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Conseil Conc., 19 janvier 1999, n° 99-D-05

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine au fond et à une demande de mesures conservatoires présentées par la Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France à l'encontre de divers laboratoires de parapharmacie et de médication familiale

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de Mme Servella-Huertas, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 99-D-05

19 janvier 1999

Le conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée du 19 mars 1998, sous le numéro F 1032-2, par laquelle la Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par divers laboratoires de parapharmacie et de médication familiale ; Vu la lettre enregistrée le 29 septembre 1998, sous le numéro M 225, par laquelle la Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France, les sociétés Boiron, Boots Healthcare, Chéfaro-Ardeval, Janssen-Cilag, Laboratoire du Dermophil indien, Laboratoire Lachartre, Laboratoires Upsa, Monsanto France, Novartis, Organon, Pharmacia et Upjohn, Roche-Nicholas, Schering SA, Smithkline Beecham santé et hygiène, Solvay pharma, Theraplix, Wyeth-Lederle, Zenecca-Pharma et les laboratoires Chauvin, Sarget Pharma, Urgo et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, les représentants des laboratoires et de la Coopérative des pharmaciens de l'Ile-de-France entendus ;

Considérant que la Coopérative des pharmaciens de l'Ile-de-France (la Coopérative), créée en 1996 sous forme de société anonyme, avait, notamment, pour objet :

"a) De fournir, en totalité ou en partie à ses associés, des produits qualifiés parapharmacie et... plus généralement tout ce qui [était] vendu en officine de pharmacie, à l'exclusion des produits avec AMM, compte-tenu de la législation en vigueur ;

"b) De constituer et d'entretenir à cet effet tout stock de marchandises,..." ;

Considérant que la Coopérative a été autorisée, par un arrêté du ministre de l'Emploi et de la Solidarité, en date du 12 février 1998, à ouvrir un établissement pharmaceutique dépositaire ; qu'elle a modifié ses statuts en conséquence ;

Considérant, en effet, que le Code de la santé publique, dans ses parties législative et réglementaire, organise la distribution en gros des produits pharmaceutiques ; que le décret n° 98-79 du 11 février 1998 relatif aux établissements pharmaceutiques a modifié le Code de la santé publique, au vu, notamment, de la directive 92-25-CE du Conseil en date du 31 mars 1992 concernant la distribution en gros des médicaments à usage humain ; que l'article R. 5106 (4° et 5°) du Code de la santé publique définit par "dépositaire, toute entreprise se livrant, d'ordre et pour le compte d'un ou plusieurs exploitants de médicaments... au stockage de ces médicaments, produits, objets ou articles dont elle n'est pas propriétaire, en vue de leur distribution en gros et en l'état" et par "grossiste-répartiteur, toute entreprise se livrant à l'achat et au stockage de médicaments autres que ceux destinés à être expérimentés sur l'homme, en vue de leur distribution en gros et en l'état..." ; qu'ainsi le dépositaire n'achète pas de médicaments mais se livre, d'ordre et pour le compte du fabricant, à leur stockage ; qu'à l'inverse le grossiste-répartiteur achète et revend les médicaments ; que les articles R. 5115-12 et suivants organisent les obligations du dépositaire comme celles du grossiste ; que le grossiste est tenu à des obligations de service public telles que de "disposer d'un assortiment de médicaments comportant au moins les neuf dixièmes des présentations effectivement exploitées en France et de satisfaire à tout moment la consommation de sa clientèle habituelle durant au moins deux semaines..." ; que le dépositaire exerce son activité dans les conditions prévues par un contrat écrit qui fixe "les obligations respectives du dépositaire et de l'exploitant" ;

Considérant que, le 19 mars 1998, le Conseil de la concurrence a été saisi par la Coopérative de pratiques mises en œuvre par quatre laboratoires de médication familiale (médicaments non remboursables, munis d'autorisation de mise sur le marché) : les sociétés Smithkline Beecham santé et hygiène, Boots Healthcare, Whitehall et Chéfaro-Ardeval (groupe AKZO Nobel) ; que, le 29 septembre 1998, la Coopérative a saisi à nouveau le Conseil de pratiques de laboratoires de médication familiale et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ; que cette saisine, complémentaire, implique vingt-et-un laboratoires, dont trois faisaient partie de la saisine initiale, le laboratoire Whitehall qui, selon les affirmations de M. Rader, président de la Coopérative, avait signé un accord avec la Coopérative étant mis hors de cause ;

Considérant que la Coopérative reproche à dix-huit laboratoires de lui avoir opposé un refus de vente et à trois laboratoires, les sociétés Zenecca-Pharma, Wyeth-Lederle et Monsanto France, d'exiger des délais de paiement qu'elle estime discriminatoires ;

Considérant que le Conseil ne peut prononcer les mesures conservatoires mentionnées à l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que si la demande dont il est saisi au fond est recevable ; qu'aux termes de l'article 19 de cette même ordonnance "le Conseil de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés d'éléments probants" ;

Considérant que huit des dix-huit laboratoires concernés par la saisine font observer que la preuve de l'existence d'un refus de vente n'est pas apportée par la Coopérative ;

Considérant qu'en effet, en ce qui concerne la société Boiron et les laboratoires Chauvin, aucune lettre ni de commande ni d'un quelconque refus n'est produite à l'appui de la saisine ; que, pour les laboratoires Sarget Pharma et les sociétés Laboratoire Lachartre, Chéfaro-Ardeval et Boots Healthcare, la Coopérative se borne à produire une copie des lettres qu'elle aurait adressées à ces sociétés sans apporter la preuve que ces courriers ont été reçus ni même adressés ; qu'en ce qui concerne la société Laboratoires du Dermophil indien, société dépositaire pharmaceutique et fabricant de médicaments, les seuls éléments à l'appui des allégations de la partie saisissante sont la production d'une lettre de la Coopérative annonçant à la société en cause qu'elle devenait dépositaire, la mention d'un rendez-vous, le 17 mars 1998, et des lettres de la Coopérative adressées à la société Laboratoire du Docteur Dumesny, société représentant la société Laboratoires du Dermophil indien dans son activité de dépositaire, non concernée par les débats ; qu'enfin, s'agissant des laboratoires Urgo, les seules lettres produites par la Coopérative sont antérieures à la date à laquelle elle a été autorisée à recevoir des médicaments en dépôt ;

Considérant qu'en ce qui concerne les dix autres laboratoires, il ressort des lettres versées à l'appui de la saisine que la Coopérative a commandé des médicaments aux conditions réservées aux grossistes-répartiteurs, tout en se prévalant de sa qualité nouvelle d'établissement pharmaceutique dépositaire ; que certains laboratoires, après avoir demandé à la Coopérative des précisions sur ses statuts, ont refusé de la livrer en se fondant sur sa qualité de dépositaire ; que les autres ont simplement indiqué avoir leurs propres réseaux de distribution ;

Considérant, d'une part, que la Coopérative n'a apporté aucun élément à l'appui de ses allégations visant huit laboratoires ; que, d'autre part, la circonstance que les dix autres laboratoires aient opposé un refus de vente à la Coopérative en dehors de tout autre indice ne saurait constituer à elle seule la preuve d'une entente anti-concurrentielle entre les laboratoires mis en cause, la Coopérative n'étant pas autorisée, en vertu de son statut d'établissement pharmacien dépositaire, à acheter des médicaments ;

Considérant que les sociétés Wyeth-Lederle, Monsanto France et Zenecca-Pharma ont subordonné la livraison à la Coopérative à un paiement comptant ; que la Coopérative a refusé ces conditions, s'estimant victime de pratiques discriminatoires par rapport aux conditions proposées aux grossistes-répartiteurs ;

Mais, considérant que les grossistes-répartiteurs étant soumis à des obligations différentes de celles des dépositaires, rien n'impose aux laboratoires de pratiquer à l'égard de ces deux catégories de distributeurs les mêmes conditions commerciales; qu'en outre, le fait que trois laboratoires aient exigé d'un client nouveau un paiement comptant ne saurait, en l'absence de tout autre indice, constituer la preuve d'une entente entre les trois sociétés;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la partie saisissante n'apporte pas à l'appui de ses allégations d'éléments suffisamment probants de pratiques entrant dans le champ de l'article 7 de l'ordonnance ; qu'en conséquence, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et, par voie de conséquence, de rejeter la demande de mesures conservatoires ;

Considérant que la société Monsanto France a sollicité, dans ses observations, la condamnation de la Coopérative au versement de la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Considérant que l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ne prévoit la condamnation d'une partie ni aux dépens ni aux frais exposés par une autre partie et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en conséquence, de rejeter la demande formée par Monsanto France de ces chefs,

Décide :

Art. 1er. - La saisine enregistrée sous le numéro F 1032-2 est déclarée irrecevable.

Art. 2. - La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 225 est rejetée.

Art. 3. - La demande de la société Monsanto France aux titres des dépens et de l'article 700 du NCPC est rejetée.