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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 10 février 1994, n° ECOC9410027X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Chambre syndicale des entreprises d'équipement électrique de Paris et sa région

Défendeur :

Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Montanier

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

Mme Mandel, MM. Albertini, Dussart, Nerondat

Avoué :

SCP Bernabé Ricard

Avocats :

Mes Lévy, Richer, SCP Demoyen, associés.

CA Paris n° ECOC9410027X

10 février 1994

Le 7 juin 1991, la Chambre syndicale des entreprises d'équipement électrique de Paris et sa région (CSEEE) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques constitutives d'abus de position dominante mises en œuvre, selon elle, sur le marché des équipements électriques de surveillance, par Electricité de France (EDF) et la société SDF Sécurité ; elle reprochait à cet établissement public d'avoir, par la constitution de cette société ayant pour objet la vente aux particuliers d'installations électriques de surveillance, violé le principe de spécialité au respect duquel il est tenu en vertu de l'article 46 de la loi 46-628 du 8 avril 1946 ; elle faisait grief à SDF Sécurité d'intervenir sur ledit marché, notamment par une pratique de prix particulièrement bas assimilable à un acte de " dumping ".

Par décision n° 93-D-15 du 25 mai 1993, le Conseil de la concurrence, faisant application des dispositions de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a déclaré la saisine irrecevable aux motifs, d'une part, que n'entrait pas dans le champ de sa compétence l'appréciation, au regard de la loi du 8 avril 1946, de la légalité de la décision prise par EDF de créer la société SDF Sécurité, d'autre part, que les allégations d'abus de position dominante n'étaient pas assorties d'éléments suffisamment probants.

La CSEEE a formé un recours aux fins de réformation et de renvoi de l'affaire devant le conseil ; elle fait valoir que :

- en ce qu'elle vise non pas à l'appréciation de la légalité de la décision d'EDF de créer la société SDF, au regard des dispositions de la loi du 8 avril 1946, mais à voir statuer sur les effets de cette décision, la demande entre dans le champ de la compétence du conseil ;

- la violation du principe de spécialité constitue en soi un abus de position dominante ;

- les moyens utilisés par EDF sont eux-mêmes caractéristiques d'abus de position dominante dès lors que, détenant un monopole dans son secteur, elle tente de s'emparer du marché voisin de l'établissement et de l'entretien des installations privées de surveillance, en se substituant à l'initiative privée et en pratiquant une politique de prix bas ;

- l'insuffisance de preuves qui lui a été opposée revient à l'obliger à attendre que tous les effets dommageables des pratiques anticoncurrentielles se soient manifestés.

Mise en cause d'office en vertu des dispositions de l'article 7 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, EDF conclut la confirmation de la décision déférée ainsi qu'à la condamnation de la CSEEE au paiement de la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle soutient :

- à titre principal, que le conseil est incompétent pour connaître de la saisine dès lors que les règles statutaires d'EDF ne font pas partie du droit de la concurrence issu de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que la décision de diversification ne constitue pas un acte de distribution ou de service au sens de l'article 53 de l'ordonnance ;

- à titre subsidiaire, qu'elle n'entretient avec SDF que des relations normales d'actionnariat qui ne procurent à celle-ci aucun avantage lui permettant de pratiquer le dumping ;

- à titre plus subsidiaire, que la prise de participation sans subvention, pour des motifs de stratégie économique, n'est pas de nature à rompre l'égalité entre agents économiques et est, dès lors, exclusive de toute violation du principe de spécialité.

En ses observations tendant à la confirmation de la décision, la société SDF Sécurité, mise en cause d'office en vertu des dispositions susvisées, souligne que :

- la violation du principe de spécialité ne saurait être considérée comme acquise pour les besoins de la cause, ni constituer en soi un abus de position dominante ;

- le Conseil de la concurrence ne peut apprécier la légalité de la décision d'EDF, ni en tirer conséquence ;

- les allégations de pratiques anticoncurrentielles ne sont corroborées par aucun élément de preuve ;

Le ministre de l'économie et des finances a présenté des observations écrites qu'il a oralement développées à l'audience :

- sur la procédure, il s'interroge sur la régularité de la mise en cause d'office d'EDF et de SDF Sécurité, au regard des dispositions de l'article 7 du décret du 19 décembre 1987, à l'occasion d'un recours contre une décision d'irrecevabilité ;

- sur l'abus de position dominante reproché à EDF, il fait remarquer, d'une part, qu'à la supposer établie la violation du principe de spécialité n'implique pas un abus de position dominante, d'autre part, que l'existence de pratiques portant atteinte à la concurrence n'est pas démontrée.

Par écritures en réplique déposées le 8 novembre 1993, la CSEEE, réitérant au principal son argumentation et ajoutant à ses prétentions initiales, prie subsidiairement la cour, en sa qualité de juridiction d'appel du tribunal de commerce, d'évoquer et de :

- faire injonction à EDF et SDF Sécurité, sous astreinte de 50 000 F par jour à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, de cesser l'activité litigieuse ;

- condamner EDF et SDF Sécurité au paiement de la somme de 1 F de dommages et intérêts sauf à parfaire ;

- désigner tel expert avec mission de donner son avis sur le préjudice subi par les adhérents de la chambre syndicale ;

- ordonner la publication de l'arrêt, par extrait, dans deux quotidiens aux frais avancés d'EDF et de SDF Sécurité.

Par conclusions additionnelles déposées le 19 novembre 1993, le ministre de l'économie et des finances fait observer que n'étant pas, au cas présent, juridiction d'appel du tribunal de commerce, la cour d'appel, saisie d'un recours sur une décision du Conseil de la concurrence, ne peut se prononcer sur une pratique qui n'a pas été examinée par celui-ci, ni prendre la décision d'allouer des dommages et intérêts, laquelle ne relève pas de la compétence du conseil.

Usant de la faculté de présenter des observations écrites que lui réserve l'article 9 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, le Conseil de la concurrence souligne que :

- saisie d'un recours sur le fondement de l'article 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et ne pouvant que confirmer, annuler ou réformer la décision du conseil, la cour d'appel ne peut évoquer ;

- en vertu de l'article 13 de ladite ordonnance, la cour d'appel, juridiction d'appel des décisions du conseil et non juridiction d'appel du tribunal de commerce, ne peut se prononcer sur une demande en réparation du dommage résultant des pratiques anticoncurrentielles, de surcroît irrecevable au regard des dispositions de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile.

Cela exposé, LA COUR :

Sur la mise en cause d'office d'EDF et de SDF Sécurité :

Considérant que le ministre de l'économie et des finances a estimé que pouvait être discutée, à ce stade de la procédure, l'utilité de la mise en cause d'office d'EDF et de la société SDF Sécurité, sans cependant en déduire des conséquences juridiques précises ;

Considérant que ces entreprises n'ont élevé aucune objection à la mesure ordonnée par le délégataire du premier président ;

Considérant que la requérante ne s'est pas davantage opposée au principe de cette intervention;

Considérant que n'étant saisie d'aucune demande de mise hors de cause, la cour n'a pas à statuer à cet égard ;

Sur la recevabilité de la saisine :

Considérant que, selon l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence peut déclarer la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ;

Considérant qu'en exécution du contrat de plan signé avec l'Etat, EDF a participé en mai 1988 à la création de la société SDF Sécurité ayant pour objet la fourniture de systèmes de sécurité par télésurveillance aux particuliers ; qu'à l'origine la prise de participation d'EDF s'est faite par l'intermédiaire de la holding Sapar ; qu'ensuite, à l'occasion d'une restructuration des participations souhaitée par les pouvoirs publics, un arrêté ministériel du 11 juillet 1990 a autorisé le transfert à une nouvelle holding dénommée Synergie Développement Service (SDS), filiale à 100 p. 100 d'EDF, qui détient 28 p. 100 du capital de SDF ;

Considérant que la requérante reproche à EDF d'avoir de la sorte violé le principe de spécialité auquel cet établissement est astreint aux termes de l'article 46 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 ;

Considérant en effet que cette loi de nationalisation de l'électricité et du gaz créant EDF lui a confié le monopole de la distribution du courant électrique à l'exclusion des " activités industrielles et commerciales relatives à l'établissement, l'entretien et la réparation des installations intérieures, à la vente et l'entretien, la location des appareils ménagers " ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient CSEEE, l'appréciation des effets de la décision de création de SDF, au regard des dispositions législatives, est indissociable de l'appréciation de la légalité même de la décision;

Qu'impliquant un examen de la conformité de l'éventuelle extension des attributions de l'établissement public, à l'accomplissement de la mission statutaire qui lui a été confiée, une telle appréciation relève de la compétence exclusive des juridictions administratives; qu'elle échappe par conséquent à la compétence du Conseil de la concurrence dont la décision mérite à cet égard confirmation ;

Considérant, par ailleurs, qu'aux termes du même article 19 de l'ordonnance susvisée, le Conseil de la concurrence peut aussi déclarer la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ;

Considérant qu'est inopérante, à cet égard, l'allégation selon laquelle la violation du principe de spécialité constitue, en soi, un abus de position dominante ; qu'en effet, fût-elle contraire audit principe, ne suffit pas à caractériser un tel abus la seule intervention d'EDF, par le biais d'une société dotée de sa propre personnalité morale, sur le marché de la télésurveillance, marché distinct de celui de la production et de la distribution d'électricité sur lequel il bénéficie d'une position dominante ;

Considérant enfin que la CSEEE n'étaye ses prétentions d'aucun élément probant, laissant présumer que SDF Sécurité bénéficie sur le marché considéré de la télésurveillance d'une position lui permettant de s'affranchir des contraintes de la concurrence ; que, bien plus, elle ne soumet à la cour aucun indice probant de nature à accréditer la thèse d'un éventuel abus ; que, tout au contraire, la reconnaissance devant le conseil, par le président de la chambre syndicale, de ce que certaines entreprises pouvaient pratiquer des prix inférieurs à ceux pratiqués par SDF Sécurité et de ce qu'il n'était pas en mesure d'établir qu'EDF ait remis en cause son système d'agrément après la création de SDF Sécurité suffit à priver de toute pertinence les griefs avancés ;

Considérant qu'il s'ensuit que doit être confirmée la décision d'irrecevabilité rendue par le Conseil de la concurrence, en conformité des dispositions susvisées de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les demandes subsidiaires :

Considérant que les dispositions de l'article 568 du nouveau Code de procédure civile, ouvrant à la cour la faculté d'évoquer les points non jugés, lorsqu'elle est saisie d'un jugement qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l'instance, ne peuvent trouver application en la cause, la décision d'irrecevabilité, objet du recours, étant confirmée ;

Considérant que sont, en tout état de cause, irrecevables les demandes subsidiaires aux fins de cessation sous astreinte de l'activité prétendument litigieuse et en réparation du préjudice en résultant, en ce qu'elles excèdent les limites prescrites par la loi du 6 juillet 1987 pour l'exercice du pouvoir juridictionnel de la cour d'appel de Paris, saisie comme en l'espèce d'un recours contre une décision du Conseil de la concurrence ;

Considérant qu'en conséquence les demandes subsidiaires doivent être rejetées ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit d'EDF ,

Par ces motifs : constate qu'aucune demande précise n'a été formulée quant à la régularité des mises en cause d'office ; rejette le recours, formé par la Chambre syndicale des entreprises d'équipement électrique de Paris et de sa région, contre la décision n° 93-D-15 rendue le 25 mai 1993 par le Conseil de la concurrence ; déclare irrecevables les demandes subsidiaires et les rejette ; dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Met les dépens à la charge de la requérante.