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Décisions

Conseil Conc., 2 mars 1999, n° 99-D-18

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans la distribution des produits de la société Laboratoires 3 M Santé

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Sévajols, par M. Cortesse, vice-président, présidant la séance en remplacement de Mme Hagelsteen, présidente, empêchée, Mme Pasturel, vice-présidente, , M. Rocca, membre, désigné en remplacement de M. Jenny, vice-président, empêché.

Conseil Conc. n° 99-D-18

2 mars 1999

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 29 juin 1995, sous le numéro F 775, par laquelle le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé des finances, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Laboratoires 3 M Santé et par des distributeurs de matériel médical ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus ; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - La distribution des produits 3 M Santé

La société Laboratoires 3 M Santé appartient au groupe 3 M. Elle est filiale à 49,6 % de la société Minnesota Mining & Manufacturing Company, le reste du capital étant détenu pour 39,6 % par la société 3 M France et pour 10,8 % par la société Riker Laboratories Inc. Le capital de la société 3 M France est lui-même détenu par la société Minnesota Mining & Manufacturing Company à 89,99 %. Dans l'Union européenne, le groupe 3 M dispose de filiales implantées dans chaque pays à l'exception du Luxembourg. Toutes ces filiales sont contrôlées par la société mère aux Etats-Unis et sont coordonnées par 3 M Europe dont le siège est à Diegem.

La société Laboratoires 3 M Santé est organisée en trois départements qui correspondent à trois secteurs d'activité : la pharmacie, les produits dentaires et les produits médicaux.

Le département "produits médicaux" regroupe essentiellement les matériels de diagnostic (stéthoscopes et tensiomètres), les films dermiques (sparadraps), les structures adhésives et les pansements ainsi que divers produits de contention et d'immobilisation.

En 1993, la société Laboratoires 3 M Santé a réalisé un chiffre d'affaires de 941 millions de francs, dont un tiers, soit 314 millions de francs, pour le département produits médicaux. Les deux tiers des produits médicaux sont commercialisés directement par la société, seul un tiers des ventes, soit environ 90 millions de francs, est réalisé par l'intermédiaire des revendeurs.

Parmi les revendeurs, il convient de distinguer les répartiteurs en pharmacie (62 millions de francs), les revendeurs hospitaliers (11,4 millions de francs) et les revendeurs extra-hospitaliers (15,5 millions de francs).

Les revendeurs extra-hospitaliers, qui représentent 17 % des ventes de la société Laboratoires 3 M Santé aux différentes catégories de revendeurs, commercialisent du matériel médical aux professionnels du secteur libéral de la santé (médecins, infirmières, kinésithérapeutes) ou aux particuliers. La société Laboratoires 3 M Santé établit des relations commerciales avec près de 800 revendeurs extra-hospitaliers, dont 400 sont des clients réguliers. Parmi ces revendeurs extra-hospitaliers, les trois groupements de revendeurs, Paramat, E3S et Distri Club Médical (DCM), ont représenté en 1993 17 % des ventes et les sociétés de vente par correspondance, NM Médical, Médistore et Drexco, 12 % des ventes.

B. - Les pratiques relevées

1. Les pratiques tarifaires

Pour les revendeurs extra-hospitaliers, la société 3 M Santé édite des tarifs dits SMD (soins et médecine domestique). Jusqu'en janvier 1991, les tarifs SMD "utilisateurs" contenaient des "prix publics HT conseillés". La société 3 M Santé a édité, en 1992 et 1993, des "tarifs distributeurs" contenant des "prix de base HT" et, en 1994, des "prix de vente HT".

Les revendeurs bénéficient de remises et ristournes applicables à ces "prix de base". Il s'agit de remises sur le chiffre d'affaires variant de 25 à 35 %, de ristournes de fin d'année comprises entre 1 et 3 % en fonction d'objectifs fixés dans un contrat et parfois de remises et ristournes prévues dans des accords commerciaux spécifiques.

1.1. Les interventions de la société Laboratoires 3 M Santé dans la politique de prix des revendeurs extra-hospitaliers

Dans un courrier du 3 septembre 1991, la société NM Médical a proposé à la société Laboratoires 3 M Santé de participer à une opération commerciale au cours de laquelle les prix promotionnels auraient été fixés d'un commun accord :

"Point de vente Paris (PVP mailing) Opération "Bus mailing"

"Le fournisseur propose les produits à promouvoir et fixe la remise accordée dans le cadre de cette promotion. NM Médical se réservant le droit de refuser toutes offres non conformes à l'esprit du catalogue. Le prix promotionnel sera fixé d'un accord commun entre les parties."

M. Giraud, directeur commercial de la société Laboratoires 3 M Santé, a déclaré qu'aucune suite n'avait été donnée à cette proposition.

Dans un courrier du 1er mars 1993, un revendeur, la société DCM, a exprimé son mécontentement après avoir constaté que des catalogues promotionnels étaient distribués à l'ensemble de la distribution médicale. Dans cette lettre, la société DCM demandait : "Où est votre souci du respect des prix, de la rentabilité, des marges évitant les nombreux dépôts de bilan".

Par courrier du 5 mars 1993, M. Giraud a répondu qu'il ne lui appartenait pas d'intervenir pour régler les problèmes de concurrence entre revendeurs :

"Toutefois, 3 M, comme tout autre fournisseur, n'accorde aucune exclusivité de distribution de ces produits de façon à laisser libre choix du lieu et du prix d'achat aux consommateurs finaux. Ne comptez pas sur vos fournisseurs pour régler les problèmes internes à la distribution. Chacun doit assumer sa propre concurrence. J'en profite toutefois aussi pour préciser que le catalogue MED ne mentionne aucun prix, ce qui laisse la liberté de ceux-ci et ainsi ne représente donc pas un facteur de déstabilisation."

M. Giraud a déclaré, le 18 novembre 1994, que la lettre de la société DCM avait été adressée à l'ensemble des fournisseurs et qu'il ne se sentait pas directement concerné. Toutefois, il a ajouté qu'il recommandait oralement à ses revendeurs d'avoir un prix "correct" et une marge "normale" :

"Mon souhait est qu'il n'y ait pas de bagarres de prix. Oralement je dis aux revendeurs : arrêtez de vous battre sur les prix. Je n'impose rien, je ne fixe aucun prix, je fais des recommandations. Je leur recommande d'avoir un prix correct et une marge normale d'un distributeur. Mon discours est globalement : vendez au prix qui vous permet d'assurer la promotion de mes produits, ne bradez pas, de façon à ce que tout le monde puisse vivre."

Le 26 janvier 1994, M. Giraux a rencontré MM. Boukart et Filipo, responsables de la société NM Médical.

Dans les notes prises par MM. Boukart et Filipo apparaissent les mentions suivantes :

"1. Stéthoscope...

promo remise - 15 % ->mis en palme d'or répercuter - 10 % sur les - 15 %, soit un PV TTC de 527 F environ en tenant compte de la hausse de tarif + 15 %.

2. Micropore...

Mise en prix choc

répercuter - 10 % en tenant compte des augmentations de 3 M.

3. Médipore...

répercuter - 7 % uniquement...

COHEBAN...

répercuter - 10 %.

5. ADHEBAN

...PROMO remise - 10 %... répercuter les - 10 % en totalité

page 26 : gamme Littmann

Pas de modification produit

65 : Idem prix à revoir agrafeuse."

Les notes prises par M. Giraud au cours de cette réunion reprennent les mêmes éléments :

"p 65... Revoir prix agrafeuses...

promo Master classic

px public 527 F...

+ 15 % répercuter - 10 %...

Médipore... 35 + 15 % répercuter - 7 %

Cohéban... 35 + 10...répercuter - 10 %...

Adhéban... 35 + 10 % répercuter - 10 %."

M. Giraud a commenté ainsi ses propres notes :

"La mention "p 65 Revoir prix agrafeuses" signifie une erreur dans les références du produit qui se traduisait par un prix aberrant. En ce qui concerne la mention "Promo master classic noir palme d'or, 35 % + 15 % prix public 527 F", chaque année en septembre, il y a une promotion sur les stéthoscopes Littmann, toute la distribution peut en bénéficier. C'est NM Médical qui a décidé de mettre son prix à 527 F ; la mention "2 prix choc - Mic 35 % + 15 % répercuter - 10 % en tenant compte augmentation tarif février" : j'ai fait une remise spéciale pendant la durée de la promotion, à la différence de l'opération précédente, la remise de prix n'a été que répercutée partiellement par NM Médical. C'est dans le cadre de cette réunion avec NM Médical qu'il a été décidé de ne répercuter que partiellement la remise exceptionnelle. Il en est de même pour les mentions "Médipore 35 + 15 % répercuter - 7 %", "Cohéban prix choc 35 + 10 répercuter - 10 %" et "Adhéban 35 + 10 % répercuter - 10 %"."

La société de vente par correspondance Médistore a commencé son activité début 1992. La société Laboratoires 3 M Santé a confirmé par écrit les termes initiaux des négociations commerciales avec cette entreprise dans un courrier du 20 février 1992 :

"J'ai le plaisir de vous confirmer par la présente les conditions commerciales sur lesquelles nous nous sommes mis d'accord pour le lancement de votre prochain catalogue... Par ailleurs, nous notons vos engagements, d'une part, de respecter les prix de vente couramment appliqués sur le marché et, d'autre part, de passer vos commandes pour la France à 3 M Santé et pour la Belgique à notre filiale 3 M Belgique..."

Enfin, une note manuscrite de M. Giraud, datée du 15 juin 1994, mentionne :

"NM 15 06 94 Drexco Ecart prix entre - 8 % et - 14 % ex Cryogel ->faire remonter prix Dr."

1.2. La comparaison des tarifs 3 M Santé avec les prix de vente des revendeurs

Les prix de vente des tarifs 3 M Santé en 1992, 1993 et 1994 ont été comparés avec les prix de vente mentionnés dans les catalogues de groupements de revendeurs et de sociétés de vente par correspondance (catalogues Paramat, E3S, DCM, Médistore, NM Médical et Drexco).

Dans les catalogues des groupements de revendeurs, sur 208 prix comparés, 119 sont identiques (+/- 1 F), 58 sont supérieurs et 31, soit 15 % des prix, sont inférieurs aux prix des tarifs 3 M Santé. Dans les catalogues des sociétés de vente par correspondance NM Médical et Médistore, sur 324 prix comparés, dix prix sont identiques, 310 sont supérieurs et quatre sont inférieurs à ceux des tarifs 3 M Santé. Enfin, dans les catalogues de la société Drexco, sur 23 prix comparés, neuf sont identiques, deux sont supérieurs et douze sont inférieurs aux prix des tarifs 3 M Santé.

Il ressort de cette comparaison que les prix de vente indiqués dans les catalogues Paramat, E3S et DCM sont proches de ceux mentionnés dans les tarifs 3 M Santé, que ceux des catalogues NM Médical et Médistore sont généralement supérieurs à ceux des tarifs 3 M Santé, alors qu'une majorité de prix de la société Drexco sont inférieurs à ceux des tarifs 3 M Santé. Par ailleurs, dans les catalogues des groupements de revendeurs comme dans ceux de la vente par correspondance, certains prix sont inférieurs à ceux mentionnés dans les tarifs 3 M Santé.

Pour les sociétés de vente par correspondance NM Médical, Médistore et Drexco, les prix de vente hors remises et hors promotions qui sont pratiqués correspondent aux prix mentionnés dans leurs catalogues de vente au détail. Toutefois, elles appliquent parfois des prix inférieurs à ceux de leurs catalogues en accordant des remises ou lors de campagnes promotionnelles. Ainsi, la société NM Médical accorde des remises variant de 1 à 10 % en fonction du montant de la commande et organise chaque année des promotions ponctuelles. Lors de celles-ci, certains matériels 3 M ont été offerts à des prix de vente inférieurs à ceux mentionnés dans les tarifs 3 M Santé.

Pour les groupements de revendeurs, qui réalisent la plus grosse part de leur chiffre d'affaires dans leurs points de vente ou par l'intermédiaire de leurs représentants, les prix pratiqués ont été étudiés à partir des réponses à un questionnaire dans lequel les revendeurs devaient préciser les prix de vente pratiqués pour certains produits et joindre des factures. Les factures sélectionnées et transmises par les revendeurs ont permis d'étudier les prix de vente pratiqués au cours de vingt-huit transactions. Dans cet échantillon, les prix de vente correspondent à ceux mentionnés dans les catalogues des groupements pour vingt et une transactions, ils sont inférieurs à ces prix de vente pour six transactions et supérieurs à ces mêmes prix pour une transaction.

C. - La politique commerciale au niveau européen

Dans une note interne au groupe 3 M du 21 janvier 1992, le directeur commercial de la société Laboratoires 3 M Santé note qu'à l'égard de la société Médistore, qui a des liens avec une société belge, il serait souhaitable d'harmoniser les politiques tarifaires de 3 M Santé en France et en Belgique :

"J'ai rencontré la société Médistore à Lille, qui va lancer un catalogue de vente par correspondance auprès des professions de santé (médecins, kinés, infirmières...) sur la France. Ils ont aussi passé des accords commerciaux de partenariat avec la société Deckers installée en Belgique. Celle-ci doit les faire bénéficier de leurs accords avec des importateurs (Extrême-Orient principalement). En ce qui concerne notre activité, étant donné que les produits 3 M sont présents dans le catalogue Deckers, il me semble nécessaire d'harmoniser notre politique de prix si nous voulons que les achats se fassent localement et éviter ainsi du "cross bording". Quels sont les produits que tu vends à Deckers et quels prix ?"

M. Giraud a commenté ainsi ce document :

"En ce qui concerne la note à M. Van de Walle du 21-01-92, la politique de 3 M en Europe est, face à des distributeurs internationaux, que les achats se fassent localement. Cette politique est justifiée par l'existence d'organisations locales de 3 M dans chaque pays, et que la distribution, la logistique, la communication se font localement. Cela sous-entend qu'il y ait une relative harmonisation des prix."

Il a également précisé, au sujet de l'évolution des prix de 3 M Santé :

"En moyenne, notre tarif évolue de 2,5 % par an. Nos produits sont chers, nous suivons le taux d'inflation. Littmann a augmenté de 4 à 5 %, depuis 2 à 3 ans. Il y a plusieurs raisons à cette augmentation : fabriqué aux Etats-Unis, les fluctuations du dollar peuvent intervenir sur ce produit ; c'est un produit haut de gamme et nous souhaitons que le prix soit en adéquation avec l'image du produit ; il y a l'évolution des coûts de production (inflation) ; il y a un autre élément : la stratégie prix au niveau mondial de 3 M pour éviter les importations parallèles. Il ne s'agit que d'une recommandation, chaque pays reste libre de pratiquer ses prix."

Enfin, M. Giraud a noté dans un courrier du 20 février 1992 à la société Médistore :

"J'ai le plaisir de vous confirmer par la présente les conditions commerciales sur lesquelles nous nous sommes mis d'accord pour le lancement de votre prochain catalogue... Par ailleurs, nous notons vos engagements, d'une part, de respecter les prix de vente couramment appliqués sur le marché, et, d'autre part, de passer vos commandes pour la France à 3 M Santé et pour la Belgique à notre filiale 3 M Belgique."

M. Bourgois, directeur de la société Médistore, a déclaré qu'il considérait que cette lettre, qui n'était pas signée par la société Médistore, ne l'engageait pas. Il a apporté les précisions suivantes :

"En ce qui concerne nos relations avec la société Deckers, nous avons simplement passé des accords commerciaux de partenariat pour les achats. Nous échangeons des informations sur les conditions d'achat des produits et, si cela est intéressant, nous achetons des produits à Deckers et réciproquement. Par exemple, nous achetons depuis 1992 des tables d'examen à Deckers. En revanche, la société Deckers s'approvisionne auprès de la société Médistore pour les draps d'examen et le papier d'essuyage. Pour les produits de marque tels que 3 M, nous nous approvisionnons essentiellement auprès des fournisseurs nationaux mais dans certains cas nous avons acheté certains produits auprès de Deckers même si cela n'est pas l'usage courant. De même, la société Deckers s'approvisionne essentiellement en produits de marque auprès des fournisseurs belges. En dehors de Deckers, nous n'avons aucun client à l'étranger. Si nous achetons auprès des fournisseurs nationaux c'est souvent que les différences de prix ne justifient pas des achats dans les autres pays."

De plus, M. Bourgois a communiqué au conseil trois factures d'achat de la société Médistore à la société Deckers qui établissent qu'au cours de l'année 1992 la société Médistore a acheté en Belgique des stéthoscopes type Littmann produits par le groupe 3 M.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

En ce qui concerne les pratiques tarifaires :

Considérant que la diffusion de prix maximum de revente ou de prix conseillés ne constitue pas une pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, à condition que ces prix ne revêtent pas, en réalité, le caractère de prix imposés ou de prix minima ;

Considérant que la société Laboratoires 3 M Santé a diffusé aux revendeurs spécialisés de matériel médical des "prix publics HT conseillés" jusqu'en 1991 ; qu'en 1992 et 1993, les tarifs distributeurs contenaient des "prix de base HT" et en 1994 des "prix de vente HT" ;

Considérant qu'en ce qui concerne les groupements de revendeurs Paramat, E3S et DCM, les déclarations de M. Giraud, selon lesquelles il recommande aux revendeurs "d'avoir des prix corrects", constituent l'unique indice d'une intervention de la société Laboratoires 3 M Santé dans leur politique tarifaire ; qu'en outre, ces déclarations doivent être appréciées à la lumière de la lettre du 5 mars 1993, adressée à la société DCM en réponse aux interrogations de celle-ci et dans laquelle M. Giraud affirme clairement la responsabilité de chaque distributeur dans la fixation des prix ; que, dans ce contexte, les propos tenus par le directeur commercial de la société Laboratoires 3 M Santé à ses revendeurs ne peuvent être considérés comme allant au-delà de simples recommandations d'ordre général formulées dans le cadre des relations entre fournisseur et distributeur et qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir que ces recommandations auraient été suivies par les distributeurs ;

Considérant que, par courrier du 3 septembre 1991, la société NM Médical a proposé à la société Laboratoires 3 M Santé de participer à une opération commerciale au cours de laquelle les prix promotionnels auraient été fixés d'un commun accord ; que, toutefois, M. Giraud a déclaré qu'il n'avait pas donné suite à cette proposition et qu'aucun élément du dossier ne permet de considérer que la société Laboratoires 3 M Santé a accepté ou donné suite à cette opération commerciale ;

Considérant que, dans un courrier du 20 février 1992, adressé à la société de vente par correspondance Médistore, la société Laboratoires 3 M Santé indique : "Par ailleurs, nous notons vos engagements... de respecter les prix de vente couramment appliqués sur le marché" ; que, toutefois, la société Médistore a déclaré aux enquêteurs : "Je ne considère pas que la lettre du 20 février 1992 correspond à un engagement de la société Médistore de pratiquer les prix du tarif 3 M" ; qu'ainsi la preuve n'est pas apportée que les prix de vente pratiqués par la société Médistore lui seraient imposés par son fournisseur ou procéderaient d'une entente anticoncurrentielle ;

Considérant que la note manuscrite de M. Giraud du 15 juin 1994 qui précise : "NM 15 06 94 Drexco Ecart pris entre - 8 % et - 14 % ex Cryogel ->faire remonter prix Dr" peut être considérée comme l'indice d'une intention d'intervention de la société Laboratoires 3 M Santé auprès de la société Drexco pour qu'elle modifie ses prix de vente ; que M. Giraud a déclaré que "faire remonter" devait s'entendre dans le sens de "obtenir le prix pratiqué" ; que le responsable de la société Drexco a déclaré que la société Laboratoires 3 M Santé ne lui avait jamais demandé d'augmenter ses prix ; que la société Drexco n'a pas modifié sa politique tarifaire après le mois de juin 1994 ; que, dès lors, la seule mention dans une note manuscrite de la volonté d'obtenir une hausse de prix dont aucun élément ne permet d'établir qu'elle ait été suivie d'effet ne peut suffire à caractériser une entente entre la société Laboratoires 3 M Santé et la société Drexco ;

Considérant que les prix d'un certain nombre d'articles affichés dans les catalogues des groupements et des entreprises de vente par correspondance sont différents des prix diffusés par le fabricant, qu'ils sont différents entre eux, qu'ils sont dans certains cas supérieurs (NM Médical, Médistore), dans d'autres cas inférieurs (Drexco) aux prix des tarifs 3 M Santé ;

Considérant que, s'agissant de l'identité de prix d'un certain nombre d'articles figurant dans les catalogues des groupements et des entreprises de vente par correspondance, plusieurs groupements ou distributeurs membres des groupements (Paramat, DCM, Barthès, NM Médical) ont indiqué que cette identité de prix résultait d'une politique d'alignement ;

Considérant que les entreprises de vente par correspondance pratiquent des remises de quantité, qu'elles pratiquent également des campagnes promotionnelles, que les membres des groupements ont déclaré qu'ils étaient libres de fixer leurs prix ;

Considérant qu'en ce qui concerne les prix de vente effectivement pratiqués figurent uniquement au dossier les prix relevés dans les vingt-huit factures de quatre stéthoscopes émanant de seize distributeurs appartenant aux trois groupements, soit entre une et quatre factures par commerçant ; que, si pour chacun des quatre instruments plusieurs distributeurs parmi les seize ont facturé le même prix, aucun des articles n'est vendu au même prix par tous les distributeurs pour lesquels une facture est produite ; que l'échantillon retenu, dont le mode de construction n'est pas explicite, est en tout état de cause trop restreint pour constituer un indice de concertation ;

Considérant ainsi que la comparaison des prix des tarifs 3 M Santé avec ceux des catalogues met en évidence des différences de prix entre les catalogues et entre les articles, ainsi que des différences nombreuses entre les prix des catalogues et les prix réellement pratiqués, que ces prix sont dans de nombreux cas inférieurs aux prix des catalogues, que, dès lors, même si certains prix sont identiques aux prix conseillés, cette constatation ne suffit pas pour établir que la société Laboratoires 3 M Santé a imposé des prix de revente ou que les distributeurs se sont concertés entre eux ou avec le fournisseur pour appliquer les tarifs 3 M Santé ;

Considérant que les notes manuscrites prises au cours de la réunion du 26 janvier 1994, d'une part par MM. Boukart et Filipo de la société NM Médical, d'autre part par M. Giraud, font état des mêmes modifications tarifaires applicables aux prix de vente à la clientèle finale d'un certain nombre d'articles énoncés au 1.1 ci-dessus ; que, par ailleurs, M. Giraud a déclaré : "En ce qui concerne la mention "Promo master classic noir palme d'or, 35 % + 15 % prix public 527 F", chaque année en septembre, il y a une promotion sur les stéthoscopes Littmann, toute la distribution peut en bénéficier. C'est NM Médical qui a décidé de mettre son prix à 527 F ; la mention "2 prix choc - Mic 35 % + 15 % répercuter - 10 % en tenant compte augmentation tarif février" : j'ai fait une remise spéciale pendant la durée de la promotion, à la différence de l'opération précédente, la remise de prix n'a été que répercutée partiellement par NM Médical. C'est dans le cadre de cette réunion avec NM Médical qu'il a été décidé de ne répercuter que partiellement la remise exceptionnelle" ;

Mais considérant, en premier lieu, que, s'agissant de l'agrafeuse, la formule "revoir les prix" visait, selon M. Giraud, une erreur matérielle ; qu'en deuxième lieu, en ce qui concerne les autres prix ou promotions, l'identité des prix ou des taux de remise figurant dans les notes respectives des représentants de NM Médical et de 3 M Santé, non plus que la déclaration de M. Giraud selon laquelle "il a été décidé de ne répercuter que partiellement la remise exceptionnelle", ne suffisent pas à démontrer que ces prix ou ces remises auraient été fixés à la demande ou avec l'accord de 3 M Santé ; que les responsables de NM Médical ont déclaré : "Certains fournisseurs ont des tarifs publics conseillés. Dans tous les cas de figure, nous sommes libres de pratiquer les prix que nous voulons, par contre, on leur demande leur fourchette de prix indicative du niveau des prix du marché. Le prix public conseillé est un prix dont on peut s'inspirer. Nous sommes parfois au-dessus, à égalité ou au-dessous du prix public conseillé, si nous estimons que la marge est insuffisante" ; que la demande d'une "fourchette de prix indicative de niveau des prix de marché", à supposer que la société Laboratoires 3 M Santé y ait répondu, ne peut être interprétée, dès lors qu'il n'est pas démontré ni même allégué qu'il s'agit d'autres prix que ceux constatés sur le marché, comme une concertation ayant pour objet de faire obstacle à la libre fixation des prix par le distributeur ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'instruction n'a pas permis d'établir que la société Laboratoires 3 M Santé impose des prix de vente à ses revendeurs ou que ces derniers se sont concertés pour appliquer les prix de vente fixés par le fournisseur ;

En ce qui concerne la politique commerciale au niveau européen :

Considérant que les notes internes et déclarations de M. Giraud constituent des indices selon lesquels le groupe 3 M se répartit les marchés au niveau européen et harmonise ses tarifs pour que les achats dans chaque pays s'effectuent auprès de la filiale de ce pays ;

Mais considérant, en premier lieu, que les sociétés 3 M implantées en Europe sont contrôlées par la société Minnesota Mining & Manufacturing Company qui détient, directement ou indirectement, près de 100 % de leur capital ; que leur activité est coordonnée au niveau européen par la société 3 M Europe ; que, comme l'a énoncé la Cour de justice européenne dans son arrêt Viho Europe BV contre la Commission des communautés européennes du 24 octobre 1996, en l'absence de concours de volontés économiquement indépendantes, les relations au sein d'une unité économique ne peuvent être constitutives d'un accord ou d'une pratique concertée entre entreprises restrictifs de concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du Traité ; qu'ainsi, lorsqu'une maison mère et ses filiales forment une entité économique à l'intérieur de laquelle les filiales, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, ne jouissent pas d'une autonomie réelle dans la détermination de leur ligne d'action sur le marché, mais appliquent les instructions de la maison mère, la circonstance que la politique mise en œuvre par cette dernière et qui consiste principalement à répartir différents marchés nationaux entre ses filiales puisse produire des effets à l'extérieur de la sphère du groupe, susceptibles d'affecter la position concurrentielle de tiers, n'est pas de nature à rendre l'article 85, paragraphe 1, du Traité applicable ; que, par suite, il ne peut être reproché aux sociétés du groupe 3 M d'harmoniser leurs prix au niveau européen pour que les achats des revendeurs s'effectuent auprès de la filiale locale et de se répartir géographiquement les marchés dès lors qu'il s'agit d'accords au sein du groupe 3 M qui constitue une unité économique ;

Considérant, en second lieu, qu'aucun élément ne permet d'établir que la société 3 M Santé se soit concertée avec les revendeurs établis en France pour qu'ils s'abstiennent d'acheter des produits à l'étranger ; que, si les revendeurs établis en France s'approvisionnent généralement auprès de la société Laboratoires 3 M Santé, certains achats de produits 3 M sont effectués auprès de revendeurs étrangers, comme en attestent les factures communiquées par la société NM Médical ; que la société Médistore a versé au dossier des factures attestant qu'elle a acheté en 1992 des produits 3 M auprès d'un revendeur belge ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas établi que la société Laboratoires 3 M Santé a mis en œuvre des pratiques contraires à l'article 85, paragraphe 1, du Traité de Rome ;

Considérant que, dans ces conditions, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 20 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

Décide :

Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.