Conseil Conc., 14 juin 2000, n° 00-A-16
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Avis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de M. Avignon, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, , M. Cortesse, vice-président.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 1er mars 2000 sous le numéro A 297, par laquelle le Conseil général du Loiret a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 5 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, d'une demande d'avis sur les conditions de consultation des entreprises pour l'attribution des marchés d'acquisition de matériels informatiques ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence, notamment son article 5, et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Le rapporteur, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus, les représentants du Conseil général du Loiret entendus, conformément aux dispositions de l'article 25 de l'ordonnance susvisée ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :
Le Conseil général du Loiret a saisi le Conseil de la concurrence d'une demande d'avis relative aux conditions de passation des marchés de matériels de micro-informatique, de bureautique et de réseaux, pour couvrir l'ensemble des besoins de ses propres services, pour les collèges du département et aussi pour le compte de communes et d'autres organismes dans le cadre d'une mise à disposition de ces matériels après leur acquisition.
Le Conseil général du Loiret souhaite savoir si le fait de demander aux entreprises, dans le cadre d'un marché de fourniture de matériel informatique, de proposer des remises sur des tarifs "prix publics HT ou prix moyens HT constatés" figurant sur des catalogues édités par le distributeur ou ses fournisseurs, est ou non contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance.
En effet, suite à une demande du 28 décembre 1999 de la société de distribution de micro-ordinateurs Info Centre, qui a soumissionné en 1999 au marché de fourniture et de pose de matériel informatique pour les collèges du Loiret, la direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes d'Orléans a fait savoir à cette entreprise, par lettre du 5 janvier 2000 que : "Le fait de fournir à chaque candidat une indication sur des prix considérés comme normaux dans le secteur professionnel concerné revient à dissuader les entreprises de fixer leurs prix compte tenu des éléments qui leur sont propres, et peut conduire les concurrents à aligner leur comportement sur celui des autres." Par lettre du 17 février 2000, adressée au président du Conseil général du Loiret, le même service a confirmé, qu'à ses yeux, seules étaient acceptables les remises portant sur les propres catalogues du candidat soumissionnaire.
Dans sa lettre de saisine du conseil, le Conseil général du Loiret estime que cette position n'est pas transposable à la procédure d'appel d'offres engagée par le département pour fournir en matériel informatique les collèges publics du Loiret.
Avant de conclure un nouveau marché plus large destiné à couvrir l'ensemble de ses fournitures d'équipement micro-informatique, bureautiques et de réseaux, le Conseil général sollicite "l'avis du conseil pour savoir quelle analyse il fait de ce dossier de consultation des entreprises au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance".
A titre liminaire, il convient de rappeler que le Conseil de la concurrence dispose d'une compétence d'attribution et qu'il ne lui appartient pas d'apprécier la régularité d'un comportement au regard d'un autre texte que celui de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou des articles 81 et 82 du Traité de Rome ; en particulier, le conseil n'a pas compétence pour se prononcer sur la conformité d'une pratique aux règles juridiques qui régissent la commande publique.
Par ailleurs, il n'appartient pas au conseil, saisi d'une demande d'avis sur le fondement de l'article 5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de se prononcer sur la question de savoir si telle ou telle pratique d'un opérateur est contraire aux dispositions des articles 7 et 8 de ladite ordonnance. Seules une saisine contentieuse et la mise en œuvre de la procédure pleinement contradictoire prévue par le titre III de l'ordonnance sont de nature à conduire à une appréciation de la licéité de la pratique considérée au regard des dispositions prohibant les ententes illicites ou les abus anticoncurrentiels de position dominante ou de dépendance économique.
En revanche, le conseil considère qu'en application de la procédure prévue à l'article 5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, rien ne s'oppose à ce qu'il réponde aux questions qui lui sont posées dans la mesure où, comme c'est le cas dans la présente affaire, elles présentent un caractère suffisant de généralité et mettent en cause des problèmes de concurrence.
Après avoir décrit le marché concerné (I) ainsi que les modalités de consultation des entreprises pour l'attribution des marchés susvisés (II), le présent avis analyse les conditions d'exercice de la concurrence sur ces marchés (III).
I. - LES MARCHES CONCERNES
A - Définition du marché
Les marchés informatiques revêtent des formes extrêmement diverses allant de l'achat de micro-ordinateurs et d'imprimantes à des prestations de services plus élaborées intégrant des études et prestations particulières d'organisation ainsi que la conception, la réalisation et le suivi d'ensemble de systèmes complexes d'information. Qu'il s'agisse des constructeurs généralistes ou des fabricants spécialisés dans la production de grands systèmes, de micro-ordinateurs ou de matériels périphériques, de nombreux opérateurs interviennent sur les marchés, tant à l'échelon national que mondial. Cette évolution est accentuée, d'une part, par la montée en puissance des assembleurs à bas prix et, d'autre part, par l'entrée sur le marché informatique de la grande distribution qui diffuse des produits de masse à bon marché.
Les principaux constructeurs de micro-ordinateurs en France sont Hewlett-Packard, IBM, Bull, Apple, Compaq Computer, Siemens Nixdorf, Zenith Data System. A l'exception de Dell Computer en particulier, qui pratique la vente directe à grande échelle, la plupart des constructeurs ne commercialisent pas eux-mêmes leurs produits mais passent par des réseaux de distributeurs, souvent implantés au niveau local, et aptes à répondre à la demande de services de proximité exprimée par les utilisateurs.
Entre le fabricant et le distributeur, les grossistes généralistes prennent une place de plus en plus importante. Environ un quart des ventes de micro-ordinateurs s'effectue par leur intermédiaire, ce qui permet aux fabricants de réduire leurs coûts de distribution et d'avoir un contact plus facile avec l'ensemble des revendeurs locaux. Peu à peu, les grossistes également devenus indispensables aux revendeurs dans la mesure où ils ont la capacité de leur livrer très rapidement un grand nombre de produits tout en leur offrant de l'assurance crédit.
Les principaux distributeurs sont : Allium, GE Capital IT Solutions, Arès, Euralliance, Arédia et Infopoint. Pour faire face à la baisse des marges imposée par les constructeurs et aussi par le développement du commerce sur Internet, les distributeurs ont tendance depuis quelques années à développer des stratégies tournées vers la spécialisation et l'offre de nouveaux services.
Pour s'adapter au marché, les opérateurs, qu'ils soient constructeurs ou distributeurs, offrent une large gamme de produits aux performances croissantes destinés aux professionnels comme aux particuliers.
B - Le marché d'acquisition de matériels informatiques du département du Loiret
Les marchés du Conseil général du Loiret portent sur la fourniture de produits standards fabriqués à grande échelle et utilisés pour l'initiation des élèves des collèges aux nouvelles technologies de l'information. Ces marchés doivent prendre fin le 17 juillet 2000 en raison de la volonté du département de passer un appel d'offres pour la totalité de ses besoins informatiques, quel qu'en soit l'utilisateur final : services départementaux, collèges, communes. Dans les deux cas, s'agissant de la livraison de produits standard figurant généralement dans des catalogues fournisseurs, ils constituent des marchés de fournitures courantes.
II. - LES MODALITES DE CES MARCHES
A - Objet
Le marché est passé sous la forme d'un appel d'offres ouvert soumis aux dispositions des articles 295 et 296 du Code des marchés publics, organisé en marchés à bons de commande avec minimum et maximum conformément à l'article 273 du même Code. Le marché pour l'équipement des collèges est défini en un seul lot intitulé : "Fourniture de matériel informatique, pédagogique et administratif, destiné aux collèges publics du département du Loiret". Le marché prévu pour l'ensemble des structures départementales est divisé en trois lots : le lot n° 1 "Fourniture de matériels pré-configurés de micro-informatique et de réseaux (environnement PC)" ; le lot n° 2 "Fourniture de licences et de logiciels bureautiques et informatiques (environnement PC)" ; le lot n° 3 "Fourniture d'équipements de micro-informatique et de réseaux (environnement MAC)".
B - Montant et durée
Évalués à un montant annuel allant de 1 780 000 F TTC minimum à4 620 000 F TTC maximum, ces marchés sont exécutés au fur et à mesure des besoins des utilisateurs à partir de bons de commande émis par l'acheteur. Ils sont renouvelés chaque année par tacite reconduction sans que la durée totale du marché puisse excéder trois ans.
C - La définition des besoins par l'acheteur public
Dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP), sont définies les prestations incluses dans le prix. Pour les équipements acquis pour les besoins des collèges, le titulaire assure une solution "clé en main et prête à l'emploi" comprenant la pré-configuration en atelier des matériels commandés, la livraison sur les sites à équiper ainsi que les prestations d'installation et de mise en marche. En ce qui concerne l'équipement des services départementaux, le titulaire assure la pré-configuration des postes et des serveurs de réseaux locaux mais sans prestations d'installation et d'assistance, celles-ci étant assurées par le service informatique du département.
Exposant le souci de bénéficier d'équipements à la fois compatibles avec le parc informatique existant et lui assurant des garanties de maintenance et de pérennité, le Conseil général du Loiret annonce son choix d'acquérir des produits standard issus de grandes marques de constructeurs plutôt que des systèmes assemblés à la demande et commercialisés sous des marques distributeurs. Il publie, à cet effet, en annexe du CCTP, une liste des produits et articles susceptibles d'être les plus fréquemment commandés ainsi qu'une fiche sur l'environnement technologique actuel des services départementaux accompagnée d'une liste du parc informatique existant.
Le dossier de candidature est rédigé de telle sorte que les appels d'offres sont ouverts à tous les candidats susceptibles de répondre aux besoins définis. Aucune catégorie d'entreprise n'est exclue de ce marché, qu'il s'agisse des constructeurs eux-mêmes, des éditeurs de logiciels ou des revendeurs et distributeurs. Dans les faits, cependant, ce type de marché intéresse peu les constructeurs eux-mêmes. Les entreprises qui soumissionnent doivent remettre des catalogues de produits avec les tarifs. Ces catalogues sont soit des catalogues du constructeur, soit le propre catalogue du distributeur. Dans les deux cas, le catalogue est contractualisé dans le marché.
D - La détermination des prix du marché
Le collectivité territoriale demande au candidat de fournir deux documents contractualisés qui vont servir de base à la détermination du prix du marché : un acte d'engagement complété par un bordereau de prix et des catalogues de produits proposés signés.
Concernant l'équipement des collèges, l'acte d'engagement des candidats porte uniquement sur un taux de remise par catalogue présenté dont les première et dernière pages sont signées, numérotées et revêtues du cachet de l'entreprise. Cette remise, valable pour toute la durée d'exécution du marché, s'applique à l'ensemble des articles référencés dans chacun des catalogues fournis, au prix public HT ou prix moyen HT constaté de chaque produit.
Dans le nouveau marché passé dans le courant de l'an 2000 et qui concerne la totalité des équipements informatiques, l'acte d'engagement précise pour les différentes familles de produits (par exemple unités centrales PC, unités centrales PC multimédia, cartes de mise en réseau, PC portables, imprimantes individuelles laser NB, imprimantes de réseau laser NB...) les taux de remise minimale appliqués au prix figurant dans les catalogues contractualisés.
Dans les deux cas, le montant de l'offre de chaque candidat est récapitulé dans l'acte d'engagement sur un bordereau des prix annexé. Il est calculé par rapport à une commande type définie par l'acheteur public sur le bordereau des prix, en appliquant aux prix des matériels choisis dans les catalogues le taux de remise proposé et en multipliant le chiffre ainsi obtenu par la quantité prévue dans ce bordereau. A réception du bon de commande émis par la collectivité au fur et à mesure de ses besoins, le titulaire du marché établit un devis indiquant, en référence au catalogue, le prix du produit fourni après remise. Lorsque le matériel en cause n'est plus fabriqué au moment où le bon de commande est émis, le titulaire est tenu de joindre à son devis un extrait signé du nouveau catalogue sur lequel figure la nouvelle référence qu'il propose en remplacement de la précédente.
L'actualisation du prix du marché, qui intervient une fois par an, se fait par référence aux prix du catalogue dans la limite de 3 %, la collectivité se réservant la possibilité de résilier le marché si l'augmentation est supérieure.
III.- LES CONDITIONS D'EXERCICE DE LA CONCURRENCE
Il a été précisé dans l'introduction du présent avis qu'en application de la procédure prévue par l'article 5 de l'ordonnance, le conseil ne peut se prononcer sur un cas particulier et, en tout état de cause, ne peut qualifier une pratique précisément identifiée.
Au surplus, le département saisissant intervenant sur le marché comme acheteur, et rien ne permettant de penser que sa position dans les achats de matériel informatique soit telle qu'il disposerait d'une puissance d'achat significative, il apparaît peu probable que la politique d'achat retenue par le département puisse, en elle-même, poser des problèmes au regard du droit de la concurrence. En revanche, comme le conseil a eu l'occasion de le faire valoir à plusieurs reprises, une politique d'achat publique est d'autant plus avantageuse pour la collectivité concernée qu'elle stimule la concurrence entre offreurs et qu'elle évite de favoriser, même indirectement, des collusions entre ces derniers. C'est principalement dans cette perspective que le présent avis examinera la technique d'achat de matériel informatique retenue par le département du Loiret.
A. - La définition de l'objet du marché
La confrontation d'une demande précisément formulée avec une offre clairement identifiable est une condition essentielle à l'exercice de la concurrence. Les marchés publics n'échappent pas à cette règle. A diverses reprises et notamment dans son avis n° 99-A-12 du 19 juin 1999 relatif à un projet de réforme du code des marchés publics, le Conseil de la concurrence a insisté sur la nécessaire distinction qu'il convient de faire entre la spécification précise de la demande de l'acheteur public et la définition a priori de ses critères de décision. Sur le premier point, il a estimé que "la définition détaillée des besoins de l'acheteur public dans un cahier des charges prenant en compte tous les paramètres de la fourniture ou de l'ouvrage en cause, constitue un préalable nécessaire à l'exercice de la concurrence".
Dans le domaine de l'acquisition de micro-ordinateurs, cette condition est, du côté de l'acheteur public, réalisée si l'allotissement permet d'identifier les matériels achetés par grande catégorie. Compte tenu des contraintes techniques de ce marché, la répartition des commandes entre plusieurs lots correspondant aux micro-ordinateurs, aux imprimantes, aux logiciels et aux matériels périphériques avec leurs extensions satisfait à cette condition. La solution retenue par le Conseil général du Loiret pour son marché informatique, consistant à séparer, d'une part, la fourniture de micro-ordinateurs pré-configurés, d'autre part, la fourniture de licences et logiciels adaptés à cet environnement PC, enfin la fourniture d'équipements micro-informatiques pour un environnement Macintosh, est conforme à cette exigence.
Une fois l'allotissement correctement défini, l'acheteur public doit élaborer des fiches ou des bordereaux techniques précisant la configuration des postes, des serveurs de réseau et des périphériques avec les puissances, la capacité de mémoire et les qualités ergonomiques qu'il recherche. Les spécifications présentées par le Conseil général du Loiret dans le bordereau des prix joint à l'acte d'engagement des candidats paraissent respecter cette exigence d'une demande définissant précisément les besoins de l'acheteur public. Ces besoins se matérialisent par la définition d'une commande type, portant sur l'essentiel des produits qu'il est prévu d'acheter, par rapport à laquelle les candidats vont présenter leurs offres chiffrées.
En revanche, la question se pose de savoir si la définition des configurations par l'acheteur peut aller jusqu'à la spécification, pour certains produits, d'une marque particulière alors que cela ne serait pas indispensable au bon fonctionnement de l'équipement. Une telle situation pourrait avoir pour conséquence de limiter le jeu de la concurrence en favorisant les fournisseurs agréés par les fabricants de ces marques au détriment des autres.
C'est pourquoi il est souhaitable de réserver la désignation des articles demandés par la marque des fabricants aux cas dans lesquels les nécessités fonctionnelles relatives notamment à la compatibilité avec les matériels existants le justifient absolument, même dans le cas où l'acheteur public doit pouvoir également admettre d'autres propositions portant sur d'autres marques à partir du moment où elles sont techniquement équivalentes.
Mais, pour que l'acheteur puisse, à partir des besoins ainsi exprimés, faire un choix dans les meilleures conditions techniques et financières, il est nécessaire qu'il puisse identifier le plus complètement possible la nature technique des offres qui lui sont soumises.
La solution la plus simple est qu'il exige une description technique précise des matériels offerts afin qu'il puisse juger si les pré-requis qu'il a fixés sont satisfaits. Dans la plupart des cas, il demandera qu'on lui propose plusieurs solutions équivalentes avec des produits de plusieurs marques.
Cette solution, sans doute plus adaptée aux moyens des grands distributeurs, n'a pas été choisie par le Conseil général du Loiret. Celui-ci a jugé préférable que les candidats présentent leur offre par référence à des articles de catalogue.
S'agissant d'abord des catalogues des constructeurs, il est constant que, dans un domaine où la grande diversité des produits, de leurs caractéristiques techniques et des options offertes à l'utilisateur nécessitent un minimum de références communes, l'exhaustivité des catalogues constructeurs, alliée aux descriptions techniques précises et sûres qu'ils présentent, offre à l'acheteur la possibilité d'effectuer dans de bonnes conditions des comparaisons techniques indispensables à l'analyse des offres. En effet, ces catalogues, édités par la plupart des grands constructeurs et de surcroît accessibles sur Internet, présentent périodiquement la gamme complète des produits grand public avec les spécifications détaillées relatives à la puissance des processeurs, la capacité des disques durs et des mémoires centrales, la qualité et dimension des écrans, la nature des périphériques, la référence à ces catalogues étant un facteur de précision des offres.
Les catalogues distributeurs présentent sans doute un degré d'homogénéité moins grand. Certes, les grands distributeurs ont les moyens de présenter leur propres catalogues et de les actualiser en permanence. En conséquence, les offres faites à partir de ces catalogues présentent les mêmes garanties techniques que les catalogues constructeurs. Il n'en va pas de même des petits ou moyens distributeurs qui, pour être présents sur un marché, doivent proposer des gammes très diverses de matériels, mais n'ont pas les moyens de tenir à jour des catalogues fiables correspondant à une offre aussi large. De tels catalogues, s'ils étaient exigés, pourraient comporter des spécificités mal définies risquant d'induire en erreur l'acheteur sur la nature exacte de l'offre. C'est pourquoi le fait de permettre à ces distributeurs d'utiliser les catalogues constructeurs pour établir leur soumission est de nature à permettre à l'acheteur d'effectuer une meilleure comparaison de la valeur technique des offres qui lui sont faites. Le développement du commerce électronique fondé sur la consultation de catalogues fournisseurs favorise au demeurant ces comparaisons.
B. - L'accès au marché
La plupart des grands constructeurs de matériels informatiques éditent périodiquement des catalogues présentant la gamme complète de leurs produits grand public de micro-informatique. Dans la mesure où, comme on l'a déjà vu, ils ne commercialisent pas eux-mêmes leurs produits informatiques, ces catalogues sont destinés à faciliter l'accès du public auprès des revendeurs. En effet, à partir d'une présentation, souvent illustrée, des articles, ils renvoient systématiquement le client vers le distributeur.
En conséquence, le fait de limiter les candidatures aux seuls distributeurs en mesure de présenter des catalogues qui leur soient propres interdirait en pratique l'accès aux marchés publics de nouveaux distributeurs, et notamment de ceux qui n'ont pas la possibilité d'éditer leurs propres catalogues, et, par voie de conséquence, limiterait les choix de l'acheteur public.
Or, l'existence d'une concurrence effective entre les offreurs dépend en grande partie du nombre d'entreprises appelées à présenter des offres. Dès lors, un acheteur public qui ne limite pas l'accès au marché d'acquisition de matériels et logiciels de micro informatique aux seuls distributeurs disposant de leurs propres catalogues, mais l'ouvre à tout distributeur qui s'engage à fournir des produits inscrits sur un ou plusieurs catalogues constructeurs, favorise la manifestation des offres et, par là, l'exercice de la concurrence.
La concurrence pourrait toutefois être affectée s'il était démontré que les petits distributeurs sont empêchés par les constructeurs de se référer à leur catalogue. Tel ne semble pas être le cas à un moment où les constructeurs, confrontés à une baisse de leurs marges, cherchent, en particulier par l'intermédiaire des grossistes, à tisser des liens avec les réseaux locaux de distribution et où ils n'ont aucun intérêt à leur interdire l'accès à la commercialisation de leurs produits. Par ailleurs, aucun élément ne laisse présumer que les constructeurs imposeraient aux distributeurs ou à certains d'entre eux une utilisation exclusive de leur catalogue, ce qui aurait pour objet de restreindre leur capacité d'approvisionnement. L'accès aux catalogues des constructeurs par Internet rend au demeurant cette hypothèse tout à fait improbable.
Ainsi, en ouvrant l'accès au marché à toutes les entreprises intéressées et en favorisant les choix techniques de la collectivité, cette modalité de soumission, dans la mesure où les constructeurs sont peu intéressés à livrer eux-mêmes ce type de marché, va dans le sens de l'exercice de la concurrence.
C. - La fixation des prix par le libre jeu du marché
Le Conseil de la concurrence a rappelé à de nombreuses reprises que l'utilisation de séries de prix ou de barèmes professionnels, lorsque ceux-ci avaient pour objet et/ou pour effet de dissuader les entreprises de fixer leurs prix en fonction de leurs propres coûts, était contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance de 1986. Dans un avis rendu le 15 avril 1982, la Commission de la concurrence soulignait que les listes de prix existant notamment dans le secteur du bâtiment présentaient de graves inconvénients résultant, d'une part, d'un affichage de prix théoriques éloignés de la situation particulière de chaque entreprise et fixés au départ par la profession à un niveau volontairement élevé et, d'autre part, du fait que l'utilisation des séries de prix par les services publics écartait les offres des entreprises qui ne sont pas habituées à la série proposée, les collectivités publiques, pour simplifier leur gestion, ayant tendance à n'utiliser qu'une seule série de prix. De la même manière, dans un avis du 24 septembre 1991, le Conseil, consulté sur la série de prix élaborée par la ville de Nancy avec le concours de représentants d'organisations professionnelles, considérait que ces séries de prix :"induisent des rigidités dans la fixation des prix, dissuadant les entreprises de fixer ceux-ci de manière autonome à partir d'une meilleure connaissance de leurs coûts, les conduisent à valoriser leur marge d'exploitation non par la compression des coûts mais par un accroissement inflationniste des marges et des prix et que, dans la mesure où elles fournissent à chaque entreprise une indication sur les prix considérés comme normaux dans la profession, elles peuvent avoir pour effet d'inciter les concurrents à aligner leur comportement sur celui des autres, entravant ainsi la liberté de chaque entreprise de fixer ses prix en fonction de ses propres données".
Aussi le conseil évalue-t-il les effets anticoncurrentiels de ces pratiques au regard de deux principes essentiels : celui de la fixation des prix en fonction des coûts réels de l'entreprise et celui de l'indépendance des offres.
Sur le premier point, il convient de remarquer que, si les prix des catalogues fournisseurs servent de base au calcul des remises des distributeurs, ils ne sont pas eux-mêmes contractualisés. Le prix d'appel définitivement fixé dans le bordereau des prix est calculé par le distributeur, lequel tient compte des conditions d'achat obtenues auprès des constructeurs, de ses propres frais de structure et de sa marge. La remise proposée par le distributeur dépend, en définitive, de sa capacité de négociation commerciale en amont, de l'efficacité de sa gestion interne et des efforts qu'il consent pour emporter le marché ; s'agissant d'opérateurs qui exercent une activité commerciale, les modalités selon lesquelles ils présentent leurs propositions de prix par rapport à des prix publics figurant dans des catalogues, sont indifférentes au regard du fonctionnement de la concurrence dès lors que ces prix de catalogue sont licites et ne résultent pas de pratiques anticoncurrentielles et qu'au surplus ils peuvent être consultés facilement et à un coût minime par n'importe quel acheteur.
Sur le second point, il est difficile de concevoir en quoi la présentation des offres de prix sous forme de remises par rapport aux prix de catalogue serait de nature à faciliter la constitution d'ententes entre les soumissionnaires, dès lors que la conversion de prix exprimée en valeur absolue en taux de remise ne requiert qu'une opération arithmétique élémentaire.
En pratique, la concurrence s'exerce par la différenciation des taux de remise qui peuvent varier selon les catégories et, à l'intérieur d'un catalogue, selon les familles de produits, voire les produits eux-mêmes, d'une manière aussi effective que par la différenciation des prix en valeur absolue.
Enfin, dans l'hypothèse où des entreprises contracteraient des accords anticoncurrentiels sur un ou plusieurs marchés de micro informatique, la détection et la contestation de la preuve sur les ententes ne seraient pas rendues plus difficiles ou plus improbables par la circonstance que les prix auraient été fixés sous la forme de taux de remise et non en valeur absolue.
Sur un plan général, il convient également de se demander si la pratique des constructeurs consistant à publier des catalogues généraux de vente comportant des prix publiés de leurs matériels largement diffusés tant auprès du public que des distributeurs est favorable à l'exercice de la concurrence. Le conseil observe, en premier lieu, que cette pratique est en elle-même légale, dès lors que les prix des catalogues ne constituent ni des prix minimaux, ni des prix imposés, et qu'ils ne résultent pas d'une entente entre constructeurs.
En deuxième lieu, il est clair qu'elle ne peut être comparée, dans son principe comme dans ses effets, aux pratiques d'organismes professionnels ou d'entreprises qui élaborent des barèmes ou séries de prix de certaines prestations de service à partir de coûts théoriques qui risquent d'être d'autant plus surévalués que ces documents vont servir d'unique référence imposée au jugement de l'acheteur public ou privé et qui sont constitutifs d'une entente anticoncurrentielle. Mais les marchés de micro-informatique dans lesquels tant les distributeurs que les fabriquants sont en concurrence et qui sont caractérisés par un rapide renouvellement des matériels et une entrée relativement fréquente de nouveaux offreurs ne peuvent être assimilés à des travaux comportant des prestations répétitives dont le prix de référence est directement établi par le demandeur, et auxquelles ne peuvent avoir accès qu'un petit nombre d'entreprises spécialisées. Dans de nombreux secteurs de l'économie, la constitution des catalogues comportant des prix publics est largement répandue particulièrement dans les marchés de fournitures, les fournisseurs présentant couramment des offres comportant des remises par rapport aux prix publics figurant dans leurs catalogues. Mais il n'en résulte pas pour autant que les prix effectivement pratiqués soient alignés sur ces "tarifs publics".
En troisième lieu, la détermination d'un prix de soumission à partir de l'application de taux de remise aux prix moyens indicatifs de vente indiqués par les constructeurs n'aboutit pas à dissuader les distributeurs de fixer librement leurs prix. La concurrence par les prix peut s'exercer aussi pleinement que dans le cas où les soumissionnaires ne proposent qu'un prix en valeur absolue.
Le conseil a notamment rappelé, dans un avis n° 99-A-18 du 17 novembre 1999 relatif à une demande d'avis de l'Union fédérale des coopératives de commerçants sur la pratique de prix promotionnel unique que : " .... la pratique d'un prix conseillé, indicatif ou maximal reste, en principe, licite dès lors que chaque entreprise demeure effectivement libre de fixer son prix. Aussi, un fournisseur est libre de diffuser des prix conseillés auprès de ses revendeurs pour autant qu'il n'exige pas le respect du tari qu'il diffuse et que le réseau concerné ne considère pas que les prix correspondant doivent être impérativement respectés et que c'est l'imposition directe ou indirecte d'un prix minimum de revente aux entreprises d'un réseau de distribution lorsque certains membres du réseau sont en concurrence qui constitue une pratique illicite".
Dans le même sens, dans son avis n° 99-A-12 du 15 juin 1999 relatif à un projet de réforme du Code des marchés publics, le Conseil de la concurrence a rappelé que "l'exercice de la concurrence suppose que chaque compétiteur soit dans l'incertitude quant à la stratégie adoptée par ses concurrents". Dans les marchés d'acquisition de matériels informatiques, cette condition paraît être remplie dès lors que les catalogues laissent largement ouvert le champ de la négociation commerciale, d'une part, entre le distributeur et le constructeur et, d'autre part, entre le distributeur et le client. Ainsi, le catalogue de la société Hewlett Packard édité au mois de mars 2000 indique-t-il en première page : "Cette liste de prix est donnée à titre indicatif. Elle ne peut en aucun cas engager Hewlett Packard et constituer une offre de prix. Pour toute demande d'achat, merci de consulter les distributeurs et revendeurs agréés par Hewlett Packard France".
Le catalogue Microsoft explique de son côté sur sa page de titre : "Les prix moyens estimés sont des estimations Microsoft. Chaque revendeur est libre de fixer son prix de vente. Néanmoins, d'après notre expérience, et nos meilleures estimations, les produits qui figurent sur cette liste devraient être disponibles pour un prix approchant les prix indiqués. Microsoft ne peut toutefois garantir que ce sera le cas, car les prix varient en fonction des localités, des périodes et des revendeurs".
Il apparaît de plus que cette condition a pleinement joué dans le cadre des marchés du Conseil général du Loiret. En effet, l'analyse des remises et donc des prix proposés par les candidats atteste d'un large éventail de propositions.
Il est vrai que l'offre de prix dans certains marchés de travaux publics par lots, lorsqu'elle est effectuée à la demande de la collectivité par application d'un taux de remise à un bordereau de prix unique qu'elle a élaboré, peut favoriser des échanges d'information entre concurrents dans la mesure où la mise à disposition d'un concurrent du seul taux de remise suffit à lui permettre d'analyser son offre. Mais, dans le cas d'espèce, l'existence d'un taux de remise pour chaque catalogue et, à l'intérieur de celui-ci, par famille de produits, aboutit à une situation nettement plus complexe. Par ailleurs, la base sur laquelle porte la remise et qui détermine le prix est fonction d'abord de la nature des articles demandés tels qu'ils sont définis par l'acheteur dans la commande type et, ensuite, des références de produits retenues par l'offreur pour y répondre, lesquelles peuvent figurer dans l'ensemble des catalogues qui ont été contractualisés.
En définitive, l'efficacité en matière de concurrence des procédures d'achat public dépend en grande partie de la manière dont elles sont conçues et mises en œuvre. Le recours à des catalogues fournisseurs, notamment pour les marchés d'acquisition de matériels informatiques, en contribuant à augmenter le nombre de candidats potentiels, n'est pas de nature à favoriser les ententes horizontales ou à jouer en défaveur des distributeurs modestes. La procédure de passation de ces marchés choisie par le Conseil général du Loiret ne fait pas obstacle à la libre détermination des prix par les entreprises soumissionnaires et n'est pas de nature à faciliter des échanges d'information sur les prix qui seraient contraires aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.