Cass. crim., 12 février 1990, n° 89-80.815
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Esquerre, Chambre syndicale des agents généraux d'assurance du Gers
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Bayet
Avocat général :
M. Lecocq
Avocats :
SCP Fortunet, Mattei-Dawance, Me Vincent.
LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par Esquerre Lucien, la Chambre syndicale des agents généraux d'assurances du Gers, parties civiles, contre l'arrêt n° 88-0-599 de la Cour d'appel d'Agen, chambre correctionnelle, en date du 16 janvier 1989, qui, prononçant sur les intérêts civils dans la procédure suivie contre Paul B pour infraction prévue par les articles 30 et 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a débouté le premier nommé de ses demandes et a déclaré la seconde irrecevable en sa constitution de partie civile; - Vu les mémoires produits tant en demande qu'en défense; - Sur les moyens de cassation réunis, communs aux demandeurs, et pris: le deuxième moyen, de la violation des articles 30 et 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale:
" en ce que l'arrêt attaqué a décidé qu'il n'existait aucun motif légitime de faire application à l'encontre de B, ès qualités, des dispositions des articles 30 et 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relatives à la liberté des prix et de la concurrence;
" alors que l'application de l'article 30 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence qui sanctionne pénalement l'auteur d'un refus de vente ou de prestation de service n'est nullement subordonnée à l'existence d'un motif légitime; qu'un tel motif ne peut être pris en considération que lorsqu'il s'agit, au contraire, d'exonérer le prévenu de sa responsabilité pénale;
" qu'en statuant dès lors comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui a subordonné l'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 à une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les textes visés au moyen ";
Le troisième moyen, de la violation des articles 30 et 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, de l'article 33 du décret du 29 décembre 1986, fixant les conditions d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale:
" en ce que l'arrêt attaqué a décidé que les infractions visées par les articles 30 et 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence n'étaient pas constituées en l'espèce;
" aux motifs qu'il est reproché à B, ès qualités de président du conseil d'administration de la C, de s'être rendu coupable des infractions susvisées en ayant incité les sociétaires de cette mutuelle à regrouper, auprès de celle-ci, l'ensemble de leurs contrats d'assurance (pratique dite " assurances liées "), et d'avoir résilié les contrats des sociétaires de la C qui n'avaient pas déféré à cette invitation; que les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sont sans application aux opérations d'assurances et en tout cas, sans application aux mutuelles d'assurances, dont l'organisation, fondée sur une philosophie " mutualiste ", est incompatible avec les dispositions du texte en cause, la qualité de sociétaire, que revêt, dans ce type de sociétés d'assurances, l'assuré, étant, de plus, inconciliable avec la qualité de " consommateur " au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que les caractéristiques du fonctionnement de la mutuelle constituent, en tout état de cause, le motif légitime au sens de l'article 30 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, propre à laver l'auteur des infractions de sa responsabilité pénale; qu'enfin la C avait agi dans l'intérêt même de ses sociétaires, sans intention de léser qui que ce soit;
" 1° alors que selon l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, les règles définies par l'ordonnance en cause s'appliquent sans limitation à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques; qu'en décidant, dès lors, que les activités d'assureur se trouvaient exclues des prescriptions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la cour d'appel a violé ce texte par refus d'application;
" 2° alors que les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sont applicables à toutes les activités d'assurances, y compris celles pratiquées par les mutuelles, dont les sociétaires ont, au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la qualité de " consommateurs "; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le texte susvisé;
" 3° alors que l'existence d'une cause légitime constitue un fait justificatif du seul refus de vente ou de prestation de service, et nullement des autres infractions visées par l'article 30 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'ayant relevé que les faits incriminés, consistant à pratiquer l'" assurance liée ", n'étaient pas constitutifs d'un refus de vente, la cour d'appel ne pouvait décider que l'existence d'une cause légitime était de nature à exonérer le prévenu de sa responsabilité pénale, et a, en statuant ainsi, violé les textes susvisés;
" 4° alors que les caractéristiques d'organisation et de fonctionnement des mutuelles d'assurances ne sauraient constituer, en elles-mêmes, une cause légitime, de nature à exonérer de sa responsabilité pénale l'auteur des infractions prévues par l'article 30 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen;
" 5° alors que, en matière de contravention, il suffit, pour l'application de la loi pénale, que le fait punissable soit matériellement constaté; que, pour décider que les infractions prévues à l'article 30 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, infraction que l'article 33 du décret du 29 décembre 1986 punit de peines contraventionnelles, n'étaient pas constituées, la cour d'appel a énoncé que le prévenu n'était pas animé d'une intention coupable; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ";
Vu les articles cités; - Attendu que les dispositions de l'article 30 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, qui interdisent de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit et qui, selon l'article 53 de la même ordonnance, s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, ont une portée générale; qu'elles s'appliquent notamment, en l'absence de dérogation expresse, aux prestations offertes par les mutuelles d'assurances, nonobstant l'article L. 111-1 du Code de la mutualité, dès lors que ces prestations ne sont pas spécifiques au domaine de la mutualité et relèvent du secteur concurrentiel;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que la caisse des réassurances des mutuelles agricoles du Gers (C) dont Paul B est le président du conseil d'administration, a invité ses adhérents garantis contre le risque dit " complémentaire maladie chirurgie ", à lui confier la garantie des autres risques " accidents et incendies " que ces derniers avaient pu souscrire auprès d'autres sociétés d'assurances; que ceux des sociétaires qui ont refusé de satisfaire à cette mise en demeure, ont vu leur police d'assurance résiliée par la C; que les intéressés dont Lucien Esquerre ont fait citer directement devant la juridiction de police Paul B pour l'infraction prévue par les articles 30 et 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et réprimée par l'article 33 de son décret d'application du 29 décembre 1986; qu'à l'audience, la chambre syndicale des agents généraux d'assurances du Gers s'est constituée partie civile;
Attendu que pour confirmer sur appel des seules parties civiles le jugement qui, après relaxe du prévenu, les avait soit déboutées de leur demande, soit déclarées irrecevables, la cour d'appel, après avoir rappelé les principes essentiels du système mutualiste - savoir: le service rendu au juste prix, la gestion démocratique et désintéressée, l'assurance de personnes appartenant à des secteurs professionnels déterminés, l'égalité et la solidarité entre sociétaires - et souligné qu'une mutuelle, qui ne poursuit la réalisation d'aucun bénéfice, n'est pas à l'égard de ses adhérents " un commerçant ou un artisan vendeur de produits ou services ", retient que ces principes sont tels que l'article 30 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas applicable aux mutuelles; que la cour d'appel ajoute que la C ayant pris les mesures nécessaires au maintien de l'équilibre de la mutualité, et ce dans l'intérêt même de Lucien Esquerre et des autres adhérents mutualistes et sans intention de léser qui que ce soit, aucune faute ne peut être reprochée à Paul B ès qualités;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'arrêt constate à l'égard d'un consommateur une subordination de la prestation d'un service à celle d'un autre service, infraction à laquelle demeure étranger le motif légitime visé par l'article 30 précité, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés;que la cassation est encourue de ce chef;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le premier moyen de cassation: casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel d'Agen, en date du 16 janvier 1989, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi: renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris.