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Décisions

Cass. com., 25 janvier 2000, n° 98-30.291

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Les Travaux du Midi (Sté), Campenon Bernard Sud (SNC), Méridionale de construction et de bâtiment (SNC)

Défendeur :

Directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Delaporte, Briard, Me Ricard.

TGI Marseille, prés., du 11 juin 1998

11 juin 1998

LA COUR : - Joint les pourvois n° 98-30.291 et n° 98-30.292 qui attaquent la même ordonnance ; - Attendu que, par ordonnance du 11 juin 1998, rectifiée le 12 juin suivant, le président du Tribunal de grande instance de Marseille a, en vertu de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, autorisé des agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes à effectuer une visite et des saisies de documents dans les locaux de 13 entreprises, parmi lesquelles la société Campenon Bernard Sud (CBS), la société Méridionale de construction et bâtiment (MCB) et la société Les Travaux du midi, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles prohibées par les points 2 et 4 de l'article 7 de l'ordonnance précitée dans le secteur des marchés ou lots soumis à appels d'offres par le Conseil général des Bouches-du-Rhône en matière de gros œuvre pour la réhabilitation de collèges à structure métallique ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 98-30.292 : - Attendu que les sociétés CBS et MCB font grief à l'ordonnance d'avoir ainsi statué alors, selon le pourvoi, que la délégation de signature, laquelle consiste pour une autorité à attribuer à une personne placée sous sa direction le pouvoir de prendre pour elle des décisions, sans pour autant se dessaisir du pouvoir dont elle est originairement titulaire, doit être donnée par l'autorité même dont la signature est déléguée, en sorte que la délégation de signature donnée par un délégataire constitue une subdélégation illégale ; que le pouvoir de demander une enquête et d'apprécier dans ce cadre l'opportunité de solliciter l'autorisation judiciaire pour procéder à des visites domiciliaires et saisies tendant à la recherche d'agissements prohibés par l'ordonnance du 1er décembre 1986 ressortit aux compétences exclusives et concurrentes du ministre de l'économie et des finances et du Conseil de la concurrence ; qu'il en résulte que seul le ministre de l'économie et des finances ou le Conseil de la concurrence peut déléguer à un agent de l'Administration le pouvoir d'apprécier l'opportunité de saisir le juge judiciaire aux fins que les enquêteurs de la Direction nationale de la concurrence se fassent autoriser à procéder à des visites domiciliaires et saisies dans les sociétés concernées, à l'exclusion de la personne à laquelle il a délégué sa signature, fût-ce régulièrement ; qu'en l'espèce, la lettre du 4 mai 1998, signée par M. Gallot, délégataire de signature du ministre, et prévoyant que M. Bedos "pourra, en tant que de besoin, lui-même ou tout fonctionnaire de catégorie A désigné par lui pour le représenter, saisir le président du tribunal de grande instance compétent ou le juge délégué par lui pour obtenir l'autorisation de visite et de saisie prévue à l'article 48 de l'ordonnance", laisse à M. Bedos le pouvoir d'apprécier l'opportunité de solliciter l'autorisation judiciaire, de telle sorte qu'elle lui consent ainsi une subdélégation de signature illégale ; qu'en jugeant néanmoins recevable la requête présentée par M. Bedos, laquelle s'inscrivait dans la dépendance d'une subdélégation de signature illégale, le président du Tribunal de grande instance de Marseille a violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que, si les demandes de visites et saisies prévues par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 doivent être présentées dans le cadre d'enquêtes demandées soit par le ministre chargé de l'économie, soit par le Conseil de la concurrence, ce texte n'exige pas qu'elles émanent du ministre lui-même ni de son délégataire, ou du Conseil de la concurrence; qu'il s'ensuit qu'est régulière la lettre par laquelle M. Gallot, Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, agissant en vertu d'une délégation permanente de signature du ministre délégué aux finances et au commerce extérieur, a prescrit à M. Bedos, chef de la brigade inter régionale d'enquête Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon, Corse, de mener une enquête, en lui laissant la faculté de demander, le cas échéant, une autorisation de visite domiciliaire; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 98-30.291 : - Attendu que la société les travaux du Midi reproche à l'ordonnance d'avoir statué comme elle a fait alors, selon le pourvoi, que le juge, statuant en vertu de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ne peut se référer qu'aux documents produits par l'Administration demanderesse détenus par celle-ci de manière apparemment licite ; que les documents soumis aux commissions d'ouverture des plis d'appels d'offres ne sont pas publics ; que, si un fonctionnaire de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes est membre, en cette qualité, de la commission d'ouverture des plis d'appels d'offres et peut à ce titre informer son administration, aucune disposition ne l'autorise à transmettre à des fins de divulgation les documents soumis à la DGCCRF, sauf à celle-ci à user de son droit de communication officiel, prévu par l'article 51 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en ne recherchant pas, en l'espèce, si l'Administration ne détenait pas les pièces annexées à sa requête au mépris du principe du secret des votes, le président du tribunal, qui ne constate pas que la DGCCRF ait usé, en vertu de l'article 51 de l'ordonnance susvisée, de son droit de communication officiel, a privé sa décision de base légale au regard de ce principe et des articles 94 ter et 299 et suivants du Code des marchés publics ;

Mais attendu qu'après avoir rappelé, non seulement que le Directeur Départemental de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes ou son représentant légal est appelé à participer aux commissions d'appels d'offres en application de l'article 279 du Code des marchés public, mais aussi qu'en vertu de l'article 51 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les enquêteurs peuvent, sans se voir opposer le secret professionnel, accéder à tout document ou élément d'information détenu par les services et établissements de l'Etat et des autres collectivités publiques, le président a relevé, pour retenir que les documents relatifs aux appels d'offres annexés à la requête étaient détenus licitement par l'Administration, qu'ils avaient été communiqués aux enquêteurs, soit sur leur demande, soit spontanément, par les services de la Préfecture des Bouches-du-Rhône; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 98-30.291, pris en ses deux branches : - Attendu que la société les travaux du Midi fait aussi grief à l'ordonnance d'avoir statué comme elle a fait alors, selon le pourvoi, qu'en autorisant les "enquêteurs habilités" par l'arrêté du 22 janvier 1993 et l'arrêté du 11 mars 1993 à procéder à l'ensemble des visites et saisies relatives aux pratiques énoncées dans son ordonnance, le président du tribunal, qui a délivré ainsi à tout agent remplissant les conditions visées par ces textes, fût-il ou non placé sous l'autorité de M. Bedos, l'autorisation de perquisitionner dans les locaux de la société demanderesse, a violé les textes susvisés et l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, d'autre part, qu'en autorisant tout agent légalement habilité à perquisitionner dans les locaux, tout en s'abstenant de les désigner nommément, le tribunal a méconnu ses pouvoirs et violé de plus fort encore les textes susvisés ;

Mais attendu qu'après avoir reconnu le bien fondé de la demande d'autorisation, le président a précisé, ainsi qu'il en avait la faculté, qu'il laissait le soin à M. Gérard Bedos, directeur régional, chef de la brigade interrégionale d'enquête Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon, Corse, de désigner parmi les enquêteurs habilités par les arrêtés des 22 janvier et 11 mars 1993 modifiés, ceux placés sous son autorité pour effectuer les visites et les saisies autorisées dans les limites de leur compétence territoriale ; qu'en se prononçant ainsi, le président, qui n'a pas méconnu ses pouvoirs, a satisfait aux exigences de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les deuxième et troisième moyens, réunis, du pourvoi n° 98-30.292 : - Attendu que les sociétés CBS et MCB reprochent encore à l'ordonnance d'avoir accordé l'autorisation demandée en constatant, pour mener les visites, les concours de M. Francis Filippi, directeur départemental des Alpes-Maritimes, et de M. Christian Gault, directeur départemental du Vaucluse, habilités par arrêté du 22 janvier 1993, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le directeur régional de la Concurrence, chef de la brigade interrégionale qui a sollicité et obtenu l'autorisation de procéder à des visites domiciliaires peut désigner des agents, dûment habilités en qualité d'enquêteurs, pour effectuer les visites et saisies autorisées à la condition qu'ils soient placés sous son autorité ; qu'il résulte des textes visés par l'ordonnance attaquée que les directeurs départementaux agissent, dans le cadre de leurs attributions, sous la seule autorité du directeur général de la concurrence, à l'exclusion de celle du directeur régional et du chef de la brigade interrégionale des enquêtes ; qu'en accueillant néanmoins la demande de M. Bedos, directeur régional et chef de la brigade interrégionale d'enquête en matière de concurrence, ayant sollicité et obtenu l'autorisation de procéder à des visites et saisies dans les locaux des entreprises incriminées, tendant à obtenir la désignation de MM. Filippi et Gault, directeurs départementaux, pour effectuer les visites autorisées au sein d'une partie des sociétés incriminées, au motif inopérant tiré de la dispersion géographique des locaux à visiter, sans constater que M. Bedos avait autorité sur MM. Filippi et Gault, le président du Tribunal de grande instance de Marseille a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 4, alinéas 3 et 4 du décret n° 95-873 du 2 août 1995 et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, d'autre part, que le président du tribunal de grande instance peut s'abstenir de désigner les agents, dûment habilités en qualité d'enquêteurs, chargés d' effectuer les visites et saisies autorisées, à la double condition, d'abord, de laisser le soin au directeur régional qui a sollicité et obtenu l'autorisation d'effectuer ces visites et saisies de procéder à ces désignations et, ensuite, que les enquêteurs ainsi désignés soient placés sous l'autorité du requérant ; qu'en laissant à MM. Filippi et Gault, directeurs départementaux qui n'étaient pas demandeurs à l'autorisation, le soin de désigner les enquêteurs chargés d'effectuer les visites et saisies, parmi ceux qui se trouvaient placés sous leur autorité, et non sous celle du directeur régional, M. Bedos, qui avait seul sollicité et obtenu l'autorisation litigieuse, le président du tribunal de grande instance a violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que le président du tribunal statuant en application de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 peut autoriser des agents de l'administration autres que ceux qui présentent la demande à procéder aux visites et saisies, dès lors qu'ils sont habilités par le ministre chargé de l'économie à procéder aux enquêtes prévues par ce texte ; qu'ayant retenu, par une décision motivée, des présomptions d'agissements communs aux entreprises visées par la demande d'autorisation nécessitant une action simultanée dans les locaux de ces entreprises et ayant relevé que certains de ces locaux étaient situés hors de la compétence territoriale du chef de la brigade interrégionale d'enquête Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon, Corse qui lui présentait la requête, le président du tribunal a pu autoriser le directeur départemental des Alpes-Maritimes et celui du Vaucluse à lui apporter leur concours pour les opérations relevant de leur compétence territoriale, notamment en désignant, parmi les enquêteurs habilités, ceux placés sous leur autorité pour effectuer les visites et saisies autorisées ; que les moyens ne sont pas fondés ;

Et sur le troisième moyen du pourvoi n° 98-30.291, pris en ses deux branches : - Attendu que la société les travaux du Midi fait enfin grief à l'ordonnance d'avoir autorisé la visite et saisie dans ses locaux alors, selon le pourvoi, d'une part, que si le président du tribunal dispose d'un pouvoir souverain d'appréciation pour déterminer, parmi les entreprises concernées par les marchés suspectés d'entente, celles qui doivent faire l'objet de perquisitions et de saisies, il lui appartient de motiver sa décision à cet égard ; qu'en écartant du champ de l'enquête les entreprises SOGEA et Vaucluse Provence, dont il constate pourtant qu'elles ont été attributaires de marchés, sans en donner d'explication ou de motif cohérent, le président du tribunal, qui n'a pas motivé, du même coup, sa décision d'autoriser des perquisitions dans les locaux des autres entreprises, a entaché sa décision d'un excès de pouvoir et violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, qu'en énonçant qu'il était "vraisemblable que les documents utiles à l'apport de la preuve se trouvent dans les locaux des entreprises concernées par les marchés en cause dont les entreprises SOGEA et Vaucluse Provence", tout en décidant d'exclure ces trois entreprises seulement du champ des perquisitions, le président du tribunal a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la société Les Travaux du Midi est sans qualité pour critiquer la décision en ce qu'elle n'a pas étendu à des sociétés tierces les mesures de visite domiciliaire qu'elle autorisait ; que le moyen est irrecevable en chacune de ses deux branches ;

Par ces motifs : rejette les pourvois.