Conseil Conc., 7 juillet 1992, n° 92-D-44
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques relevées lors de la XXe foire-exposition Velay-Auvergne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Adopté le 7 juillet 1992, sur le rapport de Mme Galene (Renée), par M. Béteille, vice-président présidant la séance, M. Bon, Mmes Hagelsteen, Lorenceau, MM. Schmidt, Sloan, membres.
Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre enregistrée le 5 septembre 1990 sous le numéro F 348 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques d'éviction de candidatures d'exposants lors de la XXe foire exposition Velay-Auvergne ; Vu l'ordonnance n° 86-1309 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu l'ordonnance n° 45-2088 du 11 septembre 1945 relative aux foires et salons, le décret n° 69-948 du 10 octobre 1969 et l'arrêté du 7 avril 1970 relatifs aux manifestations commerciales, modifiés ; Vu les observations présentées par le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du commerce et de l'artisanat ; Vu les observations présentées par les parties et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties ayant demandé à présenter des observations orales entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés ;
I. - CONSTATATIONS
La foire-exposition Velay-Auvergne :
La foire-exposition Velay-Auvergne se tient tous les deux ans au Puy-en-Velay. La XXe foire-exposition, qui s'est tenue du 30 avril au 8 mai 1989 a regroupé prés d'une centaine d'exposants.
Les secteurs agriculture et industries agroalimentaires, bâtiment, travaux publics et intérieur de la maison y sont les mieux représentés. La XXe foire exposition a attiré près de 90 000 visiteurs.
Cette manifestation est organisée par une association régie par la loi de 1901 dénommée Foire-Exposition Velay-Auvergne. Constituée en 1952, l'association compte douze membres actifs, personnes physiques exerçant dans divers secteurs d'activité, notamment le commerce d'automobile, de matériel agricole, de pneumatiques, d'appareils électroménagers. Elle est gérée par un conseil d'administration composé des douze membres actifs et dirigé par un bureau de six membres. Sont notamment membres de l'association et de son conseil d'administration MM. Legat, Sabatier et Longo, responsables respectivement des entreprises Etablissements P. Favier et Cie SA (chiffre d'affaires hors taxes en 1991 : 68 642 061 F), J. Sabatier et Cie SA (chiffre d'affaires hors taxes en 1991 : 28 047 091 F) et SA des Etablissements Longo et Cie (chiffre d'affaires hors taxes en 1991 : 4 154 380 F). En 1989, le chiffre d'affaires net hors taxes réalisé par l'association a atteint 1 430 259 F, les recettes de parrainage 235 390 F et les cotisations des membres actifs 1100 F.
L'organisation des foires et salons est soumise aux dispositions de l'ordonnance n° 45-2088 du 11 septembre 1945, du décret n° 69-948 du 10 octobre 1969 modifié et de l'arrêté du 7 avril 1970. Aux termes de ces textes, la tenue des foires et salons est soumise à autorisation délivrée soit par le ministre chargé du commerce, soit par le préfet du département où doit avoir lieu la manifestation. L'article 5 du décret du 10 octobre 1969 dispose " qu'une manifestation commerciale autorisée peut être agréée par le ministre du commerce. L'agrément est la reconnaissance officielle de l'intérêt économique de cette manifestation ". Selon l'article 1er de l'arrêté du 7 avril 1970, l'agrément ne peut être accordé qu'aux manifestations soumises â un règlement intérieur approuvé par le ministre chargé du commerce. Un modèle de règlement intérieur intitulé Règlement général des manifestations commerciales a été élaboré par les organisations professionnelles du secteur et approuvé par le directeur général du commerce intérieur et des prix par lettre du 3 juillet 1970. Ce règlement général disposait en son article 11-7 que " l'organisateur reçoit les demandes et statue sur les admissions sans être tenu de motiver ses décisions ". Il a été indiqué en cours de séance que cette disposition a été supprimée. La XXe foire-exposition Velay-Auvergne a été autorisée par arrêté préfectoral mais n'a pas bénéficié de l'agrément ministériel. L'article 2 de son règlement général reprend, en ce qui concerne l'admission, les dispositions précitées contenues dans le Règlement général des manifestations commerciales.
Le marché concerné
La foire-exposition Velay-Auvergne qui permet aux entreprises de présenter à leur clientèle, sur des emplacements loués à cet effet, les produits qu'elles commercialisent et d'en assurer la promotion, en un lieu où se rencontrent l'offre et la demande, constitue le marché concerné en l'espèce.
Les pratiques
L'éviction des sociétés SA Jamet Pneus, Etablissements Vidal et SARL Cuisines Plus de la XXe foire-exposition :
Au cours du mois de décembre 1988, les entreprises SA Jamet Pneus, établissements Vidal et SARL Cuisines Plus, respectivement commerçants en pneus, en matériel agricole et en appareils électroménagers et installations de cuisines, reçoivent de l'association Foire-Exposition Velay-Auvergne un dossier de demande d'admission à la XXe foire. Lors du dépôt de leur candidature au siège de l'association au début de l'année 1989, un emplacement leur est immédiatement attribué après versement d'un chèque de caution. Mais au cours de sa réunion du 6 mars 1989, le conseil d'administration de l'association décide de ne pas retenir la candidature des trois entreprises, sans avancer de motif et les informe de leur éviction par courrier du 7 mars 1989.
Selon les déclarations faites aux enquêteurs par M. Dussap, ancien président de l'association, la candidature de la société Jamet Pneus a été refusée en raison de la " mauvaise qualité " de ses produits. La société estime pour sa part avoir été évincée en raison de sa " politique commerciale agressive ".
L'éviction de la société Etablissements Vidal a été expliquée en ces termes au cours de l'enquête par M. Legat, responsable des Etablissements P. Favier et membre du conseil d'administration de l'association : " M. Sabatier, à Darsac (exposant comme moi dans le même secteur des machines agricoles), membre du bureau de la Foire du Puy-en-Velay, est intervenu avec moi-même, sans concertation préalable... pour faire en sorte de refuser la demande de M. Vidal.. D'une part, j'estime qu'il n'y avait plus de surfaces disponibles, d'autre part, parce que M. Vidal commercialise des produits concurrents aux miens, à faible marge, sans assurer le SAV. Je considère qu'il s'agit d'une forme de concurrence déloyale ".
M. Dussap a par ailleurs déclaré que "la demande présentée par M. Vidal a fait l'objet d'un rejet pur et simple en raison des prix discount pratiqués par M. Vidal ". Il a indiqué que cette décision a été prise " du fait des interventions de M. Sabatier et de M. Legat ".
L'éviction de la SARL Cuisines Plus a, selon son responsable, M. Abadie, été décidée en raison de sa " politique commerciale jugée trop agressive ", consistant en la diffusion de " nombreux messages publicitaires pendant la foire de 1987 ". M. Abadie indique avoir appris que son éviction avait été suscitée par son concurrent, la SA des Etablissements Longo et Cie, dirigée par M. Longo, qui est par ailleurs vice-président de la chambre de commerce et d'industrie de Puy-en-Velay et aujourd'hui vice-président de l'association Foire-Exposition Velay-Auvergne. M. Longo a, pour sa part, déclaré que lors de la précédente foire-exposition, la société Cuisines Plus avait mis en œuvre des pratiques illicites de ventes avec primes, en proposant gratuitement des appareils ménagers pour la vente d'une cuisine équipée. Pour cette raison, et dans le " seul souci de faire appliquer la législation ", il n'a pas " en qualité de membre de conseil d'administration de la foire et de représentant du SCREM (Syndicat des commerçants et revendeurs en électroménager), cru devoir donner un avis favorable à l'agrément de la candidature de Cuisines Plus ".
Les relations entre le Syndicat du matériel agricole (SEDIMA) et l'association Foire-Exposition Velay-Auvergne :
Selon les déclarations de M. Dussap, ancien président de l'association, les entreprises Etablissements Vidal et SA Jamet Pneus avaient été exclues de la XXe foire-exposition sur " intervention " de deux membres de l'association, MM. Sabatier et Legat, également revendeurs de matériels agricoles. M. Dussap a précisé que "la justification donnée était une entente entre le Syndicat du matériel agricole de Haute-Loire et les responsables de la foire Velay-Auvergne... qui visait à évincer du marché et donc de la foire, tous les discounters ".
II - SUR LA BASE DES CONSTATIONS QUI PRÉCÉDENT,
LE CONSEIL
Sur les relations entre le Syndicat du matériel agricole (SEDIMA) et l'association Foire-Exposition Velay Auvergne:
Considérant que ni l'enquête administrative, ni l'instruction auxquelles il a été procédé n'ont permis d'établir l'existence d'une entente entre le SEDIMA et l'association Foire-Exposition Velay-Auvergne visant à exclure de la XXe foire-exposition les entreprises de revente de matériel agricole pratiquant des prix bas ; qu il ne peut donc leur être fait grief d'avoir enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Sur l'éviction de la SA Jamet Pneus et de la SARL Cuisines Plus :
Considérant que l'éviction d'une entreprise d'une manifestation commerciale ne revêt un caractère anticoncurrentiel que si elle a pour objet ou peut avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur un marché ;
Considérant que les seules déclarations du responsable de la SA Jamet Pneus selon lesquelles l'éviction de cette entreprise a été décidée dans un but anticoncurrentiel, ne sauraient suffire à établir l'existence d'une pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance de 1986 ;
Considérant qu'il n'est pas davantage établi au vu des éléments du dossier, que l'éviction de la SARL Cuisines Plus résulte d'une pratique concertée ayant un objet et pouvant avoir un effet anticoncurrentiel ;
Sur l'éviction des Etablissements Vidal :
Considérant qu'il ressort en revanche des constatations ci-dessus que l'association Foire-Exposition Velay-Auvergne, donc certains responsables sont les dirigeants d'entreprises commerciales et industrielles de la région, a procédé à l'éviction de la société Vidal de la XXe foire-exposition en raison de la politique commerciale suivie par cette dernière ;
Considérant que l'association Foire-Exposition Velay-Auvergne n'est pas fondée à invoquer " l'absence des éléments d'une entente prohibée par l'article 7 de l'ordonnance de 1986 " dans la mesure où, au contraire, les décisions prises par son conseil d'administration révèlent l'existence d'une telle entente ;
Considérant qu'il ne peut être soutenu que l'éviction de la société Vidal était justifiée par le manque de place alors que, d'une part, un emplacement lui avait été immédiatement attribué dès son inscription, et que, d'autre part, cinq nouveaux exposants en matériel agricole ont été admis sans qu'il soit prouvé que leur demande d'admission était antérieure à celle des Etablissements Vidal ; que des augmentations de surfaces d'exposition ont été accordées en outre à plusieurs exposants ;
Considérant, que dans ces conditions, la décision d'éviction des Etablissements Vidal, prise par l'association Foire-Exposition Velay-Auvergne afin d'empêcher cette entreprise de bénéficier d'un emplacement et préserver ainsi les intérêts de ceux de ses membres qui en étaient les concurrents directs, tombe sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant que les entreprises Etablissements P. Favier et Cie SA et J. Sabatier et Cie SA ne sont pas membres de l'association ; que, dès lors, elles ne peuvent être sanctionnées pour une participation à l'entente organisée par leurs responsables au sein de celle-ci ;
Considérant qu'il est soutenu que les pratiques dénoncées relèvent de l'application du 1 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que les évictions ont été prononcées en vertu des dispositions contenues dans l'article 11-7 du règlement général des foires-expositions approuvé par le ministre du commerce, selon lesquelles " l'organisateur reçoit les demandes et statue sur les demandes sans être tenu de motiver ses décisions ", ces dispositions étant reprises dans le règlement de la XXe foire-exposition Velay-Auvergne ;
Mais considérant que le règlement général des manifestations commerciales, bien qu'approuvé par le ministre du commerce, ne constitue pas un texte législatif ou réglementaire au sens du 1 de l'article 10 de l'ordonnance de 1986 ;
Considérant qu'il n'est ni allégué ni établi que les dispositions du 2 de l'article 10 de l'ordonnance de 1986 peuvent trouver application en l'espèce ;
Considérant qu'il y a lieu de faire application de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en infligeant une sanction pécuniaire à l'association Foire-Exposition Velay-Auvergne, sanction dont le montant doit être fixé en tenant compte de l'importance régionale d'une telle manifestation économique, de la capacité contributive de l'association et des recettes encaissées par celle-ci en 1989,
Décide:
Article 1er
Il est donné acte à l'association Foire-Exposition Velay-Auvergne de la modification des dispositions de son règlement intérieur concernant l'absence de motivation des décisions de refus d'admission.
Article 2
Il est infligé à l'association Foire-Exposition Velay-Auvergne une sanction pécuniaire de 100 000 F.
Article 3
Dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, l'association Foire-Exposition Velay-Auvergne fera publier, à ses frais, le texte intégral de celle-ci dans le journal L'Eveil de la Haute-Loire. Cette publication sera précédée de la mention " Décision du Conseil de la concurrence en date du 7 juillet 1992 relative à des pratiques mises en œuvre lors de la XXe foire-exposition Velay-Auvergne ".