par le fait que chaque entreprise n'aurait pu assurer à elle seule la totalité du marché. (...) Les trois lots étant de taille différente, la répartition s'est effectuée entre nous trois en fonction de l'importance respective de chacune de nos agences. (...) Nous avons défini en commun les rabais à proposer, à savoir - 3,5 p. 100 pour les lots 1 et 2 et - 2 p. 100 pour le lot 3. (...) La collectivité ayant relancé la procédure, mais avec deux lots seulement et interdiction de se grouper, nous nous sommes à nouveau réunis afin d'examiner cette nouvelle situation. Nous avons convenu que Colas et SCREG s'intéresseraient au lot le plus important, et SACER à l'autre" ;

Qu'enfin le directeur de l'agence du Mans de la société SCREG, M. Lenfant, a précisé : "Le premier appel d'offres du 7 janvier 1992 autorisait une réponse par groupement de deux entreprises ou plus. (...) Nous avons recherché avec les anciens titulaires du marché, SACER, Colas et SCVRD (devenue SCR Le Mans), la stratégie à adopter : réponse en groupement d'entreprises ou en entreprises isolées. (...) Pour ce faire, nous nous sommes réunis vraisemblablement le 6 janvier, pour étudier nos offres. (...) Nous avons décidé de répondre séparément : lot n° 1 SACER, lot n° 2 SCREG, lot n° 3 Colas, lot n° 4 SCVRD (SCR Le Mans). Chacun a fait connaître le montant du rabais sur le bordereau de prix, concernant le lot qui lui était attribué" ; qu'il a ajouté qu'après avoir pris connaissance des conditions du second appel d'offres les trois mêmes entreprises s'étaient à nouveau concertées "pour pouvoir répondre dans le même esprit que lors du premier appel d'offres, tout en respectant le nouveau règlement particulier d'appel d'offres. Le montant des lots ayant été très sérieusement augmenté, nous avons décidé de répondre SCREG, le lot n° 1, avec Colas en sous-traitant, et SACER, le lot n° 2" ; qu'il a précisé que cette décision avait été prise lors d'une réunion tenue le 28 février 1992, comme le montre sa note manuscrite portant cette date et indiquant les rabais à proposer pour les deux lots, dont il a remis copie aux enquêteurs ;

Considérant que lors du second appel d'offres, les rabais ou majorations proposés par les trois premiers moins-disants pour les deux lots ont été les suivants :

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Que les autres offreurs (six entreprises) ont présenté des majorations plus importantes, sauf la société Cochery-Bourdin & Chausse (- 1 p. 100 et +/- 0 p. 100) :

Que la société Colas a remis une offre pour chacun des lots et qu'aucun offreur n'a présenté à l'agrément du maître d'ouvrage, lors du dépôt de son offre, un quelconque sous-traitant, alors que l'article 4-2 du règlement particulier d'appel d'offres en prescrivait l'obligation et que son article 2-2-1 excluait toute possibilité de groupement d'entreprises ;

Que néanmoins, le 8 avril 1992, un contrat de sous-traitance a été signé entre les sociétés Colas et SCREG, ultérieurement agréé par le maître d'ouvrage ;

Sur la procédure :

Considérant qu'il convient d'ordonner la jonction des recours formés par les sociétés SCREG Ouest et Colas Centre-Ouest contre la même décision ;

Considérant qu'il y a lieu de donner à la société SCREG Ouest acte de ce qu'elle se désiste de son recours en annulation ;

Sur la régularité des procès-verbaux d'enquête :

Considérant que, si l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 dispose que les procès-verbaux d'audition prévus par l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 énoncent la nature, la date et le lieu des constatations effectives, cette exigence n'est pas requise à peine de nullité ;

Que la société Colas Centre-Ouest, qui soulève l'irrégularité des procès-verbaux de déclaration de M. Laude du 2 juillet 1992 et de M. Duval du 7 juillet 1992 au motif qu'ils se bornent à indiquer le nom de la personne physique entendue, suivi de sa qualité dans l'entreprise, ne prétend pas que l'omission de la mention du lieu de l'audition aurait porté atteinte aux droits de la défense ou au principe de loyauté qui doit présider à la recherche des preuves, ni que les prescriptions des articles 47 et 48 de l'ordonnance n'auraient pas été respectées ;

Qu'en toute hypothèse il résulte suffisamment de l'indication que les susnommés ont été entendus en leur qualité, le premier, de directeur de l'agence SACER située "Le Grand Plessis" à Allonnes, le second en tant que directeur de l'agence SCR Le Mans, 2, rue André-Citroën, zone industrielle Nord Le Mans, qu'ils ont été entendus en leurs bureaux, dont l'adresse était précisée ;

Qu'il s'ensuit que ces procès-verbaux ont été régulièrement établis ;

Considérant que les enquêteurs ont l'obligation d'indiquer clairement l'objet de leur enquête afin que la personne entendue ne puisse se méprendre sur l'étendue de ses droits et les conséquences de ses déclarations ;

Qu'en l'espèce il résulte des procès-verbaux dressés les 2 et 7 juillet 1992 que M. Winschel, responsable du service des investissements, des subventions et des marchés de la CUM, M. Lenfant, directeur de l'agence du Mans de SCREG Ouest, et M. Fortineau, directeur du centre du Mans de Colas Centre-Ouest, ont été informés qu'ils étaient entendus dans le cadre de l'appel d'offres lancé par la CUM pour les travaux de voirie, entretien et restauration de chaussées et trottoirs pour l'année 1992 ;

Qu'il ressort des termes de leurs déclarations que les susnommés étaient avertis de l'enquête en cours et de son objet au regard d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles de concertation et d'entente sur les prix, en sorte qu'ils étaient suffisamment éclairés sur la portée des déclarations qu'ils faisaient ;

Qu'il n'y a donc pas lieu d'écarter des débats lesdits procès-verbaux ;

Sur les pratiques incriminées :

Considérant que les sociétés requérantes ne contestent pas qu'elles se soient concertées préalablement au dépôt de leurs soumissions pour l'appel d'offres du 9 janvier 1992 et pour celui du 3 mars 1992 en vue de voir conserver la répartition entre elles des travaux à exécuter telle qu'elle se trouvait instaurée depuis plusieurs années ;

Considérant qu'en outre la société SCREG, attributaire d'un lot lors du second appel d'offres, a signé avec la société Colas Centre-Ouest un contrat de sous-traitance sans soumettre préalablement son sous-traitant à l'agrément du maître d'ouvrage et alors que la société Colas avait elle-même présenté pour ce lot une offre apparemment concurrente et que le règlement particulier de l'appel d'offres excluait toute possibilité de groupement d'entreprises ;

Considérant, en premier lieu, que l'indépendance des offres a été supprimée et par voie de conséquence la concurrence restreinte du seul fait que les sociétés SCREG Ouest et Colas Centre-Ouest ont établi leurs offres en tenant compte, même partiellement, de celles des autres parties à la concertation ;

Considérant, en second lieu, qu'en ayant soumissionné au second appel d'offres sans mentionner préalablement le recours à un sous-traitant, ce qui impliquait qu'elles réaliseraient elles-mêmes les travaux, alors qu'elles se sont ensuite réparti, en recourant à la sous-traitance, le lot attribué, les requérantes ont trompé le maître de l'ouvrage sur la portée et l'étendue de la concurrence ;

Considérant que le fait que la CUM ait alloti le marché public selon un critère purement financier pour des travaux de même nature, qu'elle ait groupé dans les lots des travaux de fonctionnement et d'investissement et qu'elle se soit réservé la faculté de choisir à tout moment quelle entreprise exécuterait chacun des travaux ne supprime pas, quelles qu'aient été les critiques exprimées par la DDCCRF à l'encontre du système mis en place par la CUM, le caractère anticoncurrentiel des pratiques incriminées qui, contrevenant à l'exigence de soumissions secrètes et indépendantes en vue de l'attribution d'un marché public, ont eu pour objet et pour effet de porter de manière sensible atteinte à la concurrence sur le marché de la voirie de la ville du Mans au détriment à la fois de la collectivité locale, qui sans cette concertation aurait pu bénéficier de rabais supérieurs, l'indication de prix initialement définis par la CUM ne signifiant pas que celle-ci n'escomptait pas des rabais significatifs, et des autres entreprises soumissionnaires, lesquelles, n'ayant pas été appelées à la concertation, ont disposé de moindres chances d'être attributaires de lots ;

Que les pratiques examinées ci-dessus sont prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les sanctions :

Sur la gravité des faits :

Considérant que, lorsque le comportement d'une personne publique a eu pour effet d'inciter à une entente dans un marché public, il y a lieu d'en tenir compte pour la détermination des sanctions ;

Considérant que, en fractionnant des travaux identiques et en mêlant travaux neufs et travaux d'entretien répartis ensuite à son gré, tout en admettant sans aucune logique des rabais différents selon les lots avec la volonté affirmée de conserver la répartition du marché afin de disposer de plusieurs entreprises partenaires et conserver une disponibilité qu'une entreprise unique ne pourrait offrir, ainsi que l'a admis au cours de l'enquête M. Chevolleau, représentant la CUM, la collectivité publique a favorisé une entente entre les entreprises soumissionnaires de manière que chacune propose sur un lot le rabais le plus bas, en concertation avec les autres, afin de répartir entre elles les lots à attribuer ;

Considérant encore que les éléments du débat n'ont pas permis de démontrer qu'une concertation aurait systématiquement été mise en œuvre entre les requérantes au cours des appels d'offres antérieurs à 1992, même si la pérennité de la répartition des lots du marché de la voirie de la ville du Mans peut le laisser suspecter ;

Considérant, en revanche, que l'appartenance des sociétés SCREG Ouest et Colas Centre-Ouest à un grand groupe produit, sur le marché des travaux publics, un effet d'entraînement susceptible soit d'inciter les entreprises indépendantes et de petite taille à agir comme elles, soit de les dissuader de soumettre des offres sur les marchés où les requérantes ou leur groupe sont présents ;

Sur l'assiette de la sanction :

Considérant que ni la société SCREG Ouest ni la société Colas Centre-Ouest ne démontrent l'autonomie de leurs agences du Mans;

Qu'en effet la délégation générale de pouvoir accordée à leurs directeurs était limitée, pour la passation des marchés conclus avec l'administration, à 5 000 000 F pour la première et à 6 000 000 F pour la seconde;

Que cette limitation démontre que les agences concernées ne bénéficiaient pas, pour l'ensemble des marchés publics qu'elles traitaient au nom de leurs sociétés, y compris pour le marché considéré qui était d'un montant supérieur, de l'autonomie commerciale, financière et technique caractérisant l'entreprise, peu important que leurs directeurs aient traité le marché dont s'agit, étant au demeurant observé qu'il n'est pas établi qu'ils n'auraient pas reçu pour ce faire un pouvoir spécial;

Qu'il s'ensuit que le chiffre d'affaires à prendre en considération pour l'assiette de la sanction est celui, non des agences du Mans, mais des sociétés Colas Centre-Ouest et SCREG Ouest, sans qu'il y ait lieu, évidemment, pour cette dernière, de distinguer entre les chiffres relatifs aux travaux, aux prestations et à la vente de produits; qu'il n'est d'ailleurs pas établi que ces activités nécessiteraient la mise en œuvre de techniques et de matériels spécifiques ;

Sur le montant des sanctions :

Considérant que le chiffre d'affaires de la société SCREG Ouest, arrêté au 30 avril 1994 et pris en compte par le Conseil, s'est élevé en France à 665 398 505 F ;

Que cette société fait valoir que son chiffre d'affaires arrêté au 30 avril 1996 s'est élevé à 151 058 137 F avec un résultat déficitaire de 31 235 817 F et un carnet de commandes de 192 173 000 F, en diminution respectivement de 15,3 p. 100 et 22,4 p. 100 sur les chiffres de l'exercice clos le 30 avril 1995 ;

Considérant que le chiffre d'affaires de la société Colas Centre-Ouest s'est élevé en France, en 1994, dernier exercice clos versé aux débats, à 765 166 361 F ;

Considérant que, eu égard à la gravité des faits en cause, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation des requérantes et tenant compte des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il convient d'infliger à la société SCREG Ouest une sanction pécuniaire de 450 000 F et à la société Colas Centre-Ouest une sanction pécuniaire de 750 000 F,

Par ces motifs : Joint les recours inscrits au rôle général de la cour sous les numéros 95-26099 et 95-26527 ; Donne acte à la société SCREG Ouest de ce qu'elle s'est désistée de son recours en annulation ; Réformant la décision du Conseil de la concurrence n° 95-D-66 du 17 octobre 1995, dans la limite des recours des sociétés SCREG Ouest et Colas Centre-Ouest et seulement sur le montant des sanctions ; Réduit à 450 000 F la sanction pécuniaire infligée à la société SCREG Ouest et à 750 000 F celle prononcée à l'encontre de la société Colas Centre-Ouest ; Rejette toute autre prétention ; Dit que les dépens afférents aux présents recours seront supportés par la sociétés requérantes à proportion des sanctions infligées.