Conseil Conc., 11 juillet 1995, n° 95-D-51
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques relevées lors d'un appel d'offres lancé par le lycée Clemenceau à Reims pour la rénovation de son installation électrique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport de M. Thierry Bruand, par M. Jenny, vice-président, présidant, MM. Blaise, Gicquel, Sargos, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence (section II),
Vu la lettre enregistrée le 27 juillet 1994 sous le numéro F 689, par laquelle le ministre de l'économie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées lors d'un appel d'offres lancé par le lycée Clemenceau à Reims pour la rénovation de son installation électrique ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par les sociétés Santeme, l'Entreprise industrielle, Seei Roque Industrie, Guérineau et Royant et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Santerne, l'Entreprise industrielle, Seei Roque Industrie, Guérineau et Royant entendus, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
I. CONSTATATIONS
A. Le marché
Le lycée Clemenceau, agissant en tant que mandataire pour le compte de la région Champagne-Ardennes, a lancé en septembre 1992 un appel d'offres pour terminer la rénovation de l'installation électrique de ses locaux d'externat et commencer celle de l'internat. Le crédit alloué à cette opération était de 1 605 000 F.
Les travaux de l'externat concernaient le remplacement des liaisons principales au sous-sol et de l'installation électrique de la partie du bâtiment desservie par la cage d'escalier n° 5. Les travaux en internat comprenaient le remplacement du tableau général basse tension ainsi que la réalisation des liaisons principales des cages d'escalier n° 1 et 2.
En plus de cet appel d'offres de base, les entreprises étaient invitées, sous forme de trois options, à chiffrer le remplacement des liaisons principales et des armoires de protection de la cage n° 3 de l'internat, le remplacement de la liaison principale de la chaufferie et du gymnase et la réfection complète de l'installation intérieure de la chaufferie.
Après ouverture des plis le 19 octobre 1992, la commission d'appel d'offres a décidé de retenir la proposition de la SA Gay pour un montant total de 1 299 227,42 F TTC options comprises et d'écarter l'offre de l'entreprise Westeel, moins disante à 1 014 581,40 F, estimant cette entreprise trop petite eu égard à la dimension et aux contraintes du chantier. Cinq autres entreprises spécialisées en électricité du bâtiment et électricité industrielle ayant l'habitude de répondre à des appels d'offres d'établissements scolaires, ont soumissionné à ce marché pour des montants hors taxes se situant entre 2 477 213 F et 2 660 119 F.
B. Les pratiques relevées
1° Les documents et déclarations recueillis :
Le rapport de la SCP d'architecture Bigot Lecompte Poirier en date du 21 octobre 1992 analysant les offres pour le compte de la commission d'appel d'offres, indique à propos des soumissionnaires Santerne, l'Entreprise industrielle, Guérineau, Royant et Seei Roque Industrie, que :
" Ces offres très proches les unes des autres sont environ deux fois et demie supérieures à celle du moins-disant. Il est par ailleurs curieux de constater les faits suivants :
" - l'offre est (sauf E. ind.) décomposée en deux postes (internat, externat) ; l'augmentation de prix par rapport à Santerne est linéaire sur chaque poste... ;
" - même observation pour le coût des options sauf Guérineau... ;
" Sauf coïncidence extraordinaire, il semble que des informations aient circulé entre ces entreprises. "
Le rapport de présentation n° 1 au marché de travaux selon l'article 312 ter du Code des marchés publics, dressé le 20 novembre 1992 par l'ingénieur des TPE chargé des constructions publiques, note :
" Qu'une pratique anticoncurrentielle semble être constatée pour cinq entreprises non moins disantes.
" En effet, le taux de majoration des prix par rapport à l'entreprise Santerne qui avait assuré les premières tranches de la rénovation électrique dans le lycée, est remarquable. Il est sensiblement identique pour le marché de base et les options.
" Ceci aurait pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse (voir analyse des offres par l'architecte). "
Au cours de l'enquête menée par la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du département de la Marne, trois témoignages faisant état d'une intervention de la société Santeme auprès de ses concurrents ont été recueillis.
M. Westeel, chef d'entreprise, a déclaré :
" Dans la phase d'étude de ce marché, j'ai reçu un coup de téléphone du gérant de la société Santerne à Reims. Il m'a dit qu'il souhaitait s'entretenir avec moi du marché Clemenceau. J'ai pris rendez-vous avec lui et l'ai rencontré quelques jours après. Il m'a alors demandé de ne pas présenter d'offre pour ce marché. Il m'a dit qu'il avait connaissance des entreprises qui avaient retiré le dossier pour Clemenceau. Je lui ai répondu que je déposerai une offre parce que j'avais payé le dossier (bien que ce ne soit pas là la vraie raison). Il m'a alors proposé de me rembourser le dossier, ce que j'ai refusé aussi. J'ai présenté l'offre que j'avais étudiée et 'établie selon les critères de mon entreprise. Depuis cette date je n'ai subi aucune autre pression. "
M. Mompeu, rédacteur de l'offre de la société Royant, a déclaré :
" Pour le marché de rénovation électrique du lycée Clemenceau, je n'ai pas fait d'étude de prix, l'offre de prix que j'ai présentée m'a été indiquée téléphoniquement par la société Santeme par l'intermédiaire de l'un de ses chargés d'affaires dont je ne me souviens plus du nom. Sur un marché public, il s'agit du seul cas où cette pratique m'a été "suggérée" très fortement. Je l'ai acceptée compte tenu du risque de voir l'entreprise Santerne s'intéresser à notre clientèle privée. "
M. Tricot, président de la société Royant, a confirmé que :
" Les travaux du lycée Clemenceau n'intéressaient à cette époque ni la SA Royant ni la SA Tricot-Soriano. Une visite sur place avait été faite à Clemenceau par M. Mompeu qui avait jugé les travaux trop importants, cette importance n'étant pas visible sur plan au premier abord. Suite à sa visite, l'étude commencée a été abandonnée.
" M. Mompeu a reçu un appel téléphonique de Santerne qui lui indiquait le prix qu'il devait faire figurer sur son offre. C'est par inexpérience des marchés et par crainte de voir Santerne s'intéresser à notre clientèle privée que M. Mompeu a accepté de faire un devis de complaisance. "
2° Les constatations faites à l'examen des offres :
Les entreprises Westeel et Gay ont présenté une offre détaillée comprenant :
- pour l'externat, un montant pour la cage 5 ; un montant pour les liaisons principales en sous-sol ;
- pour l'internat, un montant pour le tableau général ; un montant pour les liaisons des cages 1 et 2 ; un montant pour les armoires de protection des cages 1 et 2 ;
- pour chacune des trois options, un montant individualisé. De plus pour l'option 3 qui concernait des travaux plus complexes et de nature différente (réfection complète de l'installation intérieure de la chaufferie) est ajoutée une description détaillée des travaux.
Dans l'offre de la société Westeel sont énumérés les matériels utilisés, avec mention des quantités et des prix unitaires, installation comprise, pour les différents locaux concernés. L'estimation présentée par la société Gay comporte une description détaillée des travaux pour chaque poste.
En revanche, les entreprises Santerne, Seei Roque Industrie, Guérineau et Royant ont indiqué un montant global pour les travaux d'externat, un montant global pour les travaux d'internat et un montant non détaillé pour chacune des options. La société l'Entreprise industrielle a pour sa part proposé un prix unique englobant les travaux d'externat et d'internat et un prix pour chacune des options. Les cinq dernières entreprises ont donc uniquement présenté des prix globaux par zone de travaux prévue au cahier des clauses techniques particulières sans indiquer les modalités d'évaluation des offres présentées.
EMPLACEMENT TABLEAU
Il ressort du tableau ci-dessus que les sociétés Westeel et Gay ont produit des offres dont les montants globaux sont différents (+ 12 p. 100 pour l'offre de base de Gay par rapport à celle de Westeel, + 28 p. 100 avec les options) et la répartition par postes hétérogène. Les propositions de la société Westeel sont inférieures à celle de la SA Gay pour les travaux en externat, l'installation des armoires de protection de l'internat et pour les options, mais sont supérieures pour les autres travaux en internat et plus particulièrement pour le remplacement du tableau général de basse tension ; par ailleurs, la hiérarchie des coûts entre les différents travaux n'est pas la même.
Les sociétés Santerne, Seei Roque Industrie, l'Entreprise industrielle, Guérineau et Royant ont produit des offres très proches les unes des autres, d'un niveau deux fois et demie supérieur à celles des sociétés Westeel et Gay. Les prix sont également très voisins poste par poste et présentent la même structure : les offres de base de ces cinq entreprises se situent dans une fourchette autour de 1,8 MF contre 0,7 MF pour les autres soumissionnaires, l'option 1 est environ trois fois plus élevée que celle présentée par la société Gay et l'option 2 a un montant double de celle présentée par cette dernière société ; seule l'option 3 (réfection de l'installation de la chaufferie) se rapproche des propositions des sociétés Gay et Westeel, se trouvant ainsi, autre particularité commune, être la moins chère des trois options.
Les prix proposés par les entreprises Seei Roque Industrie, l'Entreprise industrielle et Royant présentent tous un écart constant en pourcentage par rapport à ceux de la société Santerne :
- pour Seei Roque Industrie, l'offre de base externat et l'offre de base internat sont supérieures de 3,39 p. 100 à celles de Santerne et les trois options sont supérieures de 4,3 p. 100 à chacune des offres de Santerne ;
- pour l'Entreprise industrielle, si l'offre de base est présentée globalement pour l'externat et l'internat (à un niveau supérieur de 6,3 p. 100 à celui de Santerne), chacune des options est supérieure de 6,9 p. 100 aux offres faites par Santerne ;
- pour Royant, l'offre de base externat ainsi que l'offre de base internat sont supérieures de 7,2 p. 100 à celles de Santerne et les trois options sont supérieures de 7,79 p. 100 à chacune des offres de Santerne.
Les prix proposés par l'entreprise Guérineau pour l'externat et l'internat, d'une part, et pour les trois options, d'autre part, ne sont pas strictement proportionnels à ceux proposés par Santerne. Toutefois les prix proposés par Guérineau sont très proches de ceux proposés par l'Entreprise industrielle et Royant et intermédiaires entre ces deux dernières offres pour ce qui concerne tant l'offre de base (internat et externat) que l'offre de base accompagnée des options. L'offre de Guérineau se situe donc comme celle de Santerne, Seei Roque Industrie, l'Entreprise industrielle et Royant à un niveau de l'ordre de deux fois et demie supérieur à celle de Gay. En outre les prix proposés par Guérineau pour l'option 1 et l'option 2 sont à un chiffre près (534 561 au lieu de 544 561 pour l'option 1 et 155 716 au lieu de 153 716 pour l'option 2) 5,2 p. 100 plus élevés que le prix proposé par Santerne pour ces options, comme l'est le prix proposé par Guérineau pour l'option 3.
II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL
Sur les pratiques constatées :
Considérant qu'il ressort des témoignages recueillis au cours de l'enquête administrative cités au I de la présente décision, que la société Santerne est intervenue auprès de la société Westeel pour l'inciter à ne pas présenter d'offre pour le marché du lycée Clemenceau et auprès de la société Royant pour l'inviter à déposer une offre de couverture pour ce même marché ; que la société Royant a reconnu avoir présenté une offre de complaisance à la demande de la société Santerne ; qu'il est constant que la société Royant et les sociétés l'Entreprise industrielle, Seei Roque Industrie et Guérineau ont produit des offres très proches les unes des autres à des prix légèrement supérieurs à ceux de la société Santerne et que les soumissions de ces cinq dernières entreprises se situent à un montant deux fois et demie supérieur à celui des offres des sociétés Westeel et Gay ; que les prix proposés par ces cinq offres sont également très voisins poste par poste et présentent la même structure : qu'ainsi, contrairement aux propositions des sociétés Westeel et Gay dont la répartition par poste est hétérogène pour chaque société par rapport aux autres devis, les cinq offres en cause se décomposent en une offre de base représentant 69 p. 100 du montant total de la soumission (dont externat 24 p. 100 et internat 45 p. 100) et des options 1, 2 et 3 dont les parts respectives se situent à deux dixièmes autour de 20,5 p. 100, 6 p. 100 et 4 p. 100 ; qu'en outre les propositions des sociétés l'Entreprise industrielle, Seei Roque Industrie et Royant sont strictement proportionnelles, au dixième voire au centième près, pour chacun des postes à celle de la société Santerne ; qu'enfin les cinq offres affichant des prix très proches les uns des autres se distinguent par une présentation similaire par postes groupés non détaillés, alors que les sociétés Westeel et Gay ont au contraire fait apparaître les modalités détaillées d'évaluation de leurs offres ;
Considérant, en premier lieu, que les sociétés Seei Roque Industrie et Guérineau font valoir que la proximité des prix proposés par plusieurs entreprises tient, d'une part à ce que l'élaboration des prix pour ce type de marché répond à l'utilisation de méthodes identiques d'évaluation des coûts, d'autre part, à la connaissance par ces entreprises de leurs coûts et coefficients de marge respectifs du fait de leur participation répétée, seules ou groupées, à de nombreux appels d'offres publics de la nature de celui lancé par le lycée Clemenceau ;
Considérant toutefois, que s'il est allégué que les contraintes techniques ont conduit les sociétés Santerne, l'Entreprise industrielle, Seei Roque Industrie, Guérineau et Royant à produire des offres voisines, tant par leur montant global que dans leurs différentes composantes, un tel moyen est contredit par les offres des sociétés Westeel et Gay dont le montant global est deux fois et demie inférieur avec une répartition par postes hétérogène pour chaque société par rapport aux autres devis ; que par ailleurs, les sociétés en cause ne peuvent utilement invoquer le fait qu'un tel écart de niveau de prix entre les offres proviendrait de différences de coûts ou de marges alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'aucune des entreprises n'a proposé de matériel différent de celui demandé par le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et que la société Royant, qui a fait l'offre la plus chère, fait état d'un coefficient de marge sur le matériel similaire à celui de la société Gay ; qu'en outre la société Guérineau souligne que l'ensemble des soumissionnaires sont des entreprises ou des établissements de taille similaire situés dans la même région qui ne peuvent qu'avoir des conditions d'exploitation proches ; qu'une telle circonstance, à la supposer établie, ne saurait en tout état de cause expliquer la production de cinq soumissions présentant la même structure alors que trois entreprises, les sociétés Royant, Guérineau et l'Entreprise industrielle, ont déclaré ne pas avoir fait d'études approfondies pour établir les offres ; qu'enfin la société l'Entreprise industrielle a reconnu ne pas avoir fait d'effort pour un marché dont elle estimait qu'il devait logiquement revenir à la société Santerne, qui avait réalisé les tranches antérieures, et a reconnu en séance qu'elle entendait à l'avenir éviter le renouvellement de comportements répréhensibles ;
Considérant, en deuxième lieu, que si les sociétés Guérineau et l'Entreprise industrielle ont justifié la présentation succincte de leurs offres, en postes non détaillés et groupés par zones de travaux, par la conformité aux prescriptions du CCTP et par le peu d'intérêt qu'elles portaient au marché du lycée Clemen ceau, ces moyens ne, sauraient expliquer la similarité des offres constatées poste par poste ainsi que dans leur structure ;
Considérant, en troisième lieu, que la société Santeme fait valoir que la société Westeel, dont il n'est pas allégué qu'elle a participé à la mise en œuvre d'une pratique anticoncurrentielle, n'est pas partie à la procédure et que, dès lors, elle n'a pas pu être confrontée à M. Westeel, dont le procès-verbal d'audition la mettant en cause figure au dossier ;
Mais considérant, d'une part, qu'en vertu des dispositions de l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les procès-verbaux de déclarations figurant au dossier font foi jusqu'à preuve contraire et d'autre part, qu'aucune des règles qui régissent les enquêtes ne fait obligation aux agents qui y procèdent ou au rapporteur du Conseil de confronter les responsables d'entreprises impliquées avec les auteurs de déclarations qui les mettent en cause ; que dès lors, la société Santerne, qui a été en mesure de présenter ses observations sur le témoignage de M. Westeel, n'est pas fondée à contester sa valeur probante au motif que l'entreprise dont il est le dirigeant n'a pas été mise en cause dans la présente procédure ; que, par ailleurs, les témoignages faisant état de l'intervention de la société Santeme auprès de ses concurrents pour obtenir l'attribution du marché ont été recueillis dans deux entreprises différentes, dont l'une (Royant) aurait accepté l'entente et a produit une offre présentant des prix ayant un écart constant avec ceux de la société Santerne et l'autre (Westeel) aurait refusé de s'effacer et a remis l'offre la moins disante ; qu'en revanche la société Santerne n'a fourni aucun élément de nature à contester ces témoignages et a reconnu en séance ne pas être en mesure d'exercer un contrôle permanent sur l'activité de ses chargés d'affaires ;
Considérant, enfin, que si les sociétés Seei Roque Industrie et Guérineau soutiennent qu'un simple constat de parallélisme de comportement ne peut suffire à établir l'existence d'une pratique concertée, il résulte de l'instruction que le grief notifié à ces deux sociétés est fondé sur un faisceau d'indices précis et concordants résultant de témoignages faisant état d'une intervention de la société Santerne auprès de concurrentset d'un aveu de la société Royant de production d'une offre de couverture à la demande de la société Santerne, de la production par les cinq entreprises impliquées d'offres très proches les unes des autres à des prix légèrement supérieurs à ceux de la société Santerne, de la similarité de ces offres présentant la même structure avec des prix très voisins poste par poste et un montant global deux fois et demie supérieur aux propositions des autres soumissionnaires ;
Considérant quel'ensemble des éléments mentionnés ci-dessus constituent des indices graves, précis et concordants d'un échange d'informations entre les sociétés l'Entreprise industrielle, Seei Roque Industrie, Guérineau, Royant et Santerne, accompagné de la présentation d'offres de couverture ; qu'une telle concertation entre entreprises soumissionnaires à un même marché, préalablement au dépôt de leurs offres, avait pour objet et a pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché ; que cette pratique est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance susvisée du 1er décembre 1986 ;
Sur l'imputabilité des pratiques :
Considérant que la société Royant soutient que M. Mompeu, signataire de l'offre présentée par l'entreprise, a été embauché en qualité d'agent technique principal 2e échelon avec la qualification professionnelle ETAM au coefficient 860 de la convention collective du bâtiment et que cette qualification ne permettait pas à l'intéressé de répondre à un appel d'offres pour l'attribution d'un marché public, domaine relevant de la compétence exclusive d'un dirigeant social de l'entreprise ; qu'ainsi la soumission ayant été déposée par une personne n'ayant pas qualité pour le faire, elle n'était pas recevable et qu'elle ne peut dès lors engager la responsabilité de l'entreprise ;
Considérant toutefois que s'il appartient à l'administration en vertu des dispositions du Code des marchés publics de s'assurer que le signataire d'une offre a le pouvoir d'engager l'entreprise au nom de laquelle cette offre est présentée, il est constant que la société Royant, sujet du droit de la concurrence, a répondu à l'appel d'offres lancé par le lycée Clemenceau à Reims par la production d'un devis réalisé par un agent de l'entreprise, dans l'exercice de ses fonctions, sur un papier à en-tête de cette entreprise recouvert d'un tampon de la société et d'une signature précédée de l'expression p. o. Michel Tricot désignant le président de la société ; que par cette soumission, dont le caractère d'offre de complaisance a été avoué, la société Royant a effectivement participé à l'entente dénoncée ; que dès lors la circonstance selon laquelle les dirigeants sociaux de l'entreprise n'auraient pas été personnellement impliqués dans cette pratique, est inopérante pour obtenir la mise hors de cause de la société Royant ;
Considérant de même que le fait que la pratique dénoncée d'intervention de la société Santerne auprès de ses concurrents aurait été mise en œuvre sans que la direction de l'entreprise en soit informée par un agent licencié depuis pour insuffisance professionnelle, à supposer qu'il soit établi, ne saurait exonérer la société de sa responsabilité ;
Sur les sanctions :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " le Conseil de la concurrence peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos... "
Considérant que le dommage à l'économie doit s'apprécier en tenant compte du fait que la participation à une entente entre entreprises soumissionnaires, imputable aux sociétés Santerne, l'Entreprise industrielle, Seei Roque Industrie, Guérineau et Royant avait pour objet et pouvait avoir pour effet de faire échec au déroulement normal de la procédure d'appel d'offres en faisant attribuer le marché à la société Santerne ; qu'en l'espèce, s'agissant d'un marché adjugé à 1 299 227 F TTC alors que l'enveloppe des crédits prévue par l'administration s'élevait à 1 605 000 F, la pratique anticoncurrentielle de la société Santerne incitant ses concurrents à déposer des offres de couverture alignées sur sa propre soumission d'un montant de 2 937 974 F TTC pouvait avoir pour effet de provoquer une hausse artificielle des prix de plus de 120 p. 100 par rapport à l'offre de Gay finalement retenue et de plus de 80 p. 100 par rapport à l'estimation du maître d'ouvrage ;
Considérant que pour apprécier la gravité des pratiques en cause, il convient de prendre en considération le rôle joué par chaque soumissionnaire dans la concertation reprochée et la circonstance que le dommage potentiel à l'économie du fait de pratiques anticoncurrentielles de deux entreprises aussi importantes dans le domaine des travaux d'électricité que les sociétés Santerne et l'Entreprise industrielle, dépasse le simple enjeu du marché public sur lequel elles ont été observées ; qu'en effet la mise en œuvre par de grandes entreprises sur un marché de dimension réduite de pratiques prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, peut avoir pour effet de convaincre d'autres entreprises de taille inférieure soumissionnaires à ce marché que ce type de comportement est général et de les inciter soit à l'adopter pour d'autres marchés, soit à renoncer à faire des offres sur des marchés d'une certaine importance qu'elles seraient pourtant aptes à traiter mais qui seraient convoitées par de grandes entreprises ; qu'à cet égard le chargé d'affaires de la société Royant a déclaré avoir accepté de produire une offre de complaisance " compte tenu du risque de voir l'entreprise Santerne s'intéresser à notre clientèle privée " et a précisé avoir eu connaissance de telles pressions, émanant de grandes entreprises " à l'encontre d'autres entreprises d'électricité de dimension similaire à la SA Royant " ; que par la suite, le président de cette société a indiqué que " désormais, la société Royant prend les marchés d'un million de francs au maximum " ;
Considérant que la société Santerne soutient dans ses écritures que le chiffre d'affaires à retenir pour calculer les sanctions qui pourraient lui être infligées est celui de son secteur d'activité dénommé " tertiaire " ;
Considérant, toutefois, qu'il y a lieu pour le Conseil d'écarter le moyen soulevé dès lors que les faits litigieux sont postérieurs à la publication de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dont les dispositions précitées de l'article 13 prévoient que le montant maximum de la sanction est fixé à 5 p. 100 de l'ensemble du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'entreprise ayant mis en œuvre les pratiques prohibées, sans qu'aucune distinction en fonction du secteur d'activité ne soit opérée ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mai 1995 ;
Considérant que la société Santerne fait valoir que sa direction régionale de Metz, dont dépendent les agences de Saint-Memmie et Reims qui ont élaboré l'offre de la société, disposerait de moyens matériels et en personnel suffisants pour procéder aux études des marchés et à l'exécution des contrats qu'elle conclut et que le directeur régional bénéficiait d'une délégation en date du 2 janvier 1992 lui donnant pouvoir " pour effectuer au nom et à la place de la société toutes opérations se rapportant aux adjudications et appels d'offres " ; qu'ainsi la direction régionale de Metz, dont les marchés publics constitueraient l'activité exclusive, posséderait une autonomie économique et technique suffisante pour constituer une entreprise au sens de l'article 13 de l'ordonnance ;
Mais considérant que si la délégation de pouvoirs produite par la société Santerne reconnaît au directeur régional la capacité de contracter, elle ne comporte aucune précision sur les conditions auxquelles il contracte ; qu'il n'est nullement établi que ce cadre salarié soit affranchi des directives et contrôles de la société à laquelle il est subordonné, qu'il jouisse de la pleine liberté de décider des investissements et du pouvoir de définir sa propre stratégie industrielle, commerciale et financière ; qu'ainsi la délégation de pouvoirs précitée n'a aucune portée générale et n'est pas de nature à prouver que la direction régionale dispose d'une autonomie réelle de décision dans le domaine économique, autonomie sans laquelle une entité ne peut pas être considérée comme une entreprise dans le contexte du droit de la concurrence ; que d'ailleurs la société Santeme a fait valoir en séance que si le directeur régional disposait d'une certaine liberté, il ne pouvait bénéficier d'un affranchissement total et absolu de la direction générale ; qu'il y a dès lors lieu de retenir le chiffre d'affaires total réalisé en France par la société Santerne comme assiette de la sanction ;
Considérant que le chiffre d'affaires réalisé en France par la société Santerne pour l'année 1994 s'est élevé à 1 261 410 383 F et son bénéfice à 42 389 888 F ; que le Conseil de la concurrence a été précédemment amené à constater par sa décision n° 89-D-42 du 12 décembre 1989 que la société Santerne a mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles à l'occasion de marchés publics ; qu'ainsi cette société n'ignorait, lorsqu'elle a mis en œuvre les pratiques ci-dessus reprochées, ni le caractère prohibé des pratiques ayant pour objet de fausser le jeu de la concurrence, ni le risque de sanction qu'elle encourait si elle mettait en œuvre de telles pratiques ; qu'eu égard à la gravité des faits qui lui sont imputables, notamment au rôle déterminant joué par la société dans l'entente dont elle a pris l'initiative, et à l'importance du dommage causé à l'économie tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 4 500 000 F :
Considérant que le chiffre d'affaires réalisé en France par la société l'Entreprise industrielle pour l'année 1994 s'est élevé à 5 114 119 788 F avec une perte de 91 121 358 F, liée, pour une partie substantielle, à une modification de sa comptabilité ; que le Conseil de la concurrence a été précédemment amené à constater par ses décisions n° 89-D-34 des 24 et 25 octobre 1989, n° 89-D-42 du 12 décembre 1989 et n° 90-D-16 des 15 et 16 mai 1990 que la société l'Entreprise industrielle a mis en œuvre à l'occasion de divers marchés des pratiques anticoncurrentielles ; qu'ainsi la société n'ignorait, lorsqu'elle a mis en œuvre les pratiques ci-dessus reprochées, ni le caractère prohibé de pratiques ayant pour objet de fausser le jeu de la concurrence ni le risque de sanction qu'elle encourait si elle mettait' en œuvre de telles pratiques ; que si le président de la société a indiqué en séance qu'il entendait prendre les mesures appropriées pour faire cesser les pratiques reprochées et a demandé à cet effet le bénéfice d'une période de mise à l'épreuve, la société n'apporte aucun commencement de preuves d'une politique menée en ce sens depuis le changement de direction, notamment à l'occasion de l'instruction de la présente affaire ; qu'eu égard à la gravité des faits qui lui sont imputables et à l'importance du dommage causé à l'économie tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 12 000 000 F ;
Considérant que le chiffre d'affaires réalisé en France par la société Seei Roque Industrie pour l'exercice 1993-1994 s'est élevé à 35 923 958 F et son bénéfice à 732 604 F ; qu'eu égard à la gravité des faits qui lui sont imputables et à l'importance du dommage causé à l'économie tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 35 000 F ;
Considérant que le chiffre d'affaires réalisé en France par la société Guérineau pour l'exercice 1993-1994 s'est élevé à 19 539 345 F et son bénéfice à 70 684 F ; qu'eu égard à la gravité des faits qui lui sont imputables et à l'importance du dommage causé à l'économie tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 20 000 F ;
Considérant que le chiffre d'affaires réalisé en France par la société Royant pour l'année 1994 s'élève à 4 655 756 F pour une perte de 203 799 F ; qu'eu égard à la gravité de faits qui lui sont imputables et à l'importance du dommage causé à l'économie tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, mais en tenant compte en revanche du fait que cette société est le seul soumissionnaire partie à l'entente dénoncée à avoir reconnu la pratique et avoir collaboré à l'instruction, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 2 000 F,
Décide :
Article 1er : - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
4 500 000 F à la SA Santerne ;
12 000 000 F à la SA l'Entreprise industrielle ;
35 000 F à la SA Seei Roque Industrie ;
20 000 F à la SA Guérineau ;
2 000 F à la SA Royant.
Article 2 : - Dans un délai maximum de quatre mois à compter de la date de sa notification, les entreprises visées à l'article 1er feront publier le texte intégral de la présente décision, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées, dans J 3 E, Le Journal de l'équipement électrique et électronique Les Echos et Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment.