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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 30 avril 1996, n° 9405055

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

RJ2F (SARL)

Défendeur :

Inter Caves (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Casorla

Conseillers :

MM. Froment, Poumarede

Avoués :

Mes d'Aboville & de Moncuit St-Hilaire, Leroyer-B, Gauvain & Demidoff

Avocats :

Mes Dizier, Terrazas.

T. com. Nantes, du 6 juin 1994

6 juin 1994

Vu le jugement du 6 juin 1994 par lequel le Tribunal de commerce de Nantes :

- a débouté SARL RJ2F (le franchisé) de sa demande en nullité du contrat de franchise souscrit avec SARL Inter Caves, son franchiseur.

- l'a condamnée à payer à ce franchiseur la somme de 100 759 F avec intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 1993, au titre de diverses factures impayées et constaté la résiliation du contrat aux torts du franchisé, avec les effets prévus au contrat pour cette résiliation

- l'a condamnée à lui payer la somme de 10 000 F pour frais non taxables

Vu l'appel de ce jugement par le franchisé

Vu les écritures d'appel par lesquelles celui-ci :

- soutient que le contrat est nul en ce que les prix des marchandises qu'il était obligé d'acheter exclusivement au franchiseur étaient unilatéralement déterminés par ce dernier, en ce que les prix de revente étaient également fixés par celui-ci, sans autonomie réelle pour le franchisé, en ce que les dispositions de la loi du 31 décembre 1989 et de son décret d'application du 4 avril 1991 n'ont pas été respectées lors de la souscription du contrat et en ce que celui-ci aurait été conclu sur la foi d'éléments comptables prévisionnels transmis par le franchiseur qui se sont révélés irréalisables

- demande la nullité du contrat, la restitution du droit d'entrée dans la franchise (50 000 F) et des redevances de franchises payées, soit 32 884,99 F HT de mai 1991 à mai 1992 et 24 428,85 F HT de juin 1992 à janvier 1993, une provision de 100 000 F, en ce qui concerne l'apurement du compte, au titre de l'approvisionnement exclusif, et une expertise sur ce point afin de déterminer la marge du franchiseur sur les produits livrés au franchisé.

Vu les écritures d'appel par lesquelles le franchiseur demande la confirmation du jugement déféré et le paiement, en sus, d'une somme de 20 000 F pour frais non taxables d'appel, en observant :

- que le tarif du franchiseur a été communiqué au franchisé à l'origine, pour la constitution de son stock, et que les prix, qui n'ont d'ailleurs donné lieu à aucune protestation du franchisé, ont varié en fonction des cours alors que, compte tenu de la diversité des produits faisant l'objet de la franchise, chaque article ne pouvait faire l'objet d'un contrat spécial et que le franchisé était libre de ne pas acheter les produits qui ne lui convenaient pas

- que d'ailleurs, à compter de la fin 1992, le franchisé a cessé de s'approvisionner et n'a pas respecté l'engagement d'un montant minimal d'achat

- qu'il ne saurait être reproché au franchiseur de n'avoir pas fait connaître sa marge brute sur les produits vendus au franchisé et que la marge brute moyenne pouvait être connue par la consultation du bilan du franchiseur.

- que le franchisé était libre de ses prix de revente, même si des tarifs lui étaient conseillés et s'il était tenu, pour la protection du réseau, à ne pas vendre à des prix fantaisistes,

-que lors des pourparlers en vue de la souscription du contrat, le franchisé a obtenu diverses informations du franchiseur, n'a jamais sollicité d'informations complémentaires et a, de plus, participé à une convention nationale du réseau en décembre 1992, de sorte qu'il ne saurait ainsi être fait grief au franchiseur de ne pas avoir appliqué le décret du 4 avril 1991, alors de plus, qu'à l'origine le franchisé envisageait la création d'autres points de vente et que le prévisionnel fourni, déterminé en fonction de la zone de chalandise par rapport à des zones similaires, n'était pas garanti.

- que les sommes dues par le franchisé correspondent à des redevances et marchandises livrées qui n'ont pas été payées,

- qu'en toute hypothèse, si la nullité du contrat était prononcée, il y aurait seulement lieu à restitutions réciproques selon le droit commun, notamment en ce qui concerne les marchandises et services fournis au franchisé.

Considérant que, par le contrat litigieux, conclu pour une durée de 5 ans le 23 avril 1991 :

- le franchiseur, indiquant jouer le rôle d'une centrale d'achat et avoir des accords privilégiés avec des producteurs-exploitants dans le commerce du vin lui assurant la qualité régulière des produits, a concédé au franchisé le droit exclusif de vendre lesdits produits sous les enseignes Caves entrepôts et Le géant du vin, sur un secteur déterminé de la ville de Nantes, en s'engageant à former le franchisé et son personnel, à favoriser l'information, à mettre un délégué à disposition du franchisé pour déterminer les actions nécessaires au développement de son chiffre d'affaires et comparer les résultats des membres du réseau, à lui assurer une assistance commerciale et le faire bénéficier de son expérience professionnelle au plan des aménagements, services et méthodes de gestion, d'organisation et de vente, à veiller à la qualité des produits et à l'actualisation de la gamme, en fonction des réactions du marché et des millésimes, à approvisionner périodiquement conformément aux commandes aux conditions tarifaires communiquées également périodiquement, à assister le franchisé quant à la réalisation de sa publicité et à lui fournir tout conseil administratif, comptable, juridique, financier ou publicitaire

- le franchisé s'est obligé, outre le paiement de redevances mensuelles et d'une somme à la souscription du contrat, à acheter exclusivement au franchiseur, aucun produit ne pouvant sans son autorisation expresse et préalable être acquis d'un autre que lui, à respecter la politique commerciale et de vente de ce franchiseur, à consacrer toute son activité au développement de son entreprise franchisée en s'interdisant toute activité concurrente, à adresser chaque mois un relevé de ses ventes, à effectuer, dans la limite de 1 % du chiffre d'affaires annuel, les ventes promotionnelles fixées par le franchiseur, à constituer un stock de marchandises de 170 000 F HT et à le maintenir en nature et en volume pendant la durée du contrat, à acheter, au cours des 12 premiers mois, au moins 800 000 F HT de produits, y compris le stock initial, le volume des achats étant augmenté de 15 % par an, sauf force majeure d'ordre conjoncturel au plan local, à appliquer à la clientèle un tarif uniforme conforme à celui communiqué par le franchiseur et à ne pas consentir de remises injustifiées ni des prix abusifs par rapport à ceux par les autres membres du réseau et aux usages ;

Considérant que, par avenant du même jour, le secteur a été étendu à toute la ville de Nantes, le franchisé s'obligeant à réaliser un chiffre d'affaires de 2 000 000 F HT la première année et à ouvrir un deuxième point de vente sur le secteur, à défaut de quoi celui-ci serait ramené au secteur d'origine ;

Considérant qu'il ressort en outre des productions :

- que le franchiseur faisait périodiquement parvenir au franchisé des tarifs, tels ceux du 14 février 1992 et du 1er septembre 1992, portant les prix d'achat au franchiseur au départ de ses entrepôts, au besoin le port et les quantités disponibles, puis la marge du franchisé, son prix de vente HT et son prix de vente TTC ;

- que le franchisé a été en possession, lors de signature du contrat, d'une étude prévisionnelle faite par le franchiseur et prévoyant pour l'entreprise un chiffre d'affaires HT de 2 080 000 F la première année et de 2 288 000 F la deuxième ;

Considérant qu'il suit de ces données que les conventions litigieuses:

- ont eu pour principal objet la vente au franchisé de quantités importantes de produits, notamment des vins fins, en lui imposant, pendant la durée du contrat, un rythme de rotation du stock et une progression annuelle des achats, dans la plus totale opacité de l'évolution des tarifs du franchiseurs, faute de détermination de la marge maximale de celui-ci sur chacun des produits ou d'engagements concernant la négociation de ses accords tarifaires avec les producteurs, alors qu'il disait jouer le rôle d'une centrale d'achat.

- ont été souscrites par ce franchisé au vu d'un prévisionnel, établi par le franchiseur, qui, même si celui-ci ne garantissait aucun résultat, s'est révélé totalement irréaliste et par là trompeur, comme il ressort du fait que, sur les 20 premiers mois d'activité, le chiffre d'affaires n'a été que de 1 757 602 F et qu'un tel écart avec la prévision, alors qu'aucun élément quant à la tenue commerciale de l'entreprise du franchisé n'est de nature à l'expliquer, révèle l'inconsistance des études préalables que devait le franchiseur, dès lors qu'il établissait un prévisionnel qui a eu un caractère déterminant dans la souscription de la convention par le franchisé.

- ont privé le franchisé de sa liberté dans l'établissement de ses prix à la clientèle, au regard de la clause lui imposant d'appliquer un tarif uniforme, conforme à celui communiqué par le franchiseur, et lui interdisant de consentir des remises injustifiées et des prix abusifs par rapport à ceux pratiqués par les autres membres du réseau et aux usages, étant observé que, au mépris de l'article 7-1° et 2° de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la pratique de l'envoi périodique des tarifs de vente du franchiseur avec, en regard, la marge du franchiseur dissuadait, en toute hypothèse, celui-ci, au regard du rythme de rotation du stock imposé et de la progression annuelle des achats également imposée, de procéder à la fixation autonome de ses prix, peu important à cet égard, que le contrat ait ou non reçu une exécution conforme par le franchisé, s'agissant de rechercher si la convention était valide ou ne l'était pas;

Considérant qu'il suit de ces données que le franchiseur a trompé, par un prévisionnel chimérique, le franchisé lors de la conclusion du contrat, lequel, de plus, avait pour effet de priver le franchisé de la liberté de son prix de revente et laissait notamment le franchiseur maître, pendant 5 ans, du coût pour le franchisé du renouvellement périodique du stock auquel il était tenu ; qu'à tort les premiers juges ont rejeté la demande de nullité des conventions au motif inexact qu'il n'y avait pas une pratique de prix imposéet aux motifs inopérants selon lesquels, d'une part, le franchisé était libre d'acheter sur le tarif périodique du franchiseur ceux des produits qui lui paraissaient convenir à la qualité, aux conditions de la concurrence et à l'état du marché, d'autre part, le franchiseur n'avait pas à satisfaire aux obligations de la loi du 31 décembre 1989, son décret d'application ayant été publié le 6 avril 1991 et le contrat litigieux souscrit le 23 avril suivant ;

Considérant que l'annulation des conventions oblige à des restitutions réciproques ; que, le franchisé devant notamment restituer par équivalent les marchandises à lui livrées, au prix de revient pour le franchiseur à l'exclusion de sa marge, et le franchiseur devant restituer les sommes perçues du franchisé au titre du contrat, il y a lieu, en vue de l'apurement des comptes, d'ordonner expertise sur ce point, la provision pour cette expertise devant être avancée par le franchisé qui la demande, sans qu'il y ait lieu de lui allouer d'ores et déjà une provision au regard du montant des marchandises livrées qu'il n'a pas payées et de la jouissance de l'enseigne dont il a bénéficié.

Par ces motifs : Infirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions ; Annule les conventions de franchise ayant lié SARL Inter Caves à SARL RJ2F ; Avant dire droit sur l'apurement des comptes au titre de la nullité, Ordonne une expertise judiciaire et y commet l'expert Bernard Lemarie 18 rue Koufra 44000 Nantes avec pour mission : - rechercher le montant total des sommes versées par SARL RJ2F au titre des conventions annulées, en distinguant les redevances et les paiements des marchandises livrées, - rechercher le prix de revient total pour le franchiseur des marchandises qu'il a livrées, à l'exclusion de sa marge Ordonne consignation, au greffe de la Cour, par SARL RJ2F d'une somme de 15 000 F à valoir sur les honoraires de l'expert, dans un délai de 2 mois à compter du présent arrêt, à peine de caducité de la mesure d'instruction ; Dit que l'expert commis effectuera sa mission à compter de l'avis du greffe l'informant de cette consignation et qu'il déposera son rapport dans un délai de 4 mois à compter de cet avis ; Renvoie l'affaire devant le conseiller de la mise en état, chargé du contrôle de la mesure d'instruction ; Réserve les dépens.