CA Paris, 11e ch. A, 15 avril 1991, n° 5107-90
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Ministère Public, Caisse Nationale de Retraite Transports Routiers
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosini
Conseillers :
M. Ancel, Mme Jeanjean
Avocat :
Me Nau.
Rappel de la procédure :
M. M Jean-Claude a régulièrement formé opposition le 22 décembre 1989 à l'exécution d'un précédent jugement, rendu par défaut le 23 septembre 1989, signifié le 15 décembre 1989 à la mairie qui l'a condamné par application des articles L. 633-9, L. 633-10 du code de la sécurité sociale, du décret D. 633-1 et suivants, du décret D. 635-31, D. 635-32 et 635-35, de l'article R. 244-4 du Code de la sécurité sociale et du décret 80-567 du 10 juillet 1980, du code pénal pour la contravention de non-paiement des cotisations destinées à financer le régime des allocations vieillesse des non-salariés :
- à une amende de 1 300 F pour la période du 1er juillet 1989 au 31 décembre 1989, et statuant sur la demande de la Caisse, partie civile, l'a condamné à payer à cet organisme en deniers ou quittances :
14 880 F représentant la cotisation impayée
1 488 F pour majorations de retard prévues aux articles D. 633-13 et R. 243-4 sous réserve de celles restant à courir jusqu'au paiement complet de la dette,
21,50 F pour frais de mise en demeure,
1 200 F à titre de dommages-intérêts,
et a ordonné que ce jugement soit, en application de l'article L. 244-5 du Code de la sécurité sociale publié intégralement ou par extraits dans le journal " France soir " et affiché dans les lieux désignés par le tribunal, sans que le coût de cette insertion puisse dépasser 1 % du plafond mentionné à l'article L. 633-18 du Code de la sécurité sociale.
Le jugement (dont appel)
A rejeté l'opposition,
A confirmé en toutes ses dispositions le jugement du 25 septembre 1989 qui sortira son plein et entier effet pour être exécuté en ses forme et teneur,
A condamné M. M Jean-Claude en tous les dépens liquidés à la somme de 266,79 F y compris les frais du jugement dont opposition et droit de poste,
A dit que la contrainte par corps sera appliquée s'il y a lieu, conformément aux dispositions légales.
Appels :
Appel a été interjeté par Me Nau, avocat substituant Me Marcou du barreau de Montpellier, au nom de M. M Jean-Claude, le 2 avril 1990 et par le Ministère Public, à son encontre le même jour.
Décision :
Rendue contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés le 2 avril 1990 par le prévenu et le Ministère Public du jugement sus-énoncé rendu par le Tribunal de police de Paris, le 2 avril 1990 ;
À l'audience de la Cour le prévenu est représenté ;
Son conseil dépose trois jeux de conclusions tendant :
1) à dire que les cotisations réclamées par la Cancava, l'Organic et la MSA, le sont en violation des dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et ainsi qu'en violation de l'article 10 du même texte, et qu'également les dispositions des articles 85 et 86 du Traité de Rome ne sont pas respectées, qu'en conséquence les contraintes délivrées sont nulles ; subsidiairement, il est demandé de saisir le Conseil de la concurrence, institué par l'ordonnance du 1er décembre 1986, pour avis, sur l'application des dispositions précitées sur l'abus de position dominante en découlant,
2) à la saisine de la Cour de justice en interprétation préjudicielle à la suite de la plainte déposée le 5 décembre 1987 par le Comité de Défense des Commerçants et Artisans (CDCA) auprès de M. le Président des Communautés Européennes sur le fondement des articles 85 et 86 du Traité de Rome,
3) à l'illégalité des poursuites en ce qu'elles sont fondées sur l'article R. 244-4 du Code de la sécurité sociale qui ne définit aucune incrimination ;
Le Ministère Public déclare n'avoir aucune observation à formuler.
La partie civile, représentée, sollicite la confirmation du jugement.
I- Sur l'exception d'illégalité fondée sur l'article R. 244-4 du Code de la sécurité sociale :
Considérant que les poursuites dont fait l'objet le prévenu ne sont pas fondées uniquement sur l'article R. 244-4 du Code de la sécurité sociale qui dispose effectivement que l'employeur ou le travailleur indépendant qui ne s'est pas conformé aux prescriptions de la législation de la sécurité sociale est passible d'une amende prévue pour les contraventions de la 3e classe, mais également sur les articles L. 633-9, L. 633-9 et D. 635-3, D. 635-35 du Code de la sécurité sociale lesquels prévoient l'incrimination visée à la prévention ; qu'il y a donc lieu de rejeter l'exception proposée ;
II- Sur la violation des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et celles des articles 85 et 86 du Traité de Rome :
Considérant que le prévenu excipe des dispositions des articles 7, 8 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et des articles 85 et 86 du Traité de Rome, qu'il résulte des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 " sont prohibées lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions ententes expresses ou tacites ou coalitions notamment lorsqu'elles tendent à :
1) limiter l'accès au marché ou libre exercice de la concurrence entre entreprises,
2) faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse,
3) limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique,
4) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement " ;
Sont prohibées également selon les termes de l'article 8 du même décret et dans les mêmes conditions :
L'exploitation abusive d'une entreprise ou un groupe d'entreprises :
1) d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci,
2) de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente,
Ces abus peuvent notamment consister en un refus de vente ou de vente liée, ou en conditions de vente discriminatoires, ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées,
Que le même texte poursuivant (article 9) indique très clairement :
" Est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle, se rapportant à une pratique prohibée par les articles 7 et 8 ",
Que l'article 85 du Traité de Rome du 25 juillet 1957 dispose que :
" Sont incompatibles avec le Marché Commun et interdits tous accords entre entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États Membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché Commun. "
Que l'article 86 du même Traité de Rome vise, parmi les pratiques qu'il prohibe, celles consistant à :
" poser de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou des prix de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables "
ou à
" Appliquer à l'égard des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence " ;
Considérant cependant qu'aux termes des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance précité ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8 les pratiques :
1) qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application ;
2) dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques ne doivent imposer des restrictions à la concurrence que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès.
Certaines catégories d'accords, notamment lorsqu'ils ont pour objet d'améliorer la gestion des entreprises moyennes ou petites peuvent être reconnues comme satisfaisant à des conditions par décret pris après avis conforme du Conseil de la concurrence ;
Considérant en l'espèce que les dispositions du code de la sécurité sociale en matière de couverture des risques vieillesse, invalidité, décès, constituent des principes fondamentaux de l'organisation de la Sécurité Sociale, que tout le système, contrairement à ce qui est soutenu par le prévenu, est imposé par la loi et des décrets d'application et bénéficie donc de plein droit de l'exemption de l'article 10-1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que les tarifs sont contrôlés par la puissance publique, ces dispositions n'interdisant en rien à des organismes d'assurance privés de mettre en place librement un système d'assurance privé, qui ne pourrait toutefois dispenser de l'adhésion au régime obligatoire;
Considérant par ailleurs qu'il n'est pas contraire au droit européen et au Traité de Rome en ses articles 85 et 86, d'instituer un système obligatoire d'assurance des risques précités dans le cadre de la protection sociale, dès lors que des systèmes privés peuvent aussi être mis en place en parallèle;
Qu'il y a donc lieu de rejeter ces moyens ;
III- Sur la saisine de la commission de la concurrence :
Considérant que par décision en date du 13 novembre 1990, le Conseil de la concurrence (Avis n° 90-A-19), dans un problème relatif aux questions posées par le Syndicat National des anesthésiologistes-réanimateurs français concernant les tarifs des honoraires des médecins a estimé que ces questions, lesquelles tendaient à obtenir une augmentation des tarifs applicables aux médecins par les caisses d'épargne maladie et de mettre en cause le système de protection sociale mis en place depuis 1945, n'avaient pas le caractère d'une question de concurrence, et qu'il ne lui appartenait pas d'émettre d'avis ;
Considérant qu'en l'espèce, l'avis demandé par le prévenu, en tant que membre du CDCA, n'a pas le caractère qu'une question de concurrence au sens le l'article 5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et n'entre pas dans le champ de la compétence du conseil de la concurrence, qu'il y a lieu de rejeter cette demande de ce chef ;
IV- Sur la saisine de la Cour de justice :
Considérant que le prévenu ne justifie pas de l'abus de position dominante qu'il invoque ; qu'au surplus, la requête n'entre pas non plus dans le cas de saisine obligatoire de la Cour de justice ; qu'il y a lieu de rejeter la demande de ce chef ;
V- Au fond :
Considérant que Jean-Claude M, qui exerce la profession de transporteur routier, n'a pas payé à la date d'exigibilité fixée par le règlement de la Caisse à laquelle il est affilié, les cotisations Assurance Maladie du régime obligatoire des travailleurs non salariés Livre VI Titre I du Code de la sécurité sociale concernant sa profession pour la période du 1er juillet 1989 au 31 décembre 1989 malgré une mise en demeure qui lui a été adressée le 2 août 1989, qu'il ne conteste d'ailleurs pas l'infraction ; que c'est donc à bon droit qu'il a été retenu dans les liens de la prévention, que les peines infligées sont justifiées par la nature de l'infraction ;
Considérant que la demande de partie civile de la Caisse Nationale de Retraite des Transports Routiers est régulière et recevable ; que le préjudice certain et direct subi par cet organisme a été justement apprécié par le tribunal ;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré, Rejette comme irrecevable ou mal fondés tous moyens, demandes et exceptions soulevés par le prévenu, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions tant pénales que civiles, Condamne Jean-Claude M aux dépens de première instance liquidés au jugement et à ceux d'appel liquidés à la somme de 186,91 F droit de poste et droit fixe de procédure inclus.