CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 28 mai 1996, n° FCEC9610311X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ambulances A. Omez, Ambulances G. Valcq, Ambulances T. Valcq, Ambulances J. Petit (SARL), Ambulances Castelain, Devynck-Bayart Roncq ambulances (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Bargue, Mme Thin
Conseiller :
M. Weill
Avocats :
Mes Sourdillat, Brami.
Saisi le 11 octobre 1993 par le ministre de l'économie de pratiques mises en œuvre par des entreprises de transports sanitaires lors de la passation d'un marché avec le centre hospitalier de Tourcoing, le Conseil de la concurrence, par décision n° 95-D-56 du 12 septembre 1995, a infligé aux entreprises concernées les sanctions pécuniaires suivantes :
- 20.000 F à la SARL Ambulances Jacques Petit ;
- 15.000 F à M. Thierry Valcq (Ambulances Valcq Thierry) ;
- 20.000 F à M. Guy Valcq (Ambulances Valcq Guy) ;
- 15.000 F à Mme Omez (Ambulances A. Omez) ;
- 10.000 F à Mme Castelain (Ambulances Castelain) ;
- 27.000 F à la SARL Devynck-Bayart-Roncq ambulances.
Les pratiques sanctionnées sont relatives aux conditions dans lesquelles les entreprises se sont regroupées pour répondre à un appel à la concurrence organisé par l'hôpital de la ville.
En effet, afin d'assurer certains transports sanitaires qu'il n'est pas en mesure d'effectuer lui- même, le centre hospitalier de Tourcoing recourt aux services d'entreprises privées d'ambulances. Il avait ainsi conclu m 1986 une convention avec sept entreprises d'ambulances regroupées au sein d'une association dénommée Association de transports sanitaires urgents de Tourcoing et des environs (ATSU).
Ayant dénoncé cette convention le 28 juillet 1989, le centre hospitalier sollicitait individuellement cinq des entreprises signataires afin de soumissionner à un " appel à la concurrence ", en vue de poursuivre l'exécution de la même mission, selon des modalités différentes.
Les sept entreprises sanctionnées ont adressé une réponse collective, proposant, en échange de l'exclusivité de ces transports sanitaires, une réduction de 15 p. 100 par rapport au tarif de référence fixé par arrêté interministériel, et s'engageant à assurer un service de garde permanente.
Le Conseil a considéré que le regroupement de ces sept entreprises dont le caractère indispensable pour la bonne exécution du marché n'était pas démontré avait faussé le jeu de la concurrence dès lors qu'aucune autre entreprise extérieure au groupement ne pouvait seule répondre à l'ensemble des besoins du centre hospitalier de Tourcoing et que celui-ci avait dû consentir à accorder l'exclusivité demandée.
La société Devynck-Bayart-Roncq ambulances a formé un recours en annulation et subsidiairement en réformation, les cinq autres entreprises requérantes formant un recours en réformation.
Les entreprises Ambulances Jacques Petit, Valcq Thierry, Valcq Guy, A. Omez et Castelain soutiennent que les faits seraient atteints par la prescription et que l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne serait pas applicable au contrat en cause, tant à raison de la qualité de personne publique investie d'une mission de service public de l'hôpital que de la nature administrative de la décision par laquelle celui-ci a choisi la procédure d'attribution du marché.
En conséquence, elles concluent à l'incompétence du Conseil de la concurrence et de la Cour d'appel de Paris pour en apprécier la légalité. Toutes les sociétés requérantes soutiennent que leur offre conjointe ne constitue pas une entente prohibée, invoquent subsidiairement l'application à leur profit de l'article 10, alinéa 2, de l'ordonnance précitée et demandent, en application de l'article 700 du NCPC, la condamnation du ministre de l'économie et des finances à verser 5.000 F à la société Devynck-Bayart-Roncq ambulances et 10.000 F à chacune des autres sociétés requérantes.
Le Conseil de la concurrence rappelle qu'en application de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les pratiques de concertations mises en œuvre par des entreprises privées répondant à un appel explicite à la concurrence sur un marché relèvent de sa compétence, observe que cette concertation a eu pour effet d'abolir toute concurrence et que le progrès économique invoqué par les auteurs des pratiques n'est pas démontré ;
Le ministre de l'économie et des finances fait valoir que seule est en cause la concertation entre les entreprises, et non la décision de choix par l'hôpital de ses cocontractants. Il estime également que le regroupement de toutes les entreprises susceptibles de répondre à l'offre n'était pas nécessaire et qu'il importe peu à cet égard que le centre hospitalier ait été trompé ou non sur la réalité de la concurrence dès lors que l'action des entreprises l'avait réduite de façon substantielle. Il expose enfin que le progrès économique invoqué n'est pas caractérisé et conclut au rejet des recours et des demandes fondées sur l'article 700 du NCPC ;
Le ministère public conclut au rejet des recours, au motif que la prescription n'est pas acquise, en raison de la persistance des effets de l'entente pendant la période de trois ans précédant la saisine du Conseil ; que le Conseil de la concurrence est compétent pour apprécier le comportement des entreprises, celui-ci caractérisant une entente prohibée, non susceptible d'être justifiée par application de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Sur quoi, LA COUR,
Sur le moyen tiré de la prescription :
Considérant qu'aux termes de l'article 2, alinéa 2 (3°), du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 les moyens invoqués par le demandeur doivent être déposés dans les deux mois qui suivent la notification de la décision du Conseil de la concurrence ; que ce moyen ayant été soulevé pour la première fois par mémoire déposé au greffe de la Cour le 29 février 1996. soit après expiration du délai précité, doit être déclaré irrecevable.
Au fond :
1e - Sur la compétence du Conseil de la concurrence et partant de la Cour d'appel de céans :
Considérant que les sociétés requérantes soutiennent que les transports sanitaires hospitaliers relèvent des services incombant aux hôpitaux eux-mêmes et que les actes par lesquels leur exécution est confiée à des entreprises privées constitueraient donc une délégation de service public, indépendamment de la procédure choisie par l'hôpital pour l'attribution du marché en cause ;
Mais, considérant que les pratiques incriminées ne sont pas relatives au choix effectué par l'hôpital de son cocontractant mais à la concertation des entreprises ayant eu pour objet et pour effet de limiter la liberté de ce choix; que ces pratiques relèvent du champ de compétence du Conseil de la concurrence;
2e- Sur l'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :
Considérant que les entreprises requérantes soutiennent qu'en raison des contraintes particulières imposées aux entreprises de transport sanitaire, et en particulier des nécessités d'organiser une garde, aucune véritable concurrence ne pouvait s'exercer sur le marché restreint des transports secondaires de l'hôpital de Tourcoing, seule une soumission groupée des entreprises étant susceptible de leur permettre de remplir les conditions requises ; que le choix de l'hôpital ne s'était pas trouvé lié, puisqu'une entreprise indépendante du groupement avait présenté ou aurait pu soumettre une offre comportant un rabais supérieur, et qu'il demeurait loisible à l'hôpital de ne traiter qu'avec certaines des sociétés regroupées ;
Mais, considérant que si le fait de répondre en commun à un appel à la concurrence ne constitue pas en lui-même, de la part d'entreprises indépendantes et concurrentes, une entente prohibée, constitue en revanche une telle entente un groupement ayant pour objet ou pour effet de restreindre le jeu de la concurrence;
Considérant, en l'espèce, que les moyens nécessaires à la réalisation de la mission demandée ne supposaient pas la mise à disposition de l'ensemble des véhicules des entreprises présentes sur le marché ;
Considérant en outre qu'il résulte des déclarations de certains responsables des sociétés concernées que la concertation réalisée entre elles a répondu au double souci d'assurer la poursuite de leurs relations préexistantes avec l'hôpital, tout en limitant à 15 p. 100 du tarif officiel le montant du rabais qu'elles entendaient consentir ; que cette entente ayant pour objet la répartition du marché ainsi que la fixation d'un prix minimum avait en outre pour effet d'interdire l'accès au marché de toute autre entreprise concurrente, par le jeu de la clause d'exclusivité qui assortissait l'offre conjointe; que, dès lors, il importe peu que l'hôpital ait pu ou non être trompé sur la réalité de la concurrence entre les soumissionnaires;
3e - Sur l'application de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :
Considérant que les requérants soutiennent que leur regroupement était le seul moyen d'assurer la mise en place d'un tour de garde et d'un numéro téléphonique d'appel commun ;
Considérant toutefois qu'ils n'apportent pas la preuve que leur concertation était indispensable pour atteindre cet objectif ;
Qu'il résulte en effet des constatations opérées que chaque entreprise était en mesure d'assurer à tour de rôle avec ses propres moyens les prestations demandées et que la mise à disposition d'un numéro unique d'appel téléphonique ne saurait constituer pour l'utilisateur une partie équitable du profit résultant de ce progrès ;
Sur les sanctions :
Considérant que le montant des sanctions, qui n'est pas contesté par les requérants, a fait l'objet d'une exacte appréciation par le Conseil de la concurrence eu égard à la gravité des faits reprochés, au dommage causé à l'économie et à la situation personnelle de chacune des entreprises ;
Considérant enfin que les requérants succombant en leurs recours, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du NCPC.
Par ces motifs, Déclare irrecevable le moyen fondé sur la prescription ; Rejette les recours formés par les sociétés Ambulances Omez, Guy Valcq, Thierry Valcq. Jacques Petit, Laurence Castelain, SARL Devynck-Bayard-Roncq ambulances contre la décision du Conseil de la concurrence n° 95-D-56 ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC ; Met les dépens à la charge des entreprises requérantes.