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Décisions

Cass. com., 30 novembre 1999, n° 98-30.318

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Buena Vista home entertainment France (SA), IC vidéo (GIE)

Défendeur :

Directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Delaporte, Briard, Me Richard.

TGI Paris, prés., du 12 mai 1998

12 mai 1998

LA COUR : - Joint les pourvois n° 98-30.318 et n° 98-30.319 qui attaquent la même ordonnance ; - Attendu que, par ordonnance du 12 mai 1998, le président du Tribunal de grande instance de Paris a, en vertu de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, autorisé des agents de la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes à effectuer une visite et des saisies de documents dans les locaux de trois entreprises, parmi lesquelles la société Buena Vista home entertainment France et le groupement d'intérêt économique (GIE) IC vidéo, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles prohibées par les points 2 de l'article 7-1 de l'article 8 et par l'article 34 de l'ordonnance précitée dans le secteur de la commercialisation de vidéocassettes enregistrées, et a donné commission rogatoire aux présidents des tribunaux de grande instance d'Evry et de Rennes pour qu'ils contrôlent les opérations devant se dérouler dans le ressort de leur juridiction ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 98-30.318, pris en ses cinq branches : - Attendu que la société Buena Vista home entertainment France fait grief à l'ordonnance d'avoir ainsi statué, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en application des dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, une visite et saisie domiciliaire ne peut être autorisée par le juge que si elle s'inscrit dans le cadre d'une demande d'enquête émanant soit du ministre de l'Economie, soit du Conseil de la concurrence ; que lorsque la demande d'enquête est signée par le directeur général de la Concurrence, le juge qui autorise ladite visite domiciliaire doit constater que ce dernier a reçu à cet effet une délégation du ministre de l'Economie ; qu'en l'espèce, il résulte de l'ordonnance attaquée que la demande d'enquête sur laquelle repose la requête de M. Sorrentino tendant à l'obtention de l'autorisation des visites et saisies litigieuses a été signée par le directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes ; que, dans ces conditions, en se bornant à viser la demande d'enquête du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie en date du 20 avril 1998, en précisant qu'elle était signée par M. Jérôme Gallot, directeur général de la Concurrence, en application de l'arrêté du 30 juin 1997 portant délégation de signature, sans avoir constaté que M. Gallot était, compte tenu des termes dudit arrêté et de l'étendue de la délégation qu'il prévoyait, habilité à signer une telle demande d'enquête, le juge délégué par le président du tribunal de grande instance n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des exigences du texte susvisé ; alors, d'autre part, qu'en application de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'autorisation de visites et saisies domiciliaires ne peut être donnée que dans le cadre d'une demande d'enquête du ministre de l'Economie ou du Conseil de la concurrence et dans les limites éventuellement fixées par cette demande ; qu'en l'espèce, il résulte de l'ordonnance attaquée que les visites domiciliaires sollicitées par M. Gérard Sorrentino visent trois entreprises, les sociétés Buena Vista home entertainment France, SDO et IC vidéo ; que, par ailleurs, la demande d'enquête du 20 avril 1998, qui accompagnait la requête présentée au juge par M. Gérard Sorrentino et qui est relative à la commercialisation des cassettes vidéo préenregistrées, précise que ce dernier est désigné pour mener cette enquête et pour saisir le juge compétent en vue d'obtenir l'autorisation de visite et de saisie prévue par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de faire procéder aux opérations dans les locaux des entreprises qui seraient impliquées et dont les noms sont mentionnés en annexe ; que, dans ces conditions, en autorisant des visites domiciliaires dans les locaux des trois sociétés susvisées, sans avoir préalablement recherché si ces dernières figuraient parmi les entreprises visées par la demande d'enquête et énumérées en annexe à celle-ci, et sans avoir constaté qu'elles étaient effectivement désignées parmi celles-ci, le juge délégué par le président du Tribunal de grande instance de Paris n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des exigences du texte susvisé ; alors, encore, qu'ayant pour mission d'assurer la sauvegarde de la liberté individuelle, sous tous ses aspects, en particulier celui de l'inviolabilité du domicile, le juge judiciaire doit exercer un contrôle effectif sur les demandes d'autorisation de visites domiciliaires qui lui sont soumises, en application de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, par un examen attentif de ces demandes et des pièces qui y sont annexées, ce qui suppose qu'il y ait un délai suffisant, de 48 heures au minimum, entre le jour du dépôt de la requête et le jour où ce juge rend son ordonnance ; qu'en l'espèce, il résulte de l'ordonnance attaquée qu'à la requête de M. Sorrentino en date du 12 mai 1998 tendant à l' obtention d' une autorisation de visites domiciliaires dans les locaux des trois sociétés Buena Vista home entertainment France, SDO et IC vidéo, étaient jointes 123 annexes et que ladite ordonnance a été elle-même rendue le 12 mai 1998 ; que, par ailleurs, les annexes représentent quelque 1 500 feuillets simples ; que, dans ces conditions, en ne respectant pas un délai minimum pour l'examen du dossier qui lui était transmis, permettant de s'assurer de son contrôle effectif de la demande de visites domiciliaires qui lui était présentée, le juge délégué par le président du Tribunal de grande instance de Paris a violé les dispositions du texte susvisé ; alors, de même qu'en application de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le juge qui autorise une visite domiciliaire doit se fonder sur des pièces produites par l'Administration à l'appui de sa requête dont il a constaté l'origine apparemment licite ; qu'en particulier, s'agissant de procès-verbaux établis en application des dispositions des articles 46 et 47 de l'ordonnance précitée, susceptibles d'accompagner ladite requête, le juge ne peut leur reconnaître une origine apparemment licite qu'après avoir constaté qu'ils ont été établis par des agents dûment habilités à cet effet, en application de l'article 45 de cette même ordonnance ; qu'en l'espèce, il résulte de l'ordonnance attaquée que, sur les 123 annexes produites par M. Sorrentino à l'appui de sa requête, 116 correspondaient à des procès-verbaux établis en application des articles 46 et 47 susvisés ; qu'en retenant que ces procès-verbaux avaient une origine apparemment licite, sans avoir au préalable constaté qu'ils avaient été établis par des agents habilités à cet effet, dans les conditions prévues par l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le juge délégué n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des exigences de l'article 48 de cette même ordonnance ; alors, enfin, qu'en application de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation qui lui est soumise est bien fondée et doit relever à cet effet les faits positifs résultant des pièces fournies par l'Administration, qui sont propres à justifier les mesures sollicitées ; que les documents annexés aux procès-verbaux de déclaration et de communication de pièces obtenus en application des dispositions des articles 46 et 47 de l'ordonnance précitée, qui accompagnent une demande d'autorisation de perquisitions, forment un tout indivisible avec lesdits procès-verbaux dont ils constituent le soutien nécessaire, de sorte que le juge qui autorise des perquisitions sur le fondement de présomptions de pratiques anticoncurrentielles résultant de tels procès-verbaux ne peut préalablement en exclure les documents qui y sont joints ; qu'en l'espèce, il résulte de l'ordonnance attaquée que les présomptions de pratiques anticoncurrentielles qui ont été retenues pour justifier des visites domiciliaires dans les locaux des trois sociétés sont fondées sur des procès-verbaux de déclaration et de communication de pièces dont les annexes ont été expressément exclues pour apprécier le bien-fondé de la demande d'autorisation ; que, dans ces conditions, en autorisant néanmoins les visites et saisies domiciliaires litigieuses en justifiant l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles à partir de procès-verbaux dont les documents justificatifs annexés ont été exclus de l'appréciation des faits, le juge-délégué a privé sa décision de base légale au regard des exigences de l'article 48 susvisé ;

Mais attendu qu'en retenant, d'une part, que la requête s'inscrivait dans une demande d'enquête signée par M. Jérôme Gallot au nom du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie en vertu d'une délégation de signature publiée par arrêté du 30 juin 1997, d'autre part, que les procès-verbaux qui lui étaient présentés au soutien de cette requête avaient été établis en application des articles 46 et 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et en écartant les documents qui ne lui paraissaient pas de nature à établir l'existence de présomptions des agissements invoqués, le président du tribunal, qui a souverainement apprécié la valeur des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a procédé au contrôle qui lui incombait en vertu de l'article 48 de cette ordonnance ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses cinq branches ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 98-30.319, pris en ses deux branches : - Attendu que le GIE IC vidéo reproche à l'ordonnance d'avoir statué comme elle a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il résulte des principes généraux du droit, exprimés notamment dans l'article 495 du nouveau Code de procédure civile, qu'une ordonnance prise à l'insu de la personne à l'égard de laquelle elle est obtenue doit, pour faire la preuve de sa propre régularité, nécessairement comporter en annexe la requête qui en constitue l'unique support légal, de sorte qu'en se bornant à viser une requête qui n'est pas annexée à son ordonnance, et dont les motifs n'ont pas été repris par celle-ci, le président du tribunal de grande instance a violé les textes susvisés ; et alors, d'autre part, que la demande d'enquête du ministre de l'Economie et des Finances doit nécessairement indiquer les entreprises suspectées d'être impliquées dans des pratiques prohibées dont l'enquête a pour objet de rapporter la preuve ; qu'en autorisant des perquisitions et saisies sur la base d'une demande d'enquête qui ne désigne aucunement les entreprises ou sociétés objet de cette enquête, le président du tribunal de grande instance a violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, d'une part, que, si l'ordonnance autorisant des visites ou des saisies doit faire preuve par elle-même de sa régularité, il n'est pas nécessaire à cette fin qu'elle comporte en annexe la requête sur laquelle elle a statué ;

Attendu, d'autre part, que, si l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dispose que les requêtes en autorisation de visite domiciliaire doivent être présentées dans le cadre d'enquêtes demandées par le ministre de l'Economie ou le Conseil de la concurrence, il n'exige nullement que cette demande d'enquête identifie les entreprises concernées ; Que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches, et sur le troisième moyen du pourvoi n° 98-30.319 : - Attendu que le GIE IC vidéo fait aussi grief à l'ordonnance d'avoir statué comme elle a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, si le président du tribunal de grande instance peut laisser au chef de service ayant présenté la requête le soin de désigner lui-même les enquêteurs habilités qui effectueront les perquisitions, c'est à la condition que ces agents enquêteurs soient placés sous l' autorité de ce dernier ; que la Direction nationale des enquêtes de la concurrence n'étant qu'un simple service de coordination sans existence légale et dépourvu de toute autorité sur les agents locaux, il était impossible à M. Sorrentino de désigner régulièrement des agents enquêteurs puisqu'en sa qualité de directeur de la Direction nationale des enquêtes de la concurrence, il ne disposait d'aucun pouvoir hiérarchique sur quiconque ; qu'en lui laissant néanmoins le soin de désigner des enquêteurs pour perquisitionner dans les locaux de l'entreprise IC vidéo, le président du tribunal a violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et le décret n° 95-873 du 2 août 1995 ; alors, d'autre part, que l'ordonnance attaquée ne pouvait davantage, sans violer les mêmes textes, autoriser M. Sorrentino à désigner des enquêteurs habilités en sa qualité de "chef de service régional" dès lors qu'il n'était mentionné ni dans la demande d'enquête, ni dans la requête de M Sorrentino de quel service régional il aurait eu la direction ; et alors, enfin, que, si le président du Tribunal de grande instance de Paris estimait, pour les perquisitions opérées à l'intérieur de son ressort, devoir laisser le soin aux supérieurs hiérarchiquement compétents de désigner ceux de leurs subordonnés qu'ils choisiraient pour effectuer ces perquisitions, il ne pouvait dessaisir les juges désignés dans le cadre de la commission rogatoire de la faculté de désigner eux-mêmes les agents habilités à effectuer les perquisitions dans les entreprises situées dans leur ressort de compétence, en sorte qu'en "laissant le soin" à M. Sorrentino de désigner lui-même les enquêteurs pour l'ensemble des perquisitions en cause, y compris celles devant intervenir hors du ressort du Tribunal de grande instance de Paris, le président de ce tribunal a violé les textes susvisés ;

Mais attendu que le président du tribunal qui autorise une visite domiciliaire peut laisser au chef de service qui a sollicité et obtenu l'autorisation exigée par la loi le soin de désigner les agents chargés d'effectuer les visites et saisies autorisées, dès lors que ces agents sont dûment habilités en qualité d'enquêteurs et qu'ils sont placés sous l'autorité de ce chef de service ; qu'ayant relevé en l'espèce que M. Sorrentino était chef de la Direction nationale des enquêtes de concurrence, service institué par les articles 4 du décret n° 85-1152 du 5 novembre 1985 et 1er de l'arrêté du même jour, ce dont il résulte qu'il avait compétence sur l'ensemble du territoire national, le président du tribunal n'a pas encouru les griefs du moyen en l'autorisant à désigner, parmi les enquêteurs habilités par les arrêtés ministériels des 22 janvier et 11 mars 1993, les agents placés sous son autorité pour effectuer les visites et saisies autorisées ; que les moyens ne sont pas fondés ;

Et sur le quatrième moyen du pourvoi n° 98-30.319 : - Attendu que le GIE IC vidéo fait enfin grief à l'ordonnance d'avoir statué comme elle a fait, alors, selon le pourvoi, que le président du tribunal de grande instance qui donne commission rogatoire aux présidents d'autres tribunaux de grande instance pour faire procéder à des visites et saisies doit faire apparaître d'une manière concrète la nécessité d'une action simultanée dans les différents ressorts ; qu'en énonçant qu'une telle action simultanée était "nécessaire" sans donner aucun autre motif, le président tribunal de grande instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu qu'ayant retenu, par une décision motivée, des présomptions d'agissements communs aux entreprises visées par la demande d'autorisation, le président a fait ressortir la nécessité d'une action simultanée dans les locaux de ces entreprises ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette les pourvois.