Conseil Conc., 24 février 1999, n° 99-D-16
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la saisine de MM. Alain Nicolas, Daniel Fischer et Norbert Jannot, ambulanciers à Verdun
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de Mme Véronique Eloy, par M. Cortesse, vice-président, présidant la séance en remplacement de Mme Hagelsteen, présidente, empêchée, Mme Pasturel, vice-président, , M. Rocca, membre.
Le Conseil de la conurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 16 mai 1997 sous le numéro F 960, par laquelle MM. Alain Nicolas, Daniel Fischer et Norbert Jannot, ambulanciers à Verdun, ont saisi Le Conseil de la conurrence de diverses pratiques sur le marché des transports sanitaires et funéraires du centre hospitalier de Verdun ; Vu la lettre enregistrée le 3 novembre 1997, par laquelle MM. Alain Nicolas, Daniel Fischer et Norbert Jannot, ambulanciers à Verdun, ont complété leur saisine initiale ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus, MM. Alain Nicolas, Daniel Fischer et Norbert Jannot ayant été régulièrement convoqués ; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général ;
Considérant que MM. Nicolas, Fischer et Jannot exposent que le centre hospitalier de Verdun a lancé un appel d'offres, le 19 décembre 1996, relatif à l'exécution de transports sanitaires et funéraires "Pour une période d'un an, du 1er avril 1997 au 31 mars 1998, renouvelable par tacite reconduction sans que la durée totale puisse excéder trois ans" ; que, par un courrier du 31 janvier 1997, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes leur a adressé un avertissement fondé sur une enquête de concurrence effectuée par ses services départementaux portant sur les conditions d'attribution du marché des transports sanitaires du centre hospitalier de Verdun, en 1992 et 1993, et indiquant : "Cette enquête fait clairement apparaître que vous vous êtes mis d'accord avec trois entreprises concurrentes pour proposer une offre commune dans le but d'empêcher ou de limiter la concurrence et donc l'accès au marché du centre hospitalier de Verdun à d'autres entreprises de transport sanitaire. Une telle entente ne me paraît pas conforme à notre droit. L'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la liberté des prix et de la concurrence prévoit dans son article 1er que les prix se fixent librement par le jeu de la concurrence. La même ordonnance, dans son article 7, interdit les ententes qui faussent le jeu de la concurrence, que ce soit en faisant obstacle à la fixation des prix ou en organisant un partage du marché. Le Conseil de la conurrence, compétent pour sanctionner ces pratiques, a été amené à plusieurs reprises à sanctionner des entreprises d'ambulances qui s'étaient regroupées pour imposer leurs prix et se partager les marchés hospitaliers. Je vous invite donc à éviter tout mode d'organisation qui aurait pour conséquence de faire disparaître la concurrence afin de fixer les prix uniformément ou de partager des marchés. A défaut, je serais dans l'obligation de saisir Le Conseil de la conurrence" ; que les auteurs de la saisine indiquent qu'à la suite de la réception de cette lettre ils n'ont pas signé d'acte d'engagement en réponse à l'appel du centre hospitalier de Verdun et qu'en conséquence cette offre n'a pu être retenue ; qu'au terme de la consultation le marché a été attribué au groupement momentané constitué par les entreprises d'Anthouard, Béchamp-Lollier, Holvec et Rollin ;
Considérant que les entreprises saisissantes allèguent que ce groupement "laisse apparaître un formidable déploiement de matériel et de personnel en proportion au marché passé, ce qui ne laisse aucune possibilité aux entreprises verdunoises" et qu'"une telle entente ne [leur] paraît pas conforme à l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la liberté des prix et de la concurrence qui prévoit dans son article 1er que les prix se fixent librement par le jeu de la concurrence. La même ordonnance dans son article 7 interdit les ententes qui faussent le jeu de la concurrence pour s'accaparer les marchés hospitaliers", qu'ils font valoir, par ailleurs, qu'il convient d'analyser cette entente en tenant compte du "monopole exercé par la SARL Béchamp-Lollier sur Verdun et sur le nord meusien" ; qu'ils prétendent enfin que l'une des stipulations du cahier des clauses particulières du marché concerné, en ce qu'elle énonce que "le titulaire du marché est tenu d'avoir son agence localisée dans un rayon de 12 km autour de Verdun" ne serait pas respectée par les entreprises Rollin et Béchamp-Lollier, membres du groupement momentané ayant obtenu le marché ;
Considérant qu'aux termes de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Le Conseil de la conurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants" ;
Considérant que la constitution par des entreprises, indépendantes et concurrentes, d'un groupement en vue de présenter une réponse commune à un appel d'offres ne constitue pas, en soi, une pratique prohibée au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que, toutefois, le recours à une telle structure peut donner lieu à l'application des dispositions de ce texte lorsqu'il est établi que le groupement a été utilisé pour mettre en œuvre des pratiques concertées ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de limiter le libre exercice de la concurrence lors de l'appel d'offres ;
Considérant, en premier lieu, qu'un rectificatif au cahier des charges de l'appel d'offres lancé par le centre hospitalier de Verdun a été adressé aux candidats à l'obtention du marché et qu'il précisait que "les entreprises peuvent présenter leurs offres groupées" dans les conditions énoncées à l'article 46-1 du Code des marchés publics ; que la convention, réunissant momentanément les sociétés d'Anthouard, Béchamp-Lollier, Holvec et Rollin, dont MM. Nicolas, Fischer et Jannot ont joint une copie à l'appui de leur saisine, ne renferme pas de clause interdisant à un participant au groupement de formuler une offre individuelle concurrente de celle du groupement ;
Considérant que le groupement ainsi constitué ne rassemble pas toutes les entreprises susceptibles de répondre à l'appel d'offres lancé par le centre hospitalier de Verdun ; que, d'une part, les entreprises auteurs de la saisine, qui, réunies dans un groupement, avaient été titulaires du marché avant 1996, étaient en mesure de proposer une offre concurrente ; que, d'autre part, il n'est pas démontré qu'une ou plusieurs entreprises ou d'autres groupements d'entreprises de la région de Verdun n'auraient pas été en mesure de soumissionner au marché ; que, dès lors, ce groupement ne constituait pas l'unique moyen d'accéder au marché concerné ; que, si les entreprises Nicolas, Fischer et Jannot ont pu se méprendre sur la portée de la lettre adressée par les services départementaux de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui pouvait donner lieu à plusieurs interprétations et dont ils allèguent qu'elle les aurait dissuadés de soumissionner à l'appel d'offres, cette circonstance est sans incidence sur le comportement des entreprises ayant constitué le groupement mis en cause ;
Considérant, dès lors, qu'en se bornant à dénoncer la création du groupement d'entreprises d'Anthouard, Béchamp-Lollier, Holvec et Rollin les parties saisissantes n'apportent aucun élément permettant de présumer que ce groupement a été constitué par ses adhérents pour mettre en œuvre des pratiques prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant, en second lieu, que les entreprises Nicolas, Fischer et Jannot soutiennent que le groupement momentané constitué par les entreprises d'Anthouard, Béchamp-Lollier, Holvec et Rollin détient une position dominante sur le marché des transports sanitaires dans le nord meusien ; que, d'ailleurs, la SARL Béchamp-Lollier détient à elle seule "un monopole sur Verdun et sur le nord meusien" ; qu'à l'appui de leurs allégations les parties saisissantes produisent une carte du département de la Meuse sur laquelle figurent les implantations des membres du groupement et des autres entreprises d'ambulance ;
Considérant que la détention d'une position dominante par une entreprise ou un groupe d'entreprises sur un marché n'est pas, en elle-même, prohibée par l'article 8 de l'ordonnance précitée ; que les dispositions de cet article visent uniquement les pratiques d'une ou de plusieurs entreprises occupant une position dominante lorsque ces pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ;
Considérant que la carte du département de la Meuse produite par les parties saisissantes, qui ne comporte que l'indication du nombre des entreprises d'ambulances par canton, ne permet ni de définir un marché pertinent, ni de laisser présumer l'existence d'une position dominante, soit de la SARL Béchamp-Lollier, soit du groupement : qu'à supposer même que la position dominante du groupement soit avérée, en se bornant à faire état du "formidable déploiement de matériel et de personnel en proportion au marché passé" et du "monopole exercé par la SARL Béchamp-Lollier sur Verdun et sur le nord meusien", les parties saisissantes ne produisent aucun élément qui pourrait laisser présumer que le groupement aurait mis en œuvre des pratiques susceptibles de constituer un abus de position dominante au regard de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant, en troisième lieu, que les parties saisissantes soutiennent qu'une des stipulations du cahier des clauses particulières du marché concerné, qui énonce "Le titulaire du marché est tenu d'avoir son agence localisée dans un rayon de 12 km autour de Verdun", n'a pas été respectée, les entreprises Béchamp-Lollier, Holvec et Rollin se trouvant localisées à plus de 12 km ;
Mais considérant que le conseil n'est pas compétent pour apprécier l'exécution par les parties d'un contrat administratif ; qu'il appartient aux ambulances Nicolas, Fischer et Jannot, si elles s'y croient fondées, de saisir les juridictions compétentes pour en connaître ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,
Décide :
Article unique. - La saisine enregistrée sous le numéro F 960 est déclarée irrecevable.