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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 10 janvier 1991, n° 90-14062

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Montres Rolex (SAF)

Défendeur :

René Agnel Paris Opéra 2 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boscheron

Conseillers :

Mmes Ferrand Amar, Dintilhac

Avoués :

SCP Gauzère, Lagourgue, SCP Daniel Lamazière, Cossec

Avocats :

Mes Faure Delabare, Venon.

T. com. Paris, ord. réf., du 14 juin 199…

14 juin 1990

LA COUR statue sur l'appel interjeté selon la procédure à jour fixe par la société SAF Montres Rolex d'une ordonnance de référé rendue le 14 juin 1990 par le Président du Tribunal de commerce de Paris qui lui a ordonné de continuer à honorer les commandes de la société René Agnel Paris Opéra 2 jusqu'à la décision du juge du fond, actuellement saisi selon les modalités précisées aux motifs de ladite ordonnance, qui a dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples ou contraires et qui l'a condamnée à payer à la société René Agnel Paris Opéra 2 la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La Cour se réfère pour l'exposé des faits de la cause et de la procédure antérieure à l'ordonnance entreprise.

Il suffit de rappeler que la société Paris Opéra 2 exploitant un fonds de commerce de vente au détail de parfumerie, maroquinerie, articles de Paris, bijouterie, joaillerie et horlogerie dans le 1er arrondissement de Paris a assigné en référé la société des Montres Rolex sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 aux fins d'obtenir sa condamnation à satisfaire sous astreinte à ses commandes.

En cet état est intervenue l'ordonnance déférée.

Au soutien de son appel la société des Montres Rolex demande à la Cour de déclarer nulle l'assignation introductive d'instance visant des faits et une condamnation amnistiés par l'effet de la loi du 4 août 1981 et par voie de conséquence l'ordonnance entreprise.

A titre subsidiaire elle demande à la Cour de rejeter des débats toutes pièces relatives à la procédure pénale ayant abouti à l'arrêt du 19 janvier 1982 de la Cour d'appel de Paris.

Elle fait valoir au fond qu'elle a organisé depuis plusieurs années un réseau de distribution sélective qui réserve aux seuls points de vente agréés ayant signé les accords de distribution l'exclusivité de la vente des produits Rolex ; que la société Paris Opéra 2 n'a rien fait pour se mettre en conformité avec les critères de sélection des distributeurs Rolex ; que l'attitude de la société Paris Opéra 2 et la mauvaise foi dont elle a fait preuve en exigeant puis en refusant d'adhérer au réseau de distribution sélective mis en place rendaient anormale sa demande au sens de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le réseau de distribution sélective mis en place par la société des Montres Rolex est licite et justifiait le refus de vente opposé à la société Paris Opéra 2 au sens de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la société Paris Opéra 2 qui dans son assignation au fond ne demande pas qu'il soit ordonné à la société des Montres Rolex de continuer à livrer mais seulement des dommages-intérêts ne justifie d'aucun dommage imminent. La société des Montres Rolex demande en conséquence à la Cour d'infirmer l'ordonnance entreprise et de condamner la société Paris Opéra 2 à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

En voie contraire la société Paris Opéra 2 déclare que le rappel d'une condamnation amnistiée n'est pas une cause de nullité de l'assignation. Elle demande en outre qu'il lui soit donné acte de son accord pour voir écarter des débats toute référence à la procédure pénale ayant abouti à l'arrêt du 19 janvier 1982. Elle fait valoir qu'elle a été agréée distributeur Rolex le 25 mars 1982 sans qu'il soit fait référence à des accords de distribution ; que deux des conditions mises par la société des Montres Rolex à l'agrément de ses distributeurs sont inutilement discriminatoires ; qu'à les supposer licites au regard du droit de la concurrence, ces accords ne sauraient lui être opposés alors que certains revendeurs que la société des Montres Rolex accepte en connaissance de cause de conserver au sein de son réseau de distribution ne répondent manifestement pas aux conditions d'agrément figurant dans ces accords ; qu'il appartient à la société des Montres Rolex de démontrer que tous les membres de son réseau répondent aux conditions d'agrément exigées et sont liés à cet égard par un engagement écrit ; que le premier juge a parfaitement caractérisé le dommage résultant pour la société Paris opéra 2 du refus de vente qui lui est opposé et qu'elle n'a nullement renoncé à son droit d'être livré. La société Paris Opéra 2 sollicite la confirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné à la société des Montres Rolex de continuer à honorer ses commandes mais de l'infirmer en ce qu'elle a refusé d'assortir cette condamnation d'une astreinte, de dire et juger que les conditions de vente sont celles en vigueur avant le 14 juin 1990 date de l'ordonnance entreprise et de condamner la société des Montres Rolex au paiement d'une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que la référence à une condamnation amnistiée si elle est susceptible d'entraîner la responsabilité civile ou pénale de son auteur ne constitue ni un vice de forme au sens de l'article 114 du NCPC, ni une des irrégularités de fond limitativement énumérées par l'article 117 du NCPC ; que la demande de la société des Montres Rolex en annulation de l'assignation introductive d'instance n'est donc pas fondée ; qu'il y a lieu cependant d'écarter des débats toute référence relative à la procédure pénale ayant abouti à l'arrêt du 19 janvier 1982 de la Cour d'appel de Paris ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société des Montres Rolex fait assurer la distribution de ses produits par un réseau de distributeurs agréés, ce qui est habituel et conforme aux usages commerciaux s'agissant de la vente de produits de luxe justifiant un contrôle strict et attentif du mode de distribution ;

Considérant que les contrats de distribution sélective qui ont pour but d'assurer un meilleur service au consommateur sont licites au regard de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans la mesure où le choix des distributeurs repose sur des critères objectifs de caractère qualitatif, sans discrimination et sans limitation quantitative injustifiée ;

Considérant que la Cour statuant en référé, en vertu de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ne peut ordonner les mesures prévues par ce texte que si les conditions fixées aux articles 872 et 873 du NCPC sont remplies ;

Considérant que la société des Montres Rolex a mis en place au niveau européen un système de distribution sélective sous forme d'accords types qui a fait l'objet d'une notification à la Commission des Communautés européennes le 29 décembre 1977 ; que les accords de distribution définissent les critères permettant à un distributeur de revendiquer la qualité de commerçant spécialisé ; que ces critères sont au nombre de quatre :

- un établissement de vente au détail ayant une situation privilégiée et un matériel d'exploitation représentatif, spécialisé dans la vente des montres seules, ou en liaison avec celle des pierres précieuses et des bijoux, et accessible à quiconque aux heures d'ouverture habituelles,

- des possibilités suffisantes d'exposition représentative et de présentation des produits Rolex dans des emplacements de vente et des vitrines bien tenues,

- un personnel de vente ayant reçu une formation possédant des connaissances techniques pour conseiller le client et lui fournir un service approprié,

- un atelier avec un personnel ayant reçu une formation d'horloger-spécialiste, garantissant l'exécution dans des conditions convenables et dans des délais fixés de toute prestation éventuelle relative à la garantie et au service après-vente ;

Considérant que les critères retenus par la société des Montres Rolex apparaissent licites et notamment ceux que la société Paris Opéra 2 reconnaît elle-même n'être pas en mesure de satisfaire, c'est-à-dire l'existence d'un établissement spécialisé et l'exigence d'un atelier avec un personnel ayant reçu une formation d'horloger-spécialiste alors que la nécessité d'une spécialisation et d'un personnel compétent ayant reçu une formation d'horloger-spécialiste apparaît essentiel pour le renom de la marque; que les critères exigés par la société des Montres Rolex ne peuvent donc être tenus pour inutilement discriminatoires;

Considérant que la société Paris Opéra 2 a été admise en qualité de distributeur agréé par la société des Montres Rolex par lettres du 25 mars 1982 alors qu'elle n'avait pas signé les accords de distribution sélective ; que cette situation s'est prolongée jusqu'en 1989 ;

Mais considérant que par lettre en date du 29 mai 1989 la société des Montres Rolex a rappelé à la société Paris Opéra 2 que la distribution de ses produits était organisée sous la forme d'une distribution sélective réservée aux seuls points de vente ayant signé des accords de distribution et lui a demandé de se mettre en conformité avec l'ensemble des clauses et conditions desdits accords en lui accordant un délai de six mois expirant le 30 novembre 1989 ; que par lettre du 20 décembre 1989 la société des Montres Rolex a accepté de reporter ce délai au 31 mars 1991 ; que nonobstant une rencontre en date du 30 mars 1989 les parties ne sont pas parvenues à un accord ;

Considérant que la société Paris Opéra 2 fait valoir que nombre de distributeurs agréés par la société des Montres Rolex ne répondent manifestement pas aux conditions d'agrément qu'elle entend lui imposer ;

Mais considérant que si la société des Montres Rolex a reconnu que les boutiques d'aéroport situées hors douane ont un statut particulier du fait de leur extra-territorialité, les faits invoqués par la société Paris Opéra 2 ne sont pas établis par les pièces versées aux débats ; qu'en outre la société des Montres Rolex justifie être intervenue auprès de plusieurs magasins dans le même sens que pour la société Paris Opéra 2 pour les inviter à se mettre en conformité avec les clauses des accords de distribution ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'existence d'un trouble manifestement illicite au préjudice de la société Paris Opéra 2 qui a refusé d'intégrer le réseau de distribution de la société des Montres Rolex selon les conditions prévues à cet effet, n'est pas établi ;

Considérant que la société Paris Opéra 2 déclare qu'elle est fondée à invoquer un dommage imminent résultant du fait de ne pouvoir vendre les montres Rolex qui la prive d'un important chiffre d'affaires s'élevant en 1988 à 940 733 F et en 1989 à 717 717 F ;

Mais considérant que la société Paris Opéra 2 ne produit pas son bilan, ni ses résultats d'exploitation, ni aucun élément sur une éventuelle diminution de son chiffre d'affaires total depuis qu'elle a cessé de vendre des montres Rolex ; que la Cour n'est donc pas en mesure d'apprécier le dommage imminent qui est invoqué ;

Considérant qu'il convient dans ces conditions d'infirmer l'ordonnance entreprise et de dire qu'il n'y a pas lieu à référé ;

Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société des Montres Rolex les frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer à l'occasion de la présente instance ;

Par ces motifs, Infirme l'ordonnance entreprise, Dit n'y avoir lieu à référé, Rejette les autres demandes des parties, Condamne la société René Agnel Paris Opéra 2 aux dépens de première instance et d'appel et admet la SCP Gauzère et Lagourgue, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.