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Décisions

Cass. com., 4 juin 1996, n° 94-17.657

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Colas Midi-Méditerranée (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Gomez

Avocat général :

M. Mourier

Avocats :

Mes Le Prado, Ricard.

Cass. com. n° 94-17.657

4 juin 1996

LA COUR : - Donne acte à la Société jurassienne d'entreprise de son désistement ; - Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 4 juillet 1994), rendu sur renvoi après cassation, que les sociétés Colas Midi-Méditerranée, Colas Sud-Ouest, Colas-Est, Jean-François, Sacer, Béton route sécurité (BRS) ont été, par décision n° 89-D-34 du Conseil de concurrence, déclarées responsables d'agissements commis en 1985 à l'occasion de la soumission de travaux publics et portant atteinte à la concurrence et condamnées au paiement de sanctions pécuniaires ;

Sur le premier moyen pris en ses trois branches : - Attendu que les sociétés Colas-Est, Colas Midi-Méditerranée, Colas-Sud-Ouest, Sacer, Jean-François et BRS font grief à l'arrêt de les avoir condamnées au paiement de sanctions pécuniaires alors, selon le pourvoi, d'une part, que la cour d'appel, qui a constaté que les documents en cause ont été "appréhendés", "découverts", aux sièges de plusieurs entreprises, n'a pu sans violer les articles 15 et 16, alinéa 2, de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945, retenir que les agents enquêteurs n'ont pas effectué des perquisitions, mais se sont fait communiquer ces documents ; que ne peuvent en effet être considérés comme communiqués, au sens de l'article 15 de l'ordonnance, des documents appréhendés, et découverts au cours d'interventions simultanées aux sièges de plusieurs dizaines d'entreprises, interventions ayant pour objet la saisie de documents préalablement ignorés des enquêteurs et dont ceux-ci ne peuvent par hypothèse requérir la communication ; alors, d'autre part, que, par voie de conséquence, la cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, dont il résulte que des perquisitions ne peuvent être effectuées à défaut d'autorisation judiciaire ; et alors, enfin, qu'en admettant même, avec la cour d'appel, que les documents aient été communiqués aux agents enquêteurs dans les termes de l'article 15 de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945, leur communication n'aurait pu être exigée, et leur saisie, effectuée, à défaut d'autorisation judiciaire, qu'en violation des articles 8 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, dispositions en toutes hypothèses méconnues par l'arrêt ;

Mais attendu que l'arrêt relève que l'enquête administrative, au cours de laquelle les enquêteurs se sont fait communiquer des documents, n'a donné lieu à aucune perquisition ni contrainte ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que les sociétés Colas-Est, Colas Midi-Méditerranée, Colas-Sud-Ouest, Sacer, Jean-François et BRS font grief à l'arrêt de les avoir condamnées au paiement de sanctions pécuniaires alors, selon le pourvoi, d'une part, que les pouvoirs des enquêteurs leur ayant été conférés pour la recherche d'indices d'ententes concernant des marchés publics déterminés, ces enquêteurs ne pouvaient, sans solliciter une extension de leur mission, prendre l'initiative d'étendre celle-ci à d'autres marchés ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 5 et suivants, et spécialement, les articles 6, 15 et 16 de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945 relative à la constatation, la poursuite, et la répression des infractions à la législation économique ;

Mais attendu que l'arrêt relève que les enquêteurs chargés d'une enquête pour rechercher des indices d'ententes concernant des marchés publics du bâtiment et des travaux publics ont découvert des indices d'ententes concernant le secteur des travaux routiers et que les saisies effectuées au cours de l'enquête ont donné lieu à la rédaction de procès-verbaux ; que la cour d'appel a déduit, à bon droit, de ces constatations que l'enquête, dont l'objet avait été précisé par la référence à l'article habilitant les enquêteurs, avait été régulière dès lors que ceux-ci avaient respecté les prescriptions de l'ordonnance du 30 juin 1945 applicable à la date de leurs constatations ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les troisièmes moyens, pris en leurs branches respectives, les moyens étant réunis : - Attendu que les sociétés Colas-Midi-Méditerranée, Colas-Est, Colas-Sud-Ouest et Sacer font grief à l'arrêt de les avoir condamnées au paiement de sanctions pécuniaires alors, selon le pourvoi, d'une part, que sans avoir apporté le moindre élément de réponse au moyen de nullité de la décision du Conseil de la concurrence (moyen que la Cour de Cassation avait reproché au précédent arrêt, cassé pour ce motif en particulier, d'avoir écarté) tiré par les entreprises concernées, au nombre desquelles elles comptaient, de ce que des informations relatives à leur chiffre d'affaires de 1984 leur avaient été demandées postérieurement au délibéré, de sorte que ces entreprises n'avaient pas été mises en mesure de débattre contradictoirement des éléments devant servir éventuellement à déterminer le montant de la sanction pécuniaire dont le chiffre d'affaires de 1984 devait constituer l'assiette ; qu'en ignorant ce moyen, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'elle a en outre, entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 444 du même Code, de l'article 53 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 Juin 1945, et de l'article 13 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que, contrairement à ce qu'énonce le moyen, l'arrêt retient, en réponse au moyen tiré de ce que certaines entreprises n'avaient pas "été mises en mesure de débattre contradictoirement des éléments devant servir à déterminer le montant des sanctions", que "le conseil a méconnu le principe de la contradiction en ne permettant pas aux entreprises de s'expliquer sur les éclaircissements de droit ou de fait concernant la détermination des sanctions qui leur avaient été demandés" et en déduit qu'en l'absence de base légale données aux sanctions prononcées, la décision du conseil doit être annulée ; que le moyen manque en fait ;

Sur les quatrième, cinquième et sixième moyens, le deux derniers étant pris en leurs diverses branches, les moyens étant réunis : - Attendu que les sociétés Colas-Est, Colas-Midi-Méditerranée et Sacer font grief à l'arrêt de les avoir condamnées au paiement de sanctions pécuniaires alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'un centre, ou agence, d'une société, constitue une entreprise au sens de l'article 53 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 lorsqu'il bénéficie, dans la zone économique concernée, d'une autonomie technique et commerciale telle que la pratique incriminée puisse lui être imputée, peu important que son autonomie ne soit pas totale ; que, s'agissant en particulier d'une société de travaux routiers, un centre est commercialement autonome lorsque son responsable a, par délégation, tous pouvoirs pour définir les conditions de la quasi totalité des soumissions, passer les marchés correspondants et conduire leur exécution et qu'il exerce effectivement ces pouvoirs ; que la politique générale d'une société est nécessairement définie par elle ; que contrairement à l'affirmation de la cour d'appel, l'autonomie commerciale réelle du chef de centre, et celle du centre, ne sont nullement exclues par le fait que le chef de centre titulaire d'une délégation de pouvoirs demeure soumis aux directives et contrôles de la société pour définir son domaine d'activités, sa stratégie commerciale et décider des moyens de financement ; que cette soumission à la politique générale de la société exclut l'autonomie totale dont par définition un centre ou agence ne peut disposer, mais nullement l'autonomie réelle caractéristique de l'entreprise au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ; qu'en se contentant, pour exclure l'autonomie commerciale, des centres techniquement indépendants, d'affirmer, ce qui est indéniable mais indifférent, que la société définit sa politique générale, la cour d'appel a confondu autonomie réelle et autonomie totale ; qu'elle a violé l'article 53 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ; alors, d'autre part, et très subsidiairement, que si l'affirmation par la cour d'appel de ce que les délégations de pouvoirs consenties aux chefs d'agences n'ont pas été acceptées par eux, était considérée comme un motif autonome de l'arrêt, ce motif devrait être censuré ; que la cour d'appel, en ignorant que les délégations de pouvoirs ont été acceptées par leur exécution, a violé l'article 1985 du Code civil ; et alors, enfin, qu'en ne répondant pas aux conclusions de la société Sacer qui avait en particulier invoqué le contrat de travail du chef d'agence de Besançon, valant acceptation de la délégation de pouvoirs du chef d'entreprise, et fait valoir qu'était en cause à côté de ses agences de Pau et de Besançon, son agence de Toulouse, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 53 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ;

Mais attendu qu'après avoir retenu que la délégation de pouvoirs concédée aux chefs d'agences concernés ne leur laissait pas d'initiative pour définir leur domaine d'activité, leur stratégie commerciale et décider des financements, la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la seconde branche du cinquième moyen, a, répondant aux conclusions prétendument délaissées, fait l'exacte application du texte invoqué en décidant que lesdits chefs d'agence, demeurant soumis aux directives et contrôles de la société, ne disposaient d'une autonomie réelle, ce dont il résulte que les agences concernées ne pouvaient être considérés comme des entreprises distinctes de celle à laquelle elles se trouvaient rattachées ; d'où il suit que le cinquième moyen pris en sa seconde branche ne peut pas être accueilli et que le quatrième moyen, le cinquième moyen pris en sa première branche et le sixième moyen pris en ses deux branches ne sont pas fondés ;

Sur les septième et huitième moyens, les moyens étant réunis : - Attendu que les sociétés BRS et Sacer font grief à l'arrêt de les avoir condamnées au paiement d'une sanction pécuniaire alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en refusant de prendre en compte, comme la société BRS le lui demandait, en faisant valoir qu'elle avait subi, en 1992, une perte de 1, 6 millions de francs, sa situation financière actuelle, la cour d'appel a violé l'article 53 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 Juin 1945 ; et attendu, d'autre part, qu'en refusant, ou à tout le moins, omettant, de prendre en compte, comme la société SACER le lui demandait en faisant valoir que les comptes de 1992 faisaient ressortir une perte de près de 25 millions de francs, la situation financière actuelle de la société, la cour d'appel a violé l'article 53 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ;

Mais attendu qu'après avoir rappelé qu'aux termes de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945, le taux de la sanction pécuniaire doit être fixé par rapport au chiffre d'affaires réalisé au cours du dernier trimestre clos avant le premier acte interruptif de prescription, l'arrêt relève que le chiffre d'affaires pour l'année 1984 respectivement de 17 700 000 francs pour la société BRS et de 999 960 000 francs pour la société Sacer ; que la cour d'appel a donc pu décider que les mauvais résultats réalisés par la société BRS ou les pertes subies par la société SACER, en 1992 ne pouvaient pas influencer la détermination des sanctions pécuniaires ; d'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

Et sur le neuvième moyen : - Attendu que les sociétés Colas-Est, Colas Midi-Méditerranée, Colas-Sud-Ouest et Jean-François font grief à l'arrêt de les avoir condamnées au paiement de sanctions pécuniaires alors, selon le pourvoi, que ce faisant, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 53 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ;

Mais attendu que l'arrêt relève pour chacune des entreprises concernées le chiffre d'affaires réalisé en 1984 ; que la cour d'appel qui, pour la détermination de la sanction pécuniaire applicable à chacune d'elles n'avait pas à tenir compte de la situation financière desdites entreprises à la date à laquelle elle statuait sur le montant de la sanction, a donc légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile : - Attendu que le ministre de l'Economie, des Finances et du Budget sollicite l'allocation d'une somme de 12 000 francs par application de ce texte ;

Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.