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Décisions

Conseil Conc., 3 juillet 1990, n° 90-D-23

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par la Société JVC Vidéo France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en section sur le rapport de M. G. Charrier dans sa séance du 3 juillet 1990, où siégeaient : M. Béteille, vice-président, présidant ; M. Cerruti, Mmes Hagelsteen, Lorenceau, M. Schmidt, membres.

Conseil Conc. n° 90-D-23

3 juillet 1990

Le Conseil de la concurrence,

Vu les lettres enregistrées le 11 février 1987 sous le numéro F 56 et le 30 mai 1988 sous le numéro F 162 par lesquelles Mme Blandine Chapelle, gérante de la société à responsabilité limitée SEDA, située 19, place de la Madeleine, à Paris, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu'elle estime anticoncurrentiellles mises en œuvre par la société JVC Vidéo France sur le marché de produits électroniques grand public ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu la décision du président du Conseil de la concurrence no 89-DSA-04 du 7 avril 1989 retirant, en application de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée, diverses pièces du dossier sur la demande de la société JVC Vidéo France ; Vu les observations présentées par les parties et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du gouvernement et le réprésentant de la société JVC Vidéo France entendus, et Mme Chapelle ayant été régulièrement convoquée ; Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées :

I. CONSTATATIONS

1. Le marché

Les produits visés dans la présente procédure sont ceux qui répondent à la dénomination " vidéo " : les magnétoscopes et les caméras vidéos, également désignés sous l'appellation caméscopes ou vidéo scopes.

Trois systèmes techniques différents sont utilisés : le système VHS, le système VHS-C et le système 8 mm qui représentaient en 1988 respectivement, selon le numéro du mois de juin 1988 de la revue Audio vidéo magazine, le premier 10 p. 100 d'un marché en croissance, le deuxième environ 45 p. 100 d'un marché en croissance rapide et le troisième 45 p. 100 d'un marché en stagnation.

La société JVC Vidéo France détient le deuxième rang des fournisseurs de ces produits tous systèmes confondus et le premier rang pour les appareils de type VHS dont elle est l'inventeur.

Selon la société d'enquêtes GFK, pendant la période s'étendant du mois d'avril 1987 au mois de mars 1988, la société JVC Vidéo France détenait 17,3 p. 100 en valeur (2e rang) et 16,4 p. 100 en nombre des produits vendus (2e rang) du marché des caméscopes ainsi que 8,8 p. 100 en valeur (1er rang) et 7,2 p. 100 en nombre d'appareils vendus (2e rang) du marché des magnétoscopes.

Pour le secteur des caméscopes, deux fournisseurs prédominent : Sony avec 38,9 p. 100 des parts en valeur et 42,4 p. 100 en nombre d'appareils vendus, suivi de JVC, lui-même détenant une part nettement supérieure aux autres marques, dont Hitachi, Canon, Thomson, Grundig, respectivement 8,1 p. 100, 6,7 p. 100, 4,8 p. 100, 3,3 p. 100 et 3 p. 100 en valeur.

Le marché des magnétoscopes, plus dispersé, n'est dominé par aucun fournisseur ; les dix premiers détiennent entre 8,8 p. 100 et 4,1 p. 100 des parts en valeur, Philips, le deuxième après JVC, détenant 7,8 p. 100.

Ces parts de marché constituent une moyenne sur une période d'un an ; les données relatives à la société JVC, mois par mois, montrent une baisse sensible de ses parts de 9 p. 100 en février 1987 à 5,7 p. 100 en mars 1988.

La société JVC Vidéo France commercialise les produits fabriqués par la société de droit japonais Victor Company of Japan dans ses usines installées au Japon ou en Europe. Environ 60 p. 100 des produits JVC vendus en France sont fabriqués en République fédérale allemande dans une unité de fabrication commune avec la société Thomson. Certains produits identiques, de fabrication d'origine JVC (fabriqués au Japon ou en RFA), sont commercialisés sous des références de marque JVC, mais aussi sous diverses autres marques (Thomson, Saba, Téléfunken, Brandt, Toshiba, Philips, Radiola, ITT, Continental Edison, Schaub Lorenz).

La marque JVC est mondialement connue et ses produits sont généralement considérés comme étant parmi les meilleurs par le public averti des clients effectifs ou potentiels de ce type d'appareils. Une étude réalisée par l'institut de sondages d'opinions IPSOS montre qu'à la question portant sur tous les produits de la gamme " connaissez-vous telle marque ? " JVC est la dix-septième marque citée mais à la question centrée sur les produits visés dans la procédure (" quelles marques de magnétoscopes ou de caméscopes connaissez-vous ? "), JVC apparaît à la sixième place pour les magnétoscopes (derrière Philips, Thomson, Sony, Akal, Brandt) et à la cinquième place pour les caméscopes (derrière Philips, Sony, Thomson, Akal).

La société JVC Vidéo France distribue ses produits auprès d'un millier de revendeurs parmi les quinze mille points de vente assurant la distribution de ce type de produits. Selon les propres estimations de la société intéressée, une évolution est intervenue dans la répartition des ventes suivant les différents canaux de distribution : en 1988, elle vend 23 p.100 de ses produits par l'intermédiaire des revendeurs traditionnels au lieu de 65 p. 100 en 1985 et, inversement, les hypermarchés reçoivent 23 p. 100 des ventes au lieu de 4 p. 100. Ce transfert au profit des grandes surfaces s'inscrit davantage dans l'évolution générale du commerce qu'il ne relève d'une stratégie commerciale de JVC. De plus, selon JVC, les revendeurs traditionnelles se détournent des produits de la marque JVC, ne pouvant pratiquer les prix de marché qui subissent une pression à la baisse en raison, notamment, des méthodes des points de vente tels que SEDA ;

La société à responsabilité limitée SEDA, partie saisissante, devenue depuis la période des faits la société anonyme Concurrence, dirigée par Mme Chapelle, gère le magasin de vente au détail à l'enseigne " Concurrence " situé place de la Madeleine, à Paris, à proximité de l'un des points de vente de Darty.

Cette entreprise, bien que juridiquement indépendante, est liée étroitement à l'entreprise personnelle Jean Chapelle, située rue de Rennes, à Paris, non loin du magasin FNAC, et à la société SEMAVEM située à Valence (Drôme).

La présentation du magasin et de ses méthodes de ventes qui revêtent une importance dans les relations de SEDA avec son fournisseur JVC, en particulier pour la détermination des taux de remises, est l'objet d'une controverse entre les parties. Selon Mme Chapelle, le magasin suit une politique traditionnelle de services et vend des produits à marges réduites, tandis que pour la société JVC Vidéo France, SEDA, n'est qu'un " discounter " pratiquant la " vente à emporter " et qui ne rend pas les mêmes services aux consommateurs que les autres distributeurs. SEDA n'assure ni un accueil de la clientèle, ni une présentation des produits, ni un agencement du local de qualité conforme à la notoriété de la marque ; elle n'effectue ni la démonstration du matériel par un personnel suffisant et qualifié, ni l'installation et la mise en service - sauf en facturant la prestation - ni le service après-vente.

Pendant la période s'étendant de janvier 1987 à mai 1988, la part des produits vidéo de marque JVC dans le chiffre des ventes de SEDA a très sensiblement évolué et fluctué selon les mois. Pour l'ensemble de la famille des produits vidéo (caméscopes et magnétoscopes), la part de JVC a été de 36,58 p. 100 durant cette période. S'agissant des magnétoscopes, la part de JVC a été de 49,84 p. 100 pour l'année 1987 et 23,83 p. 100 pour les cinq premiers mois de l'année 1988 ; mais si la part de JVC a culminé à 82 p. 100 en février 1987, elle était de 18 p. 100 en mai 1988. En ce qui concerne les caméscopes, la part de JVC était de 26,68 P. 100 en 1987 et de 25,22 p. 100 de janvier à mai 1988 avec des hausses caractérisées aux mois de novembre et décembre 1987 et janvier 1988 (respectivement 45, 59 et 48 p. 100). Cependant, la baisse constatée des parts des appareils vidéo de marque JVC dans l'ensemble des ventes est surtout due à l'accroissement de l'approvisionnement auprès d'autres marques ; ainsi, une comparaison entre les cinq premiers mois de 1987 et la même période pour 1988 montre, dans le même temps, une diminution des ventes des appareils JVC (217 en 1987 et 183 en 1988) mais une forte augmentation toutes marques confondues (305 en 1987 et 768 en 1988).

2. Les pratiques examinées

a) Clauses contenues dans les conditions générales de vente et les accords de coopération

Les conditions de vente mises en vigueur le 1er juin 1987 stipulent dans leur article 10-13 que la remise quantitative différée " s'applique pour les commandes payées et livrées à une seule enseigne ". Les accords de coopération signés à compter du 1er janvier 1988 disposent que " la commande tient compte d'un objectif d'achat... étant précisé que toute revente à un revendeur professionnel n'appartenant pas à la même enseigne ne sera pas prise en compte " ; cette clause a été modifiée dans les accords mis en vigueur à compter du 1er juillet 1988 puisqu'à lanotion d'enseigne est ajoutée celle de groupe : " ... toute revente à un revendeur professionnel n'appartenant pas à la même enseigne ou au même groupe... "

Ainsi, ces clauses des conditions générales de vente et des accords dans les éditions antérieures au 1er juillet 1988 limitent aux seuls regroupements de distributeurs dont les membres sont réunis sous une enseigne unique la possibilité de rassembler les commandes et les objectifs d'achat pour bénéficier des remises quantitatives et des primes de coopération correspondantes ; corrélativement, les revendeurs regroupés, mais sans enseigne unique, ne peuvent obtenir les remises et primes afférentes à la totalisation de leurs achats.

Les remises dont il s'agit sont de 2 p. 100 à 5 p. 100 selon les quantités pour les remises quantitatives et, si le montant des primes fixées en valeur absolue est calculée en pourcentage par rapport au prix de base, de 1,66 p. 100 à 11,66 p. 100 pour les remises de coopération suivant les objectifs d'achat. Ces dispositions tendent à creuser un écart dans les prix d'achat, toutes remises et primes déduites, entre les revendeurs qui en bénéficient et ceux qui en sont privés.

Les raisons invoquées pour justifier ce dispositif se fondent sur les économies des coûts de distribution, " l'augmentation de la productivité des investissements nécessaires à l'approvisionnement des revendeurs " et sur l'intérêt pour un fournisseur de profiter du dynamisme de groupe de distributeurs réunis sous une même enseigne, car cette circonstance suppose une politique commerciale commune et un effet de synergie des promotions effectuées par l'ensemble du groupe et des différents magasins.

b) L'application du système des remises :

Pendant la période considérée, du 1er décembre 1986 au 30 juin 1988, quatre éditions des documents fixant les conditions de remises ont été en vigueur : celles du 1er avril 1986, du 1er janvier 1987, du 1er juin 1987 et du 1er octobre 1987.

Ces conditions comportent des remises sur le tarif de base, des remises qualifiées de " complémentaires " puis de " qualitatives différées " après le 1er juin 1987 et des remises " quantitatives différées " ; en outre, est prévu un escompte pour paiement comptant. A ces remises et escompte, le cas échéant, s'ajoutent, à compter du mois de janvier 1988, des primes de coopération pour ceux des revendeurs qui ont souscrit des accords de coopération.

La société SEDA prétend dans sa lettre de saisine du 11 février 1987, puis dans une lettre du 19 mars 1987 adressée au conseil, avoir été victime de conditions discriminatoires de JVC se fondant sur des faits portant sur les années 1985 et 1986. Dans sa saisine du 30 mai 1988, elle renouvelle ses allégations en considérant que les conditions rémunèrent " de façon abusive et sans contrepartie réelle des services tels que l'exposition, la démonstration, le conseil, la régularité des paiements, la prise en charge des appareils pour la transmission aux stations de dépannage JVC " ; en outre, elle émet des suppositions sur l'existence de remises cachées.

Pour la période considérée, à compter du 1er décembre 1986, aucune contestation ne porte sur l'attribution de la remise sur le tarif de base (de 15 à 21 p. 100 dans les conditions du 1er avril 1986 et du 1er janvier 1987, puis de 21 p. 100 après le 1er juin 1988), SEDA ayant bénéficié du taux maximum de 21 p. 100.

Par ailleurs, SEDA a obtenu normalement les remises de nature qualitative " complémentaires " puis " qualitatives différées ", à l'exception de celles relatives au service après vente et à " l'assistance SAV ".

La remise SAV est accordée au revendeur assurant lui-même le service après vente par un personnel technique compétent ; SEDA ne répondant pas à ces conditions - ce qu'elle ne conteste pas -n'en bénéficie pas. Seuls les revendeurs assurant effectivement le SAV l'obtiennent, de telle sorte que, même au sein d'un groupement tel que Connexion, la remise est refusée à ceux des membres qui n'assurent pas le SAV Le fait de recourir à la sous-traitance ne suffit pas au regard des conditions de JVC.

La remise " assistance SAV " de 4 p. 100, qui depuis le 1er juin 1987 " bénéficie au revendeur ayant assuré gratuitement la reprise en et hors période de garantie des appareils en panne qu'il à lui-même commercialisés et leur transport au centre technique agréé JVC ", a été attribuée à SEDA, qui y avait droit, après réclamation de sa part.

Pour la période postérieure au 1er juin 1987, le taux maximum de l'ensemble des remises s'élevait à 21 p. 100 (remise sur tarif de base), plus 4 p. 100 (escompte), plus 22 p. 100 (remises qualitatives), plus 5,5 p. 100 (remises quantitatives), soit 21 plus 31,5 p. 100 auxquelles s'ajoutent, le cas échéant, les primes de coopération. SEDA a pu bénéficier de 21 p. 100 plus 22 p. 100 (remise de base, remises qualitatives, escompte), tandis que Auchan, citée par la partie saisissante, a obtenu des remises de 21 p. 100 plus 29 p. 100 auxquelles se sont ajoutées des primes de coopération.

S'agissant des accords de coopération, il a été noté que les nouveaux accords ont été communiqués à SEDA le 25 janvier 1988 alors qu'ils étaient applicables à partir du 1er janvier 1988 ; de même, les modifications (éditions de nouveaux accords en février et en avril) prévoyant des primes supérieures ont été communiquées le 23 juin 1988 à SEDA ;

c) Les refus de vente ou retards de livraison

Le 6 février 1987, la société JVC a adressé une lettre à Mme Chapelle dans laquelle elle écrit.

" Nous venons de nous rendre compte que vous pratiquez une politique de baisse systématique des prix généralement pratiqués par l'ensemble des distributeurs.

" Les pratiques par vous utilisées entraînent obligatoirement de la part des autres distributeurs une réaction allant dans le sens de la baisse des prix. La conséquence est que, compte tenu de la faible marge bénéficiaire résultant pour l'ensemble des distributeurs dans la revente des produits, il risque d'y avoir une désaffection du réseau de distribution à l'égard des produits de la marque JVC, ce qui profiterait à la concurrence.

" Nous considérons qu 'il s'agit là d'un motif légitime pouvant dans l'avenir nous faire hésiter à vous livrer les matériels que vous serez appelée à solliciter de nous.

" Nous avons constaté, dans la dernière publication publicitaire qui est parue, que vous pratiquez des baisses des prix de l'ordre de 16 p. 100, ladite annonce publicitaire pouvant même faire croire qu'il s'agirait de votre part d'une braderie.

" Nous tenons à vous mettre en garde contre la perpétuation d'une telle pratique.

" il faut revenir à une conception plus normale des choses, à défaut de quoi nous pourrions être appelés à prendre telle disposition. "

Cette correspondance s'inscrit dans un contexte conflictuel quasi permanent entre les parties depuis de nombreuses années ; les propos ont été compris comme des menaces de refus de vente par SEDA et justifiés par JVC comme une réponse pour défendre son image de marque qui risquait d'être ternie par le fait que les, prix réduits pouvaient laisser croire que les produits JVC étaient de moindre qualité que les appareils équivalents des concurrents. A la suite de la décision n° 87-MC-03 du Conseil de la concurrence statuant sur une demande de mesures conservatoires émanant de SEDA, JVC a annulé les termes de sa lettre par un courrier du 9 avril 1987.

Les commandes non annulées émanant de SEDA pendant la période allant de décembre 1987 à juin 1988 ont totalement été honorées. Ce fait n'est d'ailleurs pas contesté par SEDA qui, faisant état de retards dans les livraisons susceptibles d'avoir les mêmes effets qu'un refus, en particulier pendant la période des fêtes de fin d'année, précise que " les commandes finissent toutes par être exécutées, mais cela n'a guère de signification ".

Pendant le mois de décembre 1986 et les premiers mois de 1987 ainsi qu'au mois de décembre 1987 et durant le premier semestre 1988, neuf modèles ont été livrés avec des délais dépassant le délai moyen fixé à sept jours par JVC dans l'article 5 de ses conditions de vente. Ces retards étaient imputables soit à l'indisponibilité des produits, notamment de ceux nouvellement mis sur le marché, soit par des dépassements des encours de crédit alloués à SEDA.

d) La fixation du montant des encours :

La société JVC France recourt aux services d'un établissement d'assurance crédit, la société SACREN, pour assurer les éventuels impayés de ses clients ; les sinistres sont pris en charge dans les limites de l'encours fixé en fonction de l'appréciation de la situation financière des clients. Au-delà du plafond de l'encours, il est loisible à un client de payer la commande au comptant par chèque certifié.

e) Allégation d'une entente générale sur les prix et de pratiques de prix imposés:

Se fondant principalement sur les termes de la lettre précitée du 6 février 1987, la société SEDA allègue une entente entre la société JVC et ses revendeurs pour appliquer et imposer des prix de revente homogènes.

II. A LA LUMIÈRE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Considérant que les deux saisines susvisées se rapportent au même marché et concernent des faits similaires ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la procédure :

Considérant que la partie saisissante estime " anormal que les parties soient entendues séparément ou ne puissent s'exprimer sur les observations et documents de l'autre partie, avant la notification des griefs " ; qu'elle regrette également de n'avoir été entendue qu'une seule fois ; qu'ainsi, tout en notant que la procédure d'échanges d'observations est certes contradictoire, elle fait valoir néanmoins que, n'étant qu'écrite et ne faisant pas l'objet de débats, une telle procédure ne respecte pas les termes de l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre susvisée qui dispose que " l'instruction et la procédure devant le Conseil de la concurrence sont pleinement contradictoires " ;

Considérant que les dispositions précitées n'imposent nullement de procéder à des auditions ou à des confrontations entre les parties, à quelque moment que ce soit de la procédure;

Considérant que la société SEDA a été en mesure de présenter en temps utile, et a d'ailleurs présenté, ses observations écrites sur les griefs et le rapport ; que dans les délais légaux, elle a pu prendre connaissance des pièces du dossier, y compris les observations et les documents apportés pour sa défense par la société JVC Vidéo France qu'en outre, il lui était loisible de présenter, si elle l'avait souhaité, ses observations au cours de la séance à laquelle elle a été régulièrement convoquée ;

Considérant que la société JVC Vidéo France allègue que la " motivation dubitative " utilisée par le rapporteur sur certains éléments de la qualification des pratiques, ayant néanmoins donné lieu à notification de griefs, montre que la " présomption d'innocence paraît jouer un rôle insuffisant dans la présente procédure en méconnaissance de l'article 6 de la Convention européenne de 1950 " ;

Considérant en tout état de cause que ne fait pas obstacle aux droits de la défense le fait d'exposer une analyse nuancée de pratiques susceptibles de constituer des manquements aux règles de la concurrence, dès lors que sont clairement indiqués les griefs retenus à charge et sur lesquels faculté est donnée aux parties intéressées de présenter leurs propres observations ;

Considérant enfin que la société JVC Vidéo France reproche au rapporteur de ne pas avoir recherché " plusieurs données de faits " concernant notamment des " pratiques systématiques de revente à perte en dessous du prix de revient (dumping) de prix et de marque d'appel sur les produits JVC de SEDA ayant pour effet d'éliminer les petits distributeurs traditionnels " ;

Mais considérant que le Conseil de la concurrence n'ayant pas compétence pour appliquer les textes relatifs à de tels agissements dont il n'est pas allégué qu'ils résultent, à les supposer établis, de pratiques tombant sous le coup des articles 7 ou 8 de l'ordonnance susvisée, il appartient à la société JVC Vidéo France de faire usage des voies de droit appropriées ;

Sur le fond :

En ce qui concerne l'octroi des remises quantitatives et des primes de coopération commerciale aux groupements de revendeurs :

Considérant que les conditions générales de vente présentées par la société JVC Vidéo France à ses clients sont, acceptées explicitement ou tacitement par les revendeurs lors dé la passation des commandes, et constituent en tant que telles, entre le fournisseur et les membres de son réseau de distribution, des conventions susceptibles d'affecter la concurrence sur le marché en cause et d'entrer dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il en est de même des accords de coopération commerciale pour lesquels l'adhésion des revendeurs marque leur consentement aux clauses clairement stipulées ;

Considérant que des remises " quantitatives différées " sont attribuées aux revendeurs en fonction des quantités commandées au-delà de seuils déterminés et que, de même, des primes sont accordées aux signataires d'accords de coopération selon des objectifs programmés de commandes qu'aux termes de l'article 10-13 des conditions générales de vente mises en vigueur le 1er juin 1987, la remise quantitative " s'applique pour les commandes payées et livrées à une seule enseigne " et qu'une clause analogue figure dans les accords de coopération commerciale signés à compter du 1er janvier 1988 jusqu'au 1er juillet 1988 pour ce qui concerne les primes ;

Considérant qu'il résulte du jeu de ces clauses que la société JVC Vidéo France n'accorde pas aux revendeurs regroupés qui n'auraient pas une enseigne commune la possibilité d'agréger leurs commandes ou leurs objectifs d'achat pour bénéficier du niveau de remises quantitatives et de primes de coopération correspondant à la somme de leurs achats ; qu'en revanche, elle accorde cette possibilité aux revendeurs regroupés et ayant une enseigne commune ;

Considérant que l'enseigne d'un distributeur peut se trouver valorisée par l'image des marques qu'il commercialise; que, de même, la marque d'un producteur peut bénéficier des efforts de ses distributeurs pour promouvoir leurs enseignes, l'image des enseignes pouvant avoir une influence sur l'image des marques qui y sont distribuées; que le service assuré à un producteur par un ensemble de distributeurs regroupés sous une enseigne commune, ayant intérêt à assurer en commun la promotion de cette enseigne et à la rendre aisément identifiable par les consommateurs, peut être plus important que celui qui lui serait rendu par les mêmes distributeurs s'ils n'avaient pas adopté la même enseigne ou s'ils ne s'étaient pas regroupés;

Considérant, dans ces conditions, que le fait d'offrir aux groupements de distributeurs ayant adopté la même enseigne des remises quantitatives et des primes de coopération fondées sur la totalité des commandes du groupement sans offrir cette même possibilité aux groupements de distributeurs qui n'ont pas adopté une enseigne commune n'a pas le caractère d'une discrimination ou d'une pratique anticoncurrentielle dès lors que les distributeurs regroupés ont le choix d'adopter ou non une enseigne commune et restent libres de suivre des politiques de prix autonomes;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les clauses dont il s'agit insérées dans les conditions générales de vente et, du 1er janvier 1988 jusqu'au 1er juillet 1988, dans les accords de coopération, ne tombent pas sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance susvisée ;

En ce qui concerne les autres pratiques de la société JVC Vidéo France :

Considérant que la société SEDA allègue, par ailleurs, des discriminations dans l'application des remises et des primes de coopération, des retards dans la communication des propositions d'accords de coopération, des refus de vente, des retards de livraison, des discriminations dans la livraison selon le

caractère " sensible" ou nouvellement mis sur le marché de certains produits, des ententes sur les prix et des pratiques de prix imposées, des fixations arbitraires de plafonds d'encours de crédit ;

Considérant qu'à supposer que de telles pratiques aient été mises en œuvre par la société JVC Vidéo France à l'encontre de sa société SEDA, elles ne seraient susceptibles d'entrer dans le champ d'application du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que si elles se révélaient comme étant le résultat soit de stipulations contenues dans les conditions générales de vente ou dans les accords de coopération, soit, en dehors de telles stipulations, d'une action concertée entre JVC et des revendeurs concurrents de SEDA dans le but notamment de limiter l'accès au marché des produits JVC, ou le libre exercice de la concurrence, soit d'une exploitation abusive d'une situation de dépendance dans laquelle se trouverait SEDA à son égard ;

Considérant, d'une part, que les conditions générales de vente ou les accords de coopération ne comportent pas de dispositions ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de porter atteinte à la concurrence ; qu'en particulier, il n'apparaît pas que les distributeurs soient empêchés ou limités dans leur droit de répercuter, pour établir leur prix de revente, les remises ou les primes auxquelles ils peuvent prétendre, c'est-à-dire dont le principe est acquis et le montant chiffrable ; qu'aucun élément du dossier n'indique que, dans la pratique, le bénéfice des remises est retiré si elles sont répercutées au profit des consommateurs ; qu'en outre, rien ne s'oppose à ce que les remises quantitatives soient accordées au taux, correspondant au fur et à mesure que les seuils de quantité sont atteints ;

Considérant, d'autre part, qu'aucun élément du dossier ne démontre une action concertée qui aurait eu pour objet ou pu avoir pour effet d'imposer un niveau de prix et d'écarter SEDA de l'approvisionnement de produit JVC ; qu'en effet, rien ne peut accréditer l'idée selon laquelle JVC exprimerait dans la lettre du 6 février 1987 sus-mentionnée une volonté commune de l'ensemble de ses revendeurs, ou d'une partie d'entre eux, et d'elle-même pour faire pression sur la société SEDA ou d'autres revendeurs afin que soit appliqué un niveau de prix collectivement fixé ;

Considérant enfin que la société SEDA, contrairement à ce qu'elle soutient, ne peut être regardée comme se trouvant dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de la société JVC Vidéo France ;

Considérant, en effet, que la situation d'un état de dépendance économique, au sens du 2 de l'article 8 de l'ordonnance susvisée, s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part dans le marché considéré, de l'importance de sa part dans le chiffre d'affaires du revendeur et de l'impossibilité pour le distributeur d'obtenir, d'autres fournisseurs, des produits équivalents ;

Considérant que dans le secteur des appareils vidéo, la marque JVC jouit d'une grande notoriété, en raison notamment du fait que le fabricant est l'inventeur de l'un des systèmes en vigueur, le système de type " VHS ", comme en témoignent les sondages d'opinions versés au dossier ; qu'il résulte des évaluations d'une. enquête portant sur la période de janvier 1987 à mars 1988, que la part de la société JVC Vidéo France est prépondérante dans le marché des caméscopes dont elle est l'un des deux fournisseurs principaux, avec 17,3 p. 100 des parts en valeur, mais que dans celui des magnétoscopes, si elle est le premier importateur en fonction de la valeur des produits ou le deuxième en nombre d'unités vendues, dix fournisseurs détiennent des parts voisines entre 4,8 et 8,8 p. 100 d'un marché caractérisé par une offre atomisée;

Mais considérant que la part de la marque JVC dans les ventes d'appareils vidéo de SEDA a été de 36,58 p. 100 de janvier 1987 à mai 1988 ; qu'un examen mois par mois montre, d'une part, des fluctuations importantes et, d'autre part, une érosion des ventes des appareils de marque JVC, mais que cette diminution en pourcentage s'explique essentiellement par l'accroissement corrélatif des ventes d'appareils de même type d'autres marques; qu'enfin, bien que l'image de la marque attachée à ce type de produits constitue un facteur dans le choix du consommateur, l'existence de produits équivalents d'autres marques, dont certains de fabrication identique à des modèles correspondants de JVC, peut être une source de substitution non négligeable;

Considérant, dans ces conditions, que les pratiques dénoncées, à supposer qu'elles aient été mises en œuvre, ne constituent pas, des abus d'une situation de dépendance économiqueet qu'elles ne relèvent pas de la compétence du Conseil de la concurrence,

Décide

Article unique : - Il n'est pas établi que la société JVC Vidéo France ait enfreint les dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.