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Décisions

Cass. com., 13 février 1996, n° 94-11.955

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

CEP Exposition (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Nicot (faisant fonction)

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Piniot

Avocats :

SCP Boré, Xavier, Me Ricard

Cass. com. n° 94-11.955

13 février 1996

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 25 janvier 1994), qu'en 1988 et 1990, la société Levage prestations services (LPS) et le ministre de l'Économie, des Finances et du Budget (le ministre), ont saisi le Conseil de la Concurrence de pratiques anticoncurrentielles observées dans le secteur de la manutention des matériels exposés dans les salons de biens d'équipement professionnel ; qu'il était notamment fait grief à la Société d'expositions et de promotion industrielle et commerciale (SEPIC) d'avoir organisé en 1988 à Paris quatre expositions de biens d'équipement professionnel " Intermat ", " Machine Outil ", " Productique ", et " Emballage " pour lesquelles elle aurait décidé de ne laisser exécuter les prestations de manutention par les exposants que par six entreprises par elle agréées entre lesquelles elle aurait partagé les zones des expositions, et d'avoir procédé de manière discriminatoire au choix des prestataires de ces travaux, en écartant la société LPS ainsi que d'autres sociétés, et en passant des conventions d'exclusivité avec les six entreprises sélectionnées ; que le Conseil de la Concurrence ayant constaté l'existence de ces pratiques et estimé qu'elles étaient contraires aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 a condamné la société SEPIC au paiement d'une indemnité de 1 867 500 F ; que la société CEP Exposium (la société CEP), aux droits de la société SEPIC, a formé un recours contre cette décision ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société CEP fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours, alors, selon le pourvoi, que la qualification d'entente au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, suppose l'existence d'un accord entre des agents économiques opérant sur un même marché ; que la cour d'appel a déterminé le marché concerné comme étant celui de la manutention spécialisée de matériels dans les salons professionnels ; qu'elle a par ailleurs relevé que la SEPIC effectuait auprès des exposants des salons une prestation distincte de celle de la manutention spécialisée ainsi définie dont elle n'assurait ni l'exécution ni la responsabilité, et qu'elle ne fixait ni ne percevait le prix ; qu'en énonçant néanmoins que les accords en cause entraient dans le champ d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la cour d'appel a violé les articles 7 et 53 de ladite ordonnance ;

Mais attendu que si une entente, au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, suppose l'existence d'actions concertées ou de conventions expresses ou tacites émanant d'opérateurs économiques en vue d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché déterminé, elle n'implique pas pour autant que les auteurs de ces actions prohibées exercent une activité économique sur le marché en cause ; que la cour d'appel ayant constaté que la convention d'exclusivité conclue par la société SEPIC, société ayant pour objet social d'organiser des salons professionnels, avec six entreprises de manutention avait eu pour effet de créer " artificiellement " une barrière à l'entrée du marché pertinent, qu'elle avait délimité comme étant celui de la manutention des salons, a caractérisé l'existence de l'entente litigieuse sans violer les dispositions du texte susvisé ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen pris en ses deux branches : - Attendu que la société CEP fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, pour affirmer que la SEPIC n'avait pas intégré les opérations de manutention dans la prestation globale qu'elle offrait aux exposants, et rejeter le moyen fondé sur l'existence du rapport de sous-traitance, la cour d'appel s'est référée exclusivement aux contrats conclus entre la SEPIC et les entreprises de manutention qui étaient inopposables aux exposants des salons ; qu'en s'abstenant de rechercher quelle était la nature et l'étendue des obligations contractuelles de la SEPIC envers les exposants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1165 du Code civil ; et alors, d'autre part, que le choix d'un fournisseur ou d'un prestataire de service pour soi même ou pour le compte d'un mandant ne constitue pas une activité de production de distribution ou de service seule visée par l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que l'arrêt attaqué énonce que la SEPIC " ne procédait pas aux choix des prestataires pour elle-même mais pour le compte des exposants " ; qu'il en résulte que la SEPIC intervenait pour la sélection des entreprises de manutention, seule activité reprochée à la SEPIC, en qualité de mandataire et qu'elle ne pouvait, pas plus que les mandants eux-mêmes, se voir reprocher une activité entrant dans le champ d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en énonçant néanmoins que cette ordonnance était applicable en l'espèce, la cour d'appel a violé l'article 53 de ladite ordonnance ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt analysant la convention existant entre l'organisateur et les manutentionnaires, a constaté qu'il ne saurait " être déduit des termes de ce contrat que le rapport de droit entre le manutentionnaire et l'exposant se limitait à un simple paiement direct du prix de la prestation, alors que ceux-ci devaient, dans la limite d'un maximum fixé, déterminer ensemble le prix de la prestation sans intervention de l'organisateur et que les tarifs pratiqués ont d'ailleurs différé d'une entreprise à l'autre " et a également relevé que la SEPIC n'a pas incorporé la manutention dans le service fourni aux exposants mais s'est bornée à interdire à ceux-ci de faire appel à d'autres entreprises que celles auxquelles elle avait accordé l'exclusivité de la fourniture de telles prestations ; qu'elle n'avait pas, dès lors, à effectuer la recherche prétendument omise ;

Attendu, d'autre part, qu'il ne résulte pas des constatations de l'arrêt que la SEPIC intervenait pour la sélection des entreprises de manutention en qualité de mandataire des exposants puisqu'elle a relevé, après avoir analysé les relations contractuelles liant les parties, " l'existence de deux relations contractuelles distinctes instaurées entre, d'une part, la SEPIC et les entreprises de manutention auxquelles était attribuée une zone délimitée du salon et, d'autre part, entre ces entreprises et les exposants " ; que la cour d'appel n'a, dès lors, pas violé les dispositions de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Que le moyen n'est fondé en aucune des branches ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que la société CEP fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours alors, selon le pourvoi, que sont prohibées les ententes qui tendent à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence lorsqu'elles portent une atteinte sensible au jeu de la concurrence ; qu'en s'abstenant de rechercher si les pratiques dénoncées affectaient de manière sensible la concurrence su le marché considéré, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que, ni devant le Conseil de la concurrence, ni devant la cour d'appel, la société CEP n'a soutenu que les pratiques dénoncées affectaient de manière sensible la concurrence sur le marché considéré ; que la cour d'appel n'avait pas dès lors, à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen pris en ses trois branches : - Attendu que la société CEP fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours, alors, selon le pourvoi, d'une part, que dans son avis du 18 novembre 1986, la commission de la concurrence avait énoncé qu'" il est légitime que les organisateurs de salons de la région parisienne... sollicitent... des entreprises qui ont leur confiance et dont ils sont assurés qu'elles présentent toutes les garanties requises " et que les inconvénients de l'organisation seraient moindres pour la concurrence " si le choix des entreprises prestataires de services par les organisateurs était réalisé dans des conditions permettant l'exercice d'une certaine concurrence lorsque celle-ci est possible " qu'en énonçant, pour apprécier la gravité des faits dénoncés, que la SEPIC ne pouvait pas ignorer le caractère illicite des pratiques déjà dénoncées dans l'avis de la commission de la concurrence du 18 novembre 1986, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet avis, lequel ne dénonçait nullement l'illicéité de telles pratiques, en violation de l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que la société CEP Exposium avait soutenu, dans ses conclusions d'appel, que les pratiques dénoncées avaient eu pour effet de garantir une totale transparence de ce poste de prix vis-à-vis des exposants, et qu'elles avaient également eu pour effet d'alléger les circuits financiers, de réduire les délais de paiement et de diminuer le coût global de la prestation de la SEPIC au profit des exposants ; qu'en omettant de répondre à ce moyen démontrant les avantages économiques résultants des pratiques litigieuses, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que les sanctions pécuniaires prononcées par le Conseil de la concurrence sont proportionnées notamment à l'importance du dommage causé à l'économie ; qu'il en résulte que les sanctions ne peuvent être prononcées que si ce dommage est certain ; qu'en l'espèce, la cour d' appel a estimé que les pratiques dénoncées avaient privé les exposants de la possibilité de se voir " éventuellement " proposer des prix plus compétitifs ; qu'en se fondant ainsi sur la privation d'un avantage purement hypothétique, la cour d'appel a violé l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'avis du 18 novembre 1986 de la commission de la concurrence auquel s'est référé l'arrêt relevait que " cependant, les avantages de l'organisation mise en place seraient tout aussi évidents du point de vue du progrès économique et les inconvénients en seraient moindres pour la concurrence si le choix des entreprises prestataires de services par les organisateurs était réalisé dans des conditions permettant l'exercice d'une certaine concurrence lorsque celle-ci est possible ; ainsi, pour le passé, les conventions conclues entre la société d'expositions et de promotions industrielles et commerciales (SEPIC), et l'Association intersyndicale pour les expositions des caoutchoucs et des l'Association intersyndicale pour les expositions des caoutchoucs et des plastiques pour les salons qu'elles ont organisés, ne peuvent bénéficier des dispositions du deuxième alinéa de l'article 51 " ; que, dès lors, la cour d'appel n'a pas méconnu la portée de cet avis en relevant que " la SEPIC ne pouvait ignorer le caractère illicite des pratiques dénoncées " ;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel a constaté que les restrictions de concurrence imposées par la société SEPIC avaient empêché plus de la moitié des entreprises concernées de concourir pour la fourniture de prestations de manutention dans les salons organisés par celle-ci, représentant en chiffre d'affaires 28 % de l'ensemble du secteur, le chiffre d'affaires total du marché de références estimé par les professionnels ayant été de vingt huit millions de francs en 1988 ; que répondant ainsi aux conclusions prétendument omises, et hors tout motif hypothétique, elle n'encourt pas les griefs du moyen ;

Que celui-ci n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : - Attendu que le ministre chargé de l'Economie, des Finances et du Budget sollicite sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de 10 000 francs ;

Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;

Par ces motifs, rejette le pourvoi ; rejette également la demande présentée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.