Cass. com., 29 novembre 1994, n° 92-18.514
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
TV Mondes (SARL)
Défendeur :
Compagnie générale de vidéocommunication (SNC), Générale d'images (Sté), Planète câble (Sté), Ciné-cinéma câble (Sté), Communication développement (SA), Lyonnaise communications (SNC), Paris - TV câble (SEML), Régionale de communication (SA), Canal J (SA), Réseaux câblés de France (Sté), France Télécom, Ministre de l'économie, des finances et du budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
(faisant fonctions) : M. Nicot
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. Curti
Avocats :
SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, SCP Vier, Barthélémy, Me Cossa.
LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 17 juin 1992) que la société TV Mondes a, à partir de 1987, proposé aux sociétés exploitantes de réseaux câblés de télévision, un programme représentatif de l'ensemble des cultures du monde, principalement composé de magazines, de documentaires et de fictions ; qu'après de nombreuses négociations, menées avec les différentes sociétés spécialisées dans la distribution par câble, la Compagnie générale de vidéocommunication (société CGV), filiale de la société Compagnie générale des eaux, la société Lyonnaise communications (société LC), filiale de la société Lyonnaise des eaux Dumez, et la société Communication développement (société CD), filiale de la Caisse des dépôts et consignations, la société TV Mondes a obtenu, à titre expérimental et pour une période limitée, que ses programmes puissent être produits avec d'autres sur trois "sites" réservés à ces "câblo-opérateurs" ; que, toutefois, cet essai ne fut pas jugé concluant par les trois sociétés qui proposèrent à la société TV Mondes une collaboration réduite et à des prix inférieurs à ceux qu'elle estimait être en droit d'attendre ; que cette société, prétendant avoir été victime de pratiques anti-concurrentielles contraires aux articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ainsi qu'aux articles 85 et 86 du Traité instituant la Communauté économique européenne, a alors saisi le conseil de la concurrence afin de lui demander de prononcer des sanctions à l'encontre de la société CGV et des sociétés CD et LC, ainsi qu'à l'encontre de leurs différentes filiales, auxquelles elle a reproché, d'une part, de s'être entendues pour exclure les éditeurs indépendants du marché des programmes thématiques destinés au câble, d'autre part, d'avoir abusé de la position dominante que ces trois sociétés occupent collectivement sur le marché national de la distribution par câble, en leur imposant des conditions discriminatoires de distribution et de rémunération de leurs services ; que le conseil a fait droit à cette demande en enjoignant aux sociétés Canal J, Générales d'Images, Planète câble, Ciné-cinéma câble, CGV, CD, LC, Paris TV câble, Réseaux câblés de France, Société régionale de télécommunication et France Télécom, de supprimer, dans un délai maximum de six mois, les clauses d'exclusivité thématique figurant dans les contrats de diffusion des programmes Canal J, Planète, Ciné-Cinéma et Canal Bis, et de cesser dans l'avenir d'adopter de telles clauses en infligeant, en outre, à la société CGV une sanction pécuniaire de 1 000 000 F et en demandant à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de lui faire rapport, dans un délai de deux ans, sur le secteur de la distribution par câble des programmes de télévision ; que la société CGV, la société Générale d'Images, la société Planète câble, la société Ciné-cinéma câble ont ensemble formé un recours principal tendant à l'annulation et, subsidiairement, à la réformation de cette décision, les autres sociétés ayant été appelées dans la cause ;
Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches : - Attendu que la société TV Mondes fait grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'il n'y avait pas d'entente horizontale illicite entre les sociétés CGV, LC et CD alors, selon le pourvoi, d'une part, que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en l'espèce, le juge ne pouvait tout à la fois constater, d'un côté, que des négociations avaient été engagées, dès 1987, entre la société TV Mondes (déjà présente sur le marché depuis 1985) et les trois grands exploitants de réseaux câblés pour n'aboutir qu'en décembre 1988, puis affirmer, de l'autre, que la création concomitante ou postérieure (1987, 1988, 1989) d'entreprises concurrentes par les câblo-opérateurs aurait seulement répondu à une nécessité de promouvoir les réseaux câblés ; qu'en se fondant sur des motifs inconciliables s'agissant de l'état du marché des programmes thématiques francophones à l'époque en cause, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que la société TV Monde faisait valoir que la création de chaînes thématiques par les trois grands exploitants de réseaux ne correspondait nullement à la prétendue nécessité de pallier l'absence d'initiative indépendantes sur le marché de l'édition de programmes, dès lors qu'au contraire, dès la fin de l'année 1985, sept chaînes thématiques indépendantes lancées avec l'aide de "Mission câble" étaient déjà présentes sur ce marché, tandis que près de trois mille heures de programmes avaient été acquises par vingt-sept régies prêtes à passer, à la demande, des contrats de fournitures adaptés à chaque réseau câblé ; qu'en affirmant qu'il n'était pas démontré que la création par les câblo-opérateurs de leurs propres chaînes d'édition de programmes eût eu d'autre objectif que la mise en place et la rentabilisation de chaînes nécessaires à la promotion du câble, sans vérifier de manière concrète les besoins du marché au moment de ces créations, la cour d' appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 85 du traité de Rome ; alors, en outre, que les ententes sont prohibées, qu'elles aient pour objet ou seulement pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; qu'en retenant, en l'espèce, que la création de filiales communes d'entreprises d'édition de programmes thématiques francophones, destinés au câble, n'avait pas eu pour objectif d'éliminer la concurrence, sans rechercher si l'action des câblo-opérateurs avait pu avoir un effet restrictif sur le marché en cause, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; alors, au surplus, que l'arrêt attaqué a constaté que, dès 1987, les câblo-opérateurs avaient créé des filiales communes d'édition de programmes thématiques destinés à être diffusés en exclusivité selon une politique de partenariat et en vertu de conventions particulières, sur l'ensemble des réseaux qu'ils exploitaient ; qu'en retenant néanmoins qu'il n'était pas établi que les intéressés se fussent livrés à une concertation antérieurement à la saisine du conseil le 12 septembre 1989, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; et alors, enfin, qu'en se bornant à affirmer que la concertation ne pouvait résulter de l'existence de clauses d'exclusivité dans les contrats conclus individuellement par chacun des câblo-opérateurs avec les éditeurs de programmes, clauses dont le caractère anti-concurrentiel a été par ailleurs constaté, sans relever, comme elle y était pourtant invitée, le caractère identique des stipulations de tous les contrats à cet égard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a constaté que le marché pertinent était celui des chaînes de télévision offertes par les éditeurs aux diffuseurs, marché distinct de celui de l'exploitation des réseaux et que, l'adjonction par les entreprises d'exploitation des réseaux de l'édition de programmes thématiques francophones à leur activité d'origine, au moyen de filiales constituées à cette fin, était sans incidence sur la spécifité du marché de ces programmes ; qu'à partir de ces constatations, c'est en appréciant souverainement les éléments qui lui étaient soumis, hors toute contradiction et sans avoir à effectuer d'autres recherches, que la cour d'appel a retenu qu'en dépit de considérations générales sur l'intérêt que pourraient avoir ces opérateurs à éliminer toute concurrence des éditeurs indépendants de programmes identiques, il n'était aucunement démontré qu'ils se soient concertés à cette fin ;
Attendu, en second lieu, que si la création, par des entreprises ayant un objet social identique, de filiales communes peut avoir des effets restrictifs sur le marché, l'existence de ces filiales ne saurait, à elle seule, et à défaut d'autres éléments de preuve, établir que cette entente ait un caractère illicite ; qu'ayant constaté que "le marché de la câblo-distribution est marquée par une forte tendance à l'intégration des fonctions d'exploitation des réseaux et d'édition des programmes, notamment par la création de filiales d'édition de programmes communes au principaux éditeurs" et qu'il n'était pas démontré que ces filiales "aient répondu, pour les câblo-distributeurs, à d'autres objectifs que la mise en place et la rentabilisation des chaînes nécessaires à la promotion des réseaux câblés", la cour d'appel, qui n'avait à effectuer d'autres recherches, a pu décider, conformément aux dispositions de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qu'il n'était pas établi que cette entente ait un caractère illicite ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société TV Mondes fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que la société CGV ne s'était pas rendue coupable d'abus de position dominante et alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'existence d'une entente anti-concurrentielle entre diverses entreprises est susceptible de caractériser l'usage abusif, par l'une ou plusieurs d'entre elles, de leur position dominante ou, à l'inverse, de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à leur égard un fournisseur ne disposant pas de solution équivalente ; qu'en l'espèce, la société TV Mondes avait souligné les liens existant entre son éviction du marché, le comportement commun au trois câblo-opérateurs et leur position respective sur le marché en cause ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt attaqué en ce qu'il a retenu qu'aucun abus n'aurait été établi à la charge des câblo-opérateurs, conformément aux dispositions de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile ; alors que, d'autre part, le juge ne pouvait retenir, à l'instar du Conseil supérieur de l'audio-visuel, que la proposition de rémunération, quatre fois inférieure au tarif pratiqué avec les sociétés d'édition intégrées, faite par le groupe compagnie Générale des Eaux aurait été justifiée au regard de la qualité et de la quantité des programmes de TV Mondes, sans préciser, comme elle y était invitée par les conclusions prises en l'espèce, que la société CD avait pour sa part offert à la société TV Mondes un tarif "normal", bien qu'elle eût assorti sa proposition d'autres conditions inacceptables, tandis que, dès son origine, la société TV Mondes avait reçu l'appui notamment des pouvoirs publics, compte tenu de l'attrait commercial que devait présenter la diffusion de ses programmes ; qu'en se bornant à faire sienne une opinion formulée dans le cadre d'une autre instance, sans examiner concrètement les moyens qui lui étaient proposés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 86 du traité de Rome ; alors, enfin, qu'en déclarant que la proposition faite par la société CGV n'aurait pas excédé les limites de la liberté de négociation d'un opérateur, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le prix ainsi imposé n'était pas sans relation avec la réalité des coûts de production, à assumer par un éditeur de programmes thématiques destinés au câble, la cour d'appel n'a pas davantage justifié légalement sa décision au regard des textes susvisés ;
Mais attendu, en premier lieu, que les critiques énoncées au premier moyen ayant été écartées, celles contenues dans la première branche du moyen doivent l'être également ;
Attendu, en second lieu, que c'est après l'examen concret des éléments de preuves qui lui étaient soumis et, après s'être référé à l'avis du conseil supérieur de l'audio-visuel que la cour d'appel a relevé que "tant au point de vue du volume limité à six heures quotidiennes au lieu de quinze que du contenu constitué d'émissions en version originale, sous-titrées en français, la chaîne TV Mondes ne représentait pas un produit d'appel commercialement équivalent à d'autres chaînes thématiques francophones, notamment la chaîne Planète" ; qu'ainsi, et sans avoir à rechercher quel était le coût de production des programmes offerts par la société TV Mondes, le prix étant nécessairement lié à l'environnement économique de ce marché et aux avantages commerciaux, en l'espèce modestes, la cour d'appel a estimé que la proposition de rémunération faite par la société CGV n'excédait pas les limites de la liberté de négociation d'un opérateur ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société TV Mondes fait grief à l'arrêt de ne pas avoir décidé qu'il y avait abus de position dominante de la part des trois grands exploitants du réseau câblé, à savoir les sociétés CGV, LC et CD alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'existence d'une entente anti-concurrentielle entre diverses entreprises est susceptible de caractériser l'usage abusif par l'une ou plusieurs d'entre elles de leur position dominante ou, à l'inverse, de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à leur égard un fournisseur ne disposant pas de solution équivalente ; qu'en l'espèce, la société TV Mondes avait souligné les liens existant entre son éviction du marché, le comportement commun aux trois câblo-opérateurs et leur position respective sur le marché en cause ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt attaqué en ce qu'il a retenu qu'aucun abus n'aurait été établi à la charge des câblo-opérateurs, conformément aux dispositions de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que la société TV Mondes faisait valoir qu'était abusif le fait pour les trois grands câblo-opérateurs contrôlant (en raison de leur situation de quasi-monopole) l'attribution des canaux d'en avoir réservé l'accès, tant par le jeu des clauses d'exclusivité d'approvisionnement que grâce à une politique de partenariat, à leurs propres filiales communes d'édition de programmes thématiques francophones créées à cet effet ; qu'en se bornant à examiner le caractère discriminatoire ou non des tarifs imposés à la société TV Mondes par l'un des exploitants de réseaux ainsi que le refus de contracter, pris isolément, d'un autre, sans répondre à ces conclusions déterminantes, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, enfin, que la société TV Mondes reprochait aux trois grands câblo- opérateurs d'avoir adopté une position commune d'éviction à son égard (proposition par l'un de tarifs ne permettant pas à la société TV Mondes d'assurer son équilibre financier ; abence de proposition de diffusion, sauf gratuite et expérimentale, de la part de l'autre ; proposition par le troisième d'une diffusion sur un site trop restreint) ; qu'en se bornant à affirmer le caractère non discriminatoire des tarifs proposés par la CGV ainsi que l'insuffisance, en soi, du refus de contracter de la société LC, sans examiner l'ensemble des griefs formulés à l'égard de chacun des trois câblo-opérateurs ni tenter de mettre en parallèle leur comportement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 86 du traité de Rome ;
Mais attendu, en premier lieu, que les critiques énoncées au premier moyen ayant été écartées, celles contenues dans la première branche du moyen doivent l'être également ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel, appréciant les éléments de preuve qui lui étaient soumis, a relevé qu'il n'était pas établi que les entreprises litigieuses se soient livrées à des pratiques susceptibles de caractériser un abus de position dominante ; qu'elle a, ainsi, par une décision motivée répondant aux conclusions prétendument omises et après avoir examiné l'ensemble des griefs formulés à l'égard des trois "câblo-opérateurs", légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.