CE, 7e et 10e sous-sect. réunies, 13 juin 1997, n° 167907
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Transports pétroliers par pipe-line (Sté), BP France (Sté), Esso SAF (Sté), Mobil Oil Française, Pétroles Shell (Sté), Total Raffinage Distribution (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vught
Rapporteur :
Mlle Lagumina
Avocats :
SCP Célice, Blancpain.
LE CONSEIL : - Vu, 1°) sous le n° 167907, la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés les 15 mars et 24 avril 1995 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés pour la société des transports pétroliers par pipe-line (TRAPIL) dont le siège est 7-9 rue des Frères Morane, Paris Cedex 15 (75738), représentée par son président en exercice ; la société TRAPIL demande au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 24 février 1995 confiant l'exploitation du système d'oléoducs Donges-Melun-Metz à la Société Française Donges-Metz et de décider qu'il sera sursis à son exécution ; Vu, 2°) sous le n° 168940, la requête enregistrée le 24 avril 1995 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentée pour la société BP France dont le siège est 8, rue des Gémeaux, à Cergy-Pontoise Cedex (95866), la société Esso SAF, dont le siège est 2 rue des Martinets, Rueil Malmaison Cedex (92569), la société Mobil Oil française dont le siège est Tour Septentrion, Cedex 9 Paris La Défense (92081), la société des Pétroles Shell dont le siège est 89, boulevard Franklin Roosevelt, Rueil Malmaison Cedex (92564) et la société Total Raffinage Distribution SA dont le siège est 51 Esplanade Charles de Gaulle, Cedex 97 Paris La Défense (92907), toutes représentées par leurs dirigeants en exercice ; elles demandent au Conseil d'État d'annuler le décret du 24 février 1995 confiant l'exploitation de l'oléoduc Donges-Melun-Metz à la société Donges-Metz et de décider qu'il soit sursis à son exécution ; Vu les autres pièces des dossiers ; Vu la loi n° 49-1060 du 2 août 1949 modifiée par la loi n° 51-712 du 7 juin 1951 ; Vu la loi de finances pour 1958 n° 58-336 du 29 mars 1958 ; Vu la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 modifiée par la loi n° 95-127 du 8 février 1995 ; Vu la loi n° 94-1206 du 30 décembre 1994 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu le décret du 26 mars 1954 ; Vu le décret n° 59-645 du 16 mai 1959 modifié par le décret n° 95-198 du 24 février 1995 ; Vu le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945, le décret du 30 septembre 1953 et la loi du 31 décembre 1987 ;
Considérant que les requêtes de la société des transports pétroliers par pipe-line et des sociétés BP France et autres sont dirigées contre un même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la loi du 2 août 1949 relative à la construction d'un pipe-line entre la Basse-Seine et la région parisienne et à la création d'une "société des transports pétroliers par pipe-line" : " un ou plusieurs règlements d'administration publique détermineront les conditions d'application de la présente loi et, en particulier, celles de l'article 7 " ; qu'aux termes de l'article 11 de la loi de finances pour 1958 (2e partie) : "I. La construction dans la métropole des pipe-lines d'intérêt général destinés aux transports d'hydrocarbures liquides est autorisée par décret sur avis conforme du Conseil d'État ... III. Des décrets préciseront les conditions d'application du présent article ... "et qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 16 mai 1959 : "La construction et l'exploitation dans la métropole des conduites d'intérêt général destinées aux transports d'hydrocarbures liquides ou liquéfiés sous pression sont soumises aux dispositions du présent décret" ; qu'en vertu de l'article 6 de ce dernier décret l'autorisation est accordée par décret sur avis conforme du Conseil d'État ; qu'il résulte de ces dispositions que le Premier ministre était compétent pour confier par le décret attaqué du 24 février 1995, pris après avis conforme du Conseil d'État, l'exploitation du système d'oléoduc Donges-Melun-Metz à la société française Donges-Metz, et soumettre cette exploitation à certaines des dispositions du décret susvisé du 16 mai 1959 sans qu'y fassent obstacle les dispositions de forme législative de l'article 6 de la loi susvisée du 2 août 1949 qui n'ont pas institué un monopole au profit de la société des transports pétroliers par pipe-line, mais avaient seulement autorisé cette société à construire et à exploiter le système d'oléoduc précité ;
Considérant que le décret attaqué pouvait légalement soumettre pour l'avenir l'exploitation et les modifications de l'ouvrage construit en application des dispositions de la loi du 2 août 1949 et du décret du 8 juillet 1950 aux dispositions du décret du 16 mai 1959 pris pour l'application des dispositions de l'article 11 de la loi du 29 mars 1958, sans qu'ait été suivie au préalable la procédure prévue à ce décret pour les demandes en autorisation de construire et d'exploiter une conduite d'intérêt général en hydrocarbures liquides ou liquéfiés ;
Considérant qu'en autorisant l'occupation du domaine public, le décret attaqué n'a aucunement méconnu la règle de compétence fixée sous réserve des règlements particuliers par l'article R. 53 du Code du domaine de l'État ni violé l'article L. 28 du même code ;
Considérant que l'article 14-4 du cahier des charges approuvé par le décret attaqué se borne à enjoindre au titulaire de l'autorisation de faire toutes diligences pour préserver les droits de l'État au regard du droit de l'urbanisme sans lui déléguer un pouvoir de décision ; qu'ainsi, il ne méconnaît aucune règle de compétence ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 4 du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil du 21 décembre 1989 que la notification préalable des opérations de concentration, lorsqu'elle est exigée, incombe soit aux parties à la fusion ou à l'établissement du contrôle en commun, soit à la personne ou à l'entreprise qui acquiert le contrôle d'une ou de plusieurs entreprises ; que les requérants ne sauraient utilement invoquer ces dispositions à l'encontre du décret attaqué qui se borne à confier l'exploitation du système d'oléoduc Donges-Melun-Metz à la société française Donges-Metz et à approuver ses statuts ;
Considérant que le décret attaqué détermine les obligations mises à la charge de l'exploitant du système d'oléoduc Donges-Melun-Metz ; que, nonobstant la circonstance que le cahier des charges qui lui est annexé comporte certaines dispositions réglementaires, ce décret est dépourvu de caractère réglementaire ; que, dès lors, les requérants ne sauraient invoquer à l'appui de leur recours les dispositions de la directive 93-37 CEE du Conseil du 14 juin 1993, relatives aux règles communes de publicité pour la passation des marchés publics de travaux ;
Considérant que le décret attaqué n'a pas le caractère d'un "texte réglementaire instituant un régime nouveau" et n'entre donc pas dans le champ des consultations obligatoires du Conseil de la concurrence prescrites par l'article 6 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ; que l'article 6 de la même ordonnance ne prévoit que des consultations facultatives ; qu'ainsi les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le Conseil de la concurrence devait être consulté à nouveau après qu'il a rendu un premier avis ;
Considérant que si le décret attaqué fixe les droits et obligations de l'exploitant du domaine public en vue notamment d'éviter que son utilisation par un opérateur privé soit à l'origine de pratiques anticoncurrentielles et d'assurer conformément à sa destination son maintien en permanence dans un état permettant l'approvisionnement en temps de crise des forces armées françaises ou alliées, il n'a ni pour objet ni pour effet de confier l'exploitation d'un service public des transports de produits pétroliers à la société française Donges-Metz ; que, par suite, les dispositions invoquées de la loi du 29 janvier 1993 relatives aux délégations de service public et des textes pris pour son application ne peuvent être utilement invoqués ;
Considérant que l'avis publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics du 4 février 1993, sans méconnaître le champ d'application du Code des marchés publics avait pour objet un appel à candidatures, les entreprises retenues devant être avisées ultérieurement des conditions de remise des offres ; qu'eu égard à cet objet limité et à ses destinataires potentiels, opérateurs pétroliers, ses auteurs ont pu sans erreur manifeste d'appréciation fixer au 15 février 1993 la date limite d'expédition ou de remise des candidatures ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les dispositions de l'article 35 du règlement de procédure du 8 mars 1993 relatives à la consistance du dossier de soumission aient été méconnues ;
Considérant qu'à la date du décret attaqué les sociétés SFTP et SOFIPA n'étaient pas actionnaires de la société SFDM ; que la société Bolloré énergie avait présenté une candidature groupée parvenue à l'administration dans le délai imparti et agréée, qu'ainsi les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la candidature de certaines des sociétés actionnaires de la société SFDM n'ayant pas été régulièrement agréées, le règlement de procédure du 8 mars 1993 aurait été méconnu ;
Considérant qu'au titre des critères de sélection des offres, l'avis publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics du 4 février 1993 retenait notamment les conditions financières de valorisation de l'ouvrage pour l'État, l'intérêt du projet pour le développement industriel du pays, ainsi que la contribution du projet à la logistique pétrolière, notamment du point de vue de l'égalité d'accès aux installations des différentes catégories d'opérateurs pétroliers ;
Considérant qu'aucun des critères auxquels s'est référée l'administration pour le choix de l'entreprise n'est étranger à l'objet de la mise en concurrence ;
Considérant que les dispositions de l'avis d'appel à candidature et du règlement de procédure qui divisaient en lots le système et prévoyaient que chaque lot ferait l'objet d'un contrat ne faisaient pas obstacle à ce que, dans le cas où tous les lots seraient attribués au même candidat, un seul contrat soit passé ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la durée de ce contrat n'ait pas été pris en fonction de la durée d'amortissement des investissements à réaliser ;
Considérant qu'aux termes de l'article R. 56 du Code du domaine de l'Etat : "Toute redevance stipulée au profit du Trésor doit tenir compte des avantages de toute nature procurés au concessionnaire" ; que le décret attaqué en approuvant l'article 25 du cahier des charges fait une exacte application de ces dispositions en mettant à la charge de l'attributaire unique de l'autorisation une redevance comportant une part fixe qui correspond à la valeur locative annuelle des installations et une part variable en fonction du résultat net après impôt de l'exploitation de l'ouvrage ;
Considérant que si l'article 37 du règlement de procédure prévoyait que les contrats seraient signés pour l'État par les ministres de l'industrie, de la défense et du budget, la circonstance qu'un seul ministre aurait signé le contrat n'est pas de nature à vicier la légalité du décret attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 20 juillet 1959 susvisé : "La société des transports pétroliers par pipe-line est autorisée à exploiter, dans les conditions fixées par la convention du 5 avril 1954, pour le compte de l'État, un pipeline et ses annexes, entre les régions de Donges et de Metz" ; qu'aux termes de l'article V de la convention du 5 avril 1954 : "Aussi longtemps que jouera l'accord franco-américain du 30 juin 1953, l'exploitation du pipe-line Donges-Melun-Metz sera confiée à TRAPIL, conformément à cet accord, et fera l'objet d'un contrat entre l'État et TRAPIL" ; que l'accord franco-américain ayant été dénoncé par les États-Unis d'Amérique le 31 août 1992 avec effet du 1er janvier 1994 les requérants ne sauraient soutenir que le décret attaqué a méconnu les droits que la société des transports pétroliers par pipe-line tenait du décret du 20 juillet 1959 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence : "Les règles définies à la présente ordonnance s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre des conventions de délégations de service public"; que ces dispositions ne s'appliquent aux personnes publiques qu'autant que celles-ci se livrent à des activités de production, de distribution et de services; qu'elles ne s'appliquent pas au décret attaqué dans celles de ses dispositions qui se bornent à autoriser un opérateur à occuper et à exploiter le domaine public pour y exercer une activité privée; que les autres dispositions ont pour objet d'éviter que cet opérateur n'exerce cette activité en violation de l'ordonnance précitée dont elles ne méconnaissent aucune disposition ;
Considérant que ni le décret attaqué ni le cahier des charges qui lui est annexé ne comportent des restrictions quantitatives à l'importation ou des mesures d'effet équivalent ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés en tout état de cause à invoquer la violation de l'article 30 du Traité instituant la Communauté européenne ;
Considérant que l'appel à la concurrence pour l'attribution de l'autorisation d'exploiter l'ouvrage n'était pas limité aux opérateurs pétroliers nationaux ; que les critères du choix des attributaires de cette autorisation, et notamment celui tiré de l'intérêt du projet pour le développement industriel du pays, n'étaient pas de nature à favoriser les opérateurs français ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à invoquer la violation de l'arrêté 52 du Traité instituant la communauté européenne ;
Considérant que le moyen tiré de l'abus de position dominante n'est assorti d'aucun moyen permettant d'en apprécier le bien fondé ;
Considérant que les articles 92 et 93 § 1 et 2 du Traité instituant la Communauté européenne ne s'imposent qu'aux États signataires et ne sauraient être utilement invoqués par les sociétés requérantes ;
Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret attaqué ;
Décide :
Article 1er : Les requêtes de la société des transports pétroliers par pipe-line et des sociétés BP France et autres, susvisées, sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifié à la société des transports pétroliers par pipe-line, à la société BP France, à la société Esso SAF, à la société Mobil Oil française, à la société des Pétroles Shell, à la société Total Raffinage Distribution SA, à la société française Donges-Metz, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, au ministre de la défense, au ministre de l'équipement, des transports et du logement.