Conseil Conc., 4 septembre 1990, n° 90-D-26
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
DĂ©cision
Pratiques relevées à l'occasion d'appels d'offres pour assurer des transports sanitaires à partir du centre hospitalier général de Salon-de-Provence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
DĂ©libĂ©rĂ© en commission permanente sur le rapport oral de M. PaĂźtre, dans sa sĂ©ance du 4 septembre 1990, oĂč siĂ©geaient: M. Laurent, prĂ©sident; MM. BĂ©teille, Pineau, vice-prĂ©sidents.
Le Conseil de la concurrence,
Vu la lettre enregistrĂ©e le 11 juillet 1989 par laquelle le ministre d'Etat ministre de l'Ă©conomie des finances et du budget a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en Ćuvre Ă partir de 1985 par trois entreprises de transports sanitaires de Salon de Provence Ă l'occasion de l'appel d'offres lance chaque annĂ©e par le centre hospitalier gĂ©nĂ©ral de Salon de Provence pour assurer les transports sanitaires dont il a la charge ; Vu les ordonnances nos 45 1483 et 45 1484 du 30 juin 1945 modifiĂ©es respectivement relatives aux prix et Ă la constatation, la poursuite et la rĂ©pression des infractions Ă la lĂ©gislation Ă©conomique ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er dĂ©cembre 1986 relative Ă la libertĂ© des prix et de la concurrence modifiĂ©e ensemble le dĂ©cret n° 86-1309 du 29 dĂ©cembre 1986, modifiĂ©, pris pour son application ; Vu les lettres du 26 mars 1990 du prĂ©sident du Conseil de la concurrence notifiant aux parties la transmission du dossier Ă la commission permanente, conformĂ©ment aux dispositions de l'article 22 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er dĂ©cembre 1986 ; Vu les observations du commissaire du Gouvernement ; Vu les observations de l'association des transports sanitaires d'urgence salonais ; Vu les autres piĂšces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur gĂ©nĂ©ral, le commissaire du Gouvernement et M. Livet, prĂ©sident de l'association des transports sanitaires d'urgence salonais et gĂ©rant de la SARL ActivitĂ©s AmbulanciĂšres AssociĂ©es et Connexes (AAAC), entendus, les autres parties ayant Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement convoquĂ©es ; Retient les constatations (I) et adopte la dĂ©cision (II) ci-aprĂšs exposĂ©es :
I. CONSTATATIONS
A. Le marché des transports sanitaires pris en charge par le centre hospitalier général de Salon-de-Provence
a) Les caractéristiques du marché
PlutĂŽt que d'entretenir un parc de vĂ©hicules de transport sanitaire, ou mĂȘme de les louer, le centre hospitalier gĂ©nĂ©ral de Salon-de-Provence fait appel Ă des entreprises privĂ©es agrĂ©Ă©es pour les transports aller et retour des malades hospitalisĂ©s qui doivent se dĂ©placer en vue d'une consultation ou d'un examen particulier Ă l'extĂ©rieur. Le marchĂ© est attribuĂ© annuellement suivant la procĂ©dure de l'appel d'offres ouvert, ainsi qu'il est prĂ©vu par les articles 295 et suivants du code des marchĂ©s publics ; les offres des entreprises soumissionnaires consistent en des rabais par rapport aux tarifs limites rĂ©sultant d'arrĂȘtĂ©s interministĂ©riels qui ont successivement trouvĂ© leur fondement dans l'ordonnance n° 45-1243 du 30 juin 1945, puis, Ă titre transitoire, dans l'article 61 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er dĂ©cembre 1986, et enfin dans l'article L. 162-38 introduit dans le code de la sĂ©curitĂ© sociale par la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987.
Suivant l'état des malades, les transports sont effectués en ambulance ou en véhicule sanitaire léger. La société attributaire du marché assure en outre les transports d'urgence de sang, de prélÚvements pour le centre antipoison et de médicaments. En 1986, 1987, 1988 et durant les neuf premiers mois de 1989, les transports en ambulance effectués par les titulaires du marché exclusivement les jours ouvrables ont été respectivement au nombre de 531, 690, 807 et 225, et les transports en véhicule sanitaire léger au nombre respectivement de 341, 370, 383 et 162.
A partir de ces chiffres, et compte tenu de ce que le mĂȘme vĂ©hicule peut effectuer dans une mĂȘme journĂ©e deux transports vers Marseille ou Avignon, oĂč sont envoyĂ©s le plus frĂ©quemment les malades qui doivent subir des examens ou consultations auxquels il ne peut ĂȘtre procĂ©dĂ© sur place, le nombre d'ambulances dont devait disposer le titulaire du marchĂ© pour n'ĂȘtre pas contraint Ă recourir, en permanence, aux services d'une entreprise tierce rĂ©munĂ©rĂ©e par lui en application de l'article 1er du cahier des clauses techniques particuliĂšres peut ĂȘtre Ă©valuĂ© Ă deux en 1986 et 1987, trois en 1988 et un en 1989, et le nombre de vĂ©hicules sanitaires lĂ©gers Ă un durant toute la pĂ©riode.
b) L'Ă©tat de la concurrence lors des appels d'offres depuis 1983.
L'entreprise Sanchez, titulaire du marché en 1983, avait été seule à présenter une offre, assortie d'un rabais de 25 p. 100. Pour assurer les transports en 1984 et en 1985, trois offres ont été formulées ; la premiÚre année, la société Ambulances Deleyrolle l'a emporté avec un rabais de 40 p. 100 ; la seconde année, l'entreprise Salon Ambulances est devenue titulaire avec un rabais de 52 p. 100.
Les appels d'offres pour 1986, 1987 et 1988 ont suscité une offre unique, présentée à chaque fois par l'Association des transports sanitaires d'urgence salonais (ATSUS) constituée le 23 octobre 1985 sous forme d'association de la loi du 1er juillet 1901 à l'initiative des propriétaires des trois sociétés de transports sanitaires agréées établies à Salon-de-Provence : la société Ambulances Deleyrolle devenue par la suite la SARL Activités AmbulanciÚres Associées et Connexes (AAAC), la société Ambulances Thibault devenue plus tard la SARL Ambulances Transports l'Aiglon (ATA) et la société Salon Ambulances.
Pour 1986, l'association n'a été déclarée titulaire du marché qu'aprÚs avoir porté à 15 p. 100 le rabais de 10 p. 100 qu'elle avait initialement proposé, et au vu duquel l'appel d'offres avait été déclaré infructueux ; pour 1987 et 1988, l'association a été retenue, également avec un rabais de 15 p. 100. Les transports que devait en principe effectuer l'ATSUS ont été en réalité pris en charge par les trois entreprises fondatrices et seuils membres de l'association, à tour de rÎle, et à raison d'une semaine pour chacune ; les sommes que l'hÎpital réglait par virement sur un compte de l'association étaient ensuite réparties entre les entreprises au prorata des transports effectués par chacune d'elles.
Alors que l'article 3 du titre II des statuts de l'ATSUS lui assigne exclusivement une fonction de dĂ©fense des intĂ©rĂȘts matĂ©riels et moraux des membres et d'intĂ©gration dans les dispositifs de secours d'urgence, il rĂ©sulte des dĂ©clarations faites au cours de l'enquĂȘte par diffĂ©rents responsables des entreprises membres que l'association n'a jamais assurĂ© cette fonction, mais a eu pour seul but de permettre Ă ces entreprises de prĂ©senter, chaque fin d'annĂ©e, une offre groupĂ©e en rĂ©ponse Ă l'appel d'offres du CHG ; la rĂ©union qui tenait lieu d'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale annuelle n'a d'ailleurs jamais eu d'autre objet que la fixation du rabais sur tarifs limites Ă proposer en rĂ©ponse Ă cet appel d'offres.
La situation de la concurrence a de nouveau Ă©voluĂ© lors de l'appel d'offres en vue de l'exĂ©cution du marchĂ© en 1989 ; deux offres ont en effet Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es d'une part, celle de l'ATSUS avec le mĂȘme rabais que les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, d'autre part, celle de la sociĂ©tĂ© Ambulances Le Roucas, avec un rabais de 25 p. 100 sur les tarifs des transports en ambulance, et de 15 p. 100 sur les tarifs des transports en vĂ©hicule sanitaire lĂ©ger ; cette derniĂšre offre a Ă©tĂ© retenue.
Les soumissionnaires ont été encore plus nombreux lors de l'appel d'offres en vue de l'attribution du marché pour 1990, le premier à intervenir aprÚs la saisine du Conseil de la concurrence : les trois membres de l'ATSUS ont présenté des offres séparées, et deux entreprises établies ailleurs qu'à Salon-de-Provence ont soumissionné. C'est finalement la SARL AAAC qui a été déclarée titulaire, avec des rabais de 35 p. 100 sur les transports en ambulance et de 20 p. 100 sur les transports en véhicule sanitaire léger.
Au cours de ces années 1986, 1987, 1988 et 1989, la société Ambulances Deleyrolle, devenue AAAC, a vu ses moyens de transport en ambulance passer de deux à quatre unités, et ses moyens de transport en véhicule sanitaire léger passer de deux à huit unités ; la société Ambulances Thibault devenue ATA a disposé de deux ambulances et de trois, voire quatre véhicules sanitaires légers ; enfin, la société Salon Ambulances a disposé de deux ambulances et de deux véhicules sanitaires légers.
B. Les transports sanitaires à partir du centre hospitalier général de Salon-de-Provence à la charge des malades ou de leurs ayants droit
Il s'agit, d'une part, des transports de corps avant mise en biÚre, qui représentent environ 250 déplacements par an, d'autre part, des réintégrations à domicile et des transferts vers les centres de rééducation ou de repos, qui représentent environ 3 000 déplacements par an.
Des circulaires du ministre des affaires sociales en date des 24 avril 1968 et 15 janvier 1983 prĂ©cisent que les Ă©tablissements hospitaliers doivent tenir Ă la disposition des malades qui sortent, ou de leurs ayants droit, les listes complĂštes des taxis et des entreprises de transports sanitaires, agrĂ©Ă©es ou non, du dĂ©partement, avec mention des catĂ©gories de vĂ©hicule et de la qualification des conducteurs lorsqu'aucun choix n'est exprimĂ©, il doit ĂȘtre fait appel Ă tour de rĂŽle et dans le respect de la prescription mĂ©dicale de transport aux entreprises du dĂ©partement qui ont souhaitĂ© figurer sur une liste dressĂ©e, Ă cette fin, par l'Ă©tablissement.
La note de service du 10 dĂ©cembre 1985 informant les standardistes du CHG du numĂ©ro d'appel de l'ATSUS, nouveau titulaire du marchĂ© des transports pris en charge par l'hĂŽpital, s'est bornĂ©e Ă rappeler, s'agissant des autres transports, le principe du libre choix du malade, sans envisager les dispositions Ă prendre pour en faciliter la mise en Ćuvre ; le chef du bureau du service des admissions de l'hĂŽpital et le prĂ©sident de l'ATSUS ont prĂ©cisĂ© que durant les annĂ©es 1986, 1987 et 1988 le standard de l'hĂŽpital a systĂ©matiquement appelĂ© l'ATSUS lorsque le malade ou ses ayants droit n'exprimaient aucun choix.
A la suite de l'attribution du marchĂ© aux ambulances Le Roucas, des notes de service adressĂ©es aux services de soins et au standard ont, en ce qui concerne les transports pour sortie dĂ©finitive et sortie de corps avant mise en biĂšre, prĂ©cisĂ© qu'une liste des entreprises de transports sanitaires agrĂ©Ă©es devait ĂȘtre mise Ă la disposition des malades ou de leur famille ; et prĂ©vu qu'en l'absence de choix formel, le standard devait appeler l'ATSUS les jours pairs, les ambulances Le Roucas les jours impairs.
L'ATSUS a donc servi, de 1986 Ă 1989, Ă la rĂ©partition entre ses trois membres des transports Ă la charge des malades ou de leurs ayants droit que l'hĂŽpital lui demandait d'assurer Ă dĂ©faut de choix d'entreprises diffĂ©rentes exprimĂ© par les intĂ©ressĂ©s ; cette fonction est devenue la seule raison d'ĂȘtre de l'association en 1989, aprĂšs que, ayant perdu la clientĂšle de l'hĂŽpital, elle eut obtenu, pour cette catĂ©gorie de transports, d'ĂȘtre traitĂ©e Ă paritĂ© avec le nouveau prestataire de services du CHG ;
II. A LA LUMIĂRE DES CONSTATATIONS QUI PRĂCĂDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE
ConsidĂ©rant que ceux des faits ci-dessus dĂ©crits qui sont antĂ©rieurs Ă l'entrĂ©e en vigueur de l'ordonnance du 1er dĂ©cembre 1986 doivent ĂȘtre apprĂ©ciĂ©s au regard des dispositions de l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 qui demeurent applicables en l'espĂšce ; que les faits postĂ©rieurs doivent ĂȘtre apprĂ©ciĂ©s au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er dĂ©cembre 1986 ;
Considérant qu'il y a lieu pour le Conseil de la concurrence d'appeler l'entreprise qui est aux droits de celle qui s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles; que dÚs lors ne peuvent utilement se prévaloir des modifications intervenues dans leur situation à la suite de leur achat par de nouveaux actionnaires la société Ambulances Thibault, devenue la SARL Ambulances Transports L'Aiglon, et la société Ambulances Deleyrolle, devenue la SARL Activités AmbulanciÚres Associées et Connexes;
Considérant que les sociétés Salon Ambulances, Ambulances Thibault devenue ATA, et Ambulances Deleyrolle devenue AAAC ont créé, en 1985, l'association dénommée ATSUS dans le seul but de présenter, par son intermédiaire, une offre groupée en réponse à l'appel d'offres lancé chaque fin d'année par le CHG de Salon-de-Provence pour l'exécution des transports des personnes hospitalisées qui sont à sa charge; qu'une telle offre a été effectivement présentée par l'ATSUS en vue de l'exécution de ces transports en 1986, 1987, 1988 et 1989 ; que l'ATSUS ayant été retenue les trois premiÚres années, les prestations ont été assurées par les trois entreprises intervenant à tour de rÎle, suivant un rythme hebdomadaire ;
Considérant que la comparaison entre, d'une part, l'évaluation des moyens dont devait disposer le titulaire du marché, en dehors des situations à caractÚre exceptionnel pouvant le conduire à faire appel à une entreprise extérieure dans les conditions fixées par l'article 1er du cahier des clauses techniques particuliÚres, et, d'autre part, les moyens dont disposait chacune des trois entreprises membres de l'ATSUS ne fait pas apparaßtre la nécessité d'un groupement de ces trois entreprises pour exécuter le marché ;
Considérant que les pratiques ci-dessus décrites des trois entreprises de transports sanitaires révÚlent l'existence d'une entente de prix et de répartition de marché ayant eu pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence lors des appels d'offres auxquels le centre hospitalier a procédé pour assurer en 1986, 1987, 1988 et 1989 les transports sanitaires dont il avait la charge ; que ces pratiques tombent sous le coup des dispositions de l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 et sont également visées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la circonstance que le centre hospitalier général ait accepté les conditions proposées ne saurait constituer une excuse absolutoire ;
ConsidĂ©rant que l'ATSUS s'est bornĂ©e Ă servir de support Ă l'entente entre ses membres Ă l'Ă©gard desquels elle n'avait aucune autonomie ; que, dans ces conditions, les infractions ci-dessus constatĂ©es doivent ĂȘtre imputĂ©es aux seules entreprises susmentionnĂ©es ;
Considérant enfin que la situation privilégiée concernant les transports sanitaires à la charge des malades ou de leurs ayants droit dont les trois entreprises membres de I'ATSUS ont bénéficié à la suite de l'obtention par l'association du marché passé par le centre hospitalier de Salon-de-Provence est exclusivement imputable à la décision prise par l'établissement public, dans l'exercice de ses pouvoirs d'organisation du service public dont il a la charge, de réserver ces transports, à défaut de choix exprimé par les intéressés, au titulaire du marché et, en 1989, à celui-ci et à l'ATSUS ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précÚde qu'il y a lieu, par application de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de prononcer à l'encontre de chacune des entreprises de transports sanitaires susmentionnées des sanctions pécuniaires tenant compte notamment des avantages qu'elles ont pu retirer de l'entente,
DĂ©cide
Article unique : - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
50 000 F à la SARL Activités AmbulanciÚres Associées et Connexes (AAAC) ;
40 000 F Ă la SARL Ambulances Transports L'Aiglon (ATA) ;
30 000 F à la société Salon Ambulances.