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Décisions

Conseil Conc., 24 novembre 1992, n° 92-D-63

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Marché d'extension du réseau d'éclairage public de la commune de Venarey-les-Laumes en Côte d'or

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Adopté, sur le rapport de Mme Lepetit, par MM. Pineau vice-président, président, Bon, Fries, Mme Lorenceau, MM. Schmidt, Sloan, membres.

Conseil Conc. n° 92-D-63

24 novembre 1992

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 25 juillet 1991 sous le numéro F 425, par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées lors d'un appel d'offres relatif à un marché d'extension du réseau d'éclairage public de la commune de Venarey-les-Laumes en Côte-d'Or ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement, par les sociétés Cegélec, Spie-Trindel, L'Entreprise industrielle, Vernet et Bosser et par l'entreprise Bizouard ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties ayant demandé à présenter des observations orales entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. CONSTATATIONS

La commune de Venarey-les-Laumes en Côte-d'Or a décidé d'étendre en 1990 son réseau d'éclairage public et a choisi de lancer un appel d'offres ouvert, suivant la formule du marché à commandes ; le montant global du coût hors taxes des travaux était fixé entre un minimum de 300 000 F et un maximum de 1 200 000 F.

Les entreprises intéressées ont disposé d'un délai d'un mois au cours de l'été 1990 pour présenter leur offre sous la forme d'un bordereau de 112 prix unitaires, correspondant chacun à un type défini d'ouvrage ou de prestation.

Sept entreprises ont soumissionné : les sociétés Cegélec, Demongeot, L'Entreprise industrielle, Vernet et Bosser, Spie-Trindel, l'entreprise Bizouard et l'entreprise Vila qui a été écartée par les responsables du marché.

L'examen comparatif des offres confié au maître d'œuvre a révélé que les entreprises avaient toutes fait des offres d'un montant supérieur au maximum et que les prix unitaires proposés par quatre d'entre elles étaient strictement proportionnels à ceux de l'entreprise moins disante ; le conseil municipal a alors déclaré l'appel d'offres infructueux et décidé de passer un marché négocié. Il a conclu le marché avec l'entreprise Lirelec pour un montant situé dans la fourchette de dépenses initialement arrêtée et représentant une économie significative par rapport aux résultats de la consultation précédente.

La comparaison des bordereaux de prix unitaires a mis en évidence que les prix unitaires offerts par quatre entreprises : L'Entreprise industrielle, Cegélec, Demongeot, Vernet et Bosser résultaient de l'application aux prix offerts par l'entreprise Bizouard moins disante d'un coefficient multiplicateur propre à chacune, à savoir°: 1,05 pour L'Entreprise industrielle, 1,08 pour Cegélec, 1,10 pour Demongeot, 1,12 pour Vernet et Bosser. Sur 448 prix unitaires remis par ces entreprises, moins de 20 s'écartaient de plus d'un franc du prix présenté par l'entreprise Bizouard, affecté du coefficient multiplicateur correspondant.

En ce qui concerne Spie-Trindel, cette similitude n'a pas été observée : ses prix unitaires ont été calculés à partir d'un devis établi l'année précédente pour un marché d'éclairage public de la ville de Montbard en appliquant à chaque poste un coefficient de majoration variable (de 1,17 à 1,37) ; ils présentent des écarts relatifs variables avec ceux de l'entreprise Bizouard, allant de + 2 p. 100 à + 22 p. 100.

Les responsables des entreprises Cegélec, Demongeot, l'Entreprise industrielle et Vernet et Bosser n'ayant pu fournir aucune explication sur l'origine de la similitude de prix ont été invités à communiquer les calculs ayant servi de base à leur offre. Demongeot n'a effectué aucun calcul de prix de revient. Vernet et Bosser, l'Entreprise industrielle et Cegélec ont fait une étude, mais les prix unitaires offerts s'écartent très souvent des résultats de cette étude ; Vemet et Bosser a fait une estimation de coût partielle portant sur une quarantaine de postes du bordereau de prix seulement ; le responsable de Cegélec a déclaré avoir fait une étude " empirique " et s'être basé sur une évaluation du marché de 700 000 F, alors que l'offre remise équivaut au double.

M. Bizouard dit avoir établi ses prix en fonction de son expérience de ce type de travaux et après avoir consulté un fournisseur local. Il n'a communiqué aucun document. Les résultats de l'étude des prix étant connus, M. Bizouard était venu trouver, cinq jours après l'ouverture des plis, le maire de Venarey-les-Launes et lui avait dit " qu'il avait contacté et s'était entendu avec les entreprises concurrentes ".

II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT,

LE CONSEIL

Considérant que l'instruction a mis en évidence que les offres des quatre entreprises Cegélec, Demongeot, l'Entreprise industrielle et Vernet et Bosser étaient strictement proportionnelles pour la quasi-totalité des 112 prix unitaires à l'offre de l'entreprise Bizouard ; qu'aucune de leurs offres n'avait de rapport direct et constant avec leur étude du marché, puisqu'en effet l'entreprise Demongeot n'a pas réalisé d'étude, la société Vernet et Bosser n'a fait qu'une étude partielle et que ses prix comme ceux offerts par les sociétés Cegélec et l'Entreprise industrielle s'écartent des calculs qu'elles ont effectués;

Considérant que l'entreprise Bizouard a tenté d'expliquer à la suite de la notification de griefs la proportionnalité entre les prix offerts par les autres entreprises et les siens par leur référence commune au tarif du fournisseur local (la SARL CEEC) en matériel dont était équipée la commune;

Mais considérant que l'entreprise Bizouard a été la seule des entreprises en cause à consulter son fournisseur sur ses tarifs et qu'elle a appliqué des coefficients très variables aux prix offerts par celui-ci ; qu'en conséquence cette explication ne sera pas retenue;

Considérant que les éléments relevés par l'instruction apportent la preuve de l'existence d'un échange d'informations, antérieurement à la remise des plis, entre les cinq entreprises Bizouard, Cegélec, Demongeot, l'Entreprise industrielle et Vernet et Bosser ; que le fait que les propositions des quatre dernières soient strictement proportionnelles à celle de l'entreprise Bizouard révèle que cette société a joué un rôle prépondérant dans l'organisation de l'échange d'informations en s'entendant entre entreprises;

Considérant que l'entreprise Demongeot n'a pas cherché à réfuter cette analyse ; que Cegélec et l'Entreprise industrielle ont reconnu à la suite de la notification de griefs leur participation à cette concertation en ne contestant pas les faits qui leur sont reprochés ; que M. Bizouard, en déclarant au maire de Venarey-les-Laumes, selon les termes rapportés par ce dernier, qu'il " avait contacté et s'était entendu avec les entreprises concurrentes ", a reconnu avoir pris l'initiative de cette concertation ;

Considérant en revanche qu'il n'existe pas de corrélation entre les prix offerts par l'entreprise Spie-Trindel et ceux offerts par l'entreprise Bizouard, puisque les écarts relevés entre les deux bordereaux varient entre 2 et 22 p. 100 sans aucune régularité ; qu'en conséquence, il n'est pas établi que cette société ait participé aux pratiques d'échanges d'informations retenues ;

Sur la qualification des faits et les sanctions :

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les pratiques ci-dessus constatées, qui avaient pour objet et pouvaient avoir pour effet de fausser la concurrence entre les entreprises se trouvent prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée.

Considérant qu'il n'est ni établi ni même allégué que les auteurs de ces pratiques puissent bénéficier des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance ;

Considérant qu'il y a lieu, par application de l'article 13 de ce texte, de prononcer des sanctions pécuniaires à l'encontre des entreprises en cause; que l'Entreprise industrielle soutient que le plafond de la sanction doit être déterminé par référence au seul chiffre d'affaires de sa direction régionale Est et Centre ; que de

même Cegélec et Vernet et Bosser font valoir qu'il convient de se référer, aux chiffres d'affaires de leurs agences locales, respectivement l'agence de Dijon pour Cegélec et l'agence de Loir-et-Cher pour Vernet et Bosser ; que ces trois sociétés produisent à l'appui de leurs affirmations, selon lesquelles leur direction régionale ou leur agence locale serait commercialement et techniquement autonome, des délégations de pouvoir et une subdélégation de pouvoirs aux responsables de la direction et des agences concernées ;

Mais considérant qu'il ne résulte pas des délégations produites que la direction régionale et les agences en cause pouvaient déterminer de façon autonome les conditions commerciales auxquelles elles contractaient;

Considérant dès lors qu'il convient de déterminer le plafond de la sanction applicable à chaque société en cause par référence à son chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France, à savoir, pour le dernier exercice connu, respectivement de 8 714 millions de francs pour Cegélec, 5 582 millions de francs pour l'Entreprise industrielle, 50 millions de francs pour Vernet et Bosser, 26 millions de francs pour Demongeot et 5 millions de francs pour l'entreprise Bizouard;

Considérant que le conseil de la concurrence a été précédemment amené à constater que l'Entreprise industrielle et la Cegélec ont mis en œuvre, à l'occasion de divers marchés, des pratiques anticoncurrentielles, à savoir, pour l'Entreprise industrielle, par les décisions n° 89-D-34 des 24 et 25 octobre 1989, n° 89-D-42 du 12 décembre 1989 et n° 90-D-16 des 15 et 16 mai 1990, pour la Cegélec par la décision n° 89-D-42 du 12 décembre 1989 ; qu'ainsi ces sociétés n'ignoraient, lorsqu'elles ont mis en œuvre les pratiques ci-dessus reprochées, ni le caractère prohibé de pratiques ayant pour objet, ou pouvant avoir pour effet, de fausser le jeu de la concurrence, ni le risque de sanction qu'elles encouraient si elles mettaient en œuvre de telles pratiques ;

Considérant, en outre, que le fait que des entreprises aussi importantes dans le secteur de l'équipement des réseaux d'électricité et d'éclairage que Cegélec et l'Entreprise industrielle contribuent à la mise en œuvre, sur un marché de dimension réduite, de pratiques prohibées par les dispositions de l'article 7, peut avoir pour effet de convaincre les autres entreprises soumissionnaires à ce marché, lesquelles sont de taille inférieure, que ce type de comportement est général et de les inciter ainsi à l'adopter pour d'autres marchés; qu'ainsi le dommage potentiel causé à l'économie du fait de la pratique de ces deux entreprises dépasse le simple enjeu du marché public sur lequel elle a été observée;

Considérant, à l'inverse, qu'il doit être tenu compte des efforts faits par la Cegélec dans le sens du respect des règles de la concurrence°; que la direction générale de cette société a en effet diffusé en janvier 1990 une note de service invitant tous les responsables de l'entreprise à les observer ; qu'en revanche, la circonstance que le chef de service de l'agence de Dijon de cette entreprise ait été licencié en septembre 1990 est sans effet sur l'appréciation de la sanction dès lors, d'une part, que ce licenciement n'est intervenu qu'après que l'administration ait déclenché une enquête dans cette entreprise et, d'autre part, qu'il n'est pas établi que le motif unique ou principal de ce licenciement ait été l'inobservation de la note de janvier 1990°;

Considérant que la sanction touchant l'entreprise Bizouard doit tenir compte de l'initiative personnelle prise par M. Bizouard dans cette affaire,

Décide :

Article 1er

Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- 1 000 000 F à la société l'Entreprise industrielle ;

- 1.000 000 F à la société Cegélec ;

- 100 000 F à la société Vernet et Bosser ;

- 50 000 F à la société Demongeot ;

- 50 000 F à l'entreprise Bizouard.

Article 2

Dans un délai maximum de trois mois à compter de la date de notification de la présente décision, l'Entreprise industrielle et la Cegélec feront publier à frais commun la présente décision dans le quotidien Les Echos et dans les publications Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment et Départements et communes.