Cass. com., 14 juin 2000, n° 99-30.064
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
CGEA Transports (Sté), CGFTE (SA)
Défendeur :
Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Mouillard
Avocat général :
M. Feuillard
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Ricard.
LA COUR : - Joint les pourvois n° 99-30.064 et 99-30.065 qui attaquent la même ordonnance et font état de moyens identiques ; - Attendu que, par ordonnance du 27 novembre 1998, le président du Tribunal de grande instance de Nanterre a, en vertu de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, autorisé des agents de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes à effectuer une visite et des saisies de documents dans les locaux de quatre entreprises, parmi lesquelles les sociétés CGEA Transport et CGFTE, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles prohibées par les points 2 et 4 de l'article 7 de l'ordonnance précitée dans le secteur du transport urbain de voyageurs ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que les sociétés CGEA Transport et CGFTE reprochent à l'ordonnance d'avoir statué comme elle a fait alors, selon les pourvois, d'une part, que le juge devant, à peine d'irrégularité de sa décision, viser, décrire et analyser les pièces remises par l'Administration requérante pour déduire l'existence de présomptions d'agissements illicites, ne satisfait pas aux exigences légales et viole l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'ordonnance attaquée qui, après avoir écarté une lettre des sociétés CTS-CTAC du 9 juin 1997 (ordonnance p. 10) et une offre de candidature de l'entreprise VIA GTI (ordonnance p. 10) comme n'étant pas utiles à la qualification des présomptions de pratiques prohibées (ordonnance p. 16 et 17) se fonde ultérieurement (p. 23 et 24) sur ces mêmes documents pour affirmer qu'ils sont de nature à présumer de telles pratiques ; alors, d'autre part, qu'en se fondant sur ces deux éléments de preuve qu'il avait dans un premier temps déclaré devoir écarter du dossier de pièces sur lesquelles l'Administration pouvait légalement prétendre se fonder pour procéder à des perquisitions, le président du tribunal de grande instance a commis un excès de pouvoir et violé derechef l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, en outre, que l'autorisation de procéder à des perquisitions résultant d'une simple ordonnance rendue sur une requête, c'est-à-dire sans respect du contradictoire, il appartient au juge d'analyser tous les documents en possession de l'Administration et que celle-ci est tenue de lui remettre, afin d'apprécier celles d'entre elles qui sont de nature à établir la preuve des pratiques illicites alléguées et celles qui, à l'inverse, sont de nature à exclure de telles pratiques, de sorte qu'en écartant a priori, et sans la moindre analyse, 75 pièces que détenait l'Administration et qu'elle produisait à l'appui de sa requête, le président du tribunal de grande instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, enfin, qu'en rendant sa décision au visa d'un certain nombre de pièces (extraits du registre des délibérations du conseil de la communauté urbaine de Nancy en date des 20 juin 1997 (ordonnance p. 3) et 7 novembre 1997 (ordonnance p. 4), un rapport du président du syndicat mixte au comité syndical de Lille (ordonnance p. 11), des lettres de la SITP aux sociétés TRANSDEV, CGFTE, STAVS et VIA GTI (ordonnance p. 8) pièces qui n'ont fait l'objet d'aucune analyse et dont l'ordonnance ne précise même pas si elles ont été retenues ou écartées, le président du tribunal de grande instance a violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu, en premier lieu, que si le président mentionne qu'il écarte comme inutiles les deux pièces visées au moyen, puis les retient ultérieurement parmi celles fondant son appréciation selon laquelle il existe des présomptions de pratiques anticoncurrentielles, cette apparente contradiction, qui n'est que le fruit d'une erreur de plume devant être corrigée selon ce que la raison commande, ne porte pas préjudice aux sociétés concernées dès lors que les pièces en cause ont été visées et analysées dans l'ordonnance et qu'il n'est pas allégué qu'elles auraient été détenues illicitement par l'Administration ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain, et en se référant à ceux des éléments d'information fournis par l'Administration qu'il a retenus, qu'il existait des présomptions d'agissements visés par la loi justifiant la recherche de la preuve de ces agissements au moyen d'une visite et de saisie de documents s'y rapportant, le président du tribunal a satisfait aux exigences de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et il ne peut lui être fait grief d'avoir délaissé certaines pièces qu'il n'a pas jugées utiles à son raisonnement ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses quatre branches ;
Sur les deuxième et quatrième moyens, ce dernier pris en ses deux branches, réunis : - Attendu que les sociétés CGEA Transport et CGFTE font grief à l'ordonnance d'avoir ainsi statué alors, selon les pourvois, d'une part, que le président du tribunal de grande instance ne peut autoriser des perquisitions et saisies sur le fondement de pièces obtenues par l'Administration dans le cadre d'une enquête antérieure sans mentionner l'objet de celle-ci, ni s'expliquer sur les conditions dans lesquelles ces pièces ont été distraites de cette précédente enquête pour être présentées à l'appui d'une demande de perquisitions, en sorte que l'ordonnance attaquée, qui se borne à énoncer que les sept procès-verbaux de communication ont été établis "dans les conditions prévues à l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986", et qui ne précise pas l'objet de l'enquête préalable à laquelle elle se réfère ainsi implicitement, pas plus qu'elle ne s'explique sur les conditions dans lesquelles l'Administration requérante avait obtenu communication de ces pièces, prive sa décision de base légale au regard des textes susvisés ; alors, d'autre part, que le président du tribunal de grande instance ne peut se fonder sur des pièces dont il n'a pas constaté l'origine apparemment licite ; qu'en l'espèce, l'ordonnance attaquée, qui s'est fondée sur des lettres du syndicat intercommunal des transports publics de Cannes-Le Cannet, datées du 22 mai 1996 invitant les sociétés TRANSDEV, CGFTE et VIA GTI à une réunion le 12 juin 1996 (ordonnance p. 22, 5e alinéa), ainsi que sur des lettres du conseil général du Calvados du 2 décembre 1996 envoyant un dossier complet de candidature à TRANSDEV, ADC VERNEY et VIA GTI (ordonnance p. 23 in fine) dont il n a pas été constaté l'origine apparemment licite, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, enfin, que si l'ordonnance peut être fondée sur des renseignements issus d'une banque de données informatisée, il appartient au président du tribunal de s'assurer que celle-ci ne donne pas la définition du profil ou de la personnalité de la personne concernée, sauf à s'expliquer sur la procédure d'accès à cette banque de données, afin que la partie poursuivie et la Cour de Cassation puissent être en mesure de contrôler ultérieurement que cette source informatique est conforme aux exigences tant de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 que de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de sorte que l'ordonnance attaquée qui s est fondée sur des éléments tirés de la banque de données "S & W sans s'assurer qu'elle était conforme aux règles définies ci-dessus et sans indiquer quel est le procédé d'accès à cette banque de données, a privé sa décision de base légale au regard des textes précités ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'ordonnance précise que la lettre du syndicat intercommunal des transports publics de Cannes-Le Cannet ainsi que la lettre du conseil général du Calvados, visées par le moyen, ont été communiquées à l'Administration, respectivement, par le secrétaire administratif du syndicat et par le responsable du service des transports au conseil général ;
Attendu, en second lieu, qu'en constatant, d'un côté, que certaines pièces avaient été obtenues par l'Administration dans l'exercice de son droit de communication auprès de professionnels ou des services et collectivités publiques de l'Etat, tels que prévus par les articles 47 et 51 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de l'autre, que plusieurs pièces étaient les consultations d'une banque de données informatisée accessible au public, le président du tribunal a procédé au contrôle qui lui incombait, toute autre contestation quant à la licéité de ces pièces relevant du contentieux au fond dont peuvent être saisies les autorités de décision éventuellement appelées à statuer sur les résultats de la mesure autorisée; que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que les sociétés CGEA Transport et CGFTE font encore grief à l'ordonnance d'avoir statué ainsi qu'elle a fait alors, selon les pourvois, d'une part, que le juge ne peut autoriser des visites et saisies dont l'objet n'est assorti de limitation ni quant aux marchés concernés, ni quant aux périodes auxquelles ils ont été passés, de sorte qu'en autorisant les enquêteurs à rapporter la preuve de pratiques illicites "dans le secteur du transport urbain de voyageurs", sans autre précision, le président du tribunal de grande instance, qui a autorisé ainsi ces agents à étendre leurs investigations à tout type de marché de transport urbain (autobus, métro, tramway, etc...) passé en quelque lieu du territoire national, et à quelque époque que ce soit, a excédé ses pouvoirs et a violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, d'autre part, que l'ordonnance attaquée n'a visé dans ses motifs que des agissements présumés à l'occasion de la passation de certains marchés locaux (essentiellement des villes du Nord et de l'Est de la France) et n'a nullement relevé que la preuve des ententes présumées pour ces marchés n'aurait pu être utilement rapportée qu'en appréhendant le marché des transports urbains de voyageurs en se plaçant au plan national ;
Mais attendu qu'en autorisant des visites et saisies à seule fin d'apporter la preuve de pratiques concertées prévues par les points 2 et 4 de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans le secteur du transport urbain de voyageurs, telles qu'il les avait analysées dans son ordonnance, le président du tribunal n'a pas permis aux enquêteurs d'étendre leurs investigations à des faits sans rapport avec ceux qu'il avait retenus ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et sur le cinquième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que les sociétés CGEA Transport et CGFTE reprochent enfin à l'ordonnance d'avoir accordé l'autorisation demandée alors, selon les pourvois, d'une part, que l'ordonnance qui, d'un côté, constate que la société GTI était l'ancien attributaire du marché de Calais (p. 29, 5e attendu), tout en retenant dans le même temps que l'ancien attributaire de ce marché était la société STCE, filiale de la société CGEA (ordonnance p. 21, 1er et dernier alinéa, et p. 27, 4e attendu) et qui, de l'autre, constate que l'actuel titulaire de ce marché est la société STCE (ordonnance p. 21, dernier alinéa, et p. 28, dernier alinéa) et la société GTI (ordonnance 5e attendu), se détermine par des motifs totalement contradictoires et prive sa décision de base légale au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, que la constatation de l'existence d'une entente est incompatible avec la constatation contradictoire de l'existence d'une concurrence vive sur un même appel d'offres, déduite notamment, de ce que les candidats ont été écartés non par d'autres entreprises suspectées d'entente mais par l'autorité chargée du marché pour des motifs objectifs tenant à la qualité ou aux conditions de leurs offres ; que, dès lors, l'ordonnance attaquée, qui a relevé que de nombreuses entreprises ont présenté leur candidature à divers appels d'offres et ont été écartées par les communes ou syndicats procédant à l'appel d'offres, ne pouvait affirmer l'existence d'une entente sans violer derechef le texte susvisé ; alors, enfin, que l'ordonnance attaquée qui constatait que les sociétés Cariane, (pour la ville de Calais, p. 21, avant dernier alinéa), Verney (pour la ville de Calais, p. 21, 1er alinéa), STAVS (pour le SITP, p. 22, 5e et 6e alinéas), ADC Verney, Amand et Rollo (pour le Conseil général du Calvados, p. 23, 8e alinéa), et la RATP et le groupement Cariane-SRWT-TEC-SNCF (pour le CU de Lille, p. 25, 6e alinéa) avaient soumis des offres concernant les marchés visés et étaient donc en concurrence avec les entreprises suspectées d'entente ne pouvait affirmer dans le même temps qu'il n'existait aucune concurrence sur ces mêmes marchés ; qu'en se déterminant par de tels motifs incohérents et contradictoires, le président du tribunal de grande instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu que, sous le couvert des griefs infondés de contradiction des motifs, violation de la loi et manque de base légale, le moyen ne tend qu'à discuter la valeur des éléments retenus par le juge, parmi ceux présentés par l'Administration, pour fonder son appréciation selon laquelle il existait des présomptions d'agissements visés par la loi justifiant la recherche de la preuve de ces agissements au moyen d'une visite en tous lieux, même privés, et d'une saisie de documents s'y rapportant ; qu'il est inopérant ;
Par ces motifs : rejette les pourvois.